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la figure de Monime un idéal de force et de grâce.

La critique étrangère met l'Iphigénie d'Euripide bien au-dessus de l'Iphigénie (1674) de Racine, tandis que bon nombre de Français sacrifient sans pitié le poète grec à leur concitoyen. Nous ne nous chargerons pas de vider cette querelle, mais, toute érudition mise à part, nous pensons qu'on ne peut lire l'Iphigénie de Racine sans goûter les plus vives jouissances de l'âme et de l'imagination. Iphigénie est une vierge royale, fière et résignée dans le malheur; Achille un généreux chevalier prêt à tout braver pour ce qu'il aime. Racine était tenu à cette transformation. Toutefois, s'il est inattaquable de ce côté, on doit avouer qu'il élève un peu trop ses personnages et les guinde outre mesure; mais on excusera peut-être cet excès en se faisant une juste idée de l'époque où cette tragédie fut écrite.

Phèdre (1677) est la production la plus parfaite de Racine dans le genre des tragédies où les passions qui appartiennent à notre nature sont analysées avec profondeur et mises en action avec art, en partant, non point d'un fait, mais d'une série d'observations morales. En effet, Phèdre n'est ni une Grecque, ni une Romaine, ni une Française, c'est le type de la femme passionnée de tous les âges et de tous les pays. Mais nous ferons remarquer que Racine a chèrement payé l'incomparable beauté du rôle de Phèdre: Hypolyte et Aricie sont de fades amoureux, Théramène est un gouverneur peu digne, quoique excellent narrateur, Thésée est fabuleusement crédule.

On sait qu'en rivalité de Racine, Pradon fit aussi paraître une Phèdre, que l'inconstance du public sembla quelque temps préférer à celle de Racine. Blessé de cette injustice, averti peut-être aussi par cette voix religieuse qui avait dirigé ses premières années, Racine renonça à la poésie et vécut dans la retraite. On a beaucoup regretté ce repos de douze années dans la vie du grand poète, et les chefs-d'œuvre dont il a privé la littérature française. Pourtant, à tout prendre, ce repos a été aussi utile qu'aurait pu l'être le travail. Les saintes pensées et les habitudes de religion ouvrirent au génie de Racine de nouvelles sources d'inspiration; ce silence et ce recueillement étaient sans doute nécessaires à l'enfantement de la tragédie sacrée.

Esther (1689) rendit à Racine toutes les émotions qui avaient animé sa jeunesse. Cette pièce écrite à la sollicitation de Madame de Maintenon pour les Demoiselles de Saint-Cyr, lui valut les acclamations d'un

public choisi, et devant le suffrage de la royauté et de la cour, la critique, autrefois si cruelle, était condamnée au silence. Jamais Racine n'avait parlé un langage plus pur et plus harmonieux, et cette harmonie enchanteresse accompagnait les idées les plus élevées et les sentiments les plus chastes. Enfin, le poète avait trouvé un lieu propre à l'alliance de la poésie lyrique et du drame.

Athalie (1690) fut moins heureuse qu'Esther: elle contenait de trop graves leçons. Racine montrait un Dieu trop sévère à l'orgueil et à l'iniquité des grands, trop compatissant aux souffrances du pauvre; il imposait à la royauté des devoirs trop étroits, des charges trop lourdes; il faisait preuve de trop de hardiesse en mettant dans la bouche de Joad ces paroles fameuses: De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse, etc. Ce langage n'était pas de mise devant un pouvoir désormais sans contrôle et sans contre-poids, quand les courtisans étaient écoutés de préférence, que la France souffrait et qu'elle commençait à murmurer. Étonné de l'accueil si froid qu'on fit à Athalie, Racine douta de lui-même, il crut avoir failli; et pour le relever à ses propres yeux, pour le consoler de l'injustice de ses contemporains, il n'eut encore, ainsi qu'aux persécutions de Phèdre, que le suffrage de Boileau qui lui soutenait qu'Athalie était son chef-d'œuvre. La postérité a confirmé ce jugement. Athalie et Tartufe, voilà les deux chefs-d'œuvre de la scène française; voilà ce qu'elle peut opposer à tout ce que les anciens et les modernes ont jamais eu de plus admirable. Là se trouvent tous les mérites; de là sont bannis tous les défauts des genres divers. D'autres écrivains dramatiques, pris dans leur ensemble, sont peut-être des génies plus extraordinaires que Racine et Molière, mais assurément aucun n'a produit deux pièces supérieures à Athalie et au Tartufe.

L'approbation de Boileau ne put adoucir les secrètes et profondes blessures que tant de dégoûts avaient faites à l'âme fière et sensible de Racine; et une autre main amie, celle même à qui on doit Esther et Athalie, Madame de Maintenon, en voulant protéger Racine, le perdit. Racine, sur la demande de Madame de Maintenon, avait fait un projet de finances qui avait pour but de soulager la misère du peuple. Louis XIV surprit le projet entre les mains de Madame de Maintenon: „Parce qu'il sait faire parfaitement les vers, dit le roi, croit-il tout savoir? et parce qu'il est grand poète, veut-il être ministre?" Ce mot frappa Racine au cœur. Accablé de mélancolie, il

trafna pendant un an une vie languissante et pénible, et mourut le 21 avril 1699. Pour n'avoir pas à revenir sur Racine, disons quelques mots de ses écrits en prose. Il s'y montre simple, correct, naturel: il n'est pas de genre de style qui ne lui ait réussi. Ce n'est pas que nous cherchions à vanter sa traduction du Banquet de Platon, qu'il fit fort jeune encore, pour complaire à une dame de la cour; mais ses Discours à l'Académie méritent particulièrement d'être étudiés. Un de ces discours doit surtout exciter l'admiration pour les vues, la chaleur et l'éloquence avec laquelle Racine développe les services que Corneille rendit à son art, et le jour flatteur sous lequel il place le caractère du vieux tragique. Ses Lettres offrent aussi un grand intérêt: c'est le langage de la raison dépouillé de toute affectation. Boileau regardait l'Histoire de Port-Royal comme l'un des morceaux en prose les plus achevés; il est à regretter toutefois qu'un historiographe de France n'ait pas songé à écrire une autre histoire que celle d'une abbaye.

Poésie didactique, lyrique, satirique,
fugitive, etc.

Les écrits de Descartes, de Pascal, et les doctrines de Port-Royal avaient assuré l'art d'écrire en prose. Il n'en était pas de même de la poésie, ni de l'art d'écrire en vers. Sur ce point, il restait beaucoup à faire après Malherbe et pour consolider son ouvrage. Ce devait être la tâche de Boileau. Nicolas Boileau-Despréaux naquit le 1 novembre 1636, à Crosne, près de Paris, selon quelques biographes, et à Paris même, selon d'autres. Il commença ses études au collège d'Harcourt et les termina à celui de Beauvais. Sevin, un de ses professeurs, remarqua le goût prononcé de son élève pour la poésie. Toutefois Boileau, au lieu de se livrer à des essais souvent infructueux, consacre ses loisirs à la lecture des grands modèles de l'antiquité. En sortant du collège, il écrivit une tragédie, œuvre informe, dont il ne parlait qu'en riant. Il fit ensuite deux chansons, un sonnet et une ode. Dans ces pièces faibles et sans mouvement, on ne voyait pas encore percer le véritable génie de celui que son siècle surnomma le législateur du Parnasse français. Ses jeunes années ne furent pas heureuses. Privé de la tendresse de sa mère, qu'il avait perdue de bonne heure, il habita pendant longtemps un grenier étroit, où, pendant l'hiver, le froid se faisait sentir avec rigueur. Reçu avocat à

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vingt et un ans, il montra bientôt pour le barreau une irrésistible aversion. Après avoir essayé, sans succès, de plusieurs états, Boileau comprit enfin Que son astre en naissant l'avait formé poète." La satire qu'il publia en 1660 fut son véritable début. 11 en écrivit encore huit qui, avec les Epitres, l'Art poétique et le Lutrin, forment ses titres à l'immortalité. Ses satires lui firent beaucoup d'ennemis et on l'accusa souvent de manquer de sensibilité. Boileau cependant était tendre et dévoué pour ses amis, bienfaisant et vertueux. Il recommande sans cesse aux écrivains de respecter la vertu, comme le bon goût. C'est lui qui a fait ce vers, le plus beau peut-être qu'il ait écrit: „Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.“ Despréaux nommé avec Racine, historiographe de France, suivit quelquefois, avec son ami, le roi aux armées; mais il n'a rien laissé sur les évènements dont il fut témoin. Après avoir souffert plusieurs années, Boileau mourut d'une hydropisie de poitrine, le 13 mars 1711.

La gloire de Boileau a bravé toutes les critiques. Non pas que Despréaux soit un grand génie, mais l'ensemble et l'harmonie de ses qualités en font un homme supérieur. Si les ailes lui ont manqué pour s'élancer aux plus hautes régions, il ne tombe jamais, et nul poète ne l'a dépassé dans le genre tempéré; sa marche est sûre, élégante; tout en conservant un grave maintien, il sait dérider sa physionomie dans l'occasion; il a un tact merveilleux pour discerner le vrai du faux; toujours judicieux, il exprime ses pensées avec une netteté admirable; son langage enfin est sans cesse naturel. On peut sans doute lui reprocher l'austérité de sa raison, la trop grande importance qu'il donne à la forme aux dépens du fond, le défaut d'enthousiasme lyrique, et de cette sensibilité qui révèle le secret des passions; mais il mérite en grande partie l'immense renommée dont il jouit de son vivant. Il ne faut du reste pas s'étonner que son siècle ait exagéré ses mérites: Boileau en fut un des plus parfaits représentants. A son bon sens, à sa clarté, à sa modération, à sa causticité gauloise, il unit un certain esprit d'opposition tout-à-fait dans les mœurs de l'époque et qui n'altère ni l'aveugle soumission aux dogmes de l'Église, ni le dévouement à la personne du monarque porté jusqu'à l'adulation.

Dans ses Satires, Boileau déclara la guerre à tous les mauvais écrivains, et couvrit de ridicule l'emphase espagnole, les pointes et les jeux de mots de l'Italie, le jargon sentimental des ruelles", la bouffonnerie et la licence qui régnaient encore

sur la littérature. Il manque un peu de verve, de grâce et d'enjouement. Les Epitres sont supérieures aux satires: la versification en est plus forte, plus douce et plus flexible. L'Art poétique, véritable profession de foi littéraire du grand siècle, renferme les règles de l'art d'écrire. On y désirerait une critique plus profonde, des vues plus larges, et sourtout des idées un peu moins ordinaires sur la nature intrinsèque de la poésie; mais on y admirera toujours une haute raison, un goût délicat, une pureté et une richesse soutenue d'expressions, et nombre de vers si universellement vrais qu'ils sont passés en proverbes. Le Lutrin est une épopée badine, où Boileau chante un démêlé survenu entre le trésorier et le chantre de la Sainte-Chapelle de Paris, pour savoir si un lutrin serait placé dans un endroit ou dans un autre. C'est une fine satire des mœurs des gens d'église, qui n'atteint jamais les choses religieuses. De tous les ouvrages de Boileau, c'est celui où il y a le plus de verve comique et d'invention poétique. Ce poème, si admirable dans les détails, est froid, parce qu'il n'y a pas de proportion entre la pauvreté du sujet et la richesse de l'art. Ajoutons que le dénouement est annoncé sous forme de prétérition, et que dans le dernier chant surviennent des personnages d'une gravité disparate, la Piété, Thémis, Ariste, de sorte que la comédie se termine en sermon. Dans son Ode sur la prise de Namur et ses Epigrammes, Boileau est généralement resté inférieur à lui-même. Ses écrits en prose ne méritent non plus de très longs éloges; mais ils excitent du moins l'attention par leur objet et par leurs rapports avec de plus mémorables travaux. Tandis que Boileau continuait Malherbe, un autre poète de cet âge reprenait Marot, Rabelais et tout le XVIe siècle d'avant Ronsard; il recueillait, pour l'embellir, la succession de Villon et de la reine de Navarre. Cet homme, c'est Jean La Fontaine, né à Château-Thierry, le 8 juillet 1621. Son père, issu d'une ancienne famille bourgeoise, occupait la charge de maître particulier des eaux-et-forêts. Sa mère, Françoise Bidoux, était fille du bailli de Coulommiers. L'éducation de La Fontaine fut confiée à des instituteurs de campagne qui lui apprirent, tant bien que mal, un peu de latin. A 19 ans, il voulut entrer dans l'Oratoire, mais l'indépendance de son humeur ne lui permit pas de rester plus de 18 mois dans cette congrégation. A peu près vers ce temps, un officier en garnison à Château-Thierry lut en sa présence l'ode de Malherbe sur la mort de Henri IV. Dès

ce moment, La Fontaine. se sentit poète. Malherbe devint sa lecture favorite. Cette prédilection avait ses dangers; Malherbe faillit gâter La Fontaine, qui avait aussi du penchant pour Voiture. Rabelais et Marot eurent une heureuse influence sur l'esprit de La Fontaine, que ses deux premiers modèles pouvaient égarer; mais ce fut Horace surtout qui lui dessilla les yeux. Malheureusement il ne savait pas le grec, et ne pouvait lire que dans la version française Plutarque et Platon, que lui traduisait quelquefois son ami Racine. La littérature italienne était aussi très familière à La Fontaine; il lisait de préférence Machiavel, l'Arioste et Boccace; mais ce qui lui donna surtout ce caractère d'originalité que tout le monde lui reconnaît, ce fut l'étude approfondie des écrivains des âges précédents, et de leur commerce uni à celui de l'antiquité. Le père de La Fontaine applaudissait au goût de son fils pour la poésie, mais il voulut pourtant lui imposer un état. Il lui donna sa charge de maître des eauxet-forêts, et le maria avec Marie Héricart, fille d'un lieutenant au bailliage royal de la Ferté-Milon; cette femme était belle, aimable, spirituelle, et néanmoins elle ne put attacher son mari. Les ouvrages de La Fontaine acquéraient déjà quelque célébrité, lorsque la duchesse de Bouillon, nièce du cardinal Mazarin, fut exilée à ChâteauThierry. Elle s'empressa d'accueillir La Fontaine, qui revint avec elle à Paris, où bientôt Jacmard, favori de Fouquet, le mit dans les bonnes grâces du surintendant. Fouquet fit une pension à La Fontaine. Le poète a immortalisé sa reconnaissance dans un poème où il eut le courage de défendre son protecteur disgracié et abandonné de presque tous ses amis. Pourvu d'une charge de gentilhomme chez Henriette d'Angleterre, La Fontaine perdit bientôt une position si brillante par la mort imprévue et terrible de la princesse. Il rencontra alors une véritable providence dans Madame de La Sablière. Dégagé de tout embarras, de tout soin domestique, par cette excellente femme, il passa vingt ans chez elle, dans le doux commerce des Muses qui, durant cette époque tranquille et fortunée, lui inspirèrent ses plus beaux ouvrages. Après la mort de Madame de La Sablière, La Fontaine trouva dans M. d'Hervail un doux support aux infirmités de sa vieillesse. Il mourut le 15 mars 1695, dans de grands sentiments de dévotion.

La Fontaine à élevé l'apologue à un rang dont on n'avait pas soupçonné la hauteur. Le comble de l'art fut pour lui, comme pour tous les maîtres, d'en dissimuler la

trace: air mérité de plairé äl jbigtit essentiellement, d'après sa propre expression, celui de paraître n'y penser pas. De là l'originalité et le charme de cet auteur inimitable: ce qui complète l'un et l'autre, c'est que sous l'inspiration vraie qui le dirige, on aperçoit toujours le cœur de l'homme. Nul ne prend plus d'intérêt que lui à tout ce qu'il raconte; et la race humaine n'est pas le seul objet sur lequel il épanche le riche fonds de sa bienveillance: les animaux sont pour lui des hôtes de cette terre, auxquels il n'est pas étranger. Sa vive sympathie anime tout l'univers à nos yeux, et ses Fables sont comme une vaste scène où il se montre souvent le rival de Molière, le seul des écrivains français qui le surpasse en originalité. Non moins que Molière, il nous avertit et nous corrige en nous amusant. Chez lui, que de règles de conduite et de préceptes de morale renfermés dans des vers devenus proverbes et présents à toutes les mémoires! Les Fables de La Fontaine sont le livre de la vie entière: enfant, elles amusent; jeune, elles instruisent; et dans la vieillesse, elles consolent.

Habile à se plier à tous les tons, La Fontaine garde partout cette naïve négligence qu'il tenait de lui-même et de la vieille école qu'il avait spécialement étudiée; mais en même temps l'habitude de lire les poètes latins, d'entendre Racine et Boileau l'empêche de la porter jamais au point où elle devient faiblesse et incorrection. Son style enfin a tous les mérites de celui des écrivains les plus distingués du siècle de Louis XIV.

On peut regarder les Contes de La Fontaine comme la dernière refonte des fabliaux populaires qui étaient, depuis le moyen-âge, en possession d'amuser l'Europe. Le poète y déploie une simplicité pleine de finesse, il y prodigue mille traits délicats et naïfs, et son allure a toute cette vivacité gauloise qui court au but sans s'arrêter à cueillir des fleurs au bord du chemin. C'est par là qu'il se distingue de Boccace et de l'Arioste, qu'il imite; mais il lui manque la variété de tons, la touche si poétique et le coloris éclatant de ses modèles.

Mémoires, Histoire.

Les mémoires ne sont pas aussi nombreux au XVIIe siècle qu'au XVIe, toutefois cette partie de la littérature est fort riche encore, et l'on y trouve quelques écrits qui méritent une place distinguée parmi les grands ouvrages de l'époque. Madame de Motteville, nièce de Bertaut, née en 1621, a écrit d'une plume élégante, facile

et ferme en plus d'un endroit, la chronique de la cour d'Anne d'Autriche, princesse dont elle était la dame d'honneur. Paul Phelippeaux de Pontchartrain a laissé sur la régence de Marie de Médicis des Mémoires aussi exacts qu'intéressants. Avec plus de bruit et plus d'attente, le fameux Paul de Gondy (1614 à 1679), cardinal de Retz, dans sa retraite de Commercy, gardait quelques belles pages trop visiblement imitées de Salluste dans cet écheveau embrouillé qu'il appelle ses Mémoires, image du rôle qu'il joua dans cette même guerre de la Fronde. Retz n'avait de l'écrivain, comme du politique, que de belles parties. Les portraits sont ce qu'il a fait de mieux, et le plus remarquable de tous ceux qu'il nous trace est le sien, car il dit plus de mal de lui que n'en aurait pu dire son plus grand ennemi.

Le XVIIe siècle compte une foule d'historiens qui s'efforcèrent de joindre le style et l'éloquence à l'art historique. Mais dans cette foule, il ne se trouva ni un Thucydide ni un Tite-Live. Les matériaux que l'on pouvait se procurer furent élaborés avec adresse; on traça les évènements avec autant de véracité qu'il était permis de le faire alors; on distribua les faits avec intelligence; on donna du nerf et de la couleur à sa diction; mais, soit que la liberté manquât, soit que les circonstances ne permissent pas d'envisager les choses sous un point de vue philosophique, personne n'eut le génie et le caractère du véritable historien.

Bossuet sut transporter dans l'histoire l'entraînement passionné de l'éloquence, en écrivant pour le Dauphin son Discours sur l'histoire universelle. Il y énonce, comme loi éternelle de la Providence, le concours des faits humains à l'accomplissement des projets de Dieu envers son Église. Ce point de vue est faux, il faut chercher ailleurs la clef des évènements; mais on doit avouer que l'explication de Bossuet répondait parfaitement à la pensée prédominante du siècle de Louis XIV, et qu'elle donnait en même temps à l'histoire cette précieuse unité si indispensable aux ouvrages de l'art. Nous ne reprocherons pas à Bossuet d'avoir mis dans son Discours plus de théologie que de philosophie, c'est un reproche qui atteindrait son état et non son talent; mais on oublie trop qu'il n'a pas même indiqué le degré de croyance que l'on doit aux évènements, qu'il admet sans hésitation les traditions les plus merveil leuses, et que le besoin de conclure selon son cœur l'entraîne à de singulières assertions. On s'aperçoit que Bossuet écrivait

pour un prince destiné à gouverner un royaume où les prêtres avaient à conserver et à acquérir. Néanmoins, le Discours sur l'histoire universelle est un des premiers chefs-d'œuvre de la littérature française et mérite l'admiration dont il est l'objet: à l'unité d'action se joint la grandeur d'intérêt, un langage rapide, la majesté en l'éclat d'une expression qui répond toujours à l'élévation de la pensée.

Romans, Contes et Nouvelles.

Nous avons vu fleurir les interminables romans des d'Urfé, des Scudéry, etc. Ce genre si faux devait tomber avec l'hôtel de Rambouillet qui l'avait tant prôné. Mais, pour distraire tout à fait le public de ses mensonges de l'histoire et de la passion, il fallait qu'un écrivain élégant et d'un goût sûr entrât dans l'arène. Cet écrivain fut Madame de La Fayette (1632 à 1693). Ses Romans de Zaide et surtout de la Princesse de Clèves sont les deux ouvrages qui forcèrent l'opinion publique à revenir de son égarement. Zaïde est le roman de l'imagination de Madame de La Fayette, la Princesse des Clèves, l'histoire de son cœur. A dater de la Princesse de Clèves, le roman entre enfin dans la vérité, il s'humanise dans ses peintures et dans ses proportions. L'histoire n'est plus qu'un cadre où la passion se développe; les évènements réels qui se mêlent à la fiction ne sont point altérés dans leur essence, ni dénaturés dans leurs principes. Dans ce charmant ouvrage, qui reste un modèle, l'action commence aux dernières années du règne de Henri II, et se prolonge sous celui de François II. L'intrigue se lie habilement aux principaux faits historiques sans nuire à leur enchaînement. C'est déjà le procédé de Walter Scott. Le seul reproche qu'on pourrait faire à la Princesse de Clèves, c'est que les mœurs sont transportées du XVIIe siècle dans le XVIe, et que la cour des Valois est l'image de celle des Bourbons; mais cet anachronisme de mœurs disparaît devant l'éternelle vérité de la passion.

Qui ne connaît ces contes délicieux, si joliment narrés, le Petit Poucet, la Belle au bois Dormant, etc. Ils font partie des Contes de Fées de Charles Perrault (1628 à 1703). On a publié bien des contes depuis; mais il n'en est pas d'aussi agréables, d'aussi charmants que ceux-là. On peut leur reprocher cependant de ne pas renfermer une haute moralité. Malgré leur mérite, les Contes de Perrault passèrent presque inaperçus

assez

de son temps; il fut beaucoup plus connu par ses écrits contre les anciens. Dans cette fameuse querelle, l'excellence de l'antiquité fut aussi mal défendue qu'elle était mal attaquée. Ce fut par suite de cette querelle que Perrault composa les Eloges des hommes illustres du XVIIe siècle, ouvrage recommandable pour les recherches les plus exactes et l'impartialité la plus grande. Perrault avait débuté par un poème burlesque en deux chants, les Murs de Troie, ou Origine du burlesque; on lui doit encore trois autres poèmes, une épître et quelques contes en vers prolixement narrés. Il réussissait dans les détails descriptifs; mais il lui manquait ce qui fait le poète, le sentiment de la poésie. Les charmants contes arabes traduits sous le nom des Mille et une Nuits ont fait la renommée de leur auteur, Antoine Galland (1646 à 1715), orientaliste et numismate célèbre. Toujours on lira avec plaisir, tout puérils qu'ils sont, ces contes où brille la fécondité de l'imagination orientale, et que le traducteur a encore embellis des charmes de son style plein de naturel et de simplicité. Après la publication des Mille et une Nuits, la manie des contes merveilleux devint épidémique.

Éloquence, Philosophie.

L'éloquence judiciaire, quoique supérieure à ce qu'elle avait été jusqu'alors, laissa peu de traces au XVIIe siècle.

Le vaste champ qu'ouvrit la Fronde, dans le parlement de Paris, à l'éloquence politique, demeura stérile. Si nous en exceptons les discours du cardinal de Retz, et ceux que prononça aux états généraux, où il siégeait, en 1615, comme orateur du clergé, le cardinal de Richelieu, les discours des magistrats recueillis dans les mémoires du temps sont lourds, diffus et ennuyeux. Il est clair que le ton cavalier dont Louis XIV usa envers le parlement ne permit pas à l'éloquence politique de s'y déployer.

La chaire fut plus éloquente parce qu'elle fut plus libre: la voix du citoyen fut étouffée, mais le prêtre put tout dire. Nulle nation ne s'est appliquée avec plus de zèle à perfectionner ce genre de discours qu'on nomme le sermon. Catholiques ou protestants, les prédicateurs luttaient d'une ardeur égale; les permiers furent encouragés et récompensés par le pouvoir; la révocation de l'édit de Nantes mit un frein à la faconde des seconds. Dans de telles circonstances, les prédicateurs catholiques durent avoir la palme; ils l'eurent en effet. Mais dans

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