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Au détour d'une eau qui chemine
A flots purs, sous de frais lilas,
Vous avez vu notre chaumine:
De ce vallon ne me parlez-vous pas?

L'une de vous peut-être est née
Au toit où j'ai reçu le jour;
Là, d'une mère infortunée
Vous avez dû plaindre l'amour.
Mourante, elle croit à toute heure
Entendre le bruit de mes pas.
Elle écoute, et puis elle pleure;
De son amour ne me parlez-vous pas ?

Ma sœur est-elle mariée ?
Avez-vous vu de nos garçons
La foule, aux noces conviée,
La célébrer dans leurs chansons?
Et ces compagnons du jeune âge
Qui m'ont suivi dans les combats,
Ont-ils revu tous le village?

De tant d'amis ne me parlez-vous pas?

Sur leur corps, l'étranger peut-être
Du vallon reprend le chemin :
Sous mon
chaume il commande en
maître,

De ma sœur il trouble l'hymen.
Pour moi, plus de mère qui prie,

Et partout des fers ici-bas.

Hirondelles, de ma patrie,

Au Saint des saints le ciel rendant hom-
mage,

De vos concerts doit emprunter les sons.
Ah! rendez-moi, rendez-moi mon village,
Et sa veillée et ses chansons!

Nos toits obscurs, notre église qui croule,
M'ont à moi-même inspiré des dédains.
Des monuments j'admire ici la foule,
Surtout ce Louvre et ses pompeux jar-
dins.

Palais magique, on dirait un mirage
Que le soleil colore à son coucher.
Ah! rendez-moi, rendez-moi mon village,
Et ses chaumes et son clocher!

Convertissez le sauvage idolâtre;
Près de mourir, il retourne à ses dieux.
Là-bas, mon chien m'attend auprès de
l'âtre;

Ma mère en pleurs repense à nos adieux.
J'ai vu cent fois l'avalanche et l'orage,
L'ours et les loups fondre sur mes brebis.
Ah! rendez-moi, rendez-moi mon village,
Et la houlette et le pain bis!
Qu'entends-je,

ciel! pour moi remplis
d'alarmes :

"Pars, dites-vous, demain pars au réveil. C'est l'air natal qui séchera tes larmes; Va refleurir à ton premier soleil.“

De ses malheurs ne me parlez-vous pas? Adieu, Paris, doux et brillant rivage,

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Où l'étranger reste comme enchaîné.
Ah! je revois, je revois mon village,

Et la montagne où je suis né.

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Rien ne prédit la gloire d'un Orphée
A mon berceau, qui n'était pas de fleurs;
Mais mon grand'père, accourant à mes
pleurs,

Me trouve un jour dans les bras d'une fée.
Et cette fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

Le bon vieillard lui dit, l'âme inquiète:
"A cet enfant quel destin est promis?"
Elle répond: „Vois-le, sous ma baguette,
Garçon d'auberge, imprimeur et commis.
Un coup de foudre ajoute à mes présages:
Ton fils atteint va périr consumé;
Dieu le regarde et l'oiseau ranimé
Vole en chantant braver d'autres orages."
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

Tous les plaisirs, sylphes de la jeunesse,
Éveilleront sa lyre au sein des nuits.
Au toit du pauvre il répand l'allégresse,
A l'opulence il sauve des ennuis.
Mais quel spectacle attriste son langage?
Tout s'engloutit, et gloire et liberté:
Comme un pêcheur qui rentre épouvanté,
Il vient au port raconter leur naufrage."
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

Le vieux tailleur s'écrie: „Eh! quoi! ma fille
Ne m'a donné qu'un faiseur de chansons!
Mieux jour et nuit vaudrait tenir l'aiguille,
Que, faible écho, mourir en de vains sons."
Va, dit la fée, à tort tu t'en alarmes,
De grands talents ont de moins beaux
succès.

Ses chants légers seront chers aux Français,
Et du proscrit adouciront les larmes."
Et puis la fée, avec de gais refrains,
Calmait le cri de mes premiers chagrins.

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Quand le sort à ta mince étoffe Livrerait de nouveaux combats, Imite-moi, résiste en philosophe; Mon vieil ami, ne nous séparons pas.

Je me souviens, car j'ai bonne mémoire,
Du premier jour où je te mis.
C'était ma fête, et pour comble de gloire,
Tu fus chanté par mes amis.
Ton indigence, qui m'honore,
Ne m'a point banni de leurs bras.
Tous ils sont prêts à nous fêter encore;
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.

T'ai-je imprégné des flots de musc et d'ambre,
Qu'un fat exhale en se mirant?
M'a-t-on jamais vu dans une antichambre
T'exposer aux mépris d'un grand?
Pour des rubans la France entière
Fut en proie à de longs débats;
La fleur des champs brille à ta boutonnière:
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.

Ne crains plus tant ces jours de courses vaines,
Où notre destin fut pareil;
Ces jours mêlés de plaisirs et de peines,
Mêlés de pluie et de soleil;

Je dois bientôt, il me le semble,
Mettre pour jamais habit bas.
Attends un peu; nous finirons ensemble;
Mon vieil ami, ne nous séparons pas.

SOUVENIRS D'ENFANCE.

Lieux où jadis m'a bercé l'Espérance, Je vous revois à plus de cinquante ans. On rajeunit aux souvenirs d'enfance, Comme on renaît au souffle du printemps.

Salut! à vous, amis de mon jeune âge, Salut! parents que mon amour bénit. Grâce à vos soins, ici, pendant l'orage, Pauvre oiselet, j'ai pu trouver un nid.

C'était à l'âge où naît l'amitié franche, Sol que fleurit un matin plein d'espoir. Un arbre y croft dont souvent une branche Nous sert d'appui pour marcher jusqu'au soir.

C'est dans ces murs qu'en des jours de défaites,

De l'ennemi j'écoutais le canon.
Ici ma voix, mêlée aux chants des fêtes,
De la patrie a bégayé le nom.

Amis, parents, témoins de mon aurore,
Objets d'un culte avec le temps accru,
Oui, mon berceau me semble doux encore,
Et la berceuse a pourtant disparu.

Lieux où jadis m'a bercé l'Espérance, Je vous revois à plus de cinquante ans. On rajeunit aux souvenirs d'enfance, Comme on renaît au souffle du printemps.

CHARLES NODIER.

Charles Nodier, né à Besançon en 1783, était fils d'un avocat. Après une heureuse jeunesse consacrée à l'étude des anciens et de la nature, il débuta dans le monde littéraire par quelques contes. Il semblait marcher vers un brillant avenir, lorsque les passions politiques vinrent l'arracher à sa paisible carrière. Nodier, esprit paradoxal, s'était jeté dans le parti royaliste. Son ode la Napoléone le fit mettre en prison. Rendu à la liberté, il mena une vie errante et aventureuse jusqu'à la restauration. Nommé bibliothécaire de l'Arsenal, en 1814, il conserva ce poste jusqu'à sa mort (1844). Charmant conteur, savant philologue, curieux naturaliste, bibliophile passionné, Nodier éparpilla sur mille sujets divers son incroyable facilité. Il avait tant écrit, qu'il ne savait pas lui-même le nom de tous ses ouvrages. Ce qu'il a publié suffirait pour composer une bibliothèque. Nodier était doué d'une imagination vive, d'une sensibilité vraie, d'une ironie piquante, mais il manquait de conception, de sérieux, de force et de puissance artistique. Pour lui la forme était tout; les grâces du langage furent sa plus sincère passion. C'est partout et à tout propos, dit G. Planche, dans la description d'un paysage

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SOUVENIRS DE JEUNESSE.

A l'âge de douze ans, j'avais achevé les études superficielles des enfants, et par conséquent je ne savais rien; mais

comme dans l'analyse d'une passion, dans la révélation d'un caractère, dans le récit d'une catastrophe, dans la peinture d'un amour frais et jeune, le même style harmonieux et souple, diapré comme les ailes d'un papillon, nuancé de mille couleurs, délicat et parfumé comme les fleurs d'un gazon au premier jour de mai. Sa parole ne rassemble à aucune autre parole: il la dévide comme un ruban qui commence on ne sait où, dont il ne peut pas même prédire d'avance les couleurs variées, qui ne finit que lorsque lui-même en tranche la trame, et qui, sans cela, se déroulerait à l'infini et incessamment. — C'est dans les Contes que Nodier a le mieux réussi; ses Romans ont moins de valeur littéraire: les plus jolis et les plus connus sont Trilby, Thérèse Aubert, Hélène Gillet, le Bibliomane, Polichinelle, Smarra, Jean Sbogar, le Roi de Bohême, le Peintre de Salzbourg, Mademoiselle de Marsan. Parmi ses autres ouvrages, on distingue les Souvenirs de jeunesse, les Souvenirs historiques de la révolution, l'Examen critique de la langue française et le Dictionnaire des onomatopées.

j'avais heureusement appris ce qu'on apprend rarement au collège; c'est que

Smarra est composé, en grande partie, de passages traduits d'Homère, de Théocrite, de Virgile, de

je ne savais rien, et que la plupart des | un homme d'une quarantaine d'années savants eux-mêmes ne savaient pas qui s'appelait M. de C..., et qu'au grand'chose. J'étais si avide d'instruc- temps dont je parle on appelait plus tion, qu'il m'est souvent arrivé d'épeler communément le citoyen "Justin, du avec effort l'alphabet d'une langue in- nom de son patron, parce que la réconnue, pour me mettre en état de lire volution lui avait ôté celui de son des livres que je ne comprenais pas; père. C'était un ancien officier du et dans d'autres circonstances que celles génie, qui avait passé sa vie en études où j'ai vécu, cette vague et stérile cu- scientifiques, et qui dépensait sa forriosité serait devenue peut-être une apti- tune en bonnes œuvres. Simple et tude. Mais de tous les alphabets écrits austère dans ses mœurs, doux et affecou rationnels que j'essayais de déchif- tueux dans ses relations, inflexible dans frer, il n'y en avait point qui m'inspi- ses principes, mais tolérant par caracrât autant de ferveur que celui de la tère, bienveillant pour tout le monde, nature. Il me semblait déjà, car je n'ai capable de tout ce qui est bon, digne pas changé d'opinion, que l'étude ap- de tout ce qui est grand, et modeste profondie des faits de la création était jusqu'à la timidité au milieu des tréplus digne qu'aucune autre d'exercer sors de savoir qu'avait amassés sa paune saine intelligence, et que le reste tience ou devinés son génie; discutant n'était guère bon qu'à occuper les loi- peu, ne pérorant pas, ne contestant jasirs futiles ou extravagants des peuples mais; toujours prêt à éclairer l'ignodégénérés. Un séjour de quelques se- rance, à ménager l'erreur, à respecter maines chez un bon ministre de Vin- la conviction, à compatir à la folie, il denheim en Alsace, fort amateur de vous aurait rappelé Platon, Fénelon papillons, m'avait aidé à soulever le ou Malesherbes; mais je ne le compare voile le plus grossier de cette belle à personne: les comparaisons lui feIsis dont les secrets délicieux devaient raient tort. Le vulgaire soupçonnait mêler tant de charmes, quelques années qu'il était fort versé dans la médecine, après, aux misères de mon exil. J'é- parce qu'on le voyait le premier et le tais rentré dans mes montagnes, le filet dernier au chevet des pauvres malades, de gaze à la main, la boîte de fer blanc et qu'il était à son aise, parce qu'il doublée de liège dans la poche, la loupe fournissait les remèdes; mais on le et la palette en sautoir, riche et fier croyait aussi un peu bizarre, parce qu'il de quelques lambeaux d'une nomencla- était avec moi le seul du pays qui se ture hasardée qui m'initiait du moins promenât dans la campagne, armé d'un au langage d'un autre univers, où je filet de gaze, et qui en fauchât légèrepourrais marcher le cœur libre, la tête ment la cime des hautes herbes sans haute et les coudées franches, avec plus les endommager, pour leur ravir queld'indépendance que ne m'en promettait ques mouches aux écailles dorées, dont le monde factice des hommes. Quand personne ne pouvait s'expliquer l'usage. on n'est pas organisé de manière à Cette analogie de goûts rapprocha bienvivre avec eux, on en reçoit la révé- tôt nos âges si éloignés. Le hasard lation de bonne heure, et quiconque a voulait qu'il eût été l'ami de mon père, reçu cette révélation sans lui obéir ne et je ne tardai pas à trouver en lui un doit s'en prendre qu'à lui de ses infor- autre père dont le mien fut un moment tunes. Il a été le seul artisan de sa jaloux; mais ils s'entendirent mieux mauvaise destinée. pour mon bonheur que les deux mères du jugement de Salomon. Ils se partagèrent ma vie pour l'embellir tous les deux. Il le fallait. Il arriva une terrible loi, de je ne sais plus quel jour de floréal, qui exilait les nobles des villes de guerre, et le plus sage des sages avait le tort irréparable

Il y avait alors dans ma ville natale

Catulle, de Stace, de Lucien, de Dante, de Shakespeare, de Milton. L'auteur se moque des critiques de l'époque qui prirent Smarra pour une œuvre romantique et la blámèrent à ce titre:,,Larisse et le Pénée! où diable a-t-il pris cela? disait le bon Lemontey (Dieu l'ait en sa sainte garde!). C'étaient de rudes classiques, je vous en réponds."

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ai laissé à peu de chose près la petite part de bonheur qui devait m'échoir sur la terre. Celle-là portait tous nos ustensiles de travail et observation journalière, les presses, les pinces, les scalpels, les ciseaux, les poinçons, les loupes, les lentilles, les microscopes, les étoupes, les yeux d'émail, le fil de fer, les épingles, les goupilles, le papier gris, les acides et les briquets, pièces indispensables, s'il en fût jamais, d'un équipage de naturaliste; c'est là qu'on analysait, qu'on disséquait, qu'on empaillait les animaux; c'est là que l'on comptait les articles du torse ou les parties de la bouche d'un insecte imperceptible à l'œil nu, les étamines ou les divisions du stigmate d'un végétal nain de l'empire de Flore; c'est là qu'après les avoir desséchées, on étendait les plantes avec une minutieuse précaution sur les blancs feuillets où elles devaient revivre pour la science, et qu'on assujettissait leurs pédoncules et leurs rameaux sous de légères bandelettes fixées à la gomme arabique, en prenant garde de faire valoir leurs parties les mieux caractérisées, et de ne pas altérer leur port et leur physionomie; c'est là qu'on essayait les pierres au contact des houppes nerveuses le plus développées de notre organisme, au choc du fer, aux sympathies de l'aimant, au jeu sensible des affinités, à l'effervescence et aux décompositions que produisent les réactifs: c'était le modeste laboratoire où venaient se révéler l'un après l'autre tous les secrets de la nature.

d'être noble. Depuis que cette funeste | la baguette d'une bonne fée, quoiqu'il nouvelle s'était répandue, je ne vivais y ait aujourd'hui, 12 octobre 1831, plus; je n'embrassais plus mon pauvre trente-sept ans, jour pour jour, que j'y père sans le noyer de mes larmes, parce que mon ami s'en allait. „,Console-toi, me dit-il un jour; il ne va pas loin. J'ai obtenu qu'il ne se retirat qu'à trois lieues, j'ai consenti à te laisser partir avec lui, et avec tes jambes de cerf, tu pourras venir m'embrasser sans pleurer une ou deux fois la semaine." Je crus que je mourrais de joie, car il me semblait comme cela ne le quitter ni l'un ni l'autre. Nous partimes donc; le peuple murmurait sur notre passage: Voilà encore des nobles qui s'en vont! Et c'est l'unique fois de ma vie que j'ai pris plaisir à entendre dire que j'étais noble. Nous allâmes habiter un joli village éparpillé sur les deux bords d'une petite rivière qu'on appelait le Biez, suivant l'usage du pays et qui était garnie de côté et d'autre d'un rang pressé de jeunes peupliers. Ils doivent avoir bien grandi! Notre maison était, dans sa simplicité, la plus magnifique de la commune, et l'appartement que nous occupions au premier et dernier étage aurait fait envie à dix rois que j'ai rencontrés depuis dans les plus méchantes auberges de l'Europe. Il se composait de deux chambres enduites d'un plâtre blanc et poli, dont la propreté charmait la vue. Celle du citoyen Justin, qui était la plus grande, comme de raison, ne manquait pas d'un certain luxe d'ameublement, quoique le principal s'y réduisit à une couchette de paille (il n'avait jamais d'autre lit, et je me suis fort bien trouvé dès lors d'avoir contracté près de lui cette habitude), à deux fortes chaises de bois de noyer, et à deux grandes tables de la même matière et du même travail, cirées comme des parquets et luisantes comme des miroirs. La première, qui avait au moins cinq pieds de diamètre, occupait de sa vaste circonférence le milieu du superbe salon dont je commence la description avec un sentiment si vif et si présent des localités, que j'en reconnaîtrais tous les détails à tâtons, si j'y étais transporté de nuit par

Sur la paroi du fond, car je suis bien décidé à ne vous faire grâce d'aucun détail, était la couchette dont je vous ai parlé, flanquée de nos deux fauteuils de cérémonie, terminée au pied par le mobilier exigu d'une toilette philosophique, et appuyée sur l'arsenal de nos grandes expéditions, freluches de toutes les dimensions, de toutes les formes et de toutes les couleurs, outils à fourir, outils à saper, pieux à sauter les ravins, gaules à

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