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ne compte non plus que rien, et Boileau | moi. l'entend ainsi, ou je suis bien trompé. Que vous en semble? Pour Dieu! dit-elle, concluez, et qu'il n'en soit plus parlé. Non, Madame, non, c'est un chagrin que je veux vous épargner; car vous voyez où cela va. Il se trouverait tout à l'heure que l'Ane et le Chien de La Fontaine effaceraient Orosmane et tout les héros de Voltaire. Mais pour mon tableau du Poussin, que ce soit, si vous voulez, le ravissement de saint Paul, ou la femme adultère, ou un des sacrements, tête bleue! à de tels ouvrages opposer ce qu'on fait maintenant, c'est outrager le goût, c'est blasphémer les arts!

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„Sa colère et cette dialectique nous divertirent, et nous convînmes qu'il fallait qu'il eût été à quelque autre école que celle de David, pour argumenter de la sorte. Enfin, savez-vous bien, dit Madame d'Albany, ce que vous avez fait avec votre logique et vos subtilités? C'est que vous ne m'avez point persuadée du tout. Jamais je ne croirai que les tragédies de Voltaire soient mauvaises, ni même médiocres. Mais, Madame, ne vous le prouvé-je pas par raison démonstrative? Trouvez-vous rien à dire à mon raisonnement? Que sais-je, si j'y voulais songer? dit-elle. Vous êtes préparé, vous, sur ces matières-là. Vous avez beau jeu contre nous, quand il s'agit des arts et de la littérature. En effet, Madame, dis-je, il est là sur son terrain. Pour en avoir meilleur marché, il faut le dépayser un peu. Puis, quand il serait vrai, dis-je, m'adressant à lui, qu'on eût su mieux peindre alors et mieux écrire qu'aujourd'hui, n'avons-nous pas, nous, sur ce siècle-là d'autres avantages bien plus grands? Les sciences, la politique, la guerre.. Ah! dit la comtesse, qu'est-ce que tout cela au prix des tableaux et des fables? Le saint Paul et vingt vers de suite, voilà la gloire d'un siècle. Tout le reste est bagatelle.

,,Il se mit à rire, et nous dit: Ma foi, non-seulement vous me dépaysez, mais vous m'embarquez là dans des mers inconnues. Les sciences, la guerre, la politique, ce sont lettres closes pour

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Ah! ah! dit la comtesse, le voilà qui fléchit. Allons, vous, me faisant un signe, ferme, achevez-le, c'est l'affaire de deux ou trois coups. Quoi! dit-il, n'y a-t-il donc point d'accommodement? et qui vous céderait pour ce siècle-ci la guerre et les sciences, ne quitteriez-vous pas à l'autre les arts, la politesse, le goût? Bon, vous voudriez, je crois, faire les choses égales. Non, point de quartier, ou vous signerez que nous l'emportons en tout sur votre Louis XIV, et que quiconque a pu soutenir le contraire est extravagant, ridicule. Vous me croyez abattu, dit-il, vous me portez le poignard à la visière. Eh bien! plus d'accord, plus de paix; je reprends tout ce que je voulais bien vous céder, et je vous soutiendrai mordicus, jusqu'à mon dernier syllogisme, que ce siècle-là est en tout supérieur au vôtre autant que le cèdre à l'hysope. Dans les sciences? dis-je.

Dans les sciences, dans toutes les sciences, depuis l'astronomie jusqu'à la croix de par Dieu. Et dans la guerre? Oui. Quelle folie! Me voilà prêt à vous le prouver à pied et à cheval.

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Vous croyez qu'il se moque, me dit Madame d'Albany; mais il est homme à se charger d'une pareille cause. Pourquoi non? Vous allez, lui disje, nous faire voir qu'on sait aujourd'hui moins de physique, de mathématiques. Point du tout ce n'est pas là de quoi il s'agit. Comment? Non, il n'est pas question d'examiner si nos savants en savent plus que ceuxlà, étant venus après eux. Car d'abord, instruits par eux, ils ont su ce que ceux-là savaient; et depuis, il serait étrange qu'ils n'eussent pas appris quelque chose que ceux-là ignoraient. Les progrès qu'ont fait faire aux sciences les uns et les autres, voilà ce qu'il faudrait voir, et balancer les découvertes. Eh, mais! lui dis-je, ce serait pour n'en pas finir. Non, reprit-il, les grandes découvertes sont en petit nombre. Les nôtres, celles de nos pères, tout cela serait bientôt compté; et mettant à part ce qu'ils nous ont laissé, à part ce que nous-mêmes avons amassé, on

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verrait à l'œil que tout notre fonds | seph ou à Ferdinand. Là-dessus j'ennous vient d'eux, et que depuis long- trerais facilement en composition, pourvu temps en ce genre nous acquérons peu; qu'il me fût permis de la parcourir à puis le mérite, qui n'est pas petit, de mon aise; mais en être venu si près, nous avoir, eux, ouvert la route et et n'y pouvoir mettre le pied, n'est-ce aplani les obstacles.-Oh! ce qu'ils ont pas pour enrager? Nous la voyons, en fait pour nous, nous le faisons pour vérité, comme des Tuileries vous voyez d'autres. Oui, mais c'est le premier le faubourg Saint-Germain; le canal pas qui coûte. Ils moissonnaient, n'est ma foi guère plus large. Mais dis-je; nous glanons. Au reste, ajou- pas une seule barque, et voilà l'embartai-je, peut-être avez-vous raison en un ras. Il nous en vient, dit-on; tant que sens, et je pense qu'il y aurait assez j'aurai cet espoir, ne croyez pas, Maà dire pour et contre. Vraiment, dit dame, que je tourne jamais un regard Madame d'Albany, la matière est belle, en arrière, vers les lieux que vous haet ce serait affaire à vous deux d'éclair- bitez, quoiqu'ils me plaisent fort. Je cir ce point, s'il ne vous manquait veux voir la patrie de Proserpine, et Quoi! dit Fabre. Oh! rien, une savoir un peu pourquoi Pluton a pris misère; de savoir de quoi vous parlez. femme en ce pays-là. Je ne balance Quant à cela, dit-il, ce n'est pas point, Madame, entre Syracuse et une affaire. J'ai cru longtemps aussi Paris; tout badaud que je suis, je préqu'on n'était point docteur sans prendre fère Aréthuse à la fontaine des Innoses degrés, et que pour parler des cho- cents. ses il les fallait connaître; mais je vois tous les jours tant de gens raisonner des arts sans en avoir la moindre idée, et en faire de gros livres et en tenir école, que, ma foi, je ne veux plus être ignorant sur rien.

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UN CONQUÉRANT DE L'ITALIE.

...

A Reggio, en Calabre, le 15 avril 1806. Pour peu qu'il vous souvienne, Madame, du moindre de vos serviteurs, Vous ne serez pas fâchée, j'imagine, d'apprendre que je suis vivant à Reggio, en Calabre, au bout de l'Italie, plus loin que je ne fus jamais de Paris et de vous, Madame. Pour vous écrire, depuis six mois que je roule ce projet dans ma tête, je n'ai pas faute de matière, mais de temps et de repos; car nous triomphons en courant, et ne nous sommes encore arrêtés qu'ici, où terre nous a manqué. Voilà, ce me semble, un royaume assez lestement conquis, et vous devez être contente de nous; mais moi, je ne suis pas satisfait. Toute l'Italie n'est rien pour moi, si je n'y joins la Sicile. Ce que j'en dis, c'est pour soutenir mon caractère de conquérant; car, entre nous, je me soucie peu que la Sicile paye ses taxes à Jo

Ce royaume que nous avons pris n'est pourtant pas à dédaigner: c'est bien, je vous assure, la plus jolie conquête qu'on puisse jamais faire en se promenant. J'admire surtout la complaisance de ceux qui nous le cèdent. S'ils se fussent avisés de le vouloir défendre, nous l'eussions bonnement laissé là; nous n'étions pas venus pour faire violence à personne. Voilà un commandant de Gaëte, qui ne veut pas rendre sa place; eh bien! qu'il la garde! Si Capoue eu eût fait de même, nous serions encore à la porte, sans pain ni canons. Il faut convenir que l'Europe en use maintenant avec nous fort civilement. Les troupes en Allemagne nous apportaient leurs armes, et les gouverneurs leurs clefs, avec une bonté adorable. Voilà ce qui encourage dans le métier de conquérant; sans cela, on y renoncerait.

Tant y a que nous sommes au fin fond de la botte, dans le plus beau pays du monde, et assez tranquilles, n'étaient la fièvre et les insurrections. Car le peuple est impertinent; des coquins de paysans s'attaquent aux vainqueurs de l'Europe. Quand ils nous prennent, ils nous brûlent le plus doucement qu'ils peuvent. On fait peu d'attention à cela: tant pis pour qui

se laisse prendre. Chacun espère s'en tirer avec son fourgon plein, ou ses mulets chargés, et se moque de tout le

reste.

Quant à la beauté du pays, les villes n'ont rien de remarquable, pour moi du moins; mais la campagne, je ne sais comment vous en donner une idée: cela ne ressemble à rien de ce que vous avez pu voir. Ne parlons pas des bois d'orangers, ni des haies de citronniers; mais tant d'autres arbres et de plantes étrangères que la vigueur du sol y fait naître en foule, ou bien les mêmes que chez nous, plus grandes, plus dévelop pées, donnent au paysage un tout autre aspect. En voyant ces rochers, partout couronnés de myrtes et d'aloès, et ces palmiers dans les vallées, vous Vous croyez au bord du Gange ou sur le Nil, hors qu'il n'y a ni pyramides ni éléphants; mais les buffles en tiennent lieu, et figurent fort bien parmi les végétaux africains avec le teint des habitants, qui n'est pas non plus de notre monde. A dire vrai, les habitants ne se voient guère plus hors des villes; par là ces beaux sites sont déserts, et l'on est réduit à imaginer ce que ce pouvait être, alors que les travaux et la gaieté des cultivateurs animent tous ces tableaux.

Voulez-vous, Madame, une esquisse des scènes qui s'y passent à présent? Figurez-vous sur le penchant de quelque colline, le long de ces rochers décorées comme je viens de vous le dire,

un détachement d'une centaine de nos gens, en désordre. On marche à l'aventure, on n'a souci de rien. Prendre des précautions, se garder, à quoi bon? Depuis plus de huit jours, il n'y a point eu de troupes massacrées dans ce canton. Au pied de la hauteur coule un torrent rapide, qu'il faut passer pour arriver sur l'autre montée: partie de la file est déjà dans l'eau, partie en deçà, au delà. Tout à coup se lèvent de différents côtés mille tant paysans que bandits, forçats déchaînés, déserteurs, commandés par un sous-diacre, bien armés, bons tireurs: ils font feu sur les nôtres avant d'être vus; les officiers tombent les premiers; les plus heureux meurent sur la place; les autres, durant quelques jours, servent de jouet à leurs bourreaux.

On ne songe guère, où vous êtes, si nous nous massacrons ici. Vous avez bien d'autres affaires : le cours de l'argent, la hausse et la baisse, les faillites, la bouillotte; ma foi, votre Paris est un autre coupe-gorge, et vous ne valez guère mieux que nous. Il ne faut point trop détester le genre humain, quoique détestable; mais si l'on pouvait faire une arche pour quelques personnes comme vous, Madame, et noyer encore une fois tout le reste, ce serait une bonne opération. Je resterais sûrement dehors; mais vous me tendriez la main, ou bien un bout de votre châle (est-ce le mot?), sachant que je suis et serai toute ma vie, Madame

...

VICTOR

Victor Hugo est né à Besançon en 1802; il est fils du comte Hugo, lieutenant général sous l'empire. Son génie poétique se développa de bonne heure. A vingt ans, il publia les Odes et Ballades, son premier recueil de poésies lyriques. Depuis, il a fait paraître successivement les Orientales, les Feuilles d'automne, le meilleur de ses recueils, les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres. Ces différents recueils assurent à Victor Hugo une des premières places parmi les poetes lyriques de la France. Il s'y moutre grand coloriste, grand musicien, grand poète; son inspiration est vraie, profonde, puissante. Sa langue est splendide et d'une souplesse admirable. On reproche à Victor Hugo deux défauts dominants: une passion excessive pour l'antithèse, pour l'opposition entre le bien

HUGO.

et le mal, entre le beau et le laid, qui nous a valu cette triste réhabilitation de toutes les laideurs physiques et morales; et un goût extrème pour la forme, l'image, la couleur, le son, en un mot pour la réalité matérielle, qui lui fait négliger l'idée pour le langage. Quelques-uns des poètes de son école ont encore exagéré cette tendance et en ont fait un véritable matérialisme poétique. A ce double défaut, on joint quelques reproches de détails: Il manque quelquefois de goût, de sobriété dans ses images, de pureté et d'élégance dans son style: on trouve dans presque tous ses ouvrages des images inexactes, disgracieuses; des associations bizarres d'idées et de mots; des expressions impropres ou trop familières, et souvent l'affectation du prosaisme. Néanmoins les qualités l'emportent de beaucoup sur les défauts dans ses poésies

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Il est deux fles dont un monde
Sépare les deux océans,
Et qui de loin dominent l'onde,
Comme des têtes de géans
On devine, en voyant leurs cimes,
Que Dieu les tira des abîmes
Pour un formidable dessein:
Leur front de coups de foudre fume,
Sur leurs flancs nus la mer écume,
Des volcans grondent dans leur sein.

Ces îles où le flot se broie
Entre des écueils décharnés,
Sont comme deux vaisseaux de proie,
D'une ancre éternelle enchaînés.
La main, qui de ces noirs rivages
Disposa les sites sauvages,

Et d'effroi les voulut couvrir,
Les fit si terribles peut-être,
Pour que Bonaparte y pût naître,
Et Napoléon y mourir!

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plus remarquables sont le Dernier jour d'un condamné et Notre-Dame de Paris. En prose comme en vers, Victor Hugo est un grand artiste. Quand il veut écrire avec mesure, il a des pages comparables aux plus belles de celles des grands maîtres. Mais, en général, le style chez lui s'enrichit trop aux dépens de l'idée et du sentiment. Il y a une exubérance de mots, de figures, d'images, qu'on ne trouve dans aucun des écrivains français.

Ces mots, qu'un monde naisse ou tombe,
Ne seront jamais effacés.

Sur ces îles, à l'aspect sombre,
Viendront, à l'appel de son ombre,
Tous les peuples de l'avenir;
Les foudres, qui frappent leurs crêtes,
Et leurs écueils, et leurs tempêtes,
Ne sont plus que son souvenir !

Loin de nos rives, ébranlées
Par les orages de son sort,
Sur ces deux fles isolées

Dieu mit sa naissance et sa mort;
Afin qu'il pût venir au monde
Sans qu'une secousse profonde
Annonçât son premier moment,
Et que, sur son lit militaire,
Enfin sans remuer la terre,
Il pût expirer doucement!

2.

Comme il était rêveur au matin de son âge!

Comme il était pensif au terme du voyage! C'est qu'il avait joui de son rêve insensé: Du trône et de la gloire il savait le mensonge; Il avait vu de près ce que c'est qu'un tel songe,

Et quel est le néant d'un avenir passé.

Enfant, des visions, dans la Corse, sa mère, Lui révélaient déjà sa couronne éphémère, Et l'aigle impérial planant sur son pavois; Il entendait d'avance, dans sa superbe attente,

L'hymne qu'en toute langue, aux portes de sa tente,

Son peuple universel chantait tout d'une

voix. 3.

Voilà l'image de la gloire:
D'abord un prisme éblouissant,
Puis un miroir expiatoire,
Où la pourpre paraît du sang!
Tour à tour puissante, asservie,
Voilà quel double aspect sa vie
Offrit à ses âges divers.

Il faut à son nom deux histoires:
Jeune, il inventait ses victoires,
Vieux, il méditait ses revers.

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A UNE JEUNE FILLE.

Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle,

Enfant! n'enviez point notre âge de douleurs,

Où le cœur tour à tour est esclave et rebelle, pleurs.

Sa clarté dans les champs éveille une fanfare Où le rire est souvent plus triste que vos De cloches et d'oiseaux!

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