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semence de vie à la même heure que la renaissance, à l'heure où l'esprit de l'homme a été réveillé. Ces deux puissances sœurs qui ont changé la face des temps et créé la culture moderne, cheminèrent longtemps d'un pas égal, tout en conservant une exístence propre et des tendances particulières. Les intelligences n'eurent d'abord qu'un seul besoin, celui d'acquérir des connaissances nouvelles, et elles appliquèrent avec transport toutes leurs forces à le satisfaire. Les livres de l'antiquité furent les instituteurs de ces générations avides de savoir; mais ces études servirent et développèrent des dispositions bien différentes. Les uns s'arrêtèrent à l'antiquité qui venait de leur donner la lumière, et s'éprirent avec passion de ses livres, de ses langues, de tous les monuments de sa culture; les autres appliquèrent leur intelligence, fortifiée par cette vigoureuse nourriture, à l'examen des inquiétudes de leur pensée, tout occupée dès longtemps du sort de l'homme et des grands sujets de la religion. L'enthousiasme des premiers n'aspira plus qu'à reproduire l'antiquité littéraire; la solennelle curiosité des autres qu'à découvrir l'erreur du présent et à chercher la vérité aux sources. Bien que quelques-uns soient encore indécis dans le choix et aillent des lettres à la théologie, dès lors il y a une renaissance et une réforme bien distinctes et faisant leur route ensemble dans le monde. Les hommes du mouvement religieux, loin de se montrer ingrats envers les études qui les ont formés, les propagent par des travaux érudits ou les popularisent par des livres élémentaires. La philologie, à laquelle ils doivent leurs premiers pas, leur doit à son tour des progrès, car elle est devenue à leurs yeux la base de l'exégèse.

François I et la cour tournèrent d'abord manifestement à la réforme; mais vers la fin de son règne, il se rapprocha des doctrines catholiques. Son fils Henri II adopta les opinions de Catherine de Médicis. Néanmoins la réforme se propageait dans les provinces. Alors le pouvoir s'effraya sérieusement: les bûchers s'allumèrent et, par malheur, les réformés y répondirent par l'incendie des églises. Bientôt les dissensions devinrent des guerres plus que civiles". Tandis que la politique des Borgia et tous les délires de la débauche florentine déshonoraient la cour, les passions religieuses échauffées par les ambitions du dehors désolèrent la France et entraînèrent toutes les institutions dans un chaos épouvantable. Le désordre ne s'arrêtait pas à l'Eglise et à l'Etat; il s'étendait à la littérature, à la critique, à l'érudition, à la poé

sie, qui se transformaient en religion et en politique. Au milieu de cette anarchie, l'esprit national parut s'éclipser totalement.

Les boucheries de la Saint-Barthélemy, les odieuses saturnales de la Ligue et des Seize révoltèrent tous les catholiques de sens et de cœur. Un nouveau parti se forma. On l'appelait le parti des politiques. Ils repoussaient à la fois l'ultramontanisme et la réformation. Les uns retournaient à la vieille autorité de l'Eglise catholique tempérée par les libertés gallicanes: les autres demandaient à la philosophie une réforme plus radicale, ils faisaient les premiers pas sur le chemin qui devait conduire un jour à la tolérance de la raison et au principe de l'égalité sous un gouvernement légitime. Ce fut aux politiques, autant qu'à son courage loyal et humain, que Henri IV dut la couronne, et la France son salut et son unité.

Henri IV, orateur énergique et poète gracieux lui-même, donna aux lettres un encouragement efficace, bien qu'on l'ait accusé de n'avoir pas beaucoup fait pour les écrivains.

Philologie, Commentaires, Traductions,
Rhétorique, Grammaire.

De tous les interprètes de l'antiquité, le seul qui ait survécu et qui vivra aussi longtemps que la langue elle-même, c'est Jacques Amyot. Etranger aux passions et aux querelles qui agitèrent son siècle, Amyot se renferma tout entier dans de sérieuses études sur sa langue et sur les langues anciennes, et par là, sans avoir jamais fait autre chose que traduire, il prit rang parmi les écrivains créateurs. Malgré les contre-sens que la science moderne a signalés dans son interprétation, ses vieilles traductions de Plutarque et de Longus sont les seules qu'on relise toujours avec plaisir, parce que lui seul sut être original en traduisant. Il se substitue pleinement aux auteurs qu'il traduit; il en saisit l'esprit et la pensée pour les convertir en sa propre substance. Amyot est un écrivain naïf, coulant, gracieux. Il n'innove rien dans les mots, néanmoins la langue ne lui fait jamais défaut, et l'on a lieu de regretter avec la Bruyère, Fénelon, La Fontaine et Rollin, les vieilles richesses de son langage, ces expressions fortes et simples, qui n'ont rien de barbare ni de dur, qui appartiennent en propre à la France, et ne paraissent singulières à quelques personnes que parce qu'elles sont tombées dans l'oubli. Amyot a rarement le pittoresque et l'énergie de

l'expression de Montaigne, mais il est plus | uni, plus régulier, plus correct.

Cependant Du Bellay avait publié en 1549 le manifeste de la réforme classique. Il déclarait que la traduction ne suffisait plus à l'œuvre de rénovation intellectuelle qui se préparait. Pour élever le français vulgaire à l'égal des autres langues", il exigeait qu'on imitât les Romains, comme ceux-ci ont fait les Grecs". Tout obéit à sa voix; l'imitation succéda partout à la traduction.

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Au milieu de l'universelle rénovation littéraire, dont Ronsard donna le signal et qui s'attaquait surtout à la forme, on ne pouvait négliger la Rhétorique, la Poétique et la Grammaire. Le besoin d'une réforme s'y

faisait d'ailleurs vivement sentir.

Dans le domaine de la grammaire proprement dite, la controverse était fort active, les luttes vives et acharnées.

En 1529, Geoffroy Tory de Bourges, libraire et auteur, traça le plan d'un vaste travail d'ensemble grammatical, dont son Champ fleury, espèce d'alphabet avec commentaire, n'est que l'introduction. Deux ans plus tard, le médecin Dubois reprit et développa l'œuvre de Tory dans sa Grammaire françoise et latine. Son système consistait à ajouter aux lettres en usage des signes qui servissent à indiquer le son réel des lettres. En effet, la grande question grammaticale de l'époque était de fixer l'orthographe en la faisant concorder avec la prononciation. Pour y parvenir, les uns avaient recours à des signes graphiques, les autres voulaient de nouvelles lettres pour représenter chaque son. Les champions les plus connus de ce vif débat, si souvent renouvelé depuis, sont Florimond, auteur d'un Traicté d'Orthographe, le célèbre Ramus ou la Ramée, le provençal Rambaud, qui demandait huit voyelles et quarante-quatre consonnes, Pelletier du Mans et Louis Meigret de Lyon. Les bizarreries des réformateurs disparurent avec eux; il ne resta que les innovations que justifiait la raison ou la nécessité. Ainsi, de Florimond est resté l'apostrophe; de Dubois, l'accent aigu sur l'e fermé; de Tory, la distinction entre les trois e; de Ramus, celle entre l'u et le v; de Meigret, celle entre l'i et le j, la création de la cédille, et l'accord du participe avec son régime, quand il en est précédé.

Outre ces grammairiens réformateurs, nous citerons encore Etienne Dolet, qui formula quelques bonnes remarques dans son Essai sur la ponctuation françoise; l'anglais Palsgrave qui en 1580 publia dans sa langue, une fort bonne grammaire

1

française, d'après le plan de la Grammaire grecque de Théodore de Gaza, ouvrage fort estimé au XVIe siècle. Gilles Du Guez, enfin, écrivit, vers 1331 ou 1333, en anglais, une grammaire de sa langue maternelle et naturelle" (le français), dédiée à la princesse Marie, fille de Henri VIII. Tout, dans ce petit livre révèle l'homme pratique, le maître expérimenté qui tend au but par le plus court chemin; mettre l'élève en état de parler dans le moins de temps et avec le moins de travail possible. Cet ouvrage fit en peu d'années trois éditions. Nous ferons observer que Palsgrave s'était servi d'un accent pour indiquer la syllabe qui porte l'accent tonique. Du Guez en fit usage pour noter le son d'une voyelle. Il le marque avec beaucoup de soin et d'exactitude, même sur les voyelles où les Français ne le mettent plus.

Romans, Contes, Nouvelles, Facéties.

Les romans de chevalerie, traduits dans la plupart des langues modernes, et quelquefois en latin, étaient devenus la propriété commune et la gloire littéraire de l'Europe féodale. Chaque peuple imprima aux mêmes fictions un caractère particulier: créations originales, pleines d'inventions, très précieuses pour l'histoire des mœurs, et qui inspirèrent deux chefs-d'œuvre. L'un fut le Roland furieux d'Arioste, l'autre le Don Quichotte, plaisante et sublime épitaphe de cette chevalerie que Cervantes sut faire admirer en l'accablant de ridicule.

Ces naïves peintures de la passion héroïque et de la loyauté chevaleresque eurent une grande vogue au commencement du XVIe siècle. François I, qui les aimait, victime à Madrid de son courage imprudent, lut dans sa prison l'Amadis espagnol. Enchanté de cet ouvrage, il résolut de le faire traduire en français. Nicolas d'Herberay, seigneur des Essarts (Herberay Dessessarts), chargé de cette tâche, la remplit avec succès, et publia la traduction du roman espagnol sous le titre d'Amadis de Gaule. Un style fleuri et pompeux, de l'abondance dans l'expression, quelquefois

ment de la langue francoyse, composé par

1 Cette grammaire a pour titre: L'Esclarcisse

maistre Jehan Palsgrave, Angloys natif de Londres, et gradué de Paris.

to lerne to rede, to pronounce and to speke french 2 Le titre de cet ouvrage est: An Introductoire for trewly, compyled for the right high, excellent and most vertuous lady, the lady Mary of Englande, doughter to our most gracious soverayn lorde Kyng Henry the eight.

3 Du Guez place toujours l'accent sous la voyelle.

de l'élégance, souvent de la prolixité, justifient en partie l'immense succès dont la traduction des Amadis, dédiée au roi, imprimée avec magnificence, a joui si longtemps.

A Rabelais était réservée la gloire de faire entrer le roman dans des voies nouvelles. La Vie de Gargantua et de Pantagruel marque ce brillant point de départ.

Né à Chinon en Touraine, vers 1483 ou 1487, d'un père cabaretier ou apothicaire, Rabelais s'instruit de bonne heure aux lettres latines, grecques, hébraïques; apprend l'italien, l'espagnol, l'allemand, même l'arabe; compose successivement des almanachs, des commentaires sur Hippocrate, des romans et court sans cesse le monde: d'abord cordelier, puis bénédictin, grâce à une bulle de Clément VII, puis défroqué et médecin à Montpellier, puis une seconde fois bénédictin, grâce à une bulle de Paul III, puis enfin chanoine séculier et curé de Meudon. Dans un voyage à Paris, en 1552, il meurt saintement selon les uns, la moquerie et l'impiété à la bouche selon les autres.

Doué d'une vive imagination, d'un admirable talent d'observateur et de peintre, Rabelais descend dans la vaste lice du XVIe siècle, et, aux applaudissements d'une foule spirituelle, mal croyante, légère de foi et de moralité, il se moque de tout, il se fait le satirique universel. l'agresseur tour à tour violent, ironique ou bouffon de toutes les puissances, de toutes les opinions, de toutes les sottises de son siècle, de toutes les habitudes pernicieuses ou utiles, de tous les savoirs et de toutes les ignorances, de l'impie comme du dévot, de l'idée sainte aussi bien que de son idolâtre figure. Il élève l'autel du bon sens sur les débris de tous ceux qu'il a renversés, comme par mégarde, dans les vertiges grotesques de sa prétendue ivresse; il se fait pardonner le sérieux du fond par la folie de la forme, la raison et la vérité par les masques burlesques qu'il leur applique, évite le bûcher, en redoublant d'extravagance, et met de son parti les mœurs des puissants en les flattant par un cynisme et une grossièreté

sans mesure.

Rabelais jeta pêle-mêle, dans sa burlesque épopée, ses expériences et les souvenirs sans nombre de sa carrière aventureuse, les méditations philosophiques de l'érudit, maître d'une vaste lecture, et la sagesse pratique de l'homme bien né et plein de sens. Son livre est rempli d'allusions; mais c'est folie de vouloir à toute force trouver une application directe dans les personnages qu'il met en scène. On est aussi alle beaucoup trop loin dans les grandes

vues, dans la science divine, dans les pressentiments incroyables, dont on lui fait honneur. Quant à l'Eglise romaine, il lui a fait un mal incontestable, non pas que ce fût une hardiesse bien nouvelle que le mépris jeté sur les scandales de l'épiscopat et de la vie monastique, mais les brocards rabelaisiens ne s'arrêtaient pas à la soutane du prêtre, ils allaient au cœur de la foi catholique, et détruisaient les plus sûres défenses de l'édifice sacré en ruinant, les uns après les autres, ces respects traditionnels qui écartaient du sanctuaire le reste du troupeau.

Analysons le premier livre de Rabelais, qui a pour titre Gargantua, et qu'on sépare aisément des quatre autres, connus sous le nom de Pantagruel. En ce livre, le plus complet peut-être et le plus satisfaisant du roman, on trouve à la fois de la farce épaisse, du haut comique et de l'éloquence attendrissante.

Au royaume d'Utopie, situé devers Chinon, régnait durant la première moitié du XVe siècle, le bonhomme Grandgousier, prince de dynastie antique, bon raillard en son temps, aimant à boire sec et à manger salé. Il avait épousé en son âge viril Gargamelle, fille du roi des Parpaillos, et en avait eu un fils nommé Gargantua. Arrivé à l'âge des études, on le mit aux mains des sophistes, qui le retinrent pendant de longues années sans lui rien apprendre. Mais un beau jour, en entendant interroger devant lui un jeune page, Eudémon, qui n'avait que deux ans d'études, Gargantua fut si confus de le voir si éloquent, qu'il se prit à plorer comme une vache, et à se cacher le visage dans son bonnet. Son digne père, profitant de si heureuses dispositions, le confia au précepteur d'Eudémon, et l'envoya à Paris achever son éducation de prince.

Après quelques tours de sa façon pour payer sa bienvenue au peuple badaud, Gargantua se remit sérieusement aux études, sous la discipline du sage Ponocrates; et il était en beau train de profiter en toutes sortes de doctrines, lorsqu'une lettre de Grandgousier le rappela au secours de son royaume. Un soir, en effet, que le bonhomme Grandgousier se chauffait après souper à un clair et grand feu, et qu'il écrivait au foyer avec un bâton brûlé d'un bout, faisant griller les châtaignes, et contant à sa famille de beaux contes du temps jadis, on vint lui dire que ses bergers s'étaient pris de querelle avec les fouaciers de Lerné, et leur avaient enlevé leurs fouaces; sur quoi, le roi Picrochole

avait mis soudain une armée en campagne, et allait par le pays, brûlant et ruinant bourgs et monastères. A cette nouvelle, le bon et sage roi, économe du sang de ses sujets, avait convoqué son conseil, envoyé un député à Picrochole, une missive à Gargantua, et il cherchait à maintenir la paix, tout en se préparant à la guerre. Mais Picrochole n'était pas homme à entendre raison. Le discours plein de sens et de modération que lui adressa l'ambassadeur ne fit qu'exciter son insolence, et elle passa toutes les bornes quand, pour tâcher de le satisfaire, Grandgousier lui eut renvoyé les fouaces.

Picrochole tient conseil, et ses deux lieutenants, grands flatteurs de leur naturel, lui proposent, après avoir défait Grandgousier, de marcher à la conquête du monde. A les entendre, il n'a qu'à paraître pour tout réduire en sa puissance. Un vieux gentilhomme, vrai routier de guerre, qui se trouvait présent à ces propos, se hasarda à rappeler la farce du Pot au lait, mais on ne l'écouta pas.

Cependant arriva bientôt, sur sa grande jument, Gargantua, suivi de ses compagnons. Il déconfit en plus d'une rencontre les gens de Picrochole, et trouva un excellent auxiliaire dans le joyeux frère Jean des Entommeures, moine jeune et aventureux qui avait commencé par défendre seul son couvent contre l'attaque des ennemis, et s'illustra durant le reste de la guerre par maint haut fait. Gargantua se lia avec lui d'une étroite et tendre amitié.

Une bataille décisive eut lieu enfin entre l'armée de Grandgousier et celle de Picrochole. Celui-ci prit la fuite après deux de ses conseillers, sans qu'on sût jamais ce qu'il était devenu. Grandgousier exigea des vaincus pour tout châtiment qu'ils livrassent quelques séditieux, et Gargantua ne leur fit d'autre mal que de les occuper aux presses de l'imprimerie qu'il avait nouvellement instituée. Les plus braves des Gargantuistes furent royalement récompensés, et le prince fonda pour son ami le frère Jean la riche abbaye de Thélème, vrai paradis terrestre, où l'on n'enseignait que le pur Evangile et dont la règle n'avait qu'une clause: Fais ce que tu voudras.

Tel est en substance cet amusant premier livre.

Gargantua. Panurge se mariera-t-il? ne se mariera-t-il pas? voilà le nœud du roman, si tant est qu'il y faille chercher un noud: car ici l'accessoire est le principal et les épisodes l'emportent sur le fond.

Rabelais partage avec plusieurs de ses contemporains le mérite d'avoir enrichi le français de tours et d'expressions empruntés aux langues classiques, qu'il ajouta, avec une merveilleuse habileté, au trésor du vieil idiome national, bien que souvent d'excellents passages de sa burlesque épopée soient fortement empreints de cette solennité un peu pédantesque que l'on retrouve dans les premiers lettrés du siècle; ce sont des coufeurs enlevées avec une sorte d'affectation à l'éloquence des orateurs et des philosophes antiques. Quand Rabelais latinise ainsi sans ironie, c'est qu'il parle à cette république littéraire née au XVe siècle et dispersée au XVIe par les dissidences religieuses. Ailleurs, il s'adresse aux intelligences fortes, aux hommes de réflexion et d'expérience; ce sont ses beaux moments. Plus souvent on croirait, comme dit la Bruyère, qu'il ne pense qu'à charmer la canaille, en lui empruntant le dévergondage de son argot ordurier. La langue de Rabelais est, comme son imagination, obscène, tour à tour fantasque, grave, joyeuse, vive, éloquente, mais ambitieuse dans sa licence même. Rabelais est presque toujours excessif: là où il est sérieux, il n'est pas toujours assez intelligible pour le vulgaire; là où il est familier, il ne fait guère que rendre à la foule ce qu'elle lui a prêté. Les procédés de son langage lui sont également communs avec tous les écrivains de son siècle; l'inversion, l'ellipse, l'économie des articles et des pronoms sont des traits caractéristiques de la prose d'alors. Le style seul est ce qui appartient en propre au curé de Meudon; là où il est, comme dit encore la Bruyère, le mets le plus délicat, il est un admirable écrivain; son expression est alors une vigoureuse figure de l'idée et dessinée avec tant de vérité naive et une intelligence si profonde, éclairée d'un jour si vif et si bien distribué, qu'elle se détache du discours en fort relief et frappe l'imagination avant de passer à l'esprit qui la saisit à l'instant dans toute sà physionomie. Rabelais eut des imitateurs qui ne s'attachèrent malheureusement qu'aux parties basses du modèle.

Eloquence.

Dans les quatre autres livres, le vieux Grandgousier a disparu du monde. C'est Gargantua qui règne, et Pantagruel son fils qui remplit le rôle de héros: ou plutôt, dès l'instant que Panurge entre en scène, c'est bien lui réellement qui occupe toute sous François I se fit peu sentir dans l'attention, comme frère Jean faisait sous l'éloquence en général, et moins encore peut

La renaissance des lettres et des arts

être dans le genre sacré que dans les autres. Depuis la réforme, l'éloquence sacrée comprend deux sortes d'orateurs, les catholiques et les protestants.

Le plus beau nom du catholicisme au XVIe siècle est François de Sales, né en 1567, au château de Sales en Savoie. L'onction, l'élégance même qui distinguent déjà ses Sermons, recommandent aussi ses ouvrages de piété. On y remarque beaucoup de méthode et de proportion. Il a le sens de ces secrètes relations qui unissent l'homme au lieu qu'il habite, et tantôt il égaye sa douce piété par mille souvenirs de la vie des champs, des vignes plantées parmi des oliviers, des oiseaux qui nous provoquent aux louanges de Dieu, tantôt il la rend familière ou spirituelle comme une conversation délicate entre mondains, par des images tirées de travers ou des víces de la société; tantôt poétique et pittoresque, tantôt ingénieux et raffiné sans recherche, sauf les marques des défauts du temps auxquels n'échappent pas les esprits les plus naturels. Telles sont les qualités qui distinguent le plus célèbre de ses ouvrages, I'Introduction à la vie dévote.

L'ordre, une bonne économie, la méthode, la poursuite franche et directe du but proposé, sont, d'une part, les caractères de la prédication calviniste au XVIe siècle. D'autre part, l'éloquence des églises réformées est politique beaucoup plus que théologique.

un admirable à propos les citations qu'il emprunte uniquement à l'Evangile. Le livre qui fit sa gloire littéraire, et aussi, avec ses Commentaires sur l'Ecriture sainte, sa gloire de théologien, c'est l'Institution de la Religion chrestienne. Cet ouvrage, écrit d'abord en latin, fut traduit en français par Calvin lui-même. La dédicace à François I est prodigieuse de pureté et de brièveté, si l'on songe au temps où elle fut composée; il y a dans le début de la force et de la dignité. D'abord Calvin se modère; mais bientôt il éclate, et ses périodes, croissant en rapidité et en véhémence, se chargent de violentes récriminations contre ses accusateurs, contre les prêtres, qu'il traite avec le plus violent mépris.

Théodore de Bèze,' disciple de Calvin, épousa avec vivacité toutes les pensées et les actes de son maître; il soutint une âpre polémique contre ses adversaires et ses calomniateurs.

Le droit romain non moins défiguré qu'Aristote, par les docteurs scolastiques, eut sa part des bienfaits de la renaissance. La science nouvelle laissant les glossateurs et leurs subtilités, le chercha aux sources mêmes et s'aidant pour l'étude de toutes les richesses de la littérature latine.

Philosophie, Science politique.

Le siècle d'action qui nous occupe ne Le chef de la religion réformée en France, pouvait donner naissance qu'à une philoest aussi le plus célèbre de ses orateurs. sophie morale, pratique, d'application poCependant la gloire de Calvin ne se ré-sitive à la vie civile et au gouvernement duit pas seulement à avoir accompli, surtout à l'aide de la parole, la régénération morale de tout un peuple, il est aussi un des pères de la langue française.

La manière de Calvin dans ses ouvrages est l'exact reflet de l'homme ses écrits sont dépourvus des grâces de l'imagination et de la sensibilité; on y rencontre en revanche d'austères beautés, et beaucoup d'esprit sous des formes âpres et sérieuses. Son éloquence n'émeut pas, elle subjugue par la force de conviction qui éclate dans son argumentation fière et serrée, dans ses énergiques dédains, qui vont, selon que l'indignation le pousse, jusqu'à la plus amère

invective.

Le style de Calvin est précis, nerveux, dédaigneux des grâces superflues et des inutilités de langage; l'expression juste et fortement découpée lui arrive sans effort, frappée d'un coup; sa phrase offre le plus souvent des tours brefs qui, unis à l'énergie du sentiment, font la force du langage. Dans ses Sermons, Calvin introduit avec

de l'Etat. Aussi le seul métaphysicien_de l'époque, ce fut Ramus ou Pierre La Ramée, né en 1502 ou 1515, dans un village du Vermandois. Encore s'est-il bien plus attaché à la grammaire et à la logique qu'à l'idéologie, à la psychologie proprement dite: mais, comme logicien, Ramus fut le précurseur de Descartes. Quand il parut, Aristote régnait encore despotiquement dans les écoles; et la théologie, forcée

1 Quelques mots sur le plus rare des écrits de Bèze, le moins connu, et document de prix cependant pour l'histoire de la langue française. C'est le petit livre De Franciæ linguæ recta pronuntiatione tractatus, écrit à l'usage de quelques seigneurs allemands. Théodore de Bèze mérite entier crédit sur la matière, car il passait, de son temps, pour avoir une merveilleuse connaissance de la langue. Il se plaint de la décadence du bon usage, à peine conservé dans struits dans les bonnes lettres. Selon lui, la pureté quelques familles anciennes et chez les hommes inde la diction a commencé à se perdre depuis la mort de François I, à la cour duquel elle régnait souveraine ment; et ce sont les traditions de cette époque qu'il tourne et prescrit en règles. L'abbé d'Olivet ne trouve qu'un défaut à ce traité, c'est sa brièveté.

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