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de la liturgie et qu'il n'est pas permis d'intervertir. C'est ainsi que matines se chantent avant laudes, qui doivent elles mêmes précéder prime, tierce, sexte et none, lesquelles doivent précéder vepres et complies. Quand le drame naquit au sein de l'office, ces règles lui furent naturellement applicables. C'est ainsi que tel drame dans tel diocèse fut représenté à matines, tel autre à tierce, tel autre à vèpres, pour nous borner aux mystères qui furent introduits dans le bréviaire. Matines et vêpres notamment eurent leurs représentations qui leur demeurèrent propres.

L'Office du Sépulcre, par exemple, ne fut jamais, au moins dans sa forme primitive, représenté à vêpres, ni l'Office des Pèlerins à matines. En un mot, tant que le drame fut surtout un office, il demeura sujet aux règles qui déterminaient la succession des diverses parties de l'office, et l'heure de la représentation fut fixée d'après ces règles, et non d'après les convenances des auteurs, des acteurs ou des spectateurs.

Mais quand le lien qui unissait le théâtre au culte, quoique très-étroit encore, commença à se relâcher, comme il pouvait être utile, suivant la circonstance, de représenter le drame plutôt la nuit ou le matin que l'après-midi ou réciproquement, les règles liturgiques se plièrent aux exigences nouvelles de ce théàtre qui grandissait tous les jours, et, sans abandonner encore entièrement la détermination de l'heure à la fantaisie des entrepreneurs de la représentation, elles leur laissèrent au moins le choix entre deux des anciennes heures consacrées, et le drame, au lieu d'être représenté nécessairement à matines ou nécessairement à vêpres, put l'être, à la volonté des auteurs et des acteurs, soit à matines, soit à vêpres.

Ainsi le drame de Daniel non-seulement n'était pas obligatoire et pouvait avoir lieu ou n'avoir pas lieu, mais encore, quand il avait lieu, on pouvait le représenter soit à matines, soit à vêpres'.

Toutefois, à Beauvais, il semble qu'il a été représenté plutôt à matines qu'à vêpres, puisque la rubrique finale du manuscrit de Beauvais n'indique pour terminer la représentation que le chant du Te Deum, et non celui du Magnificat.

Il nous reste encore deux observations très-importantes à faire sur le jour et l'heure de la représentation des drames de Daniel,

1. Nous raisonnons ici en prenant ces mots dans leur sens propre, mais voyez plus loin.

dans leurs rapports avec les jours et les heures consacrés par les règles liturgiques.

La représentation des aventures de Daniel servait, avons-nous dit, à la célébration des fêtes de Noël. Est-ce à dire qu'elle avait lieu le jour même de Noël, comme la Procession de l'âne de Rouen? Telle est la question que nous allons examiner en peu de

mots.

L'expression fêtes de Noël peut parfaitement s'appliquer, surtout au moyen âge, à tout le temps qui s'écoule de la vigile de Noël au lendemain de l'Epiphanie'. Cette époque de l'année était un temps de réjouissances pour le clergé et pour le peuple; c'est dans cette courte période que se plaçaient les fêtes des Innocents, des Fous, des Diacres, où l'on a vu, non sans quelque raison, un souvenir de la libertas Decembris chère aux esclaves de Rome païenne, mais qu'il serait peut-être plus juste de considérer, du moins à l'origine et avant les abus qui s'introduisirent dans ces fêtes, comme de pieux délassements accordés à ses ministres et à ses fidèles par l'Eglise, qui n'a jamais proscrit la joie, et la tolérait d'autant plus volontiers au moyen âge qu'en ce temps de foi ardente et naïve elle ne pouvait engendrer le scepticisme. Parmi ces délassements se rangeaient naturellement les représentations dramatiques déjà développées et qui tendaient à se constituer à côté des offices, après être sorties de leur sein. C'est ce qu'on appelait les ludi et les historiæ, mise en scène de l'Ecriture sainte, espèces d'offices historiques où la prière occupait moins de place que l'enseignement, livres vivants destinés à frapper les yeux du vulgaire qui n'en comprenait point d'autres. Or, si un certain nombre de ces pièces, plus rapprochées des drames primitifs et surtout moins développées, s'en tenaient strictement aux règles qui avaient présidé à la naissance du théâtre et à ses premiers pas, c'est-à-dire demeuraient attachées à l'office qui les avait enfantées et se représentaient le jour même de la célébration de cet office: Noël, la fête des saints Innocents, l'Epiphanie; d'autres, qui s'étaient souvent formées par la fusion en un seul drame des divers drames de Noël, des saints Innocents, de l'Epiphanie, n'avaient pas de jour fixé d'avance et pouvaient choisir

1. Dans certains diocèses on faisait même remonter cette période jusqu'au 17 décembre et on la prolongeait jusqu'à l'oclave de l'Epiphanie. Cf. Du Cange, au mot Kalendæ.

entre tous les jours de la période de réjouissances dont nous avons plus haut déterminé les limites. Les deux drames de Daniel doivent-ils être assimilés, sous ce rapport, à cette dernière classe? Nous ne pouvons l'affirmer, mais nous serions inexact si nous affirmions le contraire. L'un porte le titre d'historia, « historia de DANIEL representanda » (texte d'Hilaire), l'autre celui de ludus, Incipit DANIELIS ludus » (texte de Beauvais). L'un et l'autre tendent visiblement à s'éloigner de la liturgie, quoique un lien très-étroit les y retienne encore. Nous laisserons la question dans le doute, en nous bornant à déclarer que, par sa nature, le drame de Daniel en général ne semble pas avoir été nécessairement attaché à l'office du jour même de Noël.

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Toutefois il est probable qu'en fait la version de Beauvais a été composée pour être jouée ce jour même, « In hoc natalitio ». Nous devrons également laisser dans le doute le sens exact et précis des mots matutinæ et resperæ qui nous ont servi tout à l'heure à montrer le relâchement du lien liturgique. Voici en effet la question qui se pose au sujet de ces deux mots :

Les mots matutinæ et vesperæ ont-ils, dans la rubrique finale du Daniel d'Hilaire, le sens rigoureux de matines et de vépres, ou veulent-ils simplement dire matinée et après-midi?

Mais il faut tout d'abord que nous écartions une objection que l'on pourrait tirer contre notre théorie du doute même que nous proposons.

Dès qu'il y a doute, pourrait-on dire, sur le sens des mots matutinæ et vesperæ, c'est-à-dire dès qu'on peut croire que le vrai sens de ces mots était matinée et après-midi, désignation générale et qui n'a rien de liturgique, comment et de quel droit a t-on tiré plus haut un argument de ces deux termes pour montrer l'affaiblissement, il est vrai, mais aussi la réalité du lien liturgique?

Un mot suffira pour répondre à cette objection. Lors même que les mots matutinæ et vesperæ auraient dans la rubrique finale du Daniel d'Hilaire le sens de matinée et d'après-midi, la liaison du drame avec la liturgie n'en est pas moins indiquée par ces deux termes qui, dans ce cas, sont un souvenir frappant du temps où le drame était lié à l'office et se jouait aux heures liturgiques, puisque, suivant qu'on représentait Daniel dans la matinée ou dans l'après-midi, on le terminait par le Te Deum, qui est un chant consacré de matines ou le Magnificat qui est un chant consacré de vêpres.

Nous venons maintenant à la question elle-même, et voici comment nous arrivons sur ce point à un doute raisonné, préférable, ce semble, à une affirmation téméraire.

Matutinæ et vesperæ, dans leur sens propre, veulent incontestablement dire matines et vêpres. Nous avons vu plus haut que ces deux heures canoniales ont été particulièrement consacrées à la représentation des mystères. Mais voici ce qui arriva quand le drame commença à se séparer des cérémonies qui lui avaient donné naissance. Il pouvait être incommode de commencer la représentation à ce moment précis qui, dans tel ou tel diocèse, marquait la fin de l'office ordinaire de ces deux heures canoniales, et appelait par conséquent la représentation de l'office supplémentaire, du trope dramatique, du mystère. Matines notamment se terminaient souvent, dans beaucoup d'églises, en pleine nuit, avant le lever du soleil, et il semble que c'est particulièrement le cas des matines de Noël. Or on conçoit facilement que, dans beaucoup de circonstances, il pouvait être plus agréable de jouer le matin que la nuit; cela devenait même une nécessité quand le drame, au lieu d'être représenté dans l'intérieur de l'église, devint une sorte d'office extérieur représenté sous le porche ou sur le parvis. Que fit-on? On élargit tout simplement la règle canonique, au lieu de s'en affranchir.

On créa des matines et des vêpres extraordinaires, si je puis m'exprimer ainsi, que l'on termina comme les matines et les vêpres ordinaires par le chant du Te Deum et du Magnificat, et qui furent remplies tout entières par la représentation du drame qui avait déterminé cette extension. Ces matines et ces vêpres d'un nouveau genre purent se placer à l'heure la plus commode pour les entrepreneurs de la représentation, de telle sorte toutefois que la règle canonique fût encore respectée, en ce sens que les matines dramatiques fussent toujours célébrées dans la première partie du jour, avant midi, et les vêpres dans la seconde, après midi. C'est ainsi que matutinæ et vesperæ finirent par signifier purement et simplement matinée et après-midi, et c'est ainsi qu'il faut attacher un sens traditionnel à la subdivision des journées dans les grands mystères du quinzième siècle en matinées et aprèsdinées.

Maintenant, comme les deux drames de Daniel sont justement placés à ce point précis où le lien du théâtre avec la liturgie est encore très-étroit, et où, d'autre part, la tendance à la séparation

est aussi très-marquée, nous craindrions d'émettre un avis téméraire en résolvant, dans l'un ou l'autre sens, la question que nous avons posée, et nous nous bornons à dire qu'il ne semble pas que, par sa nature, la représentation des aventures de Daniel fût nécessairement liée aux matines ou aux vêpres canoniques.

Nous aurions tiré, pour la solution de cet épineux problème, une assez vive lumière de la connaissance exacte, si nous eussions pu la posséder, du lieu où se représentaient les deux drames de Daniel: dans l'église ou hors de l'église? Malheureusement, en l'absence d'un texte précis, nous n'arriverons, ici comme plus haut, qu'à un doute raisonné.

A ne considérer que les formes du drame, qui sont encore si liturgiques dans la version d'Hilaire comme dans celle du manuscrit de Beauvais ; si nous nous attachions seulement à ces noms de proses, de conductus, que portent les chœurs ; à ce chant du Te Deum ou du Magnificat qui devait terminer la représentation, nous serions tentés au premier abord de décider que cette représentation avait lieu dans l'église. Mais, au sujet même de ces formes liturgiques, une objection se présente qui suffit à nous rejeter dans le doute. Quand le drame commença à être joué non plus dans le sanctuaire, mais tout proche encore, sous le porche, sur le parvis, dans la cour du cloître, il n'est pas douteux, et nous avons des exemples qui ne souffrent pas qu'on conteste ce fait, que ce drame ne retînt encore la plus grande partie de ces formes qui avaient présidé à sa naissance. Comment aurait-il fait autrement? Il n'en connaissait point d'autres. Les proses, les conductus, le chant du Te Deum ou du Magnificat, les antiennes même et les répons y figurent tout naturellement et ne pouvaient n'y pas figurer, de même que le chœur, bien que le dialogue empiétât sur lui de jour en jour, demeurait toujours une partie essentielle de la tragédie grecque, comme un souvenir de son origine dionysiaque et dithyrambique. Ainsi donc les formes des deux drames de Daniel, toutes liturgiques qu'elles sont, ne sauraient nous suffire pour que nous décidions d'une façon péremptoire qu'ils ont été représentés dans l'église.

D'autre part, l'argument qu'on pourrait invoquer et qui semble au premier abord d'un grand poids, pour décider que la représentation avait lieu hors de l'église, c'est-à-dire le développement de la mise en scène qui, nous le verrons tout à l'heure, est déjà considérable, souffre également une objection qu'il n'est

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