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reine-mère en 1662, long-tems avant que le père Bourdaloue fut connu, Ses discours soutenus d'une action noble et touchante furent les premiers qu'on eût encore entendus à la cour qui approchassent du sublime. Cependant quand Bourdaloue parut, Bossuet ne passa plus pour le premier prédicateur. Il s'était déjà donné aux oraisons funèbres, genre d'éloquence qui demande de l'imagination et une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poësie, dont il faut toujours emprunter quelque chose, quoiqu'avec discrétion, quand on tend au sublime. L'oraison funèbre de la réiné-mère, qu'il prononça en 1667, lui valut l'évêché de Condom: mais ce discours n'était pas encore digne de lui; et il ne fat pas imprimé, non plus que ses sermons. L'éloge funèbre de la reine d'Angleterre veuve de Charles I, qu'il fit en 1669, parut presqu'en tout un chef-d'œuvre. Les sujets de ces pièces d'éloquence sont heureux, à proportion des malheurs que les morts ont éprouvés. C'est en quelque façon comme dans les tragédies, où les grandes infortunes des principaux personnages sont ce qui interesse davantage. L'éloge funèbre de Madame, enlevé à la fleur de son âge et morte entre ses bras, eut le plus grand et le plus rare des succès, celui de faire verser des larmes à la cour: il fut obligé de s'arrêter après ces paroles: Oh nuit désastreuse! nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle: Madame se meurt, Madame est morte etc, L'auditoire éclata en sanglots, et lá voix de l'orateur fut interrompue par ses soupirs et par ses pleurs. Les Français furent les seuls qui réussirent dans ce genre d'éloquence. Le même homme quelque tems après en inventa un nouveau, qui ne pouvait guère avoir de succès qu'entre ses mains. Il appliqua l'art oratoire à l'histoire même, qui semble l'exclure. Son discours sur l'histoire universelle, composé pour l'éducation du Dauphin, n'a eu ni modèle ni imitateurs. Si le système qu'il adopte, pour concilier la chronologie des Juifs avec celle des autres nations, a trouvé des contradicteurs chez les savans, son stile n'a trouvé que des admirateurs. On fut étonné de ces traits rapides d'une vérité énergique, dont il peint et dont il juge des nations,

Presque tous les ouvrages qui honorèrent ce siècle étaient dans un genre inconnu à l'antiquité. Le Télémaque est de ce nombre. Fénélon *), le disciple, l'ami de Bossuet, et depuis

*) S. oben S. 95.

devenu malgré lui son rival et son ennemi, composa ce livre singulier, qui tient à la fois du roman et du poëme, et qui substitue une prose cadencée à la versification. Il semble qu'il ait voulu traiter le roman, comme Monsieur de Meaux avait traité P'histoire, en lui donnant une dignité et des charmes inconnus, et surtout, en tirant de ces fictions une morale utile au genre humain; morale entièrement négligée dans presque toutes les inventions fabuleuses. Il ne fit cet ouvrage, que lorsqu'il fat relégué dans son archevêché de Cambrai. Plein de la lecture des anciens, et né avec une imagination vive et tendre, il s'était fait un stile, qui n'était qu'à lui et qui coulait de source avec abondance. J'ai vû son manuscrit original: il n'y a pas dix ratures. Il le composa en trois mois au milieu de ses malheu reuses disputes sur le Quiétisme, ne se doutant pas combien ce délassement était supérieur à ses occupations. On prétend, qu'un domestique lui en déroba une copie qu'il fit imprimer. Si cela est, l'archevêque de Cambrai dut à cette infidélité toute la réputation qu'il eut en Europe: mais il lui dut aussi d'être perdu pour jamais à la cour. On crut voir dans le Télémaque une critique indirecte du gouvernement de Louis XIV. Sésostris qui triomphait avec trop de faste, Idoménée qui établissait le luxe dans Salente, et qui oubliait le nécessaire, parurent des portraits du roi: quoiqu'après tout il soit impossible d'avoir chez soi le superflu que par la surabondance des arts de première nécessité. Le marquis de Louvois semblait, aux yeux des mécontens, réprésenté sous le nom de Protésilas, vain, dur, hautain, ennemi des grands capitaines qui servaient l'état et non le ministre. Les alliés, qui dans la guerre de 1688 s'unirent contre Louis XIV, qui depuis ébranlèrent son trône dans la guerre de 1701, se firent une joie de le reconnaître dans ce même Idoménée,' dont la hauteur révolte tous ses voisins. Ces illusions firent des impressions profondes, à la faveur de ce stile harmonieux, qui insinue d'une manière si tendre la modération et la concorde. Les étrangers et les Français mêmes, lassés de tant de guerres, virent avec une consolation maligne, une satyre dans un livre fait pour enseigner la vertu. Les éditions en furent innombrables. J'en ai vù quatorze en langue anglaise. Il est vrai, qu'après la mort de ce monarque, si craint, si envié, si respecté de tous, et si haï de quelques uns, quand ta malignité humaine a cessé de s'assouvir des allusions prétendues qui censuraient sa conduite, les juges d'un goût sévère ont traité le Télémaque avec quelque rigueur. Ils ont blåmé

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les longueurs, les détails, les avantures trop peu liées, les déscriptions trop répétées et trop uniformes de la vie champêtre; mais le livre a toujours été regardé comme un des beaux monumens d'un siècle florissant.

On peut compter parmi les productions d'un genre unique les Caractères de la Bruyère *). Il n'y avait pas chez les anciens plus d'exemples d'un tel ouvrage, que du Télémaque. Un stile rapide, concis, nerveux, des expressions pittoresques, un usage tout nouveau de la langue, mais qui n'en blesse pas les règles, frappèrent le public; et les allusions qu'on y trouvait en foule, achevèrent le succès. Quand la Bruyère montra son ouvrage manuscrit à Monsieur de Malesieux, celui-ci lui dit: „voila de quoi vous attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis." Ce livre baissa dans l'esprit des hommes, quand une génération entière, attaquée dans l'ouvrage, fut passée. Cependant, comme il y a des choses de tous les temps et de tous les lieux, il est à croire qu'il ne sera jamais oublié.

L'art délicat de répandre des grâces jusques sur la philosophie, fut encore une chose nouvelle, dont le livre des Mondes **) fut le premier exemple, mais exemple dangereux, parce que la véritable parure de la philosophie est l'ordre, la clarté et surtout la vérité.

Il faut ajouter à ces nouveautés, celle que produisit Bayle ***), en donnant une espèce de dictionnaire de raisonnement. C'est le premier ouvrage de ce genre, où l'on puisse apprendre à penser. Il faut abandonner à la destinée des livres ordinaires les articles de ce recueil, qui ne contiennent que des petits faits, indignes à la fois de Bayle, d'un lecteur grave et de la postérité. Au reste, en plaçant ici Bayle parmi les auteurs qui ont honoré le siècle de Louis XIV, quoiqu'il fût réfugié en Hollande, je ne fais en cela que me conformer à l'arrêt du Parlement de Toulouse, qui, en déclarant son testament valide en France malgré la rigueur des loix, dit expressément, qu'un tel homme ne peut être regardé comme un étranger.

Nous avons eu des historiens, mais point de Tite-Live. Le stile de la conspiration de Vénise est comparable à celui de Salluste. On voit que l'Abbé de Saint-Réal †) l'avait pris pour modèle; et peut-être l'a-t-il surpassé. Tous les autres écrits dont on vient de parler, semblent être d'une création

*) S. S. 36. 4) S. oben S. 168.

**) S. S. 116. ***) S. oben S. 152.

nouvelle. C'est là surtout ce qui distingue cet âge illustre; car pour des savans et des commentateurs, le seizième et le dixseptième siècles en avaient beaucoup produit; mais le vrai gés nie en aucun genre n'était encore développé.

Qui croirait que tous ces bons ouvrages en prose n'auraient probablement jamais existé, s'ils n'avaient été précédés par la poësie? C'est pourtant la destinée de l'esprit humain dans toutes les nations: les vers furent partout les premiers enfans du génie et les premiers maîtres d'éloquence.

Les peuples sont ce qu'est chaque homme en particulier. Platon et Cicéron commencèrent par faire des vers. On ne pouvait encore citer un passage noble et sublime de prose française, quand on savait par cœur le peu de belles stances, que laissa Malherbe; et il y a grande apparence, que sans Pierre Gorneille *) le génie des prosateurs ne se serait pas développé. Cet homme est d'autant plus admirable, qu'il n'était environné que de très mauvais modèles, quand il commença à. donner des tragédies. Ce qui devait encore lui fermer le bon chemin, c'est que ces mauvais modèles étaient estimés; et pour comble de découragement, ils étaient favorisés par le Cardinal de Richelieu, le protecteur des gens de lettres et non pas du bon goût. Il recompensait des méprisables écrivains, qui d'or dinaire sont rampans; et par une hauteur d'esprit si bien placée ailleurs, il voulait abaisser ceux en qui il sentait avec quel→ que dépit un vrai génie, qui rarement se plie à la dépendance. Il est bien rare qu'un homme puissant, quand il est lui-même artiste, protège sincèrement les bons artistes. Corneille eut à combattre son siècle, ses rivaux et le Cardinal de Richelieu. Le Cid ne fut pas le seul ouvrage de Corneille que le Cardinal de Richelieu voulut rabaisser. L'Abbé d'Aubignac **) nous apprend que ce ministre désapprouva Polyeucte. Le Cid, après tout était une imitation très embellie de Guillain de Castro ***). et en plusieurs endroits, une traduction. Cinna qui le suivit, était unique. J'ai connu un ancien domestique de la maison

*) Nachrichten von ihm enthält der zweite Theil dieses Handbuchs. **) François Hédelin Abbé d'Aubignac, geb. 1604, gest. 1676, ist der Verfasser verschiedener jetzt nicht mehr gelesener, das Theater betreffender Werke, als Pratique du Théatre, Terence justifié, Apologie des Spectacles. ***) Il y avait deux tragédies espagnoles sur ce sujet. Le Cid de Guillain de Castro et l'Honrador de su padre de Jean-Baptiste Dramante. Corneille imita autant de scènes de Dramante que de Castro.

de Condé, qui disait, que le grand Condé à l'âge de vingt ans, étant à la première réprésentation de Cinna, versa des larmes à ces paroles d'Auguste':

Je suis maitre de moi, comme de l'univers.

Je le suis, je veux l'être. O siècles! ô mémoire!
Conservez à jamais ma nouvelle victoire.

Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux, De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous! Soyons amis, Cinna; c'est moi qui t'en convie. C'étaient là des larmes de héros. Le grand Corneille faisant pleurer le grand Condé d'admiration, est une époque bien célèbre dans l'histoire de l'esprit humain. La quantité de pièces indignes de lui, qu'il fit plusieurs années après, n'empêcha pas la nation de le regarder comme un grand homme; ainsi que les fautes considérables d'Homère n'ont jamais empêché qu'il ne fut sublime. C'est le privilège du vrai génie, et surtout du génie qui ouvre une carrière, de faire impunément de grandes fautes.

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Corneille s'était formé tout seul, mais Louis XIV, Colbert, Sophocle et Euripide contribuèrent tous à former Racine *). Une ode, qu'il composa à l'âge de dix-huit ans pour le mariage du Roi, lui attira un présent, qu'il n'attendait pas, et le détermina à la poësie. Sa réputation s'est accrue de jour en jour, et celle des ouvrages de Corneille a un peu diminué. La raison en est, que Racine dans tous ses ouvrages depuis son Alexandre, est toujours élégant, toujours correct, toujours vrai; qu'il parle au cœur, et que l'autre manque trop souvent à tous ces devoirs. Racine passa de bien loin et les Grecs et Corneille dans l'intelligence des passions, et porta la douce harmonie de la poësie, ainsi que les grâces de la parole, au plus haut point où elles puissent parvenir. Ces hommes enseignérent à la nation à penser, à sentir et à s'exprimer. diteurs, instruits par eux seuls, devinrent enfin des juges sévères pour ceux même qui les avaient éclairés. Il y avait très peu de personnes en France, du tems du Cardinal de Richelieu, capables de discerner les défauts du Cid; et en 1702, quand Athalie, le chef-d'œuvre de la scène, fut représentée chez Madame la Duchesse de Bourgogne, les courtisans se crurent assez habiles pour la condamner. Le tems a vengé l'auteur;

Leurs au

*) S. den aten Theil des Handbuchs.

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