ページの画像
PDF
ePub

roulent sur des sujets pieux ou guerriers; | la poésie lyrique, qui leur permettait d'exles sentiments de galanterie qui caractéri- primer leurs sentiments personnels et sur sent plus tard la poésie des troubadours y tout de célébrer leurs amours. La galansont inconnus.

Les récits épiques des poètes provençaux ne remontent qu'à l'époque de Charlemagne. On n'y trouve aucune trace des chants des bardes, ni des épopées germaniques, quoique l'on possède la traduction latine d'un poème qui a quelques rapports avec les Nibelungen de l'Allemagne. Le héros en est Walther d'Aquitaine, guerrier wisigoth, que la tradition faisait vivre au temps d'Attila, mais dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir.

Les poèmes pieux ont leur source dans les légendes latines. Ils expriment le sentiment chrétien qui règne aussi dans les récits guerriers sous une autre forme, celle de la haine contre les Mahométans.

Les poèmes se chantaient et il existait dans le Midi comme dans le Nord une classe d'hommes qui faisait profession de les répéter, en les modifiant toutefois selon les circonstances; c'étaient les jongleurs.1 Mais bientôt le jongleur ne se borna plus à charmer son auditoire par ses chants; il visa au gain plus qu'à la gloire, et il se mit à faire des tours d'adresse. Ce côté mesquin de l'art du jongleur explique en partie la déconsidération où il finit par tomber.

Le premier poème que nous apercevons est celui sur Boëce,a déjà mentionné. Il est religieux et moral. Il se compose de strophes inégales et monorimes; le vers, de onze syllabes a une coupe régulière; le style en est sans art. Boëce mis en prison par ordre de Théodoric est consolé par une vision merveilleuse où lui apparaît une dame qui représente la justice divine.

Au XIe siècle, il paraît que quelques légendes étaient fort répandues sous la forme de chansons, dont aucune ne nous est parvenue.

Dès les premières années du XIIe siècle et même avant, nous voyons les Vaudois s'emparer de la poésie comme d'un moyen de populariser leurs maximes, et nous avons six poèmes destinés à les répandre. Le plus célèbre porte le titre de la Noble Leçon.

C'est dans les chants des trobadors (troubadours), c'est-à-dire trouveurs, inventeurs, que la poésie provençale prit enfin son caractère propre.

Les troubadours cultivèrent de préférence

1 Joglar, juglar, dans la langue d'oc, jogleor, jongleor, dans la langue d'oil, mots dérivés du latin joculator.

2 Il ne nous reste que 257 vers de cè poème, monument précieux de la langue à cette époque.

terie avait atteint dans ces contrées un développement extraordinaire, et, bien que les troubadours s'inspirent quelquefois d'autres idées, le génie et les mœurs de l'époque les ramènent ordinairement à ce sujet favori. Mais chez eux la passion est plus ingénieuse que naïve; ils brillent surtout par un raffinement d'esprit qui étonne sans toucher, et ils mettent de la subtilité dans leur galanterie. Du reste, il n'y a parmi les troubadours aucun de ces esprits dominateurs qui commandent à leur siècle, tous sont à peu près au même niveau. Le mérite de leurs poésies consiste principalement dans l'élégance de la forme. Le rythme est harmonieux, l'accent bien déterminé, la mesure des vers et la coupe des strophes sont travaillées avec art et heureusement variées, les expressions choisies l'assonnance s'y allie au retour alternatif des rimes masculines et féminines. On voit que les troubadours aspiraient à la fois à plaire et à se distinguer par une recherche qui charmait le goût d'une société élégante. Mais cette recherche, poussée souvent jusqu'à l'affectation, blesse notre goût : nous demandons que le poète soit naturel. Avouons toutefois que l'uniformité des écrits provençaux, qui nous fatigue si vite, devait être moins sensible à des auditeurs dont l'oreille saisissait toutes les nuances de cette langue flexible, riche en voyelles, harmonieuse et naïve. En outre, au dire des contemporains, les airs sur lesquels se chantaient les paroles des troubadours étaient composés avec beaucoup de soin; et ce côté musical, qui échappe à notre observation, ne nous permet pas d'en apprécier tout l'effet.

On a conservé les noms et les fragments de près de trois cents troubadours. Dans ce catalogue, la haute noblesse, la chevalerie, la bourgeoisie, le clergé séculier et régulier, ont leurs représentants. Tous, sans distinction de naissance, jouissaient d'une grande considération. Le talent tenait lieu de titres au plébéien; le poète devenait presque l'égal des seigneurs, dont il ne fut jamais que l'humble protégé dans le nord de la France. C'est là un trait saillant de là civilisation provençale.

Les troubadours qu'on doit distinguer dans le nombre sont:

Guillaume IX, comte de Poitou et duc d'Aquitaine, prince qui avait figuré dans la croisade dont Godefroy de Bouillon fut le chef, et qui vécut jusqu'en 1127. Après lui brilla surtout l'élégant Bernard de

Ventadour (mort vers 1195), ainsi nommé du lieu de sa naissance, car il était d'une famille obscure; Jaufre Rudel (1140 à 1170), prince de Blaye, écrivain sentimental; Bertrand de Born (1180 à 1195), seigneur de Hautefort, le Tyrtée du moyenage, que le Dante a éternisé sous un si terrible emblème; Pierre Cardinal (1210 à 1230), fils d'un chevalier, le Juvénal de la poésie provençale; Guiraut de Borneill (1180 à 1230), surnommé le maître des troubadours.

Le XIIe siècle fut la belle époque de la poésie provençale. Des expéditions dirigées contre les infidèles avaient donné une nouvelle vigueur à l'esprit chevaleresque des peuples méridionaux, tandis que le gouvernement tout paternel et la prospérité du pays favorisaient le goût des fêtes et des réunions où brillait le talent des troubadours. Les questions galantes qu'ils agitaient étaient soumises au jugement des dames, qui s'assemblaient en Cours d'amour pour les décider. Ces cours prirent une forme régulière et fixe, les dames du plus haut rang ne dédaignèrent pas de les présider et de dicter leurs arrêts dont plusieurs ont été recueillis. Mais les longues et cruelles guerres des Albigeois mirent fin à cet âge d'or des troubadours. La Provence déchut de sa prospérité quand la maison des ducs de Toulouse succomba et fut remplacée par des princes français. Ni les efforts de la très gaie Compagnie des sept troubadours, ni l'institution des Jeux floraux par Clémence Isaure, ne purent faire renaître l'idiome provençal frappé à mort par son heureux rival, le roman du nord; il descendit au rang des patois. Cependant les troubadours continuaient à être accueillis et admirés en Italie et en Espagne. Les poètes italiens surtout prirent les Provençaux pour maîtres et le Dante lui-même professe une grande estime pour eux. Les chants lyriques des trouvères de la langue d'oil imitent aussi quelquefois les formes et les idées qui avaient reçu leur développement dans le Midi.

Les plus anciennes poésies des troubadours portaient simplement le titre de vers. Plus tard on distingua des genres différents qui se multiplièrent à l'infini. Ce furent surtout: 1) la chanson, dont le sujet ordinaire est l'amour; 2). le tenson, espèce de lutte ou combat poétique, dialogué à deux personnages, nommé aussi contensio, partiment, joc partit; 3) le planh, complainte, chant de douleur sur la perte d'une amante, d'un ami, sur quelque calamité publique, etc.; 4) la pastoreta, pastourelle, ou dialogue d'une bergère avec

son amant, quelquefois avec le poète luimême; 5) le sirvente, chant d'éloge ou de blâme, de joie ou de colère; 6) la cobla, couplet; 7) la sixtine ou six couplets de six vers chacun, terminés par six bouts rimés qui se reproduisaient dans un nouvel ordre à chaque couplet; à la fin, un envoi de trois vers où les six bouts rimés se retrouvaient; 8) le discort, qui s'appelait ainsi parce que les rimes variaient d'une strophe à l'autre, et que les strophes ellesmêmes, au lieu de s'accorder quant à la mesure des vers, discordaient, en quelque sorte; 9) le son ou sonnet, qui ne ressemble en rien au sonnet italien; 10) les pièces à refrain: alba, aubade, et serena, sérénade, qui exprimaient les vœux des amants pour le retour de l'aube et du soir, où la répétition du mot alba ou du mot sers était de rigueur à la fin de chaque strophe; balada, ballade, chant accompagné de danses; redonda, ronde, où les rimes se renversaient d'une strophe à l'autre de la manière la plus bizarre; etc. Toutes ces poésies sont du genre lyrique proprement dit.

LITTÉRATURE DE LA LANGUE D'OIL.

Comparée au provençal, la langue d'oïl était sèche, rude inaccentuée, peu habile aux inversions et aux transpositions; mais, grâce à sa clarté, à son exigence rigoureuse sur la propriété des termes, à son opulente synonymie, elle pénétra vite chez le peuple et elle se substitua de bonne heure au latin dans les affaires de la vie publique.

Dès le XIIe siècle, la langue d'oïl était toute grande. Trois causes principales militèrent en sa faveur: l'influence de la cour fixée à Paris, la puissance intellectuelle de l'université de la capitale, la puissance politique des Normands. Nous avons vu que les Normands, une fois fixés dans le beau duché de Neustrie, s'en approprièrent vite la langue, et bientôt ils donnèrent à leurs voisins l'exemple de la porter dans le monde entier avec leurs lances victorieuses. Guillaume de Normandie l'imposa violemment à l'Angleterre; le duc de Bourgogne et le comte de Champagne, devenus, l'un, roi de Portugal, l'autre roi de Navarre, la répandirent dans la Péninsule; elle s'introduisit à Jérusalem avec Godefroy de Bouillon, à Constantinople avec les comtes de Flandre et de Courtenay; enfin, Charles d'Anjou la fit monter sur le trône de Naples.

La France du Nord eut ses jongleurs et ses troubadours, qu'on nommait troveors, trouvères; mais l'art des derniers n'y devint pas d'une faveur si générale parmi les classes supérieures de la société.

La littérature de la langue d'oïl est moins féconde en productions lyriques que la poésie provençale, mais elle la surpasse en richesse dans les autres genres. Nous plaçons au premier rang l'épopée chevaleresque, dont la création lui appartient. Puis viennent les lais qui racontent aussi plus brièvement des aventures héroïques ou intéressantes. Les fabliaux, contes en vers sur tous les sujets imaginables, offrent toutefois pour caractère général un mélange de finesse et de gaieté railleuse qui fait le fond de l'esprit gaulois. On retrouve la peinture des mœurs et des idées nationales dans les poèmes didactiques et allégoriques. L'art dramatique y a déjà fait des progrès remarquables. Quant à la poésie lyrique, il n'y règne ni la vivacité du sentiment, ni la richesse de l'imagination; mais on ne saurait refuser aux chansons et aux ballades une certaine grâce, de la naïveté et une gaieté d'esprit qui nous intéresse. Quelques chroniques rimées et sans chaleur, essais d'écrivains ignorants et crédules, sont les premiers représentants de l'histoire, qui entre dans une brillante sphère de gloire avec Villehardouin et Joinville.

Chansons de gestes et romans épiques.

La ferveur religieuse et le courage guerrier qui provoquèrent la croisade et que la croisade exalta, furent aussi l'inspiration de la poésie populaire du XIIe siècle. L'amour se mêla à la piété et au courage, et du concours de ces trois éléments se forma ce genre particulier d'héroïsme inconnu des anciens, qui est l'esprit chevaleresque. Parmi les compositions héroïques que nous a léguées cette époque, les unes, et ce sont les plus anciennes, ne respirent que la guerre et la religion, les autres, venues plus tard, sont une image complète de la chevalerie. Les premières ont reçu le nom de chansons de geste, parce que c'étaient des poèmes consacrés à célébrer les actions (gesta) fameuses; nous appellerons les autres romans1 épiques, quoique les trouvères continuassent à appliquer le nom

1 Le mot de roman ne désignait dans le principe que des ouvrages écrits en langue romane, plus tard il prit une autre signification consacrée par l'usage. Il représente dans la littérature du moyen-âge des créations poétiques dont la forme est celle d'un récit prolongé, tantôt de nature épique, comme dans les romans chevaleresques, tantôt allégorique, comme dans ceux du Renard et de la Rose, dont nous parlerons ailleurs. Nous l'assignons encore aujourd'hui à des ouvrages, où règne également la fiction. La chanson de geste, dans son caractère primitif, se rapprochait davantage de l'histoire: le poète n'inventait ni les personnages ni les événements principaux.

de chansons de geste à leurs compositions fabuleuses."

Les chansons de geste se composent de strophes monorimes d'une longueur indéterminée; le trouvère ne s'arrête que lorsqu'il est à bout de finales consonantes, puis il recommence sur une autre rime jusqu'à nouvel épuisement. La rime est même souvent remplacée par une assonance imparfaite. Les vers sont ordinairement de dix syllabes. Mais on voit déjà quelques poètes du XIIe siècle abandonner ce mètre; ils écrivent en vers de huit ou de douze syllabes. Le vers de douze syllabes (l'alexandrin) fut adopté par les auteurs du roman d'Alexandre et doit à cette circonstance le nom qu'il porte encore aujourd'hui. C'est dans les romans écrits en vers octosyllabiques que cesse l'emploi de la strophe et que commence celui des rimes simples ou plates qui restèrent seules en usage dans les siècles suivants.

Au milieu des malheurs et des ténèbres du Xe siècle, la France avait conservé le souvenir d'une époque merveilleuse où la puissance de ses chefs s'était élevée à une incomparable grandeur. Charlemagne avait étendu ses conquêtes de l'Oder à l'Ebre, de la mer du Nord à celle de Sicile; Musulmans, Saxons, Lombards, Bavarois, Bataves, tous avaient été soumis au joug ou effrayés par les armes du héros de la race des Carlovingiens. Les contemporains de ce grand homme, créateur d'un nouvel empire romain, restaurateur des sciences et des arts, n'avaient sans doute pas compris l'immensité de ses plans, la vaste portée de son génie; mais il en était resté dans l'imagination des peuples un souvenir profond, impérissable, quoique confus, et pour ainsi dire un long ébranlement d'admiration. La faiblesse de ses successeurs, les calamités et les hontes de l'invasion normande accrurent le respect du peuple pour les grands hommes du passé. Dans les misères du présent, la magnificence des souvenirs était à la fois une consolation et une vengeance.

Les plus remarquables des poèmes héroïques qui se rapportent à l'époque de Charlemagne, ou même aux temps de Clovis et de Dagobert, paraissent avoir été écrits dans le cours des XIIe et XIIIe siècles. Mais on ne peut mettre en doute qu'avant d'être fixés par l'écriture sous la forme où nous les avons aujourd'hui, ils n'aient été longtemps chantés et répétés avec mille variantes.

Parmi ces importantes ébauches de la poésie épique, œuvres du moyen-âge, il faut donner la première place à la Chanson de Roland ou de Roncevaux.

C'est

celle qui a le mieux gardé son caractère primitif. Charlemagne y figure dans toute sa majesté, dont le souvenir s'affaiblit dans les poèmes suivants, composés à une époque où le pouvoir royal était déchu. Quelques mots suffiront à l'analyse de cette vieille épopée.

L'Espagne est conquise, Saragosse seule est restée debout, défendue par le roi sarrasin Marsilie; mais ce prince propose de se soumettre. Blancandrin se présente en son nom devant Charlemagne, qui se décide à traiter des conditions de la paix. Cette mission honorable, mais dangereuse, a été confiée à Guènes ou Ganelon, duc de Mayence, sur la proposition de Roland, qui n'en a pas calculé tous les périls. Le duc se laisse gagner par les présents de Marsilie pour trahir l'armée des Francs. Il persuade à l'empereur de repasser les Pyrénées. Roland et l'élite des chevaliers chrétiens forment l'arrière-garde au moment de la retraite. Le gros de l'armée est déjà de l'autre côté des monts, lorsque Roland et sa troupe entendent le bruit d'une armée formidable dont les nombreux bataillons vont l'atteindre. Le combat est désormais inévitable; toutefois si Roland donnait le signal d'alarme avec son cor (olifant), dont le son se fait entendre à trente lieues, Charlemagne averti rebrousserait chemin, et il arriverait à temps pour repousser les Sarrasins. Mais Roland rejette comme une indigne faiblesse le conseil que lui en donne le brave Olivier; il se flatte de tenir tête à l'ennemi sans l'aide de l'empereur. Le combat s'engage: qui pourrait décrire et énumérer les exploits de Roland, de l'archevêque Turpin, d'Olivier? Ici tout est grandiose, et le champ de bataille et les héros. Cette phalange indomptable ne recule jamais, les cadavres s'entassent autour d'elle, mais elle périra sous les coups redoublés d'ennemis sans cesse renaissants. C'est alors que Roland se décide à faire retentir son cor. Le combat continue avec le même acharnement, pendant que l'armée de Charlemagne, enfin avertie, revient sur ses pas. Le secours approche, mais le péril redouble: Olivier, le frère d'armes de Roland, vient de mourir en bénissant son ami, son empereur et la douce France; l'archevêque Turpin et Roland survivent seuls au carnage. Leurs derniers exploits ont jeté l'épouvante au cœur des Sarrasins que le bruit des clairons de Charlemagne achève de troubler. Ils prennent la fuite. L'archevêque est mortellement blessé; Roland trouve encore assez de force pour aller chercher les corps de ses amis morts, et les dépose aux pieds de Turpin à l'agonie,

qui les bénit et leur ouvre la vie éternelle. Ces passages sont d'une simplicité sublime, Roland seul n'a pas rendu le dernier soupir; mais son sang coule: il va. mourir. Vainement il essaie de briser son épée, la bonne Durandal, qui fait voler en éclats les rochers les plus durs. Il se couche enfin à terre le visage tourné du côté de l'Espagne, et à ce moment suprême les anges du Seigneur descendent de leurs célestes parvis pour recueillir l'âme du héros qu'ils emportent vers Dieu, lorsque Charlemagne paraît avec son armée. L'œuvre de la trahison est consommée, le vengeur se montre. Roland n'est plus, il faut qu'il soit vengé; il le sera par la défaite et par la mort de Marsilie, par la destruction d'une nouvelle et plus formidable armée d'infidèles; il le sera encore par le supplice de Ganelon. Accusé par Thierry, écuyer de Roland, Ganelon est brûlé vif et son nom demeurera à jamais flétri, comme symbole de trahison.

L'auteur de la Chanson de Roland est un trouvère anglo-normand appelé Turold, qui vivait au commencement du XIIe siècle. Il avait tiré ce récit d'une ancienne geste écrite, et rien n'en prouve mieux l'antiquité que la part que l'archevêque Turpin est supposé avoir prise à la bataille où il se montre vaillant chevalier, très expert d'armes et aussi capable que personne de bien défendre la croix qu'il porte. Mais la Chanson de Roland renferme aussi d'autres éléments qui paraissent plus modernes.

La Chanson de Roland est imposante par l'unité du plan, la vérité et la variété des caractères, par la grandeur des événements. L'expression simple et forte y traduit énergiquement de belles pensées et de noble sentiments.

Le nombre des épopées devint si considérable aux XIIe et XIIIe siècles qu'on ne peut les classer que d'une manière imparfaite. Cependant, sans prétendre tracer rigoureusement les limites de chaque subdivision, ni sous le rapport des matières, ni sous le point de vue chronologique; nous admettrons la classification suivante pour orienter le lecteur dans ce dédale de fictions: A. Romans d'origine française, B. Romans d'origine bretonne.

A. Romans d'origine française. Nous subdiviserons les romans d'origine française en deux catégories: ceux du cycle carlovingien, et ceux qui se rapportent au temps des rois de la première et de la troisième races.

Le cycle carlovingien a pour sujet les aventures héroïques de guerriers que le poète place sous Charlemagne ou peu après lui. Le grand empereur et ses fils y figurent comme souverains, mais le rôle principal y est réservé à un certain nombre de preux chevaliers qui surpassent tous les autres hommes en courage et en force. Ils font_ordinairement partie des douze pairs de France qui deviennent pour le poète l'élite des braves. Ces champions redoutables donnent leur nom aux romans. Les uns combattent pour la France et pour la chrétienté contre les infidèles, et ont pour type l'invincible Roland. Comme dans la chanson qui porte le nom du neveu de Charlemagne, le sentiment religieux et guerrier règne pour ainsi dire exclusivement dans les récits consacrés à célébrer leur mémoire. Tous respirent en outre la haine des Mahométans, haine qui avait commencé à l'époque de l'expédition de Charles Martel contre Abd-el-Rhaman, et qui prit une nouvelle force à l'époque des croisades. Mais d'autres romans de ce cycle peignent la lutte du vassal contre le suzerain. Nous n'y voyons plus l'image d'une grande nation soumise avec enthousiasme à un grand empereur, c'est le tableau de cette société féodale où l'affaiblissement de la royauté enhardit la résistance. La chanson d'Ogier le Danois, Raoul de Cambrai, l'histoire des quatre fils d'Aymon (Renaud de Montauban et ses trois frères), le roman de Gérard de Roussillon, tiennent le premier rang parmi les poèmes de ce genre.

Un trait commun aux romans du cycle carlovingien, à l'exception toutefois de quelques-uns des plus récents, c'est l'absence des sentiments de galanterie.

La seconde classe des romans d'origine française ne forme point de cycle. Ce sont des récits dont les héros n'ont aucun rapport entre eux, chacun étant placé sur un théâtre différent. Quelques-uns sont puisés dans l'histoire, comme le roman de Hues Capet, d'autres dans des traditions populaires, comme le Chevalier au Cygne, dont la fable se rattache à la généalogie de Godefroy de Bouillon.

B. Romans d'origine bretonne.

Un grand nombre de romans sont tirés des traditions galloises et armoricaines, traditions qui attribuaient au vieux roi Arthus un règne aussi glorieux que celui de Charlemagne. On sait qu'au VIe siècle de notre ère cet Arthus défendit courageusement l'indépendance de son pays contre les Saxons;

qu'il disparut après un combat meurtrier, et que privés de leur roi, les Bretons, forcés de fuir, se réfugièrent dans l'Armorique, leur ancienne patrie, qui prit d'eux le nom de Bretagne. Arthus était bien mort: cependant les Bretons ne se résignèrent pas, ils l'attendaient pour le jour de la vengeance. En attendant pieusement le retour de leur roi, ils le chantèrent, et leur longue attente leur laissa le loisir de composer à ce propos la plus curieuse, la plus poétique et la plus embrouillée des légendes. La diversité des éléments dont elle se compose et ses pérégrinations sont des plus étranges. Les romans carlovingiens, l'héroïsme et tous ses exploits, l'amour avec toutes ses délicatesses, la mythologie, les évangiles apocryphes, la féerie avec ses géants, ses nains, ses sorciers et ses châteaux magiques, tout se combine et s'amalgame pour former cet ensemble singulier.

Les bardes du pays de Galles avaient chanté une foule de sujets locaux, et il nous est parvenu quelques-uns de leurs récits empreints du même génie fantastique. Après la conquête de l'Angleterre par les Normands, le moine Geoffroy de Monmouth recueillit les traditions qui se rapportaient aux anciens monarques du pays, et en composa une histoire latine des rois de Bretagne. Cet ouvrage a été regardé mal à propos comme ayant donné naissance aux romans du cycle d'Arthus et de la Table Ronde. On y trouve bien un récit fabuleux du règne de ce prince, mais il n'y est aucunement question des chevaliers de la Table Ronde, élite de héros pareille aux douze pairs de France, et l'invention de cet ordre imaginaire appartient sans doute à quelque trouvère anglo-normand, qui réunit par ce lien les différents héros que célébraient les vieux poèmes bretons, déjà traduits en latin et en anglais. Ces héros changèrent de forme en passant des anciens récits dans les épopées françaises, où nous les retrouvons aux XIIe et XIIIe siècles. Le fond de leurs aventures est resté à peu près le même, mais ils ont pris la couleur de l'âge chevaleresque.

Arthus est le centre de cette épopée, mais comme Charlemagne dans la plupart des chansons carlovingiennes, il n'en est pas le Dans personnage le plus considérable. Lancelot du Lac, p. ex., il cède la première place au courage et à la galanterie d'un des chevaliers assis à la Table Ronde.

Le sujet de ce cycle est double: une partie se rapporte aux combats et aux amours des chevaliers de la Table Ronde, une autre à la recherche et à la conquête du précieux talisman de la chrétienté ap

« 前へ次へ »