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Les députés de Paris, Marat, Danton, Billaud-Varennes, Legendre, Paris, Sergent, Collot-d'Herbois, Fréron, Fabre d'Eglantine, David, Robespierre le jeune, suivirent l'exemple de Robespierre, et répétèrent comme un écho monotone, vingt et une fois de suite, le mot de mort en défilant à la tribune.

Le duc d'Orléans y fut appelé le dernier. Un profond silence se fit à son nom. Sillery, son confident et son favori, avait voté contre la mort. On s'attendait que le prince voterait comme son ami ou qu'il se récuserait au nom de la nature et du sang. Aux yeux des Jacobins même, il était récusé. Il ne se récusa pas. Il monta lentement et sans émotion les marches de la tribune, déplia un papier qu'il tenait à la main, et lut d'une voix stoïque les paroles suivantes: „Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou qui attenteront par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote la mort!" Ces paroles

de se récuser, il n'a pas voulu ou il n'a pas osé le faire: la nation eût été plus magnanime que lui!"

Le dépouillement du scrutin fut long, plein de doute et d'anxiété. La mort et la vie, comme dans une lutte, prenaient tour à tour le dessus ou le dessous, selon que le hasard avait groupé les suffrages dans les listes relevées par les secrétaires. Il semblait que la destinée avait peine à prononcer le mot fatal. Tous les cœurs palpitaient, les uns de l'espoir de sauver ce deuil à la Révolution, les autres de crainte de perdre cette victime. Enfin le président se leva pour prononcer le jugement. C'était Vergniaud. Il était pâle; on voyait trembler ses lèvres et ses mains, qui tenaient le papier où il allait lire le chiffre des votes.

A ce moment, un député, nommé Duchâtel, enveloppé des couvertures de son lit, se fit apporter à la Convention, au milieu des menaces, et vota d'une voix mourante contre la mort.

tombèrent dans le silence et dans l'éton- Après cet incident, le président se nement du parti même auquel le duc leva, et dit avec l'accent de la douleur: d'Orléans semblait les concéder comme,,Citoyens, vous allez exercer un grand un gage. Il ne se trouva pas sur la acte de justice. J'espère que l'humanité Montagne un regard, un geste, une voix vous engagera à garder le plus religieux pour applaudir. Ces Montagnards, en silence. Quand la justice a parlé, l'hujugeant à mort un roi captif et désarmé, manité doit se faire entendre à son pouvaient bien blesser la justice, con- tour." sterner l'humanité; mais ils ne consternaient pas la nature. La nature se révoltait en eux contre le vote du premier prince du sang. Un frisson parcourut les bancs et les tribunes de l'Assemblée. Le duc d'Orléans descendit troublé de la tribune, doutant, à ces premiers symptômes, de l'acte qu'il venait de consommer. Les vertus comme celles de Brutus sont si voisines du crime, que la conscience des républicains eux-mêmes se troubla en face de cet acte. Sacrifier la nature aux lois paraît beau au premier coup d'oeil; mais la consanguinité aussi est une loi, et il n'y a pas de vertu contre une vertu!

Robespierre lui-même, s'entretenant le soir du jugement du roi, parut protester contre le vote du duc d'Orléans. Le malheureux, dit-il à ses amis; il n'était permis qu'à lui d'écouter son cœur et

Il lut le résultat du scrutin. La Convention comptait sept cent vingt et un votants. Trois cent trente-quatre avaient voté pour le bannissement ou la prison; trois cent quatre-vingt-sept pour la mort, en comptant pour la mort les voix de ceux qui avaient voté pour cette peine, mais à condition qu'elle serait ajournée. La mort comptait donc cinquante-trois suffrages de plus que le bannissement: mais, en retranchant du vote de mort les quarante-six voix qui ne l'avaient prononcée qu'en demandant que l'exécution fût suspendue, il ne restait donc qu'une majorité de sept suffrages pour la mort. Ainsi trois hommes déplacés déplaçaient le chiffre et changeaient le jugement. C'étaient donc les douze ou quinze chefs de la Gironde dont la main avait jeté le poids décisif dans une balance presque

égale. La mort, vœu des Jacobins, fut l'acte des Girondins. Vergniaud et ses amis se firent les exécuteurs de Robespierre. La mort du tyran, passion chez le peuple, fut une concession dans la Gironde. Les uns demandaient cette tête comme le signe du salut de la ré

publique; les autres la donnaient pour le salut de leur parti. Si la passion des uns était aveugle et impitoyable, quel nom donner à la concession des autres? S'il y a un crime dans le meurtre par vengeance, dans le meurtre par lâcheté il y en a deux.

ALFRED DE VIGNY.

Le comte Alfred de Vigny est né, en 1797, dans la petite ville de Loches, en Touraine, d'une famille ancienne. Il entra jeune dans l'armée, servit douze ans, et se retira (1828) avec le grade de capitaine. Doué d'un génie poétique, de Vigny avait consacré aux muses ses loisirs de garnison, et publié plusieurs petits poèmes, le Cor (mort de Roland à Roncevaux), la Neige (tradition des amours d'Eginhard et d'Emma, fille de Charlemagne), la Sérieuse (magnifique tableau du côté poétique de la vie du marin), Dolorida, Eloa (peinture de l'abnégation et du dévouement de la femme, représentée par Éloa, viergearchange, formée d'une larme de l'Éternel), enfin Moise (répétition de la plainte éternelle du génie incompris de la foule). A. de Vigny manque un peu de verve et d'énergie. Sa merveilleuse douceur de langage n'a ni la précision nerveuse qui serre vivement la pensée, ni la rapidité lyrique, qui, pour employer un de ses beaux vers:,,Monte aussi vite au ciel que l'éclair en des

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cend." Il a fait une excellente traduction en vers de l'Othello de Shakespeare; et a composé en 1826 un des meilleurs romans historiques que la France possède. Il eut d'autant plus de mérite à réussir dans son Cinq-Mars, qu'il avait mal conçu alors le caractère du roman historique. Au lieu de faire comme Walter Scott, qui ne prend à l'histoire que le cadre, l'esprit et les mœurs du temps, où il transporte l'action, tandis qu'il invente l'intrigue et en charge des personnages fictifs; A. de Vigny voulait que les évènements et les personnages principaux fussent historiques aussi. Cette condition nouvelle gênait chez lui la fiction et falsifiait l'histoire. On lui doit encore Servitude et Grandeur militaires (récit touchant de la vie dure et de l'héroïsme ignoré du soldat), Stello (peinture intéressante des souffrances et de la fin tragique de Chatterton, de Gilbert et d'André Chénier); et deux drames Chatterton et la Maréchale d'Ancre. Il mourut à Paris, en 1863.

C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est la qu'il
faut entendre
Les airs lointains d'un cor mélancolique et
tendre.

Souvent un voyageur, lorsque l'air est
sans bruit,

De cette voix d'airain fait retentir la nuit;
A ses chants cadencés autour de lui se
mêle
L'harmonieux grelot du jeune agneau qui
bêle.

Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade nuit, dans une chute immense, Son éternelle plainte au chant de la ro

mance.

Ames des chevaliers, revenez-vous encor? Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor? Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallée

O montagnes d'azur! ô pays adoré! Rocs de la Frazona, cirque du Marboré, Cascades qui tombez des neiges entraînées, L'ombre du grand Roland n'est donc pas Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Py

rénées;

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,

Dont le front est de glace et les pieds de gazons!

consolée !

II.

Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui.

Il reste seul debout, Olivier prés de lui,

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L'armée applaudissait. Le luth du troubadour S'accordait pour chanter les saules de l'Adour; Le vin français coulait dans la coupe étrangère;

Le soldat, en riant, parlait à la bergère.

Roland gardait les monts; tous passaient sans effroi.

Assis nonchalamment sur un noir palefroi Qui marchait revêtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes:

„Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu; Suspendez votre marche, il ne faut tenter Dieu,

Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes

Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

Herrig, La France litt.

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Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent?

J'y vois deux chevaliers; l'un mort, l'autre expirant.

Tous deux sont écrasés sous une roche noire; Le plus fort, dans sa main, élève un cor d'ivoire, Son âme en s'exhalant nous appela deux fois."

Dieu! que le son du cor est triste au fond des bois!

LA FRÉGATE LA SÉRIEUSE, OU LA
PLAINTE DU CAPITAINE.
Qu'elle était belle ma frégate,
Lorsqu'elle voguait sous le vent!
Elle avait, au soleil levant,
Toutes les couleurs de l'agate;

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garde;

L'Orient, dans sa rade au mouillage inégal, Reçoit la poudre d'or des noirs du Sénégal; Bordeaux, de ses longs quais parés de maisons neuves, Porte à la mer ses vins sur l'eau de deux grands fleuves; Toute ville à Marseille aurait droit d'envier Sa ceinture de fruits d'orange et d'olivier; D'or et de fer Bayonne en tout temps fut prodigue;

Toulon a ses beaux forts, La Rochelle a sa digue:

Tous nos ports ont leur gloire ou leur luxe à nommer, Mais le Havre a lancé La Sérieuse en mer.

LA TRAVERSÉE.

Quand la belle Sérieuse
Pour l'Égypte appareilla,
Sa figure gracieuse
Avant le jour s'éveilla;
A la lueur des étoiles
Elle déploya ses voiles,
Leurs cordages et leurs toiles,
Comme de larges réseaux,
Avec ce long bruit qui tremble,
Qui se prolonge, et ressemble
Au bruit des ailes qu'ensemble
Ouvre une troupe d'oiseaux.

Dès que l'ancre dégagée
Revient par son câble à bord,
La proue alors est changée,
Selon l'aiguille et le nord.
La Sérieuse l'observe,
Elle passe la réserve,
Et puis marche de conserve
Avec le grand Orient:
Sa voilure toute blanche,
Comme un sein gonflé se penche;
Chaque mât, comme une branche,
Touche la vague en pliant.

Avec sa démarche leste
Elle glisse et prend le vent,
Laisse à l'arrière l'Alceste,
Et marche seule à l'avant.
Par son pavillon conduite,
L'escadre n'est à sa suite
Que lorsque, arrêtant sa fuite,
Elle veut l'attendre enfin;
Mais de bons marins pourvue,
Aussitôt qu'elle est en vue,
Par sa manœuvre imprévue
Elle part comme un dauphin.

Comme un dauphin elle saute,
Elle plonge comme lui
Dans la mer profonde et haute,
Où le feu Saint-Elme a lui.
Le feu serpente avec grâce;
Du gouvernail qu'il embrasse
Il marque longtemps la trace,
Et l'on dirait un éclair,
Qui, n'ayant pu nous atteindre,
Dans les vagues va s'éteindre,
Mais ne cesse de les teindre
Du prisme enflammé de l'air.

Ainsi qu'une forêt sombre
La flotte venait après,
Et de loin s'étendait l'ombre
De ses immenses agrès,
En voyant Le Spartiate,
Le Franklin et sa frégate,
Le bleu, le blanc, l'écarlate,
De cent mâts nationaux,
L'armée, en convoi, remise
Comme en garde à L'Artémise,
Nous nous dimes: C'est Venise
Qui s'avance sur les eaux.

Quel plaisir d'aller si vite,
Et de voir son pavillon,
Loin des terres qu'il évite,
Tracer un noble sillon!
Au large on voit mieux le monde,
Et sa tête énorme et ronde
Qui se balance et qui gronde
Comme éprouvant un affront,

Parce que l'homme se joue De sa force, et que la proue, Ainsi qu'une lourde roue,

Fend sa route sur son front.

Quel plaisir! et quel spectacle,
Que l'élément triste et froid,
Ouvert ainsi sans obstacle
Par un bois de chêne étroit!
Sur la plaine humide et sombre,
La nuit, reluisaient dans l'ombre
Des insectes en grand nombre,
De merveilleux vermisseaux,
Troupe brillante et frivole,
Comme un feu follet qui vole,
Ornant chaque banderole
Et chaque mât des vaisseaux.

Et surtout La Sérieuse
Était belle nuit et jour;
La mer douce et curieuse,
La portait avec amour,
Comme un vieux lion abaisse
Sa longue crinière épaisse,
Et, sans l'agiter, y laisse
Se jouer le lionceau;
Comme sur sa tête agile
Une femme tient l'argile,
Ou le jonc souple et fragile
D'un mystérieux berceau.

Moi de sa poupe hautaine
Je ne m'absentais jamais,
Car, étant son capitaine,
Comme un enfant je l'aimais:
J'aurais moins aimé peut-être
L'enfant que j'aurais vu naître;
De son cœur on n'est pas maître.
Moi je suis un vrai marin,
Ma naissance est un mystère,
Sans famille, et solitaire,
Je ne connais pas la terre,
Et la vois avec chagrin.

Mon banc de quart est mon trône,
J'y règne plus que les rois;
Sainte-Barbe est ma patronne;
Mon sceptre est mon porte-voix;
Ma couronne est ma cocarde;
Mes officiers sont ma garde;
A tous les vents je hasarde
Mon peuple de matelots,
Sans que personne demande
A quel bord je veux qu'il tende,
Et pourquoi je lui commande
D'être plus fort que les flots.

Voilà toute la famille
Qu'en mon temps il me fallait;
Ma frégate était ma fille:
Va! lui disais-je; elle allait,

--

S'élançait dans la carrière,
Laissant l'écueil en arrière,
Comme un cheval sa barrière:
Et l'on m'a dit qu'une fois
(Quand je pris terre en Sicile)
Sa marche fut moins facile,
Elle parut indocile

Aux ordres d'une autre voix.

On l'aurait crue animée!
Toute l'Égypte la prit,
Si blanche et si bien formée,
Pour un gracieux esprit,
Des Français compatriote,
Lorsqu'en avant de la flotte
Dont elle était le pilote,
Doublant une vieille tour,
Elle entra sans avarie
Aux cris: Vive la patrie!
Dans le port d'Alexandrie,
Qu'on appelle Abou-Mandour.

LE REPOS.

Une fois, par malheur, si vous avez pris

terre,

Peut-être qu'un de vous, sur un lac solitaire, Aura vu, comme moi, quelque cygne endormi,

Qui se laissait au vent balancer à demi.
Sa tête nonchalante, en arrière appuyée,
Se cache dans la plume au soleil essuyée;
Son poitrail est lavé par le flot transparent,
Comme un écueil où l'eau se joue en ex-
pirant;

Le duvet qu'en passant l'air dérobe à sa plume,

Autour de lui s'envole et se mêle à l'écume; Une aile est son coussin, l'autre est son éventail;

Il dort, et de son pied le large gouvernail Trouble encore, en ramant, l'eau tournoyante et douce flancs se forme un lit de mousse,

Tandis que sur ses

De feuilles et de joncs, et d'herbages

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