ページの画像
PDF
ePub

II

NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE

basses; les compagnes qu'il leur a données sont toujours bien dignes d'eux. Quelquefois il les peint dansant au bruit discordant d'un violon de village. Souvent il les offre au milieu de leur ménage; c'est là qu'il a rendu avec une vérité frappante, avec une sorte d'enthousiasme, l'intérieur d'un ménage de paysan, où le père, la mère, la grand'mère et une nichée d'enfans bien laids, bien sales, bien morveux, mangent, couchent, satisfont à tous les besoins de la nature, entassés dans la même chambre, où sont confondus les outils de leur profession, de leur cuisine et de leur parure. On ne saurait cependant mettre plus de chaleur, plus d'harmonie, de lumière et de couleur qu'il en a mis dans ces asiles pittoresques.

Si on cherchait les principes de l'ignoble, on les trouverait dans ses figures; elles sont courtes, leurs gestes sont bas, leurs têtes sont grosses; dans leurs visages hâlés dominent toujours des nez rouges, gros par le bout, étroits dans le haut ; elles ont de petits yeux bordés d'écarlates enfoncés et bien près l'un de l'autre, de grandes bouches de travers, bien loin du nez, et dont la lèvre inférieure avance plus que l'autre; un menton qui vient encore plus en avant, et qui mène à un cou où l'on rencontre plusieurs mentons encore, chemin charmant conduisant vers d'autres appas qu'il est bien permis de se dispenser de décrire. »

[ocr errors]

Les figures principales de van Ostade sont toujours les plus laides. On serait tenté de croire que parmi les humains qu'il peignait, la laideur était en grande considération, et l'on serait autorisé à imaginer que si quelque divinité jalouse eût voulu exciter parmi eux une sanglante guerre, et jeter au milieu de leur assemblée une pomme de discorde, elle aurait écrit dessus: A la plus laide. »

Cette critique plaisante n'empêchera pas d'admirer les tableaux d'Ostade, à cause de leur originalité; ses personnages intéressent malgré leurs vilaines formes: on ne chercherait pas à faire société avec ses modèles, mais on les voit avec plaisir. C'est

SUR ADRIEN VAN OSTADE.

III

un de ses caractères distinctifs d'être de tous les peintres celui qui excite le plus à rire. Ses figures ont des formes triviales, mais elles n'ont pas l'air d'avoir un mauvais naturel; elles sont spirituelles, inspirent la gaîté et non pas l'effroi, et l'on ne craindrait pas de les rencontrer sur une grande route, comme l'on voit dans les tableaux de Salvator Rosa.

celles que

Un reproche qu'on peut faire à van Ostade, c'est d'avoir quelquefois placé son point de vue trop haut, de sorte que ses chambres paraissent bizarres, et seraient même ridicules s'il n'avait su remplir de grands espaces par quelques détails intéressans. La beauté du coloris est un des principaux mérites de cet habile maître; et aucun peintre, de tous les genres et de toutes les nations, n'a été coloriste plus fin et plus harmonieux que lui.

Le nombre de tableaux et de dessins qu'a faits van Ostade ne l'a pas empêché de s'occuper aussi de la gravure; on a de lui une suite de cinquante pièces représentant des scènes familières; quelques figures isolées et des têtes d'étude, dans lesquelles on retrouve le même mérite et les mêmes bizarreries que dans ses tableaux. Sa pointe, sans être soignée, est cependant fine et spirituelle.

Adrien van Ostade mourut à Amsterdam en 1685, âgé de 75 ans ; il eut pour élève son frère Isaac van Ostade, qui mourut jeune, et dont les tableaux lui ont été quelquefois attribués; Jean van Goyen, dont il épousa la fille; et Jean Steen qui, en imitant son maître pour la trivialité de ses sujets, ne leur a pas conservé autant de modestie.

Parmi les graveurs qui ont travaillé d'après lui on remarque Blooteling, Suyderhoef, C. de Visscher, G. Fr. Schimdt, Le Bas et Chenu.

NOTICE

HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

EUSTACHE LE SUEUR.

Michel-Ange, Titien et Léonard de Vinci, qui vécurent près d'un siècle, ont laissé des productions justement admirées, et leur nom est toujours cité de la manière la plus honorable; mais une aussi longue existence n'est pas nécessaire pour arriver à une semblable célébrité, puisqu'on parle avec autant d'éloge de Raphaël, de Lucas de Leyde, de Paul Potter et de Le Sueur, qui n'atteignirent pas leur quarantième année, et laissèrent pourtant de nombreux tableaux justement admirés. Les travaux de Le Sueur, loin de le conduire aux honneurs et à la fortune qu'il aurait dû en attendre, l'ont laissé dans un état voisin du besoin : ses contemporains semblaient faire peu d'attention à son mérite, et on croyait trop payer ses travaux en lui donnant à peine le nécessaire.

Eustache Le Sueur, né à Paris en 1617, reçut de son père, sculpteur peu connu, les principes du dessin ; mais les dispositions naturelles qu'il montra pour la peinture devinrent un motif suffisant pour quitter l'atelier de son père et entrer dans l'école de Vouet, où il se trouva avec Mignard et Le Brun. On ne sait rien de particulier sur la jeunesse de cet artiste, si ce n'est qu'il ne fit aucun voyage en Italie, et qu'il se forma par l'étude des statues antiques, par celle des tableaux de Raphaël qui se trouvaient à Paris, et par les estampes gravées

NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE

Le Sueur se maria en 1642, à l'âge de 25 ans; mais il n'eut probablement pas d'enfans, et il s'occupa de divers travaux, dont les plus importans sont les vingt-deux tableaux de la vie de saint Bruno, qu'il peignit dans le cloître des Chartreux, pendant les années 1645 à 1648. Ceux qui aiment à trouver partout du merveilleux et du romanesque ont prétendu que si ces tableaux lui avaient été peu payés, c'est que Le Sueur les fit pour acquitter sa dette envers les Chartreux où, quelques an◄ nées auparavant, il avait trouvé un asile assuré contre les poursuites qu'il craignait, à cause d'un duel dans lequel il aurait dangereusement blessé son adversaire. Un récit aussi absurde ne mérite aucune foi, et une preuve irrécusable de la modicité des prix qu'on accordait aux travaux de Le Sueur se trouve dans l'Isographie des hommes célèbres, où on a rapporté une quittance de cent livres pour le prix d'un tableau de l'autel de la Madeleine. Cette pièce est datée de la fin de 1651, lorsque le peintre avait acquis sa trente-cinquième année. La quittance étant faite au nom de dom Anselme, on peut présumer que le tableau dont il est question est un de ceux qu'il fit dans cette année pour l'abbaye de Marmoutiers, près de Tours. Il fut encore chargé de plusieurs tableaux pour l'église de SaintGervais; on ignore en quelle année.

Le Sueur, ainsi que tous les peintres de Paris, faisait partie de l'Académie de Saint-Luc. Lors de l'établissement de l'Académie royale de peinture, en 1648, il fut un des douze anciens' c'est-à-dire un de ceux qui devaient professer pendant un mois chaque année.

Il fut chargé de peindre, en 1647, pour la compagnie des orfèvres, le tableau que les syndics présentaient tous les ans, au mois de mai, à l'église cathédrale de Paris, et dont on parle souvent sous la dénomination de mai de Notre-Dame. Ce tableau, représentant saint Paul faisant brûler les livres des gentils, est un chef-d'œuvre qui place Le Sueur à côté du peintre illustre dont se glorifie la ville de Rome. C'est avec raison qu'on a

« 前へ次へ »