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pour lui renverser le sens que ses lon- | majeure: ils font plus ou moins qu'ils gues prospérités.

C'est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune, ou parlons-en seulement comme d'un nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin; et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l'irrégularité dans les rencontres particulières.

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Par là se vérifie ce que dit l'apôtre, que „Dieu est heureux, et le seul puissant, roi des rois et seigneur des seigneurs." Heureux, dont le repos est inaltérable, qui voit tout changer sans changer lui-même, et qui fait tous les changements par un conseil immuable; qui donne et qui ôte la puissance; qui la transporte d'un homme à un autre, d'une maison à une autre, d'un peuple à un autre, pour montrer qu'ils ne l'ont tous que par emprunt, et qu'il est le seul en qui elle réside naturelle

ment.

C'est pourquoi tous ceux qui gouvernent se sentent assujettis à une force

ne pensent, et leurs conseils n'ont jamais manqué d'avoir des effets imprévus: ni ils ne sont maîtres des dispositions que les siècles passés ont mises dans les affaires, ni ils ne peuvent prévoir le cours que prendra l'avenir, loin qu'ils le puissent forcer. Celui-là seul tient tout en sa main, qui sait le nom de ce qui est et de ce qui n'est pas encore, qui préside à tous les temps et prévient tous les conseils.

Alexandre ne croyait pas travailler pour ses capitaines, ni ruiner sa maison par ses conquêtes. Quand Brutus inspirait au peuple romain un amour immense de la liberté, il ne songeait pas qu'il jetait dans les esprits le principe de cette licence effrénée par laquelle la tyrannie qu'il voulait détruire devait être un jour rétablie plus dure que sous les Tarquins. Quand les Césars flattaient les soldats, ils n'avaient pas dessein de donner des maîtres à leurs successeurs et à l'empire.

En un mot, il n'y a point de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d'autres desseins que les siens: Dieu seul sait tout réduire à sa volonté. C'est pourquoi tout est surprenant, à ne regarder que les causes particulières; et néanmoins tout s'avance avec une suite réglée.

LAMOTHE-FÉNELON.

Voyez la notice de François de Salignac de Lamothe-Fénelon dans l'histoire de la littérature, p. 105. Euvres: Traité de l'Éducation des Filles; Traité du Ministère des Pasteurs; Dialogues des Morts; Fables en prose: Examen de la Conscience d'un Roi; Maximes des Saints; Explication des Maximes; Sermons et

DÉMOSTHÈNE ET CICERON. Cicéron. Quoi! prétends-tu que j'ai été un orateur médiocre ?

Démosthène. Non pas médiocre; car ce n'est pas sur une personne médiocre que je prétends avoir la supériorité. Tu as été sans doute un orateur célèbre. Tu avais de grandes parties; mais sou

sur

Discours: Télémaque; Dicours sur l'Éloquence; Lettre à l'Académie française; Lettre à La Mothe Homère et les Anciens; Traité de l'Existence de Dieu; Lettres religieuses; Entretiens affectifs; Directions pour la Conscience d'un Roi; Correspondance, etc.

vent tu t'es écarté du point en quoi consiste la perfection.

Cicéron. Et toi, n'as-tu point eu de défauts?

Démosthène. Je crois qu'on ne m'en peut reprocher aucun pour l'éloquence. Cicéron. Peux-tu comparer la richesse de ton génie à la mienne? toi qui es

sec, sans ornement; qui es toujours contraint par des bornes étroites et resserrées; toi qui n'étends aucun sujet; toi à qui on ne peut rien retrancher, tant la manière dont tu traites les sujets, est, si j'ose me servir de ce terme, affamée; au lieu que je donne aux miens une étendue qui fait paraître une abondance et une fertilité de génie qui a fait dire qu'on ne pouvait rien ajouter à mes ouvrages.

Démosthène. Celui à qui on ne peut rien retrancher n'a rien dit que de parfait.

Cicéron. Celui à qui on ne peut rien ajouter n'a rien omis de tout ce qui pouvait embellir son ouvrage.

Démosthène. Ne trouves-tu pas tes discours plus remplis de traits d'esprit que les miens? Parle de bonne foi, n'est-ce pas là la raison par laquelle tu t'élèves au-dessus de moi?

Cicéron. Je veux bien te l'avouer, puisque tu me parles ainsi: Mes pièces sont infiniment plus ornées que les tiennes. Elles marquent bien plus d'esprit, de tour, d'art, de facilité. Je fais paraître la même chose sous vingt manières différentes. On ne pouvait s'empêcher en entendant mes oraisons d'admirer mon esprit, d'être continuellement surpris de mon art, de s'écrier sur moi, de m'interrompre pour m'applaudir et me donner des louanges. Tu devais être écouté fort tranquillement, et apparemment tes auditeurs ne t'interrompaient pas.

Démosthène. Ce que tu dis de nous deux est vrai. Tu ne te trompes que dans la conclusion que tu en tires. Tu occupais l'assemblée de toi-même, et moi je ne l'occupais que des affaires dont je parlais. On t'admirait, et moi j'étais oublié par mes auditeurs qui ne voyaient que le parti que je voulais leur faire prendre. Tu réjouissais par les traits de ton esprit, et moi je frappais, j'abattais, j'atterais par des coups de foudre. Tu faisais dire: Qu'il parle bien! Et moi je faisais dire: Allons, marchons contre Philippe. On te louait. On était trop hors de soi pour me louer. Quand tu haranguais, tu paraissais orné; on ne découvrait en moi aucun orne

ment; il n'y avait dans mes pièces que des raisons précises, fortes, claires: ensuite des mouvements semblables à des foudres auxquels on ne pouvait résister. Tu as été un orateur parfait quand tu as été comme moi simple, grave, austère, sans art apparent; en un mot quand tu as été Démosthénique: mais lorsqu'on a senti en tes discours, l'esprit, le tour, et l'art; alors tu n'étais que Cicéron, t'éloignant de la perfection, autant que tu t'éloignais de mon caractère.

Cicéron. Pour avoir vécu du temps de Platon, et avoir même été son disciple, il me semble que vous avez bien peu profité de cet avantage.

Démosthène. N'avez-vous donc rien remarqué dans mes oraisons, vous qui les avez si bien lues, qui sentit les maximes de Platon, et sa manière de persuader?

Cicéron. Ce n'est pas ce que je veux dire, vous avez été le plus grand orateur des Grecs; mais enfin vous n'avez été qu'orateur. Pour moi, quoique je n'aie jamais connu Platon que dans ses écrits, et que j'aie vécu environ trois cents ans après lui, je me suis efforcé de l'imiter dans la philosophie; je l'ai fait connaître aux Romains, et j'ai le premier introduit chez eux ce genre d'écrire; en sorte que j'ai rassemblé autant que j'en ai été capable en une même personne, l'éloquence et la philosophie.

Démosthène. Et vous croyez avoir été un grand philosophe?

Cicéron. Il suffit pour l'être d'aimer la sagesse, et de travailler à acquérir la science et la vertu; je crois me pouvoir donner ce titre sans trop de vanité.

Démosthène. Pour orateur j'en conviens; vous avez été le premier de votre nation; et les Grecs même de votre temps vous ont admiré; mais pour philosophe, je ne puis en convenir: on ne l'est pas à si bon marché.

Cicéron. Vous ne savez pas ce qu'il m'en a coûté: mes veilles, mes travaux, mes méditations, les livres que j'ai lus, les maîtres que j'ai écoutés, les traités que j'ai composés.

Démosthène. Tout cela n'est point la philosophie.

Cicéron. Que faut-il donc de plus? Démosthène. Il faut faire ce que vous avez dit de Caton en vous moquant de lui: Étudier la philosophie, non pour découvrir les vérités qu'elle enseigne, afin d'en raisonner comme font la plupart des hommes, mais pour la réduire en pratique.

Cicéron. Et ne l'ai-je pas fait? n'aije pas vécu conformément à la doctrine de Platon, et d'Aristote que j'avais embrassée?

Démosthène. Laissons Aristote; je lui disputerais peut-être la qualité de philosophe, et je ne puis avoir grande opinion d'un Grec, qui s'est attaché à un roi, et encore à Philippe: Pour Platon, je vous maintiens que vous n'avez jamais suivi ses maximes.

Cicéron. Il est vrai que dans ma jeunesse, et pendant la plus grande partie de ma vie, j'ai suivi la vie active et laborieuse de ceux que Platon appelle Politiques: mais quand j'ai vu que ma patrie avait changé de face, et que je ne pouvais plus lui être utile par les grands emplois, j'ai cherché à la servir par les sciences, et je me suis retiré dans mes maisons de campagne, pour m'appliquer à la contemplation, et à l'étude de la vérité.

Cicéron. Il fallait bien s'accommoder au temps, et tâcher d'adoucir le tyran, de peur qu'il ne fit encore pis.

Démosthène. Vous parlez en bon orateur, et en mauvais philosophe; mais que devint votre philosophie après sa mort? qui vous obligea de rentrer dans les affaires?

Cicéron. Le Peuple Romain, qui me regardait comme son unique appui.

Démosthène. Votre vanité vous le fit croire, et vous livra à un jeune homme dont vous étiez la dupe: mais enfin revenons au point; vous avez toujours été orateur, et jamais philosophe.

Cicéron. Vous, avez-vous jamais été autre chose?

Démosthène. Non, je l'avoue, mais aussi n'ai-je jamais fait autre profession; je n'ai trompé personne, j'ai compris de bonne heure, qu'il fallait choisir entre la rhétorique et la philosophie; que chacune demandait un homme entier. Le désir de la gloire m'a touché, j'ai cru qu'il était beau de gouverner un peuple par mon éloquence, et de résister à la puissance de Philippe; n'étant qu'un simple citoyen, fils d'un artisan, j'aimais le bien public, et la liberté de la Grèce; mais je l'avoue à présent, je m'aimais encore plus moi-même, et j'étais fort sensible au plaisir de recevoir une couronne en plein théâtre, et de laisser ma statue dans la place publique avec une belle inscription. Maintenant je vois les choses d'une autre manière, et je comprends que Socrate avait raison, quand il soutenait à Gorgias, que l'éloquence n'était pas une si belle chose qu'il pensait; dût-il arriver à sa fin, et rendre un hommc maître absolu dans sa République. Nous Cicéron. Sur quel fondement jugez-y sommes arrivés vous et moi: avouez vous si mal de moi? que nous n'en avons pas été plus heureux.

Démosthène. C'est-à-dire, que la philosophie a été votre pis-aller, quand vous n'avez plus eu de part au gouvernement, et que vous avez voulu vous distinguer par vos études: car vous y avez plus cherché la gloire que la vertu. Cicéron. Il ne faut point mentir, j'ai toujours aimé la gloire comme une suite de la vertu.

Démosthène. Dites mieux, beaucoup la gloire, et peu la vertu.

Démosthène. Sur vos propres discours; dans le même temps que vous faisiez le philosophe, n'avez-vous pas prononcé ces beaux discours où Vous flattiez César, votre tyran, plus bassement que Philippe ne l'était par ses esclaves? Cependant on sait comme vous l'aimiez; il y a bien paru après sa mort, et de son vivant vous ne l'épargniez pas dans vos lettres à Atticus.

Cicéron. Il est vrai que notre vie n'a été pleine que de travaux et de périls. Je n'eus pas sitôt défendu Roscius, qu'il fallut m'enfuir en Grèce, pour éviter l'indignation de Sylla. L'accusation de Verres m'attira bien des ennemis. Mon consulat, le temps de ma plus grande gloire, fut aussi le temps de mes plus grands travaux, et

de mes plus grands périls. Je fus plusieurs fois en danger de ma vie; et la haine dont je me chargeai alors, éclata ensuite par mon exil. Enfin ce n'est que mon éloquence qui a causé ma mort, et si j'avais moins poussé Antoine, je serais encore en vie. Je ne vous dis rien de vos malheurs, il serait inutile de vous les rappeler: mais il ne nous en faut prendre l'un et l'autre qu'au destin, ou si vous voulez à la fortune, qui nous a fait naître dans des temps si corrompus, qu'il était impossible de redresser nos républiques, ni même d'empêcher leur ruine.

Démosthène. C'est en quoi nous avons manqué de jugement, entreprenant l'impossible; car ce n'est point notre peuple qui nous a forcés à prendre soin des affaires publiques, et nous n'y étions point engagés par notre naissance. Je pardonne à un prince né dans la pourpre de gouverner le moins mal qu'il peut un état que les dieux lui ont confié, en le faisant naître d'une certaine race, puisqu'il ne lui est pas libre de l'abandonner, en quelque mauvais état qu'il se trouve. Mais un simple particulier ne doit songer qu'à se régler soi-même et gouverner sa famille; il ne doit jamais désirer les charges publiques, moins encore les rechercher: si on le force à les prendre, il peut les accepter pour l'amour de la patrie; mais dès qu'il n'a pas la liberté de bien faire, et que ses concitoyens n'écoutent plus les lois, ni la raison, il doit rentrer dans la vie privée, et se contenter de déplorer les calamités publiques qu'il ne peut détourner.

Cicéron. A votre compte, mon ami Pomponius Atticus était plus sage que moi, et que Caton même que nous avons tant vanté.

Démosthène. Oui, sans doute, Atticus était un vrai philosophe: Caton s'opiniâtra mal à propos à vouloir redresser un peuple qui ne voulait plus vivre en liberté, et vous cédâtes trop facilement à la fortune de César; du moins vous ne conservâtes pas assez votre dignité. Cicéron. Mais enfin, l'éloquence n'estelle pas une bonne chose, et un grand présent des dieux?

Démosthène. Elle est très bonne en elle-même: Il n'y a que l'usage qui en peut être mauvais, comme de flatter les passions du peuple, ou de contenter les nôtres; et que faisions-nous autre chose dans nos déclamations amères contre nos ennemis? moi contre Midias ou Échine, vous contre Pison, Vatinius, ou Antoine. Combien nos passions, et nos intérêts nous ont-ils fait offenser la vérité et la justice? Le véritable usage de l'éloquence est de mettre la vérité en son jour, et de persuader aux autres ce qui leur est véritablement utile: c'est-à-dire, la justice et les autres vertus: c'est l'usage qu'en a fait Platon, que nous n'avons imité ni l'un ni l'autre.

LE CONNETABLE DE BOURBON ET
BAYARD.

Le Connétable. N'est-ce point le pauvre Bayard que je vois au pied de cet arbre étendu sur l'herbe, et percé d'un grand coup? Oui, c'est lui-même. Hélas! je le plains. En voilà deux qui périssent aujourd'hui par nos armes, Vandenesse et lui. Ces deux Français étaient deux ornements de leur nation par leur courage. Je sens que mon cœur est encore touché pour sa patrie. Mais avançons pour lui parler. Ah! mon pauvre Bayard, c'est avec douleur que je te vois en cet état.

Bayard. C'est avec douleur que je vous vois aussi.

Le Connétable. Je comprends bien. que tu es fâché de te voir dans mes mains par le sort de la guerre: mais je ne veux point te traiter en prisonnier: je te veux garder comme un bon ami, et prendre soin de ta guérison, comme si tu étais mon propre frère: ainsi tu ne dois point être fâché de me voir.

Bayard. Hé! croyez-vous que je ne sois point fâché d'avoir obligation au plus grand ennemi de la France? Ce n'est point de ma captivité, ni de ma blessure que je suis en peine. Je meurs dans un moment; la mort va me délivrer de vos mains.

Le Connétable. Non, mon cher Bayard,

j'espère que nos soins réussiront pour te guérir.

Bayard. Ce n'est point là ce que je cherche, et je suis content de mourir. Le Connétable. Qu'as-tu done? Est-ce que tu ne saurais te consoler d'avoir été vaincu et fait prisonnier dans la retraite de Bonivet? ce n'est pas ta faute; c'est la sienne: les armes sont journalières. Ta gloire est assez bien établie par tant de belles actions. Les Impériaux ne pourront jamais oublier cette vigoureuse défense de Mézières

contre eux.

Bayard. Pour moi je ne puis jamais oublier que vous êtes ce grand Connétable, ce Prince du plus noble sang qu'il y ait dans le monde, et qui travaille à déchirer de ses propres mains sa patrie, et le royaume de ses an

cêtres.

Le Connétable. Quoi, Bayard, je te loue, et tu me condamnes! Je te plains, et tu m'insultes!

Bayard. Si vous me plaignez, je vous plains aussi; et je vous trouve bien plus à plaindre que moi: je sors de la vie sans tache. J'ai sacrifié la mienne à mon devoir; je meurs pour mon pays, pour mon roi, estimé des ennemis de la France, et regretté de tous les bons Français. Mon état est digne d'envie.

Le Connétable. Et moi je suis victorieux d'un ennemi qui m'a outragé; je me venge de lui; je le chasse du Milanais; je fais sentir à toute la France combien elle est malheureuse de m'avoir perdu, en me poussant à bout; appelles-tu cela être à plaindre?

Bayard. Oui, on est toujours à plaindre quand on agit contre son devoir; il vaut mieux périr en combattant pour la patrie, que la vaincre et triompher d'elle. Ah! quelle horrible gloire que celle de détruire son propre pays!

Le Connétable. Mais ma patrie a été ingrate après tant de services que je lui avais rendus. Madame m'a fait traiter indignement par un dépit d'amour. Le roi par faiblesse pour elle m'a fait une injustice énorme. En me dépouillant de mon bien, on a détaché

de moi jusqu'à mes domestiques, Matignon et d'Argouges. J'ai été contraint pour sauver ma vie de m'enfuir presque seul; que voulais-tu que je fisse?

Bayard. Que vous souffrissiez toutes sortes de maux, plutôt que de manquer à la France, et à la grandeur de votre maison. Si la persécution était trop violente, vous pouviez vous retirer; mais il valait mieux être pauvre, obscur, inutile à tout, que de prendre les armes contre nous. Votre gloire eût été au comble dans la pauvreté, et dans le plus misérable exil.

Le Connétable. Mais ne vois-tu pas que la vengeance s'est jointe à l'ambition pour me jeter dans cette extrémité? J'ai voulu que le roi se repentit de m'avoir traité si mal.

Bayard. Il fallait l'en faire repentir par une patience à toute épreuve, qui n'est pas moins la vertu d'un héros que le courage.

Le Connétable. Mais le roi étant si injuste et si aveuglé par sa mère, méritait-il que j'eusse de si grands égards pour lui?

Bayard. Si le roi ne le méritait pas, la France entière le méritait. La dignité même de la couronne, dont vous êtes un des héritiers, le méritait. Vous vous deviez à vous-même d'épargner la France, dont vous pouviez être un jour roi.

Le Connétable. Hé bien, j'ai tort, je l'avoue; mais ne sais-tu pas combien les meilleurs cœurs ont de peines de résister à leur ressentiment?

Bayard. Je le sais bien: mais le vrai courage consiste à résister; si vous connaissez votre faute, hâtez-vous de la réparer: pour moi je meurs; et je vous trouve plus à plaindre dans vos prospérités, que moi dans mes souffrances. Quand l'empereur ne vous tromperait pas; quand même il vous donnerait sa sœur en mariage, et qu'il partagerait la France avec vous, il n'effacerait point la tache qui déshonore votre vie. Le Connétable de Bourbon rebelle; ah! quelle honte! Écoute Bayard mourant comme il a vécu, et ne cessant de dire la vérité.

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