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son poëme, il ne connoissoit encore que Paris et la cour. La bataille de Fontenoi, qu'il a décrite depuis, n'est qu'une bien foible esquisse des scènes que nous venons d'indiquer: ce qui manque le plus dans ce poëme, comme dans la Henriade, ce sont les détails et la vérité des couleurs.

29) PAGE 54, VERS 8.

Saxo ferit ora Thoantis,

Ossaque dispersit cerebro permixta cruento.

Le premier de ces deux vers exprime la rapidité de la pierre qu'a lancée Pallas, et le second montre bien à l'imagination ses effrayans effets.

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Desiluit Turpus bijugis; pedes apparat ire, etc.

Ce tableau de Turnus comparé à un lion a toute la vigueur des couleurs d'Homère. Celui de son combat avec Pallas est. tracé rapidement, et cependant il est complet. Virgile décrit en peu de mots ce qui eût fourni plusieurs pages au poëte grec. On y remarque des vers brillans, surtout dans le genre descriptif où il excelle toujours, tels que ceux-ci :

At Pallas magnis emittit viribus hastam,

Vaginâque cavâ fulgentem deripit ensem.

Illa volans, humeri surgunt quà tegmina summa,
Incidit.

On voit bien dans les premiers vers les efforts de Pallas: le troisième montre à la fois et la rapidité et les effets du

coup qu'il porte. On ne peut comparer ici Virgile qu'à luimême; et la lance de Pallas rappelle le javelot de Laocoon dans le second livre.

2) PAGE 62, VERS 15.

Quo nunc Turnus ovat spolio gaudetque potitus :
Nescia mens hominum fati sortisque futuræ,

Et servare modum, rebus sublata secundis ! etc.

Addisson observe que ces sortes de digressions de la part de l'auteur ralentiroient la narration si elles étoient trop longues et trop multipliées; mais en même temps ce judicieux critique a remarqué, dit-il, avec une secrète admira→ tion, que celle-ci est la plus longue que Virgile se soit permise dans tout son poëme, parce que ce petit incident, peu important en apparence, sert à annoncer le plus grand évènement de l'Eneide. C'est la vanité de Turnus à se parer des dépouilles de son ennemi, qui prépare sa perte. Le poëte, qui veut recommander à l'attention du lecteur ce baudrier destiné à faire en quelque façon le dénoûment du poëme, en fait la description avec soin, et il consacre plusieurs vers à cette action de Turnus, très ordinaire en elle-même : un seul lui auroit suffi dans toute autre occasion. Le vers suivant offre un exemple remarquable de sa concision ordinaire.

3) PAGE 64, VERS 3.

O dolor atque decus magnum rediture parenti!

Que de sentimens exprimés dans une seule ligne! La douleur que doit causer la mort du jeune héros, l'illustration de

sa famille par son glorieux trépas, et surtout l'affliction du bon Évandre, tout cela est en trois mots.

24) PAGE 64, VERS II.

Pallas, Evander, in ipsis

Omnia sunt oculis; mensæ, quas advena primas
Tunc adiit, dextræque datæ.

Il est essentiel d'observer ici que les actions les plus importantes d'Énée sont toujours déterminées par des sentimens de justice et de vertu. Il se rappelle qu'il est fils en voyant égorger Priam, et il vole au secours de son père; il se rappelle qu'il est père lorsqu'un jeune homme implore sa clémence, et il lui pardonne en faveur d'Ascagne : ici, il a devant les yeux le meurtre du jeune Pallas et la douleur d'Évandre, à la table duquel il s'est assis, ce qui étoit chez les anciens le témoignage de l'amitié la plus inviolable; il voit les bienfaits et les larmes de ce bon roi, et c'est pour venger son fils qu'il veut immoler huit jeunes guerriers, qu'il égorge le lâche Magus, qu'il poursuit impitoyablement un prêtre d'Apollon, refuse la sépulture à ses victimes; et qu'enfin, tel qu'Égéon aux cent bras, vomissant des torrens de flamme, il porte partout la terreur et la mort.

25) PAGE 64, VERS 19.

Et genua amplectens effatur talia supplex....

Cette prière du lâche Magus est empruntée de celle d'Adraste dans le sixième livre de l'Iliade, où elle a plus d'effet sur le cœur de Ménélas que sur celui d'Énée. Le héros

grec, qui n'est point animé au carnage par les mêmes motifs, a pitié d'un homme sans défense, et il le fait conduire à ses vaisseaux; mais Agamemnon vient lui-même l'égorger froidement, disant à son frère « que tous les habitans d'Ilion >> doivent périr sans recevoir de sépulture, même l'enfant que » la mère porte sur son sein. » Il seroit assurément fort difficile d'excuser tant de férocité dans le roi des rois, et dans le chef de tant de nations, sans s'appuyer des mœurs de ce temps-la.

26) PAGE 72, VERS 13.

Quem pius Æneas dictis affatur amaris....

C'est ici surtout qu'on a fait à Virgile le reproche d'avoir employé l'épithète de pius, si souvent répétée, lors même qu'Énée se montre si implacable. On n'a pas fait attention que pius ne veut pas dire seulement pieux, et que son acception est beaucoup plus étendue en latin qu'en français; que Virgile surtout l'emploie pour exprimer le respect envers les dieux, la piété filiale, l'humanité, le courage même, et la reconnoissance; et que c'est dans cette occasion surtout qu'il a pris soin de ne montrer son héros cruel et implacable, que parce qu'il est sensible, reconnoissant, et fidèle observateur des traités. C'est aussi à cette fausse interprétation que l'on doit attribuer une grande partie des critiques faites sur le caractère d'Énée. Saint-Évremont n'a pas craint de dire que ce héros est plus fait pour être à la tête d'un couvent de moines qu'à la tête d'un empire. Saint-Évremont n'a pas vu les Romains regardoient Énée comme le fondateur de

que

Rome, et que l'origine de tous les peuples anciens étoit liée dans la tradition aux idées religieuses. Rome, ainsi qu'Ilion, étoit regardée comme la patrie des dieux et des héros; le fils d'Anchise n'emmenoit pas seulement avec lui les Troyens, mais les divinités de Troie. Pourquoi donc Virgile n'auroit-il pu dire le pieux Énée, comme le Tasse dit le pieux Bouillon? Aucun critique ne s'est récrié sur cette épithète donnée au chef des chrétiens dans la Jérusalem délivrée. En voici peutêtre la raison. La piété envers le dieu de l'évangile ne peut nous paroître déplacée, parce que nous croyons à la même religion que le chef des croisés, et que nous avons été élevés dans cette croyance; mais nous ne croyons point aux dieux du paganisme, et la piété d'Énée n'est à nos yeux qu'une superstition ridicule. Il faut donc se transporter au temps des Romains en lisant l'Eneide; il est donc nécessaire d'avoir, si on peut parler ainsi, une croyance poétique à Jupiter, Junon, Vénus, etc. La fable est devenue, par les vers d'Homère, la religion des arts; et si cette religion avoit besoin de quelques miracles, de quelques prodiges, pour s'accréditer dans l'esprit des lecteurs, le génie du poëte latin ne pourroit-il pas nous en tenir lieu?

27) PAGE 74, VERS 14.

Non vivida bello

Dextra viris, animusque ferox, patiensque pericli.

Cette ironie, que quelques commentateurs ont prise au sérieux, et que Desfontaines appelle néanmoins un bon mot

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