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JACQUES DELILLE.

Jacques Delille, né le 22 juin 1758, à Tournebèze, près du Puy-de-Dôme, était fils naturel de M. Montausier, avocat, et d'une dame de la famille de L'Hôpital. Pauvre et sans ressource, il passa d'une école de village an collège de Lisieux, où il compta toutes ses années par des succès. Au sortir de ses humanités, il fut réduit à accepter une classe élémentaire au collège d'Amiens, où il trouva le vertueux Thomas, qui lui donna les premières leçons de poésie. Il devint ensuite professeur au collège de la Marche, à Paris, puis il obtint, au Collège de France, la chaire de poésie latine, qu'il a occupée jusqu'à sa mort, arrivée le 1 mai 1812. Avant la révolution, le comte d'Artois, plus tard Charles X lui offrit l'abbaye de Saint-Séverin, qu'on pouvait posséder sans être dans les ordres; de

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Jaloux de tout connaître, un jeune amant des arts,

L'amour de ses parents, l'espoir de la peinture,

Brûlait de visiter cette demeure obscure,
De notre antique foi vénérable berceau.
Un fil dans une main et de l'autre un
flambeau,

Il entre; il se confie à ces voûtes nombreuses

Qui croisent en tous sens leurs routes ténébreuses.

Il aime à voir ce lieu, sa triste majesté, Ce palais de la nuit, cette sombre cité, Ces temples où le Christ vit ses premiers fidèles,

Et de ces grands tombeaux les ombres éternelles.

Dans un coin écarté se présente un réduit,

Mystérieux asile où l'espoir le conduit.

là le nom d'abbé, qu'on donne à Delille, quoiqu'il ne fût pas prêtre. Delille eut le bonheur de passer sans péril le temps orageux de la révolution, il y fut même protégé par les révolutionnaires qui admiraient le poète. Après le 19 thermidor, Delille quitta Paris et ensuite la France. Rappelé dans son pays par les plus honorables suffrages, Bonaparte l'accueillit avec empressement. Nous devons à Delille des traductions en vers des Géorgiques et de l'Énéide de Virgile, du Paradis perdu de Milton, et de l'Essai sur l'homme de Pope; plusieurs poèmes didactiques et descriptifs; les Jardins, l'Imagination, l'Homme des Champs, les Trois Règnes, lá Conversation et la Pitié; un dithyrambe sur l'Immortalité de l'âme; et des Poésies diverses.

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Il marche, i erre encor sous cette voûte sombre,

Et le flambeau mourant fume et s'éteint dans l'ombre.

Il gémit; toutefois d'un souffle haletant,
Le flambeau ranimé se rallume à l'instant.
Vain espoir! par le feu la cire consumée,
Par degrés s'abaissant sur la mèche en-
flammée,

Atteint sa main souffrante, et de ses doigts vaincus

Les nerfs découragés ne la soutiennent plus:
De son bras défaillant enfin la torche tombe,
Et ses derniers rayons ont éclairé sa tombe.
L'infortuné déjà voit cent spectres hideux;
Le Délire brûlant, le Désespoir affreux,
La Mort.... non cette Mort qui plait à
la victoire,
Qui vole avec la foudre, et que pare la
gloire;
Mais lente, mais horrible, et traînant par

la main La faim qui se déchire et se ronge le sein. Son sang, à ces pensées, s'arrête dans ses veines.

Et quels regrets touchants viennent aigrir ses peines?

Ses parents, ses amis, qu'il ne reverra plus, Et ces nobles travaux qu'il laissa suspendus; Ces travaux qui devaient illustrer sa mémoire,

Qui donnaient le bonheur et promettaient la gloire!

Et celle dont l'amour, celle dont le souris
Fut son plus doux éloge et son plus digne
prix !
Quelques pleurs de ses yeux coulent à
cette image,
Versés par le regret et séchés par la rage.
Cependant il espère; il pense quelquefois
Entrevoir des clartés, distinguer une voix.
Il regarde, il écoute.... Hélas! dans l'om-

bre immense

Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence,

Et le silence ajoute encore à sa terreur.

Alors, de son destin sentant toute l'hor

reur,

Son cœur tumultueux roule de rêve en rêve; Il se lève, il retombe, et soudain se relève; Se traîne quelquefois sur de vieux ossements,

De la mort qu'il veut fuir horribles monuments,

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quant dans l'air,

Des torrents écumants battent tes flancs; l'éclair

Le front ceint de vieux pins s'entre-cho- | Épargnez à ma Muse un regard indiscret,
De son heureux loisir respectez le secret.
Auguste triomphant pour Virgile fut juste;
J'imitai le poète, imitez donc Auguste,
Et laissez-moi sans nom, sans fortune et
sans fers
Rêver au bruit des eaux, de la lyre et des

Sort de tes yeux; ta voix est la foudre qui gronde Et du bruit des volcans épouvante le monde.

vers.

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LE CURÉ DE CAMPAGNE. Voyez-vous ce modeste et pieux presbytère? Là vit l'homme de Dieu, dont le saint ministère

Du peuple réuni présente au ciel les vœux, Ouvre sur les hameaux tous les trésors des cieux,

Soulage le malheur, consacre l'hyménée, Bénit et les moissons et les fruits de l'année, Enseigne la vertu, reçoit l'homme au berceau, Le conduit dans la vie, et le suit au tombeau.

Je ne choisirai point, pour cet emploi sublime,

Cet avide intrigant que l'intérêt anime; Sévère pour autrui, pour lui-même indulgent; Qui pour un vil profit quitte un temple indigent;

Dégrade par son ton la chaire pastorale, Et sur l'esprit du jour compose sa morale. Fidèle à son église, et cher à son troupeau, Le vrai pasteur ressemble à cet antique

ormeau

Qui, des jeux du village ancien dépositaire, Leur a prêté cent ans son ombre héréditaire, Et dont les verts rameaux, de l'âge triomphants,

Ont vu mourir le père et naître les enfants. Par ses sages conseils, sa bonté, sa prudence,

Il est pour le village une autre providence; Quelle obscure indigence échappe à ses bienfaits?

Dieu seul n'ignore pas les heureux qu'il a faits.

Souvent dans ces réduits où le malheur assemble

Le besoin, la douleur et le trépas ensemble, Il paraît, et soudain le mal perd son hor

reur,

Le besoin sa détresse, et la mort sa terreur. Qui prévient le besoin, prévient souvent le crime.

Le pauvre le bénit, et le riche l'estime; Et souvent doux mortels, l'un de l'autre ennemis,

S'embrassent à sa table et retournent amis.

.

SIXIÈME PÉRIODE.

XIXe siècle.

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Voltaire avait soumis la poésie, comme la prose, aux lois du bon sens; ses disciples, entrainés par son exemple, négligèrent l'essence même de la poésie, c'est-àdire l'imagination et le sentiment. Dès lors les poètes s'occupèrent plus de la forme que du fond, et ils s'attachèrent à vaincre des difficultés plus qu'à rechercher l'originalité, le mouvement et la couleur. Cette poésie fade, languissante et compassée représentait parfaitement les mœurs polies, élégantes jusqu'à l'excès, mais sans naturel, de l'ancienne société; elle était l'expression de son culte superstitieux pour ce qu'on était convenu d'appeler le goût. De là, dans les ouvrages, plus d'esprit que d'invention, peu d'écarts dans le domaine grammatical et littéraire, mais aussi peu d'élan et

de verve.

On sait quels furent les mérites d'André Chénier. Chateaubriand créa un monde d'images, en associant le moyen-âge chrétien à l'antiquité païenne. Il chercha à réveiller dans l'homme des croyances fortes et généreuses, à le ramener à la religion par la nature et la poésie. Il rattacha la critique à ce qu'il y a de plus intime dans l'homme, et appliqua la couleur locale et l'imagination aux tableaux et aux souvenirs historiques. Il modifia la langue elle-même; il l'enrichit d'expressions, de figures, de formes nouvelles, et donna à la prose un coloris,

une richesse, un éclat, une mélodie, inconnus jusqu'alors. Madame de Staël défendit également les principes moraux et religieux qui devaient présider à la régénération sociale; comme Chateaubriand, elle découvrit des régions inconnues: elle initia la France au génie germanique.

Toutefois les réformateurs eurent d'abord peu de disciples. Sous la république et l'empire, les esprits absorbés dans les convulsions politiques et passionnés pour la gloire, avaient peu de loisir pour les travaux de la pensée; aussi la littérature continua de n'être qu'une pâle copie des formes pures et élégantes des deux siècles précédents. Ce fut pendant les paisibles années de la restauration que la littérature rentra dans les voies de la réforme. Si longtemps séparés par la guerre des autres états de l'Europe, les Français s'empressèrent alors de renouer avec eux ces relations qui sont la vie des peuples. Ils puisèrent à la source de leurs trésors littéraires, ils apprirent à connaître les richesses anciennes et modernes de l'Allemagne et de l'Angleterre. Ce n'est pas tout; le XVIe siècle devint un objet d'étude, et les productions du moyen-âge, si longtemps méconnu, furent tirées de la poussière des bibliothèques. Ainsi préparés, les novateurs, a qui on donna le nom de romantiques, entreprirent d'introduire dans la poésie plus d'imagination, de sentiment et de rêverie, de naturel et de franchise, des métaphores et des images plus vives. Ils abandonnèrent la périphrase, le mot poétique comme on disait alors, l'épithète métaphysique; ils préférèrent l'expression précise, le mot propre et l'épithète pittoresque. Cependant, comme il arrive toujours quand on brise avec le passé, la révolution dépassa le but, et bientôt elle fut obligée de rentrer dans les limites plus raisonnables pour se faire accepter.

La réforme s'étendit au mécanisme du vers et à la coupe de la strophe. Malherbe, pour rendre le rythme plus sensible, avait prescrit dans l'alexandrin un double repos, l'un à la sixième syllabe, et l'autre à la fin du vers. Les alexandrins bien faits ont effectivement un repos de sens à la sixième syllabe, dans la plupart d'entre eux; mais il ne fallait pas outrer ce soin, et faire

d'une règle large et générale une règle
étroite et absolue. C'est pourtant ce que
fit Boileau par son précepte célèbre, qu'heu-
reusement il n'a pas pratiqué dans ses alex-
andrins si supérieurement rythmés:
Que toujours, dans vos vers, le sens coupant les

mots,

Suspende l'hémistiche, en marque le repos.

prétexte de faire mieux sentir la cadence, de terminer le sens avec chaque strophe. André Chénier s'affranchit le premier de cette règle qui gêne le mouvement de la pensée et interrompt le cours de la période lyrique. Les poètes romantiques agirent avec la même liberté, et l'on doit avouer qu'en continuant le sens d'une strophe à l'autre, ils ont trouvé quelquefois de beaux effets.

Tous les grammairiens français adoptèrent cette règle, qui par sa rigueur même, manque de justesse. Les meilleurs poètes ont su ne pas la suivre avec constance: chez eux la place du repos est variable; ils introduisent même plusieurs césures dans leurs vers. Laissant donc Voltaire de côté, qui malheureusement a toujours trop bien observé de marquer un repos à la sixième syllabe, on devra reconnaître que la réforme de l'alexandrin commencée par André Chénier portait, à cet égard, plutôt sur une théorie que sur un usage consacré par d'imposantes autorités. Mais il avait raison, la règle formulée par Boileau doit être et demeurer abrogée. La question se réduit à ceci: qu'il y ait toujours à la sixième syllabe un accent tonique aussi sensible que ceux du vers qui le sont le plus. On obtient cet accent dominant de diverses manières. La suspension du sens y aide puissamment, mais il faut ménager ce moyen, dont l'emploi constant aboutirait à briser le vers en deux, et à faire de chaque alexandrin deux espèces d'exasyllabes. C'est ce qu'ont bien senti les poètes romantiques. Toutefois, en pratiquant l'enjambement et en négligeant souvent l'accent tonique de la sixième syllabe pour arriver à un vers plus souple, plus familier, et à une harmonie moins monotone, ils ont détruit le rythme de l'alexandrin. Employé avec mesure et à propos, l'enjambement est nonseulement permis, mais il devient une source de beautés; prodigué à l'excès, c'est un défaut que toute la richesse de la rime, dont la nouvelle école fait parade, ne saurait racheter. D'ailleurs, il n'est pas rare que cet enjambement soit le résultat d'une faute grave dans laquelle sont tombés souvent les écrivains romantiques. Le poète doit éviter avec soin que le sens ne lie étroitement les sept ou huit premières syllabes de l'alexan-être plus vrai que l'ancien. drin, parce qu'alors cette première partie forme à elle seule un vers de sept ou huit syllabes; puis les quatre ou cinq syllabes qui suivent s'isolent ou s'accrochent au premier hémistiche du vers suivant, avec lequel elles tendent à faire un vers, et ce second vers est altéré comme le pre

Ces reformes techniques ne furent pas les seules que tenta l'école romantique. Elle modifia le fond de la poésie lyrique et élégiaque. Tous les sentiments humains, tous les rêves de l'imagination, tous les caprices de la fantaisie, et les idées philosophiques les plus élevées trouvèrent place dans l'ode. Le sentiment chrétien qu'on introduisit dans les élégies, donna à ce genre une hauteur inconnue jusque là. La poésie prêta son charme à ces vagues sentiments de mélancolie, à ces élans d'une imagination ardente et d'une âme trop tendre que Chateaubriand a développés dans René.

inier.

Malherbe avait aussi proscrit la longue période lyrique et ordonné aux poètes, sous

La poésie dramatique fut surtout l'objet d'une révolution radicale. Les dramatistes s'adressèrent à l'imagination, et au lieu de représenter la réalité humaine ou historique, ils choisirent des personnages imaginaires ou transformèrent les personnages historiques selon leur fantaisie ou les exigences du drame. Ils consultèrent trop peu la raison et le bon sens; ils ne s'assujettirent pas assez aux conditions de vraisemblance. Le mot d'ordre fut un instant d'imiter la nature, non plus seulement dans ce qu'elle a de noble et de grand, mais dans ce qu'elle a de plus hideux. Impressionner, produire de l'effet par des situations quelles qu'elles fussent, ce fut le but unique de certains auteurs dramatiques. Tous les crimes parurent sur la scène; en un mot, le laid fut le beau. Est-ce dire que, dans cette révolution dramatique, rien de bon n'ait été fait? Nous croyons au contraire que beaucoup d'idées heureuses se sont fait jour, qui, appliquées avec discernement, pourraient enrichir la littérature française d'un nouveau théâtre aussi beau et peut

Instruire en amusant, tel doit être le but de la scène comique. On perdit de vue ce sage précepte, disons-le tout de suite, en introduisant la politique dans les comédies. Les allusions politiques au théâtre sont des platitudes lâches ou des bravades inutiles. Nous allons au théâtre pour nous distraire des soucis de la réalité, et là, nous n'aimons pas qu'on nous ramène à la réalité actuelle. Le théâtre doit corriger les mœurs par des

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