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de transiger avec les opinions séculières, s'en était accommodée aussi. Ramus attaqua Aristote et proclama la déchéance de la philosophie du moyen-âge. Dès lors Platon remplacera Aristote, c'est-à-dire qu'on suivra la raison et non plus l'autorité. La philosophie peut désormais marcher avec confiance. La méthode n'est pas trouvée encore, mais les entraves sont brisées. Ramus, accusé de protestantisme fut enveloppé dans le massacre de la Saint-Barthélemy; toutefois ses idées rencontraient dans l'esprit de l'époque trop d'éléments homogènes, pour n'avoir pas germé dans bien des têtes. Il ne leur fallait pour prendre vie et se poser dans la postérité qu'un homme de génie qui les formulât; cet homme fut Michel de Montaigne, l'esprit le plus original du XVIe siècle.

Michel de Montaigne, naquit en 1533. Son père, gentilhomme périgourdin, lui donna une éducation bizarre. A côté de sa nourrice, le jeune Montaigne eut un précepteur allemand, qui ne lui adressait jamais la parole qu'en latin; ainsi en usaient tous ceux qui l'entouraient; en sorte qu'à six ans la langue latine était devenue sa langue maternelle. Quant au grec, il l'apprit plus tard, et pour cette raison ne le sut jamais aussi bien. Homme de guerre et homme du monde, il vit la cour, et porta dans les devoirs d'une vie insouciante et active, la paresse et l'observation qu'il devait au bien-être de son premier âge, et à l'habitude de ne juger les choses que d'après lui-même. Ami de presque tous les hommes célèbres de son temps, d'un commerce facile et d'un caractère peu fait pour braver les orages politiques, il se résolut à ne plus vivre qu'avec ses livres et luimême, dès que les tumultes de l'Etat prirent un caractère effrayant. En littérature, en politique, chacun disait: Je sais tout. Montaigne prend pour devise: Que sais-je? Il ne commence à écrire qu'en 1572, et sous le titre d'Essais il nous a laissé un long ouvrage moral et philosophique, dans lequel il s'est proposé de peindre l'homme tout entier, et tel qu'il est partout; et pour y arriver, il commence par s'examiner luimême. Il avait beaucoup voyagé et beaucoup lu; il fondit son érudition dans sa philosophie. Après avoir écouté les anciens et les modernes, il se demanda ce qu'il pensait.

Le caractère de Montaigne, tel que nous le montrent les Essais, est celui d'un homme nonchalant, indécis, d'un jugement inconstant, irrésolu, et, comme il le dit quelque part, moins réglé dans ses opinions que dans ses mœurs, n'aimant pas à délibérer

à cause de la fatigue, détestant l'embarras des affaires domestiques, préférant l'inconvénient d'être volé à celui de surveiller ses gens, très jaloux de son indépendance, ennemi de toute contrainte, à ce point qu'il regardait comme un gain d'être détaché de certaines personnes par leur ingratitude; nullement esclave de ses affections, et ne donnant prise sur lui à rien ni à personne, simple, naïf, naturellement vrai, souffrant la contradiction parce qu'elle lui inspirait de bonnes répliques, un mélange de naïveté et de finesse, de prudence et d'abandon, de franchise et de souplesse; honnête sans raideur, bon, non jusqu'à se tourmenter, ni jusqu'à prendre sur son repos; ami rare, et ne pouvant l'être que de gens choisis, et puis, pour tout dire, legèrement égoïste et

gascon.

Montaigne a défini l'homme un être ondoyant et divers: c'est de lui surtout que la définition est vraie. Il réfléchit tous les caractères, tous les côtés de l'homme, toutes les faces de ce prisme, dont on ne parviendra jamais à décomposer toutes les couleurs. Son livre, c'est l'histoire successive de tous les mouvements de notre nature ondoyante et diverse.

Comme philosophe, Montaigne a peint l'homme tel qu'il est, sans l'embellir avec complaisance et sans le défigurer avec misanthropie. Ses écrits ont un caractère de bonne foi qui lui est particulier; ce n'est pas un livre qu'on lit, c'est une conversation qu'on écoute. Il persuade d'autant plus qu'il paraît moins enseigner. Il parle souvent de lui, mais de manière à vous occuper de vous; il n'est ni vain, ni ennuyeux, ni hypocrite; il n'est jamais sec, son âme ou son caractère est partout.

L'un des charmes le plus généralement sentis dans les écrits de Montaigne, c'est l'ancienneté du langage, et l'on ne saurait disconvenir du plaisir que l'on éprouve à retrouver en eux les formes hardies et piquantes, les allures libres et dégagées de la vieille langue française. Mais quand on vient à réfléchir à tout ce qu'il fallut d'efforts et de génie à Montaigne pour polir à ce degré et revêtir de grâces un style inconnu jusque-là, l'admiration succède au plaisir.

L'imagination est la qualité dominante de son style et telle est la vivacité des couleurs de ses tableaux, que ce qu'il veut peindre il le fait pour ainsi dire toucher du doigt aux lecteur. Avouons cependant qu'il abuse quelquefois de cette facilité, et qu'il est quelques traits dont on lui doit reprocher l'expression trop libre et trop hardie. La seule excuse de Montaigne est dans

la grossièrité du siècle où il vivait, et à l'influence de laquelle tout son génie ne put entièrement le soustraire. Heureusement ces passages sont rares et le jugement vient presque toujours tempérer les écarts de l'imagination. Que de beautés d'ailleurs pour couvrir ces taches, et combien elles disparaissent aisément sous l'originalité de la pensée et de l'expression!

Montaigne connaissait trop bien les anciens, il avait trop longtemps vécu dans leur intimité pour ne pas s'être insensiblement imprégné de l'esprit et de la forme antiques. Aussi en retrouvons-nous dans ses écrits de fréquents emprunts et une imitation presque constante. Cependant il ne prend les anciens pour modèles qu'afin de lutter avec eux de finesse et d'élégance, de noblesse et de grandeur, et quand il emprunte leurs idées, c'est pour les revêtir de formes si ingénieuses et si neuves, qu'elles semblent devenir les leurs, et qu'il demeure original en les imitant. Ses auteurs favoris, ceux auxquels il faut attribuer certaines enflures de style, étaient Sénèque et Lucien.

Histoire, Mémoires, Pamphlets.

les prête. C'est un souvenir et une imitation de l'antiquité. Comme les anciens, il montre les hommes plus grands dans leurs discours que dans leurs actions. C'est une faute qu'on lui reproche, ainsi que le manque d'unité, défaut capital de son bel ouvrage.

Imitateur des anciens, de Thou a cependant son originalité: il a donné à son histoire un caractère nouveau; il y a mis deux éléments négligés par les anciens, les sciences et les lettres, c'est-à-dire l'histoire de la civilisation dans son expression la plus pure. Toutes les découvertes utiles, tous les grands talents du XVIe siècle, il les rappelle et les loue. Les hommes qu'il cite, de Thou les a vus, il s'est entretenu avec eux, nourri de leur sagesse, instruit de leur science.

De Thou n'est pas seulement un savant, il est homme d'action; il a pris part aux affaires, à la vie politique, if a fait l'histoire avant de l'écrire; ses souvenirs sont ses matériaux. Négociateur habile, politique consciencieux, il a ménagé entre Henri III et Henri IV la réconciliation qui devait faire le repos de la France. Cette part que de Thou a prise aux grands événements de son siècle sonne à ses récits un puissant intérêt, à sa pensée une chaleur et un mouvement qui se font sentir sous la forme étrangère qui les couvre.

La compréhension de tous les intérêts sociaux, une haute impartialité, un esprit à la fois supérieur aux préjugés du moment et ouvert à toutes les sympathies humanitaires, l'indépendance du présent unie à D'abord poète galant et intrépide soldat, l'intelligence du passé, voilà ce qui caracté- plus tard érudit, théologien, historien, pamrise le véritable historien. Excepté un ou phlétaire, le calviniste Agrippa d'Audeux noms, le XVIe siècle n'a rien produit bigné nous présente, pendant les quatreen ce genre. Mais il est fécond en Mé-vingts ans de sa vie si pleine et si variée, moires particuliers, galerie immense et variée, où tous les partis vivent, se meuvent, s'attaquent, se défendent, et, par leurs indiscrétions comme par leurs réticenses, en avouant comme en déguisant la vérité, dévoilent également les causes déterminantes et le sens caché des faits.

Le grand travail historique du président de Thou comprend de 1545 à 1607. Il est remarquable par sa belle ordonnance, la netteté de jugement, l'étendue de connaissances, la sagacité dans l'investigation des faits, et la probité dans la manière de les raconter. De Thou trace d'une main habile et vigoureuse les portraits des personnages qu'il met en scène; il les peint avec une vivacité de couleurs remarquable. Ses narrations, trop longues quelquefois, sont souvent intéressantes et dramatiques; ses discours nobles et éloquents, pleins d'un pathétique doux et tendre, de vives et généreuses affections, parfois un peu embellis, comme ceux de Tite-Live, et au-dessus de la vie et des actions des personnages auxquels il

un des types les plus complets du XVIe siècle. Il faut l'étudier dans ses Mémoires particuliers, remarquables par la fermeté vive de l'expression. Ils furent écrits sous le règne de Louis XIII; l'auteur était très vieux, mais son style est très jeune. D'Aubigné écrit comme Saint-Simon écrivait plus tard, avec un abandon, une vivacité_guerrière et une grande verve d'ironie. Le roman le plus animé n'offre pas plus d'intérêt. Son Histoire universelle porte l'empreinte de son âme; elle est écrite avec beaucoup de liberté, d'enthousiasme et de négligence. Elle embrasse une période de cinquante-un ans, depuis 1550 jusqu'à 1601. On trouve à cette époque une espèce de mémoires, formant une classe à part, où ne se montrent ni la polémique ni l'esprit de faction. Les auteurs de ces mémoires sont en général des diplomates et des militaires; les uns ne s'occupent que des traités et des négociations, les autres, des siéges et des batailles.

Pendant la Ligue, le Pamphlet pénétra

à la fois une comédie politique à cent actes divers, l'un des monuments les plus curieux de la langue française et un acte de patriotisme qui tourne à la gloire des lettres.

partout, revêtit tous les costumes, inonda | original et savant du XVIe siècle; elle est la presse, le théâtre, la chaire, et tous les lieux où pouvait se manifester l'opinion. Le plus célèbre et le premier de tous les pamphlets est la Satire Ménippée, qui parut en 1593, pendant la conférence de Surênes où Henri IV ménageait sa conversion.

On y voit d'abord les deux partis de Guise et d'Espagne, occupés à confectionner le fameux catholicon, l'électuaire Les Sully, les Crillon, les Mornay et catholico-jesuitico-espagnol; puis vient le toute la race héroïque et chevaleresque qui tableau le plus grotesque et le plus animé suivait le panache blanc de Henri IV comme des processions de la Ligue. Enfin, s'ouun drapeau, n'auraient pas suffi à l'entre-vrent les états généraux; les auteurs de la prise de leur maître; il fallait que la plume vint au secours de l'épée. Elle y vint; et c'est justice de nommer à côté des compagnons de guerre de Henri, Pierre Le Roy, chanoine de Rouen, et jadis aumônier du cardinal de Bourbon, qui eut la première idée et donna le plan de la Ménippée; Claude Gillot, chanoine de la Sainte-Chapelle, conseiller-clerc au parlement de Paris; Florent Chrestien,2 ancien précepteur de Henri IV; Nicolas Rapin, prévôt de la connétablie; Passerat, le docte successeur de Ramus dans la chaire de philosophie au collége de France, helléniste et latiniste distingué, disciple de Marot pour les vers; enfin, Pierre Pithou, dont nous avons déjà rappelé le Traité des libertés de l'Eglise gallicane. Ces conjurés littéraires, tous hommes de profond savoir, restés ou devenus catholiques, doués d'un rare courage, habiles et mâles écrivains, réunis par un ardent amour de leur pays, sans ambition de dignités et de pensions, et connaissant bien le caractère de la nation française, chez laquelle le ridicule exerça de tout temps un immense pouvoir, résolurent de traduire au grand jour, devant la France entière, les prétentions, les folies, les crimes de la Ligue et son alliance avec l'Espagne. Leur satire, d'autant plus redoutable qu'elle était vraie, et qu'elle ne pouvait manquer d'éclairer enfin la conscience publique, présente deux types qui lui sont particuliers: elle respire l'esprit malin et frondeur des anciens habitants de la France, leur indépendance naturelle, et leur caractère imitateur et libre,

1 Le Roy pensa doctement qu'à l'imitation de Varron, il fallait appeler Ménippée l'œuvre de la Némésis française, en mémoire du cynique Menippos, célèbre jadis pour ses amères railleries."

2 Florent Chrestien, né à Orléans en 1541, mort de la pierre, en 1596. Il a écrit un grand nombre de vers grecs, latins et français. Ses remarques sur les écrivains grecs ont été insérées dans diverses éditions de ces auteurs.

3 Nicolas Rapin, né en 1535 à Fontenay-le-Comte, en Poitou, mort en 1608. Ses Œuvres latines et

françoises, prose et poésie, parurent à Paris, 1620.

4 Passerat, né à Troyes en Champagne, en 1534, mort en 1602.

Ménippée nous y introduisent pour faire connaître la pensée particulière de chacun des boute-feux de la Ligue qui entretiennent l'incendie et qui ont leur intérêt à part dans le mouvement général. La salle des états est comme le palais magique de la Vérité, où ceux qui parlent mettent à découvert, malgré qu'ils en aient, le secret de leur pensée. Voilà le duc de Mayenne, le cardinal de Pellevé, M. de Lyon (l'archevêque de L.), le sieur de Rieux, véritable héros de sac et de corde, qui tour à tour avouent naïvement leurs folles ambitions ou leur honteuse vénalité, qui donnent les coudées franches à leur avidité, à leur pédantisme, à leur vanité fanfaronne. La contrepartie de ce tableau est le discours d'Aubray, l'orateur du tiers état, le vrai type du parti politique. La harangue de d'Aubray, inspiré par Pierre Pithou, n'est pas seulement une œuvre de haute éloquence, mais un document historique de premier ordre, demeuré comme la protestation du bon sens indigné contre les sanglantes fo-. lies et les hypocrisies impudentes de la faction des Seize, des prétendants à la couronne et des émissaires intrigants de l'Italie et de l'Espagne. Tous les faux prétextes de bien public et d'intérêt religieux sont enlevés pour laisser voir à nu les ressorts réels qui mettaient en jeu tous les acteurs du drame.

La satire Ménippée a le double caractère de tous les écrits marqués du sceau de la durée: elle est individuelle et elle est générale; elle a sa part de vérité contemporaine, et sa part de vérité abstraite et éternelle; dans les passions de la France au XVIe siècle, elle exprime les passions de l'homme de tous les temps et de tous les pays.

POÉSIE.

Marot et son école.

François I venait de monter sur le trône en 1515; de tous côtés arrivaient les félicitations poétiques, les ballades et les chants royaux, quand le fils d'un poète et valet

de chambre à la cour, jeune page de vingt ans, présenta au monarque de dix-neuf ans, un petit recueil de vers sous le titre de Temple de Cupido. Ce poète, c'était

Clément Marot.

çois I, et partage quelque temps sa captivité. De retour en France, le terrible soupçon d'hérésie qui planait sur sa tête, le fait jeter dans les prisons du Châtelet, qu'il revit une seconde fois pour avoir enlevé Depuis le Roman de la Rose, si l'on ex- un prisonnier aux gens du guet. L'accusacepte quelques pièces de Charles d'Orléans, tion d'hérésie soulevée contre lui ne fut nulle part les propos de galanterie n'avaient pas abandonnée et il ne put trouver, dans été aussi bien tournés que dans le Temple l'amitié de ses augustes protecteurs, un rede Cupido; c'était d'ailleurs le même fond fuge assuré contre les censures de la Sord'idées, la même mythologie. Mais toute bonne. Il s'enfuit à Genève et de là à cette allégorie, déjà antique, était rajeunie | Turin, où il mourut dans l'indigence à l'âge par la fraîche imagination et les saillies de quarante-neuf ans. piquantes du poète. C'est ainsi que, dans le chœur du temple, le pèlerin, héros du poème, découvre au fond d'un bosquet, sous la ramée et sous les lis, le bon feu roi Louis XII avec sa bien-aimée Anne de Bretagne. Cette façon délicate d'adoucir en le rappelant le deuil récent de la France était bien propre à charmer un jeune prince galant et chevalier.

Marot n'e s'en tint pas là; en courtisan habile, il conseillait à François I dans un rondeau joint à la dédicace de suivre par manière de passe-temps royal, „le noble état des armes“ et „le beau train de galanterie". L'âge du poète ajoutait à ce conseil une convenance et une grâce de plus. Le Temple de Cupido est le poème où Marot a fait la plus grande dépense d'imagination. Avec cette tournure facile qui ne l'a jamais abandonné, on remarque là, plus qu'ailleurs, ce besoin de peindre qui est surtout un besoin de jeunesse. Le vers est frais et jeune, mais timide; on sent que, par l'imitation du genre allégorique, le poète essaie ses forces.

Clément Marot, toutefois, n'était pas un poète de génie; il n'avait pas un de ces talents vigoureux qui devancent les âges et se créent des ailes pour les franchir. Une causerie gracieuse et enjouée, une naïveté vive et fine, un vers non affecté, comme dit Pasquier, un sens fort bon, voilà les mérites qui le distinguent, et ceux auxquels il faut attribuer sa longue gloire et demander compte de son immortalité. En poésie comme dans le reste, facile à vivre et prompt à jouir, Marot tire parti de tout ce qu'il trouve sans rien regretter ni deviner ce qui manque.

Le brillant début de Marot lui valut dès l'abord les faveurs du prince, et plus tard le double surnom de prince des poètes et de poète des princes. Admis à la cour et à l'intimité de Marguerite de Navarre, recherché des grands, Marot commença dès lors cette vie aventureuse et galante dont la misère et l'exil devaient être le triste dénouement. Il combat à Pavie avec Fran

Cette vie de poète véritablement française se réfléchit dans les ouvrages de Marot; ses poésies en ont recueilli et consacré les moindres souvenirs. De là naît le plus souvent une convenance merveilleuse du sujet avec l'esprit de la nation et les ressources du langage contemporain. Tour à tour tendre et enjoué, toujours plaisant, malicieux, rarement sérieux ou indigné, il écrit sous l'impression du moment, et prend, avec une égale facilité, tous les tons, excepté le sublime, qu'il ne connut ja mais.

Quelques-uns des contes de Marot et plusieurs de ses épitres resteront toujours comme des modèles de finesse et de grâce. Dans l'épigramme et le madrigal, que l'on ne distinguait pas encore de l'épigramme, il est en bien des cas le rival heureux de Catulle et de Martial. Ses sujets souvent gracieux, d'autres fois lestes ou grivois, sont empruntés pour la plupart à la gaieté contemporaine et à l'obscénité, puis rappellent les meilleures gravelures de Villon. Ses ballades et ses rondeaux, les plus parfaits peut-être que possède la littérature française, se distinguent par un tour délicat et spirituel.

En résumé, Marot fut la fidèle expression de la vieille école poétique, et quoique l'étude de quelques auteurs de l'antiquité ait pu contribuer à polir son talent, il n'en est pas moins vrai que ses véritables modèles furent toujours les vieux romanciers.

François I suivit le conseil de Marot; il a laissé une longue épître sur la bataille de Pavie, quelques huitains assez insignifiants, et des quatrains qui ne manquent ni de légèreté ni de précision.

Durant cette grande renaissance des lettres, les esprits studieux embrassaient tout; la vocation de créer n'était pas distincte du besoin de savoir. On faisait des vers comme on fait de la médecine, de la théologie, de la jurisprudence ou de l'histoire; et tout lettre d'alors pouvait, à la rigueur, être rangé parmi les poètes.

École de Ronsard.

Ce n'était pas en vain qu'à la fin du XVe siècle, et pendant la première moitié du XVIe, l'érudition avait exhumé les trésors de l'antiquité, que les expéditions guerrières contre l'Italie avaient fait connaître à la France une nouvelle et riche littérature, que la Réforme, enfin, avait exercé son action régénératrice. Le contre-coup de ces études, avivées par l'esprit d'examen, devait se faire sentir un jour; il était impossible que l'érudition ne réagit pas sur la poésie. L'impulsion de cet inévitable mouvement fut donnée par de jeunes disciples nourris sous la forte discipline des études classiques. Ayant savouré à loisir les beautés des poètes de l'antiquité, l'élévation de leur langage, la noblesse de leurs idées, ils prirent en pitié les sujets gracieux ou légers que la poésie française avait revêtus de formes plus ou moins ingénieuses ou piquantes: la ballade, le rondeau, le triolet, l'épigramme, l'épître familière, la chanson; à ces frivoles" productions ils voulurent substituer des œuvres sérieuses et remplacer les grâces naïves de leurs prédécesseurs par de mâles beautés.

Si l'on a bien retenu ce que nous avons dit jusqu'ici de la marche des esprits et de la langue, on concevra sans peine que la nouvelle école ne pouvait construire son édifice que sur le fond de l'idiome populaire, mais qu'il y avait en même temps urgente nécessité pour elle de l'élever jusqu'aux idiomes anciens. Pour bien faire, if eût fallu fondre le vieil esprit français dans la majesté simple de l'antiquité. Une pareille tentative ne pouvait être faite que par un génie poétique d'une haute puissance et ce génie manqua au siècle. De jeunes enthousiastes, affichant pour le passé de la nation un dédain maladroit, rompirent violemment avec les formes et les expressions consacrées; puis, quand ils eurent fait table rase, ils se ruèrent sur le grec et le latin, en ramassèrent à la hâte les décombres, et rebâtirent de ces débris confus un français tout nouveau.

L'Illustration de la langue françoise lancée en 1549 par Joachim Du Bellay, nous donne la date historique de ce mouvement littéraire qui se prolongea, pendant près d'un demi-siècle, sous les auspices de Ronsard. Condamnant également ceux qui écrivent en grec ou en latin, les simples traducteurs et les imitateurs de l'ancienne poésie nationale, Du Bellay développe sa théorie, qui peut se résumer dans cette phrase de son manifeste: „Sans l'imitation des Grecs et des Romains, nous

Herrig, La France litt.

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ne pouvons donner à notre langue l'excellence et la lumière des autres plus fameuses. Le principe était admissible; il ne s'agissait que de le saisir sous son vrai point de vue. L'auteur l'avait aperçu, c'est ce que prouve ce conseil qu'il donne aux novateurs: „Les Romains imitaient des meilleurs auteurs grecs, se transformant en eux, les dévorant, et, après les avoir dévorés, les convertissant en sang et en nourriture." Par malheur, Du Bellay force ensuite les conséquences de son principe, il trahit le plus injuste dédain pour ce que la France avait produit jusque-là d'indigène. Il recommande de créer des mots d'après le grec et le latin, de remplacer les rondeaux, les ballades, les virelais, par l'élégie, l'églogue, le sonnet; de substituer l'ode à la chanson, la satire au coq-à-l'âne, la tragédie et la comédie aux moralités et aux farces, de métamorphoser les romans de la TableRonde et autres en Iliades et en Énéides. Et cette absorption de la France dans l'antiquité, Du Bellay l'appelle la conquête de l'antiquité par la France, la fusion de l'antiquité dans la France!

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Là doncques," s'écrie-t-il dans une conclusion toute martiale, pleine de verve et de style comme le reste de l'Illustration, là doncques, François, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine, et des serves dépouilles d'icelle (comme vous avez fait plus d'une fois) ornez vos temples et vos autels. Pillez-moi sans conscience les sacrés trésors de ce temple delphique, ainsi que vous avez fait autrefois, et ne craignez plus ce muet Apollon, ses faux oracles ni ses flèches rebouchées. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, seconde Athènes, et de votre Hercule gallique, tirant les peuples après lui par leurs oreilles avec une chaîne d'or attachée à sa langue.“

Cette voix eut un retentissement prodigieux. La jeunesse poétique, les rois, les ministres, les savants et les magistrats, applaudirent à l'appel belliqueux de Du Bellay. On se mit à l'œuvre avec un entrain inouï; mais tous les efforts de ces bouillants soldats, animés par un patriotisme mal entendu, n'aboutirent qu'à l'oubli et au ridicule. Toutefois gardons-nous de croire que tant de talents et de travaux furent perdus pour la France. Elle leur doit le sérieux et la noblesse du style poétique, le principe du travail de fond et de forme substitué à la facilité prosaïque et au sans-gêne paresseux des vieux poètes français.

L'œuvre personnelle de Du Bellay dans la tâche commune a été saine, bien que modeste; il l'a mesurée à ses forces. La langue qu'il parle n'est pas un pastiche: il

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