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verons-nous la première trace de nos pensées? N'y a-t-il pas même de la témérité à vouloir remonter jusques-là? Si la chose étoit moins importante, on auroit raison de nous blâmer; mais elle est peut-être plus que toute autre digne de nous occuper, et ne sait-on pas qu'on doit faire des efforts toutes les fois qu'on veut atteindre à quelque grand objet?

J'imagine donc un homme tel qu'on peut croire qu'étoit le premier homme au moment de la création, c'est-à-dire, un homme dont le corps et les organes seroient parfaitement formés, mais qui s'éveilleroit tout neuf pour lui-même et pour tout ce qui l'environne. Quels seroient ses premiers mouvemens, ses premières sensations, ses premiers jugemens? Si cet homme vouloit nous faire l'histoire de ses premières pensées, qu'auroitil à nous dire? Quelle seroit cette histoire? Je ne puis me dispenser de le faire parler lui-même, afin d'en rendre les faits plus sensibles: ce récit philosophique sera court.

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„Je me souviens de cet instant plein de joie et de trouble où je sentis pour la première fois ma singulière existence: je ne savois ce que j'étois, où j'étois, d'où je venois. J'ouvris les yeux, quel surcroît de sensation! La lumière, la voûte céleste, la verdure de la terre, le cristal des eaux, tout m'occu,, poit, m'animoit et me donnoit un sentiment inexprimable de „plaisir, je crus d'abord que tous ces objets étoient en moi et faisoient partie de moi-même.

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Je m'affermissois dans cette pensée naissante, lorsque je tournai les yeux vers l'astre de la lumière: son éclat me bles,, sa; je fermai involontairement la paupière, et je sentis une „legère douleur. Dans ce moment d'obscurité je crus avoir perdu presque tout mon être.

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,,Affligé, saisi d'étonnement, je pensois à ce grand changement: quand tout-à-coup j'entends des sons: le chant des oiseaux, le murmure des airs, formoient un concert dont la douce impression me remuoit jusqu'au fond de l'ame; j'écoutai long-temps, et je me persuadai bientôt que cette harmonie étoit moi.

„Attentif, occupé tout entier de ce nouveau genre d'existence, j'oubliois déjà la lumière, cette autre partie de mon être que j'avois connue la première, lorsque je rouvris les ,, yeux. Quelle joie de me retrouver en possession de tant d'objets brillans! mon plaisir surpassa tout ce que j'avois senti , la première fois, et suspendit pour un temps le charmant effet des sons.

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„Je fixai mes regards sur mille objets divers, je m'apperçus bientôt que je pouvois perdre et retrouver ces objets; et que j'avois la puissance de détruire et de réproduire à mon gré cette belle partie de moi-même; et quoiqu'elle me parût immense en grandeur par la quantité des accidens de lumière et par la variété des couleurs, je crus reconnoître que tout étoit contenu, dans une portion de mon étre.

,,Je commençois à voir sans émotion et à entendre sans trouble, lorsqu'un air léger dont je sentis la fraîcheur, m'apporta des parfums qui me causèrent un épanouissement intime, et me donnèrent un sentiment d'amour pour moi-même.

,,Agité par toutes ces sensations, pressé par les plaisirs d'une si belle et si grande existence, je me levai tout d'un ,coup, et me sentis transporté par une force inconnue.

,,Je ne fis qu'un pas, la nouveauté de ma situation me rendit immobile, ma surprise fut extrême, je crus que mon , existence fuyoit; le mouvement que j'avois fait avoit confondu ,les objets, je m'imaginois que tout étoit en désordre.

,,Je porta la main sur ma tête, je touchai mon front et , mes yeux, je parcourus mon corps, ma main me parut être alors le principal organe de mon existence; ce que je sentois ~, dans cette partie, étoit si distinct et si complet, la jouissance m'en paroissoit si parfaite en comparaison du plaisir que m'avoient causé la lumière et les sons, que je m'attachai tout en,,tier à cette partie solide de mon être, et je sentis que mes ,,idées prenoient de la profondeur et de la réalité.

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Tout ce que je touchois sur moi sembloit rendre à ma „, main sentiment pour sentiment, et chaque attouchement produisoit dans mon ame une double idée.

,,Je ne fus pas long-tems sans m'appercevoir que cette fa,culté de sentir étoit répandue dans toutes les parties de mon ,, être, je reconnus bientôt les limites de mon existence qui „, m'avoit paru d'abord immense en étendue.

"J'avois jetté les yeux sur mon corps, je le jugeois d'un ,, volume énorme et si grand, que tous les objets qui avoient „frappé mes yeux ne me paroissoient être en comparaison que des points lumineux.

,,Je m'examinai long-temps, je me regardois avec plaisir, je suivois ma main de l'œil et j'observois ses mouvemens; j'eus sur tout cela des idées les plus étranges, je croyois que », le mouvement de ma main n'étoit qu'une espèce d'existence fugitive, une succession de choses semblables; je l'approchai

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,,de mes yeux, elle me parut alors plus grande que tout mon ,, corps, et elle fit disparoître à ma vue un nombre infini ,, d'objets.

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,,Je commençai à soupçonner qu'il y avoit de l'illusion dans cette sensation qui me venoit par les yeux; j'avois vù distinctement que ma main n'étoit qu'une petite partie de mon corps; et je ne pouvois comprendre qu'elle fût augmen,,tée au point de me paroître d'une grandeur démesurée; je resolus donc de ne me fier qu'au toucher qui ne m'avoit pas ,, encore trompé, et d'être en garde sur toutes les autres façons de sentir et d'être.

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Cette précaution me fut utile, je m'étois remis en mou,, vement et je marchois la tête haute et levée vers le ciel, je me heurtai légèrement contre un palmier; saisi d'effroi, je , portai ma main sur ce corps étranger, je le jugeai tel, parce qu'il ne me rendit pas sentiment pour sentiment; je me détournai avec une espèce d'horreur, et je connus pour la première fois qu'il y avoit quelque chose hors de moi.

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,Plus agité par cette nouvelle découverte que je ne l'avois été par toutes les autres, j'eus peine à me rassurer; et après „, avoir médité sur cet événement, je conclus que je devoïs ju,,ger des objets extérieurs comme j'avois jugé des parties de ,,mon corps, et qu'il n'y avoit que le toucher qui pût m'as„surer de leur existence.

,,Je cherchai donc à toucher tout ce que je voyois, je voulois toucher le soleil, j'étendois le bras pour embrasser ,, l'horizon, et je ne trouvois que le vide des airs.

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,,A chaque expérience que je tentois, je tombois de surprise en surprise, car tous les objets me paroissoient être également , près de moi; et ce ne fut qu'après une infinité d'épreuves que ,,j'appris à me servir de mes yeux pour guider ma main, et, comme elle me donnoit des idées toutes différentes des impressions que je recevois par le sens de la vue, mes sensations n'étant pas d'accord entr'elles, mes jugemens n'en étoient plus imparfaits, et le total de mon être n'étoit encore pour moi qu'une existence en confusion.

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,,Profondément occupé de moi, de ce que j'étois, de ce ,, que je pouvois être, les contrariétés que je venois d'éprouver, ,,m'humilièrent; plus je réfléchissois, plus il se présentoit de doutes lassé de tant d'incertitudes, fatigué des mouvemens ,,de mon ame, mes genoux fléchirent, et je me trouvai dans une situation de repos, Cet état de tranquillité donna de

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, nouvelles forces à mes sens; j'étois assis à l'ombré d'un bel , arbre; des fruits d'une couleur vermeille descendoient en forme de grappe à la portée de ma main; je les touchai légère, ment: `aussi-tôt ils se séparèrent de la branche, comme la , figue s'en sépare dans le temps de sa maturité.

,,J'avois saisi un de ces fruits, je m'imaginois avoir fait ‚ une conquête, et je me glorifiois de la faculté que je sentois de pouvoir contenir dans ma main un autre être tout entier; ,sa pesanteur, quoique peu sensible, me parut une résistance , animée que je me faisois un plaisir de vaincre.

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J'avois approché ce fruit de mes yeux, j'en considérois la , forme et les couleurs; une odeur délicieuse me le fit approcher , d'avantage; il se trouva près de mes lèvres; je tirois à longues inspirations le parfum, et goûtois à longs traits les plaisirs de ,l'odorat; j'étois intérieurement rempli de cet air embaumé, , ma bouche s'ouvrit pour l'exhaler, elle se r'ouvrit pour , en reprendre, je sentis que jè possédois un odorat inté,,rieur plus fin, plus délicat encore que le premier, enfin je goûtai.

, Quelle saveur, quelle nouveauté de sensation! jusques – là , je n'avois eu que des plaisirs, le goût me donna le sentiment , de la volupté; l'intimité de la jouissance fit naître l'idée de =, la possession, je crus que la substance de ce fruit étoit de- venue la mienne, et que j'étois le maître de transformer les étres.

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Flatté de cette idée de puissance, incité par le plaisir que „j'avois senti, je, cueillis un second et un troisième fruit, et je ne me lassois pas d'exercer ma main pour satisfaire mon goût; „, mais une langueur agréable s'emparant peu-à-peu de tous mes , sens, appésantit mes membres, et suspendit l'activité de mon „ame; je jugeai de son inaction par la mollesse de mes pen„sées, mes sensations émoussées arrondissoient tous les objets ■, et ne me présentoient que des images foibles et mal terminées dans cet instant mes yeux devenus inutiles se fermèrent, ,et ma tête n'étant plus soutenue par la force des muscles, pencha pour trouver un appui sur le gazon.

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Tout fut effacé; tout disparut, la trace de mes pensées fut ,interrompue, je perdis le sentiment de mon existence; ce sommeil fut profond, mais je ne sais, s'il fut de longue durée, , n'ayant point encore l'idée du temps et ne pouvant le mesue rer: mon réveil ne fut qu'une seconde naissance, et je sentis , seulement que j'avois cessé d'étre.

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Cet anéantissement que je venois d'éprouver me donna quelque idée de crainte et me fit sentir que je ne devois pas exister toujours.

„J'eus une autre inquiétude; je ne savois si je n'avois pas „laissé dans le sommeil quelque partie de mon être; j'essayai mes sens, je cherchai à me reconnoître.

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Mais tandis que je parcourois des yeux les bornes de mon corps pour m'assurer que mon existence m'étoit demeurée toute entière: quelle fut ma surprise de voir à mes côtés une forme semblable à la mienne! Je la pris pour un autre ,, moi-même; loin d'avoir rien perdu pendant que j'avois cessé ,, d'être, je crus m'être doublé.”

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CHARLES BONNET wurde 1720 zu Genf geboren. Ein schweres Gehör hinderte ihn, schnelle Fortschritte in einer öffentlichen Schulanstalt zu machen; er erhielt aber sehr guten Privatunterricht und las viel. Im 15ten Jahre seines Alters fing er an, die alten Klassiker zu studieren. Er wurde von den Schönheiten, die uns in den Meisterwerken des Alterthums aufbehalten sind, durchdrungen; allein sein Geist blieb bei dieser Nahrung unbefriedigt. Im 16ten Jahre fiel ihm des Abt Pluche Spectacle de la Nature, welches so eben in Paris in 9 Bänden in 12. erschienen war, in die Hände. Dies an sich mittelmäfsige Werk machte durch die Gegenstände, welche es beschreibt, den tiefsten Eindruck auf ihn und gab ihm eine entschiedene Vorliebe für das Studium der Natur. Vorzüglich interessirte ihn die Beschreibung des Ameisenlöwen. Er fing sogleich an, dies Thier näher zu untersuchen, und entdeckte bald manches, was selbst Réaumur, dem gröfsten Entomologen damaliger Zeit, verborgen geblieben war. legte sich nun auf Mathematik und Philosophie. Besonders zog die Physik wegen ihres genauen Zusammenhanges mit der Naturgeschichte seine Aufmerksamkeit auf sich. Die specula tive Philosophie, in so fern sie nicht Resultate der Naturwissenschaft bearbeitet, hatte wenig Reiz für ihn. Jetzt erschienen Réaumur's Mémoires pour servir à l'histoire des insectes, Paris 1734 bis 42, 6 Bände in 8. Pluche hatte seine

Er

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