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pelé le saint Graal ou Greal. Ce talisman est le vase où Joseph d'Arimathie recueillit, dit-on, le sang et l'eau des plaies du Sauveur, qu'il emporta en Angleterre lorsqu'il chrestienna" le pays, qui se perdit ensuite et que les chevaliers entreprennent de chercher à travers mille dangers, parce que sa conquête doit assurer à son possesseur la faveur divine et la béatitude éternelle. On sait vaguement que le saint Graal est sous la garde du Roi Pêcheur, prince de difficile abord, et qui ne livrera son trésor qu'à un chevalier qui aura su conserver, à travers les périls de la vie galante et guerrière, la pureté du corps. Les plus braves ont perdu, chemin faisant, le droit de prétendre à cette conquête, reservée à Perceval le Gallois. Les trouvères ont réuni et mêlé ces deux données: mais la plupart du temps la recherche du saint Graal n'occupe que le second plan dans leurs récits. La légende monastique sourit moins à leur imagination que la partie romanesque de leur sujet.

Le Roman d'Alexandre mérite une attention toute particulière, comme la plus littéraire des œuvres composées dans le système des chansons de geste. L'auteur de la première partie de cette épopée est Lambert li Cors (Lambert le petit), clerc de Chateaudun, qui écrivait dans la seconde moitié du XIIe siècle. Alexandre de Bernay, appelé aussi Alexandre de Paris, parce qu'il demeurait dans cette ville, acheva l'œuvre.

Quoique l'histoire d'Alexandre, telle que les anciens nous l'ont transmise, fût fort bien connue à cette époque, comme le prouve un poème latin remarquable de Gautier de Lille (vers 1180), où la narration de Quinte-Curce est suivie pas à pas; Lambert li Cors, tout en donnant son roman pour traduit du latin, débute par raconter la création des douze pairs de Grèce à l'occasion de la guerre d'Alexandre contre le roi Nicolas. L'histoire fait donc ici place à la fiction qui continue à dominer dans tout le reste du poème. La couleur du Roman d'Alexandre est un reflet brillant des mœurs de la chevalerie. Cette composition, écrite sous Philippe Auguste, témoigne des progrès de la royauté féodale, de la subordination des vassaux, qui commencent à reconnaître un maître; elle est en même temps l'image des vertus que la féodalité demandait au suzerain en retour de son obéissance. Alexandre est plutôt l'assemblage des qualités proposées à l'imitation des rois chevaliers que le portrait de Philippe Auguste.

Le roman d'Alexandre abonde en beaux vers, il est écrit dans un langage clair et souvent harmonieux, les descriptions en sont animées, les récits naturels. Ce poème rempli de nobles sentiments, de hauts faits et d'aventures merveilleuses, devint le thème favori des trouvères et comme la bible des chevaliers. Mais toutes les continuations qui nous sont parvenues n'approchent point du mérite de l'original.

L'élément historique qui s'efface peu à peu sous la fiction dans les chansons de geste conserve un peu mieux son caractère dans quelques autres poèmes, que nous appellerons romans-chroniques, quoique les trouvères leur donnent simplement le nom de romans..

Les principales compositions de cette classe sont les Romans de Brut et de Rou, histoires des rois de Bretagne et des ducs de Normandie, par Robert Wace, écrivain normand du XIIe siècle. Le Roman de Brut, n'est qu'une traduction de l'Historia regum Britanniæ de Geoffroy de Monmouth; tel que l'a publié M. Le Roux de Lincy, il se compose de quinze mille trois cents vers. Le Roman de Rou, de seize mille cinq cent quarante-sept vers, n'est pas aussi fabuleux, quoique l'histoire s'y trouve encore défigurée par un grand nombre de traditions mensongères.

Outre ces classes de romans dont nous venons de parler, il en existe quelques-uns du genre chevaleresque, écrits en prose, et dont la plupart appartiennent au cycle d'Arthus. On les regarde en général comme de simples traductions, également dépourvues d'invention et de style.

Lais, Fabliaux, Fables, Poésies lyriques. Le nom de lai, qui dérive d'un mot celtique signifiant son, mélodie, poème, n'a pas un sens très fixe pour les trouvères. Ils le donnent quelquefois à des récits de différents genres souvent voisins du fabliau; mais ils l'appliquent spécialement à de petits poèmes dont le fond est romanesque. Les fais les plus célèbres sont ceux de Marie de France,' qui écrivait en Angleterre au commencement du XIIIe siècle. Ils sont au nombre de quatorze et puisés à des sources anglaises ou bretonnes.

Ces compositions, la plupart au moins, sont remarquables par la peinture des mœurs et l'intérêt dramatique, par un langage naturel, quoiqu'il n'ait point le charme de

1 Son nom indique le pays où elle est née, mais on ne sait pas dans quelle province, probablement en Normandie ou en Bretagne.

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celui de quelques trouvères contemporains, par la clarté du récit, par la sobriété des détails, qu'elle choisit avec goût.

Le nom de fabliau signifie conte, c'est un diminutif de fable, dérivé du latin fabula. Ces contes étaient en général des récits du genre familier, écrits en vers sous la forme la plus simple et la plus naïve. Les fabliaux étaient à la chanson de geste, ce que la comédie ou le vaudeville est à la tragédie. Ces récits, qui, pour la plupart, appartiennent au XIIIe siècle, sont, sans contredit, ce qu'il y a de mieux réussi dans le bagage poétique des trou

vères.

A peu d'exceptions près, le vers du fabliau est celui de huit syllabes, rimant deux à deux, sans croisement, et enjambant l'un sur l'autre. Ces octosyllabes, dont l'allure est en général libre et rapide, échappent ainsi à l'uniformité de mesure et de consonnances qui a fait tort aux chansons de geste.

On a des fabliaux qui roulent sur des sujets de dévotion.

Le texte habituel de ces légendes est quelque miracle de la Vierge, dont la miséricorde est inépuisable et l'intervention toujours efficace.

D'autres fabliaux présentent un enseignement moral et se rapprochent par là de l'apologue. Nous nommerons ici le fabliau des Deux bons Amis, avec lequel la fable de la Fontaine a quelque rapport; le Lai du Courtois d'Arras, imitation de la parabole de l'enfant prodigue; le Chastoiement' d'un père à son fils, poème du XIIIe siècle, qui renferme un traité complet de morale contenu dans une suite de récits intéressants. Chaque précepte de sagesse ou de prudence y est l'occasion d'un conte ou quelquefois d'une fable, élégamment versifiés.

La plupart des fabliaux ont un caractère railleur. Ce sont des anecdotes piquantes, des aventures joyeuses, des contes galants où la décence est loin d'être toujours respectée. Mais si la gaieté des trouvères s'émancipe trop souvent jusqu'à la grossièreté si ces débauches de la verve gauloise nous inspirent du dégoût, il y a un fait important à constater en faveur des vieux fableurs": c'est la liberté philosophique de pensée et d'expression avec laquelle ils jugent les déportements du clergé et de la noblesse, les croisades contre les Albigeois, même celles contre les Sarrasins, en un mot, toute la société du moyen-âge.

1 Instruction, avis.

L'invention des sujets traités par les trouvères ne leur appartient pas toujours. Ils répètent des récits qui avaient cours avant eux et qu'ils empruntent quelquefois à leurs prédécesseurs. Ils puisent aussi à des sources étrangères. Mais en prenant au dehors le canevas de leurs contes, les fableurs les ont presque toujours renouvelés en transportant l'événement dans le pays qu'ils habitaient. Les détails leur appartiennent, et ces détails deviennent souvent une partie essentielle du tableau.

Les auteurs des fabliaux sont très imparfaitement connus. Ils nous apprennent bien quelquefois leur nom, mais leur existence obscure n'en reste pas moins couverte d'un voile épais. On voit seulement qu'ils étaient en général de condition médiocre, et plus rapprochés du peuple que de la noblesse.

Le moyen-âge eut aussi ses fabulistes. Les fables d'Esope et de Phèdre étaient perdues, mais il existait un recueil de quatrevingts apologues, empruntés à Phèdre, et mis en prose latine par un auteur du nom de Romulus, sur la vie duquel on n'a aucun détail. Marie de France fut la première qui les traduisit en vers français, en y joignant quelques fables de plus. Sa manière a quelque chose de la naïveté et de la grâce piquante du bonhomme La Fontaine. Elle suit d'assez près le texte latin, mais elle explique la morale de ses récits avec franchise et sans fard.

Les genres principaux de la poésie lyrique du Nord sont la chanson et la ballade, qui se touchent quelquefois de si près qu'on a peine à les distinguer.

Les plus anciennes chansons connues sont pour la plupart des récits d'amour qui se prolongent en un grand nombre de couplets terminés par le même refrain. Elles sont souvent remarquables par la force de la pensée et de l'expression, par un tour noble ou piquant.

La noblesse ne dédaignait pas la langue vulgaire. Nous verrons Villehardouin inaugurer la prose historique par un chefd'œuvre; le châtelain de Coucy éprouva et chanta les peines de l'amour. Le roi de Navarre, Thibaut IV, comte de Champagne et de Brie († 1253), marcha sur les traces de ses devanciers et les éclipsa tous. C'est le plus brillant des poètes de son époque et celui qui parle le mieux le langage de cette galanterie élégante qui était entrée dans les mœurs chevaleresques. Ses nombreuses chansons nous offrent tour à tour le raffinement d'idées des poètes de la langue d'oc et le mélange de malice et de naïveté de l'esprit français.

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Le poème didactique apparaît dans la littérature de la langue d'oil vers la fin du XIIe siècle. Philippe de Thaun, trouvère anglo-normand, écrivit alors le premier bestiaire, où il dépeint les mœurs et la forme des animaux d'après les connaissances fort imparfaites qu'on possédait alors sur l'histoire naturelle.

Les Romans de Renard et de la Rose occupent une place à part parmi les poèmes allégoriques, et par leur importance, et par leur longue popularité.

Les personnages mis en scène dans le Roman de Renard sont des animaux. Ils forment une société, ils ont femmes, enfants, maison; sire Renard a même un château du nom de Malpertuis, et Noble (le Lion), une cour, un palais, et tout l'attirail de la royauté. On les voit parfois revêtir un costume et se charger d'armures, en guise de chevaliers. Ils ont entre eux des liens de parenté; Isengrin (le Loup) est l'oncle de Renard, et ce neveu est un coquin. Les premiers tours que celui-ci lui joue ne peuvent être indiqués dans un livre comme le nôtre; il suffira de savoir qu'Isengrin, offensé dans son honneur et dans ses sentiments paternels, cherche à se venger; mais, toujours crédule, il tombe dans de nouveaux piéges et recueille de nouveaux affronts. Il est probable que cette partie du récit a un fondement historique; mais on ne propose pour l'application que des conjectures, et on ignore réellement à quels personnages humains il faut attribuer ces noms de Renard et d'Isengrin donnés au Gorpil ou Goupil (vulpecula) et au Loup. De ces surnoms célèbres, celui de Renard a été tellement populaire qu'il s'est substitué au mot générique.

Le vaste ensemble d'allégories désignées sous le titre de Roman de Renard, est un labyrinthe de poèmes de mérite inégal, dont le principal personnage est toujours le renard. Le plus ancien de ces poèmes, en vers latins assez élégants, paraît dater du milieu du XIIe siècle. On croit qu'un moine flamand, Magister Nivardus, en est l'auteur. L'action roule sur les artifices employés par le renard, pour échapper au loup, son ennemi, qui devient sa dupe et sa victime. Le fond de ce poème est assez frivole, comme on voit; mais l'auteur lui a donné un caractère satirique en y mêlant une foule d'allusions morales et de traits piquants. Ses censures sont hardies, même contre les gens d'église. A la suite de ces branches isolées vient un poème complet, intitulé Couronnement de Renard, comprenant 3398 vers de huit

syllabes. Cette fiction est toute satirique: Noble étant devenu malade, Renard réussit à se faire choisir pour son successeur, et parvenu au trône par l'hypocrisie, il gouverne en oppresseur. C'est celui des ouvrages de ce cycle qui offre le plus de suite et d'unité.

La popularité de ces compositions satiriques devint extrême en France. L'architecture, la sculpture, la miniature s'emparèrent de cette fable ingénieuse, et, si l'on en croit Gauthier de Coinsy, l'engouement général s'étendit même au clergé : les curés faisaient plus tôt peindre Isengrin et sa femme dans leur chambre à coucher, que l'image de la Vierge dans les églises."

Une pareille célébrité permit de considérer les ouvrages que nous venons d'examiner comme l'expression d'un sentiment public. La tendance générale de ces poèmes, c'est la négation de l'esprit chevaleresque, principe vital du moyen-âge: c'est la ruse triomphant partout du droit et de la force.

Pendant que le pieux monarque Louis IX tente les expéditions d'Egypte et de Tunis, qu'il protège les ordres mendiants, un poème tout profane, coquettement paré, vient charmer les esprits et rejeter dans l'ombre la poésie chevaleresque: c'est le Roman de la Rose, qui fut regardé pendant deux siècles comme le plus grand effort de l'esprit humain. Il est difficile aujourd'hui de le lire jusqu'au bout.

Le Roman de la Rose comprend deux parties bien distinctes que l'histoire et la critique commandent impérieusement de séparer, si l'on veut les juger avec impartialité.

La première est l'œuvre de Guillaume de Lorris. Le cadre de la fiction est celle d'un songe, dans lequel la rose devient le symbole de la femme aimée, et le poète se représente comme le vassal d'Amour, luttant contre Danger, Jalousie, et autres ennemis qui lui disputent l'entrée du jardin où elle fleurit. L'art d'aimer d'Ovide fournit à Guillaume de Lorris une partie des idées qu'il développe, mais la forme allégorique des personnages prouve que ces idées ont été métamorphosées par la scolastique. L'auteur fait preuve d'adresse et de pénétration dans l'emploi de l'allégorie. Les figures et les profils abstraits qu'il dessine sont tirés de faits moraux fidèlement observés; toutefois il n'échappe point par la fidélité et l'élégance à la froideur de l'abstraction.

L'œuvre de Guillaume de Lorris, conçue dans un esprit de galanterie, digne des Provençaux, est du reste tout à fait inoffensive. On y trouve bien quelques traits de malice

contre les moines, et les portraits un peu plus hardis de Papelardie et d'Avarice; mais ce sont deux vices qui n'ont jamais été traités avec indulgence au pays de Franchise et de Largesse. Guillaume de Lorris ne sort point des bornes de son sujet, qu'il traite avec quelque diffusion mais non sans délicatesse. Il est plus maniéré que naïf, il excelle dans les descriptions qni demandent de la grâce et une certaine coquetterie: dès le début de son poème, la peinture du printemps présente des traits charmants. Le morceau le plus poétique de tout le poème, est le portrait du Temps; nulle part sa rapidité n'a été mieux exprimée: il fuit plus vite que la pensée.

Au bout de quarante ans, Guillaume de Lorris trouva un continuateur dans Jean de Meung, dont la vie n'est pas mieux connue que celle de son prédécesseur. Seulement le savoir qu'il déploie montre qu'il avait fait des études qui conduisaient ordinairement à la carrière ecclésiastique. Papire Masson affirme qu'il écrivit à l'instigation de Philippe le Bel, et on peut ajouter foi à cette révélation curieuse. Ce roi à qui tous les moyens étaient bons pour arriver au but, à qui rien ne coûtait, ni la ruse, ni la violence, qui sacrifiait sans scrupule le soin de sa renommée aux intérêts de son ambition; ce roi pouvait applaudir aux sarcasmes du poète et à ce dévergondage d'imagination pour lequel peu de choses étaient sacrées.

Jean de Meung accepte les personnages métaphysiques que lui avait légués son devancier; toutefois ils changent de caractère sous sa main et parlent un autre langage. Il introduit trois nouvelles figures, FauxSemblant, Nature et Genius, à l'aide desquelles il fait tout à son aise de la satire, de la physique, de l'astronomie, de l'histoire naturelle; il a trouvé le moyen de glisser une encyclopédie dans le frêle cadre qui lui était donné.

Au point de vue historique, le mouvement d'idées que représente l'ouvrage de Jean de Meung mérite la plus grande attention: c'est l'avénement des opinions qui devaient détruire le monde féodal. Nous voyons germer ici la renaissance et la réforme.

Histoire.

La langue d'oïl, qui avait déjà pris noblement sa place dans la littérature au XIIe siècle, dans les chants des trouvères, s'empare de l'histoire au XIIIe siècle, avec Villehardouin et Joinville. Avec eux on échappa complétement à la chronique aride et sèche, dénuée de couleur et de

Herrig, La France litt.

mouvement; la vie est venue à l'histoire. Elle n'enregistre plus seulement la succession chronologique des faits, elle les anime, ou plutôt elle leur conserve leur expression énergique et passionnée.

Ville hardouin, né en Champagne vers 1167, et maréchal de cette province, exposa avec franchise et naïveté l'histoire de la quatrième croisade contre Constantinople. Il mourut en Thessalie vers 1213. Joinville (1223 à 1317), Champenois, comme lui, et d'une des premières familles du pays, suivit Louis IX à la croisade d'Egypte, et vécut dans l'intimité de ce roi pieux, dont il écrivit l'histoire.

Villehardouin écrivit au commencement du XIIIe siècle, mais c'est un homme du XIIe. Ecrivain sérieux et élevé, il a encore dans son style, simplement pittoresque et parfois grandiose, quelque chose d'épique. Il est singulièrement concis, et cela ne tient pas seulement aux formes de l'idiome dans lequel il écrit, mais à un tour d'esprit ferme nerveux qui sent son homme de guerre.

Dans Villehardouin, peintre habile de mœurs et de détails, le caractère de la langue d'oïl est encore naissant; et son histoire est presque le plus ancien monument que l'on ait de la prose française. Sous ce rapport seul, il serait digne d'un haut intérêt. Par la vivacité du récit, l'ouvrage intéresse plus encore; ce n'est pas un historien, c'est un homme qui raconte la chose qu'il a faite ou qu'il a vue, avec la plus grande simplicité de langage, comme il l'a faite, comme il l'a vue.

Le grand intérêt de l'Histoire de la Conquête de Constantinople, toutefois, c'est la peinture historique, c'est le rapprochement des Grecs et des Francs, opposés et réunis dans un même récit.

L'historien de ce livre, qui en est aussi un des principaux personnages, nous offre dans ses actions la réalité de cette chevalerie dont les romans du moyen-âge ont tracé la peinture idéale. Homme de guerre et de conseil, il porte la prudence, la bonne foi, la prud'homie au milieu des entreprises les plus téméraires et les plus injustes.

En passant de Villehardouin à Joinville, on s'aperçoit qu'on a franchi près d'un siècle. Joinville n'est plus seulement un guerrier brave et sage, qui, dans ses récits, va sans cesse droit au fait, sans digression, sans préoccupation personnelle; c'est un causeur naïf, jovial qui déroule pour vous tous ses souvenirs; qui se raconte volontiers lui-même, non par vanité, mais par confiance, par le besoin si français de mêler sa personne à tout ce qu'il rencontre. Avec Joinville commence cette longue série de

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mémoires qui constituent les plus précieux monuments de l'histoire de France. Elevé à la cour de l'élégant et spirituel Thibaut de Champagne, perfectionné par le commerce d'un esprit juste et élevé comme Saint Louis, Joinville joint au sérieux d'un homme pratique quelque chose de la vivacité légère des troubadours. Son récit est un monument de génie qui témoigne à lui seul pour son époque et mérite d'être lu dans tous les temps. Cette facile et vive gaieté qu'aimait son grand roi se répand sur la narration, et l'anime de ce tour d'esprit qu'on appelle enjouement. Ces aventures si périlleuses de la Terre-Sainte, il ne les raconte pas avec indifférence: il en est ému, il en souffre; cependant son courage et sa gaieté se conservent, et font ressortir encore l'héroïsme de Saint Louis, dont il est le plus fidèle, le plus gai conseiller, le plus sincère historien.

La vive imagination et en même temps l'imagination ignorante de Joinville lui a inspiré des paroles qui ne peuvent s'oublier.

Tout est nouveau, tout est extraordinaire pour lui. Il a des notions particulières sur beaucoup de choses, car il réfléchit, il commente, il compare, il moralise; mais, quant aux faits véritables, on ne saurait trouver plus naïf témoin; il les décrit sans rien altérer.

Saint Louis est l'âme du livre de Joinville, comme de cette époque historique. L'ouvrage du sénéchal de Champagne reproduit dans sa marche, dans son intérêt, l'image de ce qui se passait alors dans la notion. Tout se groupe autour d'un seul homme, les détails se subordonnent à un centre. Villehardouin avait peint l'indépendance féodale, Joinville exprime déjà l'importance croissante de la royauté.

Comme écrivain, le style de Joinville moins concis et plus familier que celui de Villehardouin est à la fois souple et expressif, et quoiqu'il s'excuse lui-même de parler le „ramage de Champagne", son langage est pur. Il raconte naturellement et avec facilité.

DEUXIÈME PÉRIODE.'

XIVe et XVe Siècles.

La France au XIVe siècle reste tout à coup stationnaire; l'anarchie, la guerre civile, les invasions étrangères la déchirent et la ruinent. C'est alors qu'on voit les règnes malheureux de Philippe de Valois et de Jean; c'est alors que la France est accablée par la folie de Charles VI, les crimes d'Isabeau de Bavière et le joug des Anglais; il n'est donc pas étonnant qu'elle s'arrête pour un moment dans son élan littéraire. Au XIVe siècle aussi la chevalerie féodale proprement dite semble être morte: elle s'est transformée dans les ordres religieux et militaires qu'elle a enfantés.

A l'exception des fabliaux, les ouvrages du XIVe siècle sont toujours de la littérature ecclésiastique ou chevaleresque; ce sont des raisonnements théologiques ou des descriptions de tournois, de fêtes seigneuriales et de beaux faits d'armes. Quant à la part du peuple dans la littérature, elle se bornait à des vers malins, où l'on satiri

1 Cf. Fuerison, Baron.

sait l'insolence, la tyrannie des nobles, et surtout les vices du clergé.

A cette époque de révolutions et de guerres, il est naturel que le talent d'écrire l'histoire naquit des événements; aussi le premier écrivain de la France fut-il alors un chroniqueur, et ce chroniqueur, c'est Froissart. Il partage avec Jean de Meung la gloire d'avoir enthousiasmé son siècle; et, plus heureux que l'auteur du Roman de la Rose, il jouit encore de toute sa célébrité.

Le XVe siècle est une époque de transition entre le moyen-âge et le XVIe siècle; il participe des inconvénients de ce qui avait précédé et de ce qui suivit, sans en avoir les avantages. Le XVe siècle a aussi beaucoup étudié; mais il ne s'est nourri que de demi-savoir. Il n'a pas dépassé ce degré de demi-science qui enfante le pédantisme. Cependant, dans la grande quantité de poésies prosaïques qu'il a enfantées, à travers une nuée de médiocrités obscures, on voit quelques hommes célèbres se faire jour; et le

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