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,,Il y avoit au fond d'un bois, ou vous vous êtes promenée quelquefois, un charbonnier dont la cabane servoit d'a,,syle à ces sortes de gens, c'étoit aussi l'entrepôt de leurs ,, marchandises et de leurs armes: ce fut là que Félix se ren,,dit, non sans avoir couru le danger de tomber dans les em,buches de la maréchaussée qui le suivoit à la piste. Quel,, ques uns de ses associés y avoient apporté la nouvelle de son , emprisonnement à Rheims; et le charbonnier et la charbonnière le croyoient justifié, lorsqu'il leur apparut.

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,,Je vais vous raconter la chose, comme je la tiens de la charbonnière qui est décédée il n'y a pas long-temps.

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Ce furent ses enfans, en rodant autour de la cabane, qui ,, le virent les premiers. Tandis qu'il s'arrêtoit à caresser le plus jeune dont il étoit le parrain, les autres entrèrent dans la ca,,bane, en criant Félix, Félix! Le père et la mère sortirent, ,, en répétant le même cri de joie: mais ce misérable étoit si harrassé de fatigue et de besoin, qu'il n'eut pas la force de „répondre, et qu'il tomba presque défaillant entre leurs bras.

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,,Ces bonnes gens le secoururent de ce qu'ils avoient: lui donnèrent du pain, du vin,' quelques légumes: il mangea et s'endormit.

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A son réveil son premier mot fut Olivier! Enfans, ne savez- vous rien d'Olivier? Non, lui répondirent-ils. Il leur raconta l'avanture de Rheims; il passa la nuit et le jour suivant avec eux. Il soupiroit, il prononçoit le nom d'Olivier; il le croyoit dans les prisons de Rheims; il vouloit y aller; il vouloit aller mourir avec lui; et ce ne fut pas sans peine ,, que le charbonnier et la charbonnière le détournèrent de ce dessein.

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,,Sur le milieu de la seconde nuit il prit un fusil, il mit un sabre sous son bras, et s'adressant à voix basse au char„bonnier ... Charbonnier!... Félix!... Prends ta cognée et marchons ... Où? ... Belle demande! Chez OliIls vont. Mais tout en sortant de la forêt, les voilà enveloppés d'un détachement de maréchaussée.

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vier.

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Je m'en rapporte à ce que m'en a dit la charbonnière, ,, mais il est inouï, que deux hommes à pied aient pu tenir contre une vingtaine d'hommes à cheval: apparemment que ceux-ci étoient épars, et qu'ils vouloient se saisir de leur ,, proie en vie. Quoi qu'il en soit, l'action fut très chaude; il ,,y eut cinq chevaux d'estropiés et sept cavaliers de hachés ou sabrés. Le pauvre charbonnier resta mort sur la place d'un

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,, coup de feu à la tempe. Félix regagna la forêt, et comme il est d'une agilité incroyable, il couroit d'un endroit à l'autre, en courant il chargeoit son fusil, tiroit, donnoit un coup de sifflet. Ces coups de sifflet, ces coups de fusils donnés, tirés à différens intervalles et de différens côtés, firent craindre aux çavaliers de maréchaussée qu'il n'y eut là une horde de contrebandiers, et ils se retirèrent en diligence.

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,,Lorsque Félix les vit éloignés, il revint sur le champ de ,,bataille; il mit le cadavre du charbonnier sur ses épaules, et ,,reprit le chemin de la cabane où la charbonnière et ses en,, fans dormoient encore. Il s'arrête à la porte, il étend le cadavre à ses pieds, et s'assied le dos appuyé, contre un arbre et le visage tourné vers l'entrée de la cabane. Voilà le spectacle qui attendoit la charbonnière au sortir de sa baraque.

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‚'Elle s'éveille, elle ne trouve point son mari à côté d'elle, eHe cherche des yeux Félix; point de Félix. Elle se lève, elle ,, sort, elle voit, elle crie, elle tombe à la renverse. Ses en,, fans accourent, ils voient, ils crient; ils se roulent sur leur père, il se roulent sur leur mère. La charbonnière, rappellée à elle-même par le tumulte et les cris de ses enfans, s'arrache les cheveux, se déchire les joues; Félix immobile au pied de son arbre, les yeux fermés, la téte renversée en arrière, leur disoit d'une voix éteinte: tuez-moi. Il se faisoit un moment de silence; ensuite la douleur et les cris repre ,, noient, et Félix leur redisoit: tuez-moi; enfans par pitié tuez-moi.

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Ils passèrent ainsi trois jours et trois nuits à se désoleri „la quatrième Félix dit à la charbonnière: femme, prends ton ,,bissac, mets-y du pain, et suis-moi. Après un long circuit à travers nos montagnes et nos forêts its arrivèrent à la maison d'Olivier qui est située, comme vous savez, à l'extrémité du bourg, à l'endroit où la voie se partage en deux routes, dont l'une conduit en Franche-Comté et l'autre en Lorraine, C'est là que Félix va apprendre la mort d'Olivier et se ,, trouver entre les veuves de deux hommes massacrés à son su,,jet. Il entre et dit brusquement à la femme d'Olivier: où est ,,Olivier? Au silence de cette femme, à son vêtement, à ses , pleurs, il comprit qu'Olivier n'étoit plus. Il se trouva mał; il tomba et se fendit la tête contre la huche à pétrir le pain. ,, Les deux veuves le relèvent; son sang couloit sur elles, et ,, tandis qu'elles s'occupoient à l'étancher avec leurs tabliers, il ,, leur disoit et vous êtes leurs femmes, et vous me secourez!

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Puis il défailloit, puis il rèvenoit et disoit en soupirant: que ne me laissoit-il? Pourquoi s'en venir à Rheims? Pourquoi ,, l'y laisser venir? - Puis sa tête se perdoit; il entroit en fu,,reur, il se rouloit à terre et déchiroit ses vêtemens. Dans un de ces accès il tira son sabre, et il alloit s'en frapper: ,, mais les deux femmes se jettèrent sur lui, crièrent au secours ; ,les voisins accoururent: on le lia avec des cordes, et il fut „saigné sept à huit fois; sa fureur tomba avec l'épuisement ,, de ses forces, et il resta comme mort pendant trois ou quatre jours, au bout desquels la raison lui revint.. Dans le pre,,mier moment il tourna ses yeux autour de lui, comme un homme qui sort d'un profond sommeil, et il dit: où suis-je? ,,Femmes, qui êtes-vous? La charbonnière lui répondit: je ,, suis la charbonnière. Il reprit: ah! qui la charbonnière.... ,,Et vous?... La femme d'Olivier se tut. Alors il se mit à ,, pleurer: il se tourna du côté de la muraille et dit en sanglotant: je suis chez Olivier... Ce lit est d'Olivier

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cette femme qui est là, c'étoit la sienne! Ah!

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Ces deux femmes en eurent tant de soin; elles lui inspirèrent tant de pitié, elles le prièrent si instamment de vivre, elles lui remontrèrent d'une manière si touchante qu'il étoit „leur unique ressource, qu'il se laissa persuader.

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Pendant tout le temps qu'il resta dans cette maison, il ne se coucha plus. Il sortoit la nuit, il erroit dans les

,, champs, il se rouloit sur la terre, il appelloit Olivier; une

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des femmes le suivoit et le ramenoit au point du jour,

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Plusieurs personnes le savoient dans la maison d'Olivier ; ,, et parmi ces personnes il y en avoit de mal intentionées. Les deux veuves l'avertirent du péril qu'il couroit. C'étoit un „, après-midi; il étoit assis sur un banc, son sabre sur ses ge,, noux, les coudes appuyés sur une table, et ses deux poings sur ses deux yeux. D'abord il ne répondit rien, La femme Olivier avoit un garçon de dix-sept à dix-huit ans, la char,,bonnière une fille de quinze. Tout-à-coup il dit à la char,, bonnière; la charbonnière va chercher ta fille, et amène-la ,, ici. Il avoit quelques fauchées de prés; il les vendit. La ,charbonnière revint avec sa fille; le fils d'Olivier l'épousa : Félix leur donna l'argent de ses prés, les embrassa, leur demanda pardon en pleurant; et ils allèrent s'établir dans la cabane où ils sont encore, et où ils servent de père et de mère aux autres enfans. Les deux veuves demeurèrent ensemble; et les enfans d'Olivier eurent un père et deux mères.

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,, Il y a à peu près un an et demi que la charbonnière est morte; la femme d'Olivier la pleure encore tous les jours.

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Un soir qu'elles épioient Félix (car il y en avoit une des deux qui le gardoit toujours à vue) elles le virent qui fondoit en larmes; il tournoit en silence ses bras vers la porte qui le ,, séparoit d'elles et il se remettoit ensuite à faire son sac. Elles ne lui dirent rien'; car elles comprenoient de reste combien son départ étoit nécessaire. Ils soupèrent tous les trois sans parler. La nuit il se leva; les femmes ne dormoient point; il s'avança vers la porte sur la pointe des pieds.

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il s'arrêta, regarda vers le lit des deux femmes, essuya ses „, yeux de ses mains et sortit. Les deux femmes se serrèrent dans les bras l'une de l'autre, et passèrent le reste de la nuit ,, à pleurer. On ignore où il se réfugia; mais il n'y a guère eu ,de semaines où il ne leur ait envoyé quelque secours.

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La forêt où la fille de la charbonnière vit avec le fils ,,d'Olivier, appartient à un M. le Clerc de Rançonnières, homme fort riche et Seigneur d'un autre village de ces can,, tons, appellé Courcelles. Un jour que M. de Rançonnières, ou de Courcelles, comme il vous plaira, faisoit une chasse dans sa forêt, il arriva à la cabane du fils d'Olivier; il y entra, il se mit à jouer avec les enfans qui sont jolis; il les „questionna: la figure de la femme qui n'est pas mal lui re,, vint, le ton ferme du mari qui tient beaucoup de son père ,, l'intéressa; il apprit l'avanture de leurs parens, il promit de ,, solliciter la grâce de Félix; il la sollicita et l'obtint.

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Félix passa au service de M. Rançonnières, qui lui donna une place de garde - chasse,

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Il y avoit environ deux ans qu'il vivoit dans le château de Rançonnières, envoyant aux veuves une bonne partie de ses gages, lorsque l'attachement à son maître et la fierté de ,, son caractère l'impliquèrent dans une affaire qui n'étoit rien dans son origine mais qui eut les suites les plus fàcheuses.

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,,M. de Rançonnières avoit pour voisin à Courcelles un M. Fourmont, Conseiller au Présidial de Lh.... Les deux maisons n'étoient séparées que par une borne. Cette borne ,, génoit la porte de M. de Rançonnières, et en rendoit l'entrée difficile aux voitures. M. de Rançonnières la fit reculer ,, de quelques pieds du côté de M. Fourmont; ~ celui-ci renla borne d'autant sur M. de Rançonnières; et puis voilà de la haine, des insultes, un procès entre les deux voisins. ,,Le procès de la borne en suscita deux ou trois autres plus

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considérables. Les choses en étoient là, lors qu'un soir M. de Rançonnières revenant de la chasse, accompagné de son ,garde Félix, fit rencontre sur le grand chemin de M. Fourmont le magistrat, et de son frère le militaire. Celui-ci dit ‚à son frère: si l'on coupoit le visage à ce vieux bouc-là, », qu'en pensez-vous? Ce propos ne fut pas entendu de M. de Rançonnières; mais il le fut malheureusement de Félix, qui ,, s'adressant fièrement au jeune homme, lui dit: mon officier, , seriez – vous assez brave pour vous mettre seulement en devoir ,, de faire ce que vous avez dit? Au même instant il porte son ,fusil à terre, et met la main sur la garde de son sabre; car il n'alloit jamais sans son sabre. Le jeune militaire tire son „épée, s'avance sur Félix; M. de Rançonnières accourt, s'inter,,pose, saisit son garde. Cependant le militaire s'empare du ,fusil qui étoit à terre, tire sur Félix, le manque;' celui-ci ri,,poste d'un coup de sabre, fait tomber l'épée de la main au ,jeune homme et avec l'épée la moitié du bras: et voilà un procès criminel en sus de trois ou quatre procès civils: Félix confiné dans les prisons; une procédure effrayante; et à la suite de cette procédure un magistrat dépouillé de son état et , presque déshonoré, un militaire exclus de son corps, M. de ,,Rançonnières mort de chagrin, et Félix, dont la détention , duroit toujours, exposé à tout le ressentiment des Fourmonts. „Sa fin eût été malheureuse, si l'amour ne l'eût secouru. La ,,fille du géolier prit de la passion pour lui et facilita son éva

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sion: si cela n'est pas vrai, c'est du moins l'opinion publique. ,, Il s'est en allé en Prusse, où il sert aujourd'hui dans le régi,,ment des gardes. On dit qu'il est aimé de ses camarades, et même connu du Roi. Son nom de guerre *) est le Triste. La veuve Olivier m'a dit qu'il continuoit à la soulager.

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,,Voilà, Madame, tout ce que j'ai pu recueillir de l'histoire de Félix. Je joins à mon récit une lettre de M. Papin notre curé. Je ne sais ce qu'elle contient; mais je crains bien que ,, le pauvre prêtre, qui a la tête un peu étroite et le cœur as,,sez mal tourné, ne vous parle d'Olivier et de Félix d'après ses préventions. Je vous conjure, Madame, de vous en tenir aux faits, sur la vérité desquels vous pouvez compter, et à la

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* Ein beliebiger Name, den, wenigstens vor der Revolu tion, jeder Französische Soldat annahm, wenn er in Kriegsdienste trat.

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