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comme par enchantement, la royauté recueille enfin, au profit de la France qui l'aime, qui l'admire et qui se repose en elle, le fruit de leurs efforts communs contre la puissance des grands, source des discordes civiles et de l'affaiblissement national. Lorsque cette guerre a cessé, le parlement, abandonnant toute ambition politique, enregistre docilement les édits de tout genre, le clergé se retranche dans son domaine spirituel, la nation se fortifie par l'industrie et par la science. Alors commence cette brillante époque qu'on appelle à juste titre le siècle de Louis XIV. L'histoire de ce prince, c'est l'histoire de l'Europe entière; la France était alors un centre autour du quel tout venait converger, et son roi le principal ressort du mouvement politique et intellectuel.

Louis XIV avait vingt-quatre ans lorsqu'il prit en main les rênes de l'Etat (1661). Sa taille, son port, sa beauté et sa grande mine annonçaient le souverain; une majesté naturelle accompagnait toutes ses actions et commandait le respect. Il suppléait par un grand sens au défaut de son éducation. Son âme n'était pas commune. Il avait surtout l'instinct du pouvoir, le besoin de diriger, la foi en soi-même, si nécessaire pour commander aux autres. Sa maxime était: unir pour régner. Il concentra au pied de son trône tout ce qui était influence ou éclat: noblesse, fortune, science, génie, bravoure.

Les dernières années de la jeunesse et les premières années de la maturité de Louis XIV sont une période unique dans l'histoire de la France, temps de fêtes splendides, de victoires décisives, de conquêtes, de prospérité sans mélange de revers, de soumission sans contrainte, de chefs-d'œuvre d'éloquence et de poésie. La paix de Nimègue (1678) signale l'apogée de son pouvoir. Dès lors la France décline; les belles qualités de son souverain pâlissent et s'effacent. Placé au-dessus de tout et entouré d'hommages, Louis XIV ne sut pas se défendre du vertige et de l'enivrement: il ne vit plus que lui, il n'adora que lui-même. Cette apothéose humaine fut la source de ses erreurs et de ses fautes. Au terme de sa longue carrière, Louis-le-Grand avait affaibli tout ce qu'il avait prétendu fortifier. Examinons maintenant l'influence de la politique sur la littérature. La cour tout italienne de Marie de Médicis accueillit avec distinction un homme que les hardiesses de sa pensée et de sa conduite avaient forcé de quitter l'Italie. C'est Marini, qui personnifia en lui l'affectation et le mauvais goût si souvent reprochés à son siècle et à

son pays. Le cavalier Marin (il était connu à Paris sous ce nom) publia en France plusieurs ouvrages, dont le plus célèbre est l'A done, poème de plus de quarante mille vers, où, à travers une prodigieuse quantité d'épisodes, un luxe étincelant de peintures il trouva le moyen d'intercaler des allusions et des flatteries à l'adresse des puissances du jour. Cet ouvrage eut un succès si prodigieux que le vieux Malherbe faillit en mourir de colère. Marini souriait dédaigneusement en regardant ce poète si sec“, et jouissait de la pension de deux mille écus d'or que la cour lui accordait. Malgré ses concetti alambiqués, l'Adone conserva assez longtemps sa réputation; en 1662, le président Nicole essaya de la traduire en vers.

Pendant que Marini venait apporter en France les goûts littéraires de l'Italie contemporaine, les hommes du monde, les magistrats, les littérateurs continuaient à voyager dans ce pays: Balzac en rapportait quelques expressions éloquentes, Voiture des jeux de mots et Scarron le genre burlesque, créé par Burchiello, continué par Lalli, Mauri, Lippi, etc.

Autour du célèbre philologue Ménage se forma un petit groupe d'érudits, d'hommes du monde, de femmes aimables et spirituelles, où le goût et la pratique de la langue italienne se concentrèrent et se soutinrent jusqu'en plein règne de Louis XIV. On y distinguait en première ligne Ménage et Chapelain, puis le cardinal de Retz, la Rochefoucauld, Condé, mesdames de Sévigné, de la Fayette, de Longueville, etc., c'est-à-dire plus particulièrement l'ancienne société de la Fronde.

L'influence de la politique italienne reparut durant la régence de Marie de Médicis, la faveur du maréchal d'Ancre, et le ministère de Mazarin.

Sous Philippe II, l'Espagne avait un moment, à l'ombre de la Ligue, envahi jusqu'au cœur de la France; elle avait présidé les états généraux dans la personne de ses ambassadeurs. Henri IV refoula le torrent; il rendit la France à elle-même. Toutefois, si le vainqueur d'Ivry avait souhaité un bon voyage" à messieurs les Espagnols, en les invitant à n'y plus revenir", il n'avait pas chassé leurs modes et la domination de leurs idées. On ne voyait à Paris que

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Français espagnolisés". Barbe pointue, feutre à long poil, pourpoint et haut-dechausses à demi détachés, rubans aux jambes, fraises empesées, telle était la mise des gens comme il faut. On n'entendait dans la bouche des courtisans qu'exclamations et admirations castillanes. Regnier

signale d'un ton moqueur cette conquête nou- | velle. La mode fut plus forte que Regnier, que Henri IV lui-même. Le bon roi endossa, bon gré mal gré, le noir costume de Philippe II, et sur ses vieux jours il se mit, tout en grondant, à apprendre l'espagnol. Le maître qui lui donna des leçons fut Antonio Perez, ancien secrétaire de Philippe II, rival, complice et victime de ce prince. Perez joua un rôle important dans la révolution qui introduisit en France le cultorisme, c'est-à-dire le mauvais goût mis à la mode en Espagne par le poète Gongora et par le jésuite Gracian. Ses lettres surtout servirent d'antécédent et de modèle aux, épistoliers" illustres de l'époque. Poussé en Angleterre par les vicissitudes de sa fortune, Perez trouva la cour d'Elisabeth en proie à l'épidémie de l'euphuïsme, style plein d'affectation mis à la mode par J. Lilly. L'abus le plus incroyable de la métaphore et de la comparaison, les rapprochements les plus forcés, les plus ridicules hyperboles formaient le tissu de cette langue nouvelle. Perez enjoliva son cultorisme de quelques_absur- | dités de plus, qu'il ne manqua pas de rapporter en France.

Le mariage de Louis XIII avec la sœur de Philippe IV remit tellement l'espagnol à la mode, qu'il était alors presque honteux aux gens de lettres de l'ignorer. Anne d'Autriche donna à la littérature espagnole un plus grand éclat et une nouvelle vogue. Elle introduisit à la cour cette langue sonore et majestueuse. Tous les poètes dramatiques la savaient aussi. C'était au théâtre surtout que cette influence espagnole dominait.

Ainsi afféterie italienne, enflure espagnole, euphuïsme anglais, tels étaient les ennemis du vieux bon sens français. Ces rayons étrangers se concentraient dans l'hôtel de Rambouillet, qui exerça sur la littérature et sur la société du XVIIe siècle une influence si diversement jugée.

Deux Italiennes, Julie Savelli, marquise de Pisani, et Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, avaient fondé à l'hôtel Pisani, qu'on appela plus tard hôtel de Rambouillet, sur les traditions de leur pays, l'art de la vie élégante, l'esprit de conversation et de société, dont la France avait un si grand besoin au sortir des guerres civiles du XVIe siècle. La marquise avait toute la vivacité des mœurs italiennes sans en avoir la licence. La rigidité de ses

1 Cette dénomination est empruntée au titre d'un des ouvrages de Lilly: Euphues and his England. 2 Elle était née à Rome pendant l'ambassade du marquis de Pisani, son père.

principes l'avait même éloignée de la cour de Henri IV, parce que les mœurs qui y régnaient offensaient la pureté de son âme, et que le ton goguenard et fanfaron des familiers de ce lieu, du maître lui-même blessaient la délicatesse de son esprit. Le cercle de la marquise de Rambouillet composé de beaux esprits et de femmes distinguées fut, dans l'origine, un centre d'opposition élégante et modérée destinée à combattre indirectement les orgies de la cour par la pureté du langage et des mœurs. On briguait l'honneur d'y être admis, car l'admission était un double brevet de culture intellectuelle et de décence morale. A la mort de Catherine, sa fille Julie d'Angennes prit le sceptre; son règne, qui s'étendit jusqu'en 1648, fut l'époque la plus brillante de l'hôtel de Rambouillet.

L'hôtel de Rambouillet continua le travail

de Malherbe. Celui-ci avait donné à l'idiome national la force et la noblesse; ses continuateurs l'assouplirent, l'affermirent et ajoutèrent aux qualités qu'il possédait déjà la finesse et la délicatesse. Il faut encore rapporter à ce cercle ingénieux l'art et le goût de la conversation, qui fut une des principales gloires de la France, et d'où naquirent la politesse, le savoir-vivre et l'urbanité, dont le nom même manquait avant cette époque. Balzac avait introduit ce dernier mot à l'hôtel de Rambouillet, et ses habitués donnèrent cours, de leur propre fonds, à d'autres expressions heureuses qui ont enrichi le trésor de la langue. On ne saurait non plus nier sans injustice les services rendus à la morale par cette société d'élite: elle rendit chastes, au moins en paroles, les auteurs qu'elle admettait, et plus retenus ceux qu'elle n'avait pas enrôlés. Son influence se fit sentir sur le théâtre, d'où furent bannies les obscénités qui le déshonoraient.

Malgré l'excellence de ses intentions, le cercle de la marquise de Rambouillet ne put échapper à la destinée des réunions de choix, qui deviennent forcément des coteries et qui se font toujours des idées et un langage à part. Le besoin de se distinguer, qui est le principe de leur établissement et la condition de leur durée, produit fatalement l'orgueil et l'affectation: elles ont des initiés pour qui les étrangers sont des profanes, et leur devise sera toujours: Nul n'aura de l'esprit que nous et nos amis.

Les femmes qui fréquentaient l'hôtel de Rambouillet prirent le nom de précieuses: c'était un titre d'honneur. Les précieuses se divisaient suivant l'âge en jeunes et anciennes; et, dans l'ordre moral, elles se classaient en galantes ou spirituelles,

selon leur vocation pour les délicatesses du sentiment ou les finesses de l'esprit.

Les précieuses s'étaient fait un langage particulier: Paris s'appelait Athènes; Pile Notre Dame, Délos; Lyon était Milet; Aix, Corinthe; la France avait fait place à la Grèce. Louis XIV avait changé son nom contre celui d'Alexandre; Richelieu était devenu Sénèque, et Mazarin, Caton. Tous les beaux esprits avaient subi la même métamorphose. Chapelain devait répondre au nom de Chysante, Sarrazin à celui de Sésostris, etc.; enfin la Marquise de Rambouillet elle-même s'appelait Arthénice (anagramme de Catherine trouvé en commun par Malherbe et Racan).

D'autres ruelles" se formèrent à l'exemple de la réunion de l'hôtel de Rambouillet, et l'on s'attacha dans ces cercles imitateurs à exagérer les défauts du modèle. La province eut aussi ses précieuses. C'est contre ces coteries qui copiaient maladroitement les manières et le langage de la société de la belle Arthénice, que Molière dirigea surtout ses traits.

L'hôtel de Rambouillet avait accoutumé à avoir de l'esprit sur tous les objets, et c'est par là qu'il faut commencer: on apprend, ensuite, à n'avoir sur chaque objet que la sorte d'esprit convenable, et c'est par là qu'il faut finir; c'est l'abrégé de la perfection et du goût, et c'est par ces deux qualités que se distingue la seconde moitié du XVIIe siècle.

Mais avant de passer à cette partie de notre période, nous devons dire quelques mots d'une institution qui fait époque dans la littérature française; c'est l'Académie française.

Le véritable esprit académique naquit dans la petite chambre de Malherbe. Les sujets, les pensées, les tours, les mots, tout était contrôlé d'après les règles de la raison générale, éprouvé à ce sens commun par lequel les hommes, si différents d'humeur et d'esprit, se ressemblent et se mettent d'accord. Pour la langue, on ne l'imaginait pas, on la tirait du peuple, et le plus habile n'était que celui qui se servait le mieux de la langue de tous.

Après la mort de Malherbe, nous retrouvons quelques-uns des interlocuteurs de ces conférences, Racan, Maynard, formant le noyau d'une petite société de gens de lettres, qui se tenait toutes les semaines chez Conrard, savant protestant. Le cardinal de Richelieu, qui s'occupait de poésie, après avoir dicté ses arrêts de mort, vit dans cette société le germe d'une grande institution, et un moyen de gouverner la langue par un conseil régulièrement établi. Il lui offrit

de se changer en académie, et de préparer la forme et les lois qu'il serait bon qu'elle reçût à l'avenir. Ils se rendirent à regret au désir du cardinal, parce qu'ils craignaient de compromettre leur indépendance et finirent toutefois par lui adresser une lettre qui était comme le développement du plan qu'ils avaient conçu.

Les fonctions réglées, il restait à ajouter au titre d'académie, offert à Richelieu et accepté, l'épithète qui convenait le mieux aux fonctions de la nouvelle compagnie. Elle s'intitula Académie française.

Les lettres patentes par lesquelles Louis XIII institua l'Académie française disent que sa principale fonction est d'établir des règles certaines pour le langage français et de le rendre capable de traiter tous les arts et toutes les sciences. Comment s'est-elle acquittée de la mission? Nous n'hésitons pas à dire que, prêtresse infidèle, elle éteignit le feu qu'elle était chargée d'entretenir. Elle garda avec si peu d'intelligence le trésor confié à sa fidélité, que l'idiome français s'appauvrit de jour en jour. Aussi viton de bonne heure se former deux langages en France: l'un d'une pruderie sans pareille, marchant à pas comptés et craignant à chaque instant de déroger à l'étiquette, de se compromettre, de se mésallier: c'est celui que l'Académie reconnaît; l'autre incessamment renouvelé par les études et les voyages, libre, indépendant, progressif, inépuisable en ressources: c'est celui des écrivains vraiment originaux.

C'est de la cour qu'il faut envisager le mouvement intellectuel de la seconde moitié du XVIIe siècle et en embrasser l'ensemble. L'homme qui dit: l'Etat c'est moi, put dire aussi: les arts, les lettres, la pensée de mon époque c'est moi.

D'abord la nouvelle royauté abandonne le Louvre; c'est à Versailles qu'elle va étaler toutes ses splendeurs. Jules Hardouin Mansart construit ce vaste palais qui révèle la pensée, les grandeurs, l'immense et cruel égoïsme du règne de Louis XIV. Lebrun le peuple de peintures et jette tout l'Olympe aux pieds de son monarque, nulle part n'apparaît la figure de la France. Le Nôtre crée pour cette demeure royale une campagne où les arbres ne végètent que sous la règle et l'équerre; les mille statues mythologiques dont elle est ornée forment l'apothéose du roi et de ses amours.

Louis est l'âme de sa cour comme de son palais. C'est lui qui inspire la grâce et l'esprit aux femmes, la valeur et la politesse aux hommes de guerre, l'émulation aux artistes. Les courtisans vivent et meurent de ses regards.

Il est aisé de pressentir le caractère de la littérature sous un pareil monarque. Entraînée dans la sphère royale, elle deviendra une partie du vaste ensemble monarchique. La fière indépendance des Descartes, des Pascal va faire place à l'autorité. Le besoin si ancien de clarté et de précision, triomphera tout à fait dans la prose française, mais la poésie deviendra conventionelle. On exigera des poètes une langue claire et élégante. La cour, qui les juge, se croyant le modèle le plus parfait de la grandeur et de l'élégance, la fougue passionnée de la tragédie et l'enthousiasme de l'ode devront se régler sur ce que permet la bonne société. En prenant la livrée royale, la poésie se fera catholique. Toutefois, il ne faudrait pas vouloir comparer la religiosité de Racine avec le mysticisme du Dante. Chacun faisait parade de son orthodoxie, mais la cour et l'opinion publique étaient pour les libertés de l'Eglise gallicane. Si Louis XIV persécuta les calvinistes, il sut défendre les privilèges de sa couronne, et sa piété ne l'empêcha pas de faire sentir sa supériorité au pape. Aussi la plupart des poètes courtisans sont-ils loin de la contrition ascétique et profondément religieuse de Pascal et des Jansénistes. Ils s'accommodent plutôt aux dogmes de l'Eglise qu'ils ne s'y soumettent de cœur. Ce manque de courage philosophique les fit tomber dans l'esclavage des règles et du bon ton. Dès que sa pensée s'arrête devant une autorité quelconque, elle perd la conscience de sa force et est obligée d'avoir recours aux systèmes.

Outre l'influence de la cour et de l'Eglise, la littérature du XVIIe siècle reçut celle de l'antiquité, sans intermédiaire étranger cette fois, et par l'initiative spontanée du goût français désabusé d'autres modèles. Elle ramena à la juste mesure les esprits gâtés par l'exagération italienne et espagnole. Elle échauffait silencieusement les esprits créateurs de cette époque, sans se trahir à la surface par des emprunts mal digérés, par des néologismes bizarres. Ce n'étaient pas les imitations crues de Ronsard, de Baïf et de Du Bellay, mais les transformations intelligentes d'Amyot et de Montaigne, qui avaient donné tant d'hellénismes et de latinismes à la langue du XVIe siècle. La Fontaine, a dit Courier, est plus grec que les traducteurs. Le XVIIe siècle reproduisit et généralisa ce genre d'imitation, dont le même La Fontaine a si bien tracé l'esprit et les règles: „Mon imitation n'est point un esclavage: Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois.

Si d'ailleurs quelque endroit chez eux plein d'excellence Peut entrer dans mes vers sans nulle violence, Je l'y transporte, et

Tâchant

veux qu'il n'ait rien d'affecté, de rendre mien cet air d'antiquité." Voilà comment les auteurs du „grand" siècle comprenaient l'imitation! Mais ils ne pénétrèrent pas entièrement l'esprit de l'antiquité et ils ne jugèrent pas ses chefsd'œuvre comme des productions et des symboles d'un ordre d'idées tout différent de celui des modernes. Ne pouvant résister au penchant qui a sans cesse entraîne les Français à l'abstraction un peu superficielle, ils s'en tinrent à l'extérieur de quelques formes antiques et en firent les types éternels et immuables du beau. Ils oublièrent qu'une forme n'est belle qu'en tant qu'elle répond pleinement à l'idée qui lui a donné

naissance.

Les traits distinctifs des productions du règne de Louis XIV étant, comme on voit, tout différents de ceux des ouvrages de la première moitié du siècle, nous diviserons cette période en deux époques, que nous examinerons successivement.

PREMIÈRE ÉPOQUE.

POÉSIE.

Poésie lyrique, légère, épique, etc.
Genre burlesque.

Les plus dociles et les plus distingués des écoliers de Malherbe étaient le marquis de Racan (1589 à 1670) et le président Maynard (1582 à 1646). La réputation de Racan s'est longtemps soutenue, son nom n'a point péri comme celui de tant d'autres poètes qui n'avaient en vue que le plaisir de Richelieu et des courtisans. Boileau s'est permis, contre son habitude, une hyperbole de louange en faveur de Racan, et La Fontaine ne met aucune différence entre Malherbe et son disciple. La vérité, c'est que Racan est un poète, mais un poète négligé. Lisez ses Bergeries qui lui ouvrirent les portes de l'Académie, vous verrez qu'il n'a pu ni dessiner un caractère, ni trouver une situation intéressante, ni donner à ses personnages un langage convenable. Ce qui a fait et ce qui soutient encore la renommée de Racan, c'est l'expression harmonieuse de quelques sentiments naturels. Ainsi, s'il est habituellement faux et souvent maniéré lorsqu'il fait parler des bergers de convention, il est noble et touchant, il est tout à fait poète en célébrant les douceurs de la vie des champs comparées aux agi

tations des courtisans de la fortune. Dans son vieil âge, il chercha à sanctifier sa poésie en la rendant l'interprète des livres sacrés; mais, en traduisant les psaumes, il resta bien inférieur à ce qu'il avait été dans le genre profane.

Maynard n'a ni la veine fluide ni l'harmonieuse mollesse de Racan, mais en retour il est toujours châtié, souvent nerveux, quelquefois élégant. Il avait à un haut degré le sentiment de son mérite, et il se plaint, non sans amertume, que ce mérite ne le porte ni aux dignités ni à l'opulence. C'est sans doute au mauvais emploi qu'il fit de son esprit qu'il doit ses mécomptes; il a trouvé trop souvent l'assaisonnement de ses nombreuses épigrammes dans la licence. Il marche sur les traces de Martial, de Marot et de Saint-Gelais. Si Maynard a en mainte occasion réussi dans l'épigramme, il est toujours monotone et un peu froid dans ses odes et dans ses sonnets.

Jean Chapelain (1595 à 1674), l'un des premiers membres de l'Académie française, fut pendant quarante ans le dictateur de la littérature française. Il avait dû sa réputation aussi prompte que peu contestée à une traduction agréablement écrite de Gusman d'Alfarache, à quatre odes, l'une adressée au cardinal de Richelieu, laquelle a trouvé grâce devant Boileau, et les autres au duc d'Enghien, au comte de Dunois et au cardinal Mazarin. Mais en 1656, il publia la Pucelle, et tout à coup il fut précipité du trône où l'avait élevé l'admiration générale, pour tomber au plus bas degré du mépris. Quoique Chapelain ait frappé d'une empreinte vigoureuse quelques vers énergiques, il n'en est pas moins très prosaïque par essence; c'est un esprit méthodique et minutieux, n'oubliant rien et disposant tout symétriquement. Le style des douze chants publiés et des douze chants inédits de la Pucelle est si horriblement barbare, que Racine, Boileau et la Fontaine s'imposaient, dit-on, comme pénitence, la tâche d'en lire quelques pages lorsqu'il leur échappait une faute de diction.

Georges de Scudéry (1601 à 1667), poète et romancier, célèbre par sa fécondité et par le ridicule de ses écrits. Il sut plaire à Richelieu par les attaques qu'il dirigea contre le grand Corneille, et fut reçu à l'Académie française en 1630. En dépréciant Corneille, Scudéry était sincère; ce bienheureux mortel n'avait jamais douté de sa supériorité, et il devait prendre loyalement en pitié le public assez aveugle pour préférer le Cid à ses seize tragédies ou tragi-comédies.

Paul Scarron naquit à Paris en 1610

et mourut en 1660. L'excès du plaisir le rendit, comme il le dit lui-même dans une de ses épîtres, un raccourci de la misère humaine; son corps avait pris avant trente ans la forme d'un z. Cette bizarre et cruelle maladie avait laissé vivre un esprit pénétrant et railleur; pour se venger gaiement et venger ses souffrances physiques, le spirituel raccourci“ se prit à défigurer le monde à son image: ses ennemis naturels furent dès lors la noblesse, la grandeur, la régularité. Il fit grimacer les figures héroïques et ramena les belles créations du génie antique aux proportions mesquines de la bourgeoisie et de la populace.

Le burlesque de Scarron est la transformation des caractères et des sentiments nobles en figures et en passions vulgaires opérée de telle sorte que la ressemblance subsiste sous le travestissement, et que le rapport soit sensible dans le contraste. Le procédé de notre poète diffère de la parodie en ce qu'il conserve à ses personnages leur rang et leur condition en abaissant leur langage et leurs mœurs, et cette opposition est un élément de plus pour le comique. Outre le travestissement des caractères, les artifices les plus féconds de Scarron, sont les anachronismes ou le transport des temps modernes dans l'antiquité, et le mélange de la critique littéraire à la charge morale.

Nous recommanderons son Roman comique, malheureusement inachevé, qui vivra longtemps encore par le naturel des pensées, la pureté du style, le dessin ferme et délicat des caractères, le comique des situations. Ces premiers livres nous ont fait connaître des physionomies qu'on n'oublie pas. Le Roman comique est un tableau de mœurs véritables tracé au moment même où le roman servait de cadre à tant de peintures fausses ou maniérées; il fait regretter que Scarron se soit abandonné aux caprices de l'esprit et de l'imagination au lieu de suivre les inspirations. du bon goût.

Art dramatique.

Au début de notre période, la Principauté de la sottie subsistait encore, et l'on retrouve en 1608, le Prince des sots jouissant du droit d'entrer par la grande porte de l'hôtel de Bourgogne, et d'y prendre copieuse collation le jour du mardi-gras. Cet éternel esprit de gaieté quelquefois profonde et fine, le plus souvent épaisse et obscène, revivait tout entier dans les Discours facétieux et très récréatifs, dans les Prologues drôlatiques des Turlupins, Bruscambille, Gros-Guillaume, Gauthier Garguille, Guillot-Gorju, comédiens

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