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Au reste, nous sommes frappés dans ce moment d'une idée que nous ne pouvons taire. Quiconque a quelque critique et un bon sens pour l'Histoire, peut reconnoître que Milton a fait entrer dans le caractère de son Satan, les perversités de ces hommes, qui, vers le milieu du dix-septième siècle, couvrirent l'Angleterre de deuil. On y sent la même obstination, le même enthousiasme, le même orgueil, le même esprit de rebellion et d'indépendance; on y retrouve ces fameux Nivelleurs, qui, se séparant de la religion de leur pays, avoient secoué le joug de tout gouvernement légitime, et s'étoient révoltés à-la-fois, contre Dieu et les hommes. Milton lui-même avoit partagé cet esprit de perdition; et pour imaginer un Satan aussi détestable, il falloit que le poëte en eût vu l'image dans ces réprouvés, qui firent si long-temps de leur patrie le vrai séjour des démons.

CHAPITRE X.

MACHINES POÉTIQUES.

Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d'Eden, etc.

VENONS

ENONS aux exemples des machines poétiques. Vénus se montrant à Enée dans les bois de Carthage, est un morceau achevé dans le genre des graces, cui mater media, etc. « A travers la forêt, sa mère, suivant le même sentier, s'avance au-devant de lui. Elle avoit la bouche et l'habit d'une vierge, et elle étoit armée à la manière des filles de Sparte, etc., etc. ».

Cette poésie est divine, mais n'y a-t-il pas encore quelque chose de plus ineffable, dans l'arrivée de l'ange Raphaël au bocage de nos premiers pères ?

« Pour ombrager ses formes divines, le Séraphin porte six ailes. Deux, attachées à ses épaules, sont ramenées sur son sein, comme les pans d'un manteau royal; celles du milieu se roulent autour de lui comme une écharpe étoilée. les deux dernières, teintes d'azur battent à ses talons rapides. Il secoue ses plumes, qui répandent des baumes célestes.

.........

» Il s'avance dans le jardin du bonheur, au travers des bocages de myrte, et des nuages de nard et d'en

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cens; solitudes de parfums, où la nature, dans sa jen se livroit à tous ses caprices.... Adam, assis à la porte de son berceau, apperçut le divin Messager marchant dans ces forêts aromatiques. Il crie aussitôt à sa compagne : « Eve! accours! viens voir ce qui est digne de » ton admiration! Regarde vers l'orient, parmi ces arbres. » Apperçois-tu cette forme glorieuse, qui semble se diri>> ger vers notre berceau? on la prendroit pour une autre » aurore, qui se lève au milieu du jour .....

Ici Milton, aussi gracieux que Virgile l'emporte sur lui par la sainteté et la grandeur. Raphaël est plus beau que Vénus Eden plus enchanté que les bois de Carthage, et Enée est un froid et triste personnage auprès du majestueux Adam.

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« Soudain le premier né des Trônes descend vers » Gabriel, pour le conduire solemnellement vers le » Très-Haut. L'Eternel le nomme Elu, et le ciel Eloa. » Plus parfait que tous les ètres créés, il occupe la première place près de l'Etre infini. Une de ses » pensées est belle comme l'ame entière de l'homme, lorsque digne de son immortalité, elle médite pro» fondément. Son regard est plus, beau que le matin » d'un printemps, plus doux que la clarté des étoiles, lorsque brillantes de jeunesse, elles se balancèrent près du trône céleste avec tous leurs flots de lumière. » Dieu le créa le premier. Il puisa dans une aurore

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(1) Messias Erst. ges. v. 286, etc.

» son corps aérien. Lorsqu'il naquit, tout un ciel de » nuages flottoit autour de lui; Dieu lui-même le sou» leva dans ses bras, et lui dit en le bénissant: Créature,

» me voici ».

Raphaël est l'ange extérieur; Eloa l'ange intérieur. Les Mercure et les Apollon de la mythologie nous semblent bien moins divins que ces génies du christianisme.

Plusieurs fois les dieux en viennent aux mains dans Homère ; mais on n'y trouve rien d'égal au au combat que Satan s'apprête à livrer à Michel dans le Paradis Terrestre, et aux autres combats que nous avons indiqués; plusieurs fois les divinités de l'Iliade sauvent leurs héros favoris, en les couvrant d'une nuée; mais cette machine nous paroît surpassée par l'imitation qu'en a faite le Tasse, lorsqu'il introduit Soliman dans Jérusalem. Ce char enveloppé de vapeurs, ce voyage invisible d'un vieil enchanteur et d'un héros, à travers le camp des chrétiens, cette porte secrète d'Hérode, ces souvenirs des temps antiques, jetés au milieu d'une narration rapide, ce guerrier qui assiste à un conseil sans être vu, et qui se montre seulement pour déterminer Solyme aux combats; tout ce merveilleux, quoique du genre magique, est d'une excellence singulière. Mais on objectera peut-être que dans les peintures voluptueuses, le paganisme doit

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au moins avoir la préférence. Et que feronsnous donc d'Armide? Dirons-nous qu'elle est sans charmes, lorsque penchée sur le front de Renaud endormi, le poignard échappe à sa main, et que sa haine se résout en amour? Préférerons-nous Ascagne caché Vénus dans les bois de Cythère, au jeune héros du Tasse enchaîné avec des fleurs, et transporté sur un nuage aux îles fortunées? Ces jardins, dont le seul défaut est d'être trop enchantés, ces amours qui ne manquent que d'un voile, ne sont pas assurément des tableaux si sévères. On retrouve dans cet épisode jusqu'à la ceinture de Vénus, tant et si justement regrettée. Au surplus, si des critiques chagrins vouloient absolument bannir la magie, les anges de ténèbres pourroient exécuter eux-mêmes tout ce qu'Armide fait par leur moyen. On y est autorisé par l'histoire de quelques uns de nos saints, et le démon des voluptés a toujours été regardé comme un des plus dangereux et des plus puissans de l'abîme.

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