ページの画像
PDF
ePub

assez.

[ocr errors]
[ocr errors]

de canon. Tant pis pour ceux qui y étaient devant moi. Les uns se contentent de peu, les autres n'ont jamais Qu'y faire? Chacun mange selon son appétit; moi, j'avais grand' faim! Tenez, Saint-Père, à Toulon, je n'avais pas de quoi acheter une paire d'épaulettes, et, au lieu d'elles, j'avais une mère et je ne sais combien de frères sur les épaules. Tout cela est placé à présent assez convenablement, j'espère. Joséphine m'avait épousé comme par pitié, et nous allons la couronner la barbe de Raguideau, son notaire, qui disait que je n'avais que la cape et l'épée. Il n'avait pas tort, ma foi! Manteau impérial, couronne, qu'est-ce que tout cela? Est-ce à moi? Costume! costume d'acteur! Je vais l'endosser pour une heure, et j'en aurai assez. Ensuite, je reprendrai mon petit habit d'officier, et je monterai à cheval. Toujours à cheval, toute la vie à cheval! Je ne serai pas assis un jour sans courir risque d'être jeté à bas du fauteuil. Est-ce donc bien à envier? Hein?

Je vous le dis, Saint-Père, il n'y a au monde que deux classes d'hommes: ceux qui ont, et ceux qui gagnent.

Les premiers se couchent, et les autres se remuent. Comme j'ai compris cela de bonne heure et à propos, j'irai loin, voilà tout. Il n'y en a que deux qui soient arrivés en commençant à quarante ans, Cromwell et Jean-Jacques; si vous aviez donné à l'un une ferme, et à l'autre douze cents francs et sa servante, ils n'auraient ni prêché ni commandé ni écrit. Il y a des ouvriers en bâtiments, en couleurs, en formes et en phrases; moi, je suis ouvrier en batailles. C'est mon état. A trente-cinq ans, j'en ai déjà fabriqué dix-huit qui s'appellent victoires. Il faut bien qu'on me paye mon ouvrage. Et le payer d'un trône, ce n'est pas trop cher. D'ailleurs, je travaillerai toujours. Vous en verrez bien d'autres. Vous verrez toutes les dynasties dater de la mienne, tout parvenu que je suis et élu. Élu, comme

-

vous, Saint-Père, et tiré de la foule. Sur ce point, nous pouvons nous donner la main."

Et, s'approchant, il tendit sa main blanche et brusque vers la main décharnée et timide du bon pape, qui, attendri peut-être par le ton de bonhomie de ce dernier mouvement de l'empereur, peut-être par un retour secret sur sa propre destinée et une triste pensée sur l'avenir des sociétés chrétiennes, lui donna doucement le bout de ses doigts tremblants encore, de l'air d'une grand'mère qui se raccommode avec un enfant qu'elle a eu le chagrin de gronder trop fort. Cependant il secoua la tête avec tristesse, et je vis rouler de ses beaux yeux une larme, qui glissa rapidement sur sa joue livide et desséchée. Elle me parut le dernier adieu du christianisme mourant qui abandonnait la terre à l'égoïsme et au hasard. Bonaparte jeta un regard furtif sur cette larme arrachée à ce pauvre cœur, et je surpris même, à côté de sa bouche, un mouvement rapide qui ressemblait à un sourire de triomphe. En ce moment, cette nature toute-puissante me parut moins élevée et moins exquise que celle de son saint adversaire; cela me fit rougir, sous mes rideaux, de tous mes enthousiasmes passés; je sentis une tristesse toute nouvelle, en découvrant combien la plus haute grandeur politique pouvait devenir petite dans ses froides ruses de vanité, ses pièges misérables et ses noirceurs de roué. Je vis qu'il n'avait rien voulu de son prisonnier, et que c'était une joie tacite qu'il s'était donnée de n'avoir pas faibli dans ce tête-à-tête et, s'étant laissé surprendre à l'émotion de la colère, de faire fléchir le captif sous l'émotion de la fatigue, de la crainte et de toutes les faiblesses qui amènent un attendrissement inexplicable sur la paupière d'un vieillard." Il avait voulu avoir le dernier, et sortit, sans ajouter un mot, aussi brusquement qu'il était entré. Je ne vis pas s'il avait salué le pape, et je ne le crois pas.

ÉMILE DESCHAMPS.

Emile Deschamps, né à Bourges, en-1791, entra jeune encore dans l'administration des domaines, où son père occupait un emploi à Paris. En 1812, il débuta dans la littérature par un chant poétique, la Paix conquise, qui attira sur lui l'attention de Napoléon. En 1818, il fit jouer au Théatre-Français Selmours et Florian, comédie en 3 actes et en vers, et le Tour de faveur, comédie en an acte, qui obtinrent un grand succès. En 1823, il fonda, en collaboration avec quelques amis, la Muse française. Il fit paraître, en 1826, sous le titre: Le jeune Moraliste du XIXe siècle, les pièces publiées par lui dans la Muse française. En 1828, M. Deschamps donna les Études françaises et étrangères, excellent recueil de

MARINE.

Sombre Océan, du haut de tes falaises
Que j'aime à voir les barques du pêcheur!
Et de tes vents, sous l'ombre des mélèzes,
A respirer la lointaine fraîcheur !
Je veux, ce soir, visitant tes rivages,
Y promener mes rêves les plus chers;
J'aime de toi, jusques à tes ravages,
Mon cœur souffrant s'apaise au bruit des

mers:

Sombre Océan, j'aime tes cris sauvages,
Les jours sont doux près de tes flots amers!

Sombre Océan, j'épuiserais ma vie
A voir s'enfler tes vagues en fureur;
Mon corps frissonne et mon âme est ravie,
Tu sais donner un charme à la terreur.
Depuis le jour, où cette mer profonde
M'apparut noire aux lueurs des éclairs,
Nos lacs si bleus, la langueur de leur
onde,

N'inspirent plus mes amours ni mes vers:
Sombre Océan, vaste moitié du monde,
Les jours sont doux près de tes flots amers!

Sombre Océan, parfois ton front s'égaie,
Épanoui sous l'astre de Vénus;

Et mollement ta forte voix bégaie
Des mots sacrés à la terre inconnus
Et puis, ton flux s'élance, roule et saute,
Comme un galop de coursiers aux crins
verts;

Et se retire, en déchirant la côte

D'un bruit semblable au rire des enfers.
Sombre Océan, superbe et terrible hôte,
Les jours sont doux près de tes flots amers!

Sombre Océan, soit quand tes eaux bon-
dissent,

Soit quand tu dors comme un champ mois-
sonné,

De ta grandeur nos pensers s'agrandissent,
L'infini parle à notre esprit borné.
Qui, devant toi, quel athée en démence,
Nierait, tout haut le Dieu de l'univers!

| poésies qui fixa l'attention de toute la littérature contemporaine. Ses traductions, comparées à celles de Lebrun, Delille, etc., montrent quels progrès a faits la poésie française et donnent une idée des principes poétiques de l'école romantique. Doué d'une facilité et d'une souplesse de talents rares, Deschamps a abordé avec succès tous les genres. Outre les ouvrages cités, on lui doit: Macbeth, Romeo et Juliette, tragédies traduites de Shakespeare; Poésies des crèches, 12 poèmes; Don Juan de Mozart, Stradella, le Mari au bal, opéras; la Redemption, oratorio; Causeries littéraires; Contes physiologiques; des nouvelles, des romances, des études de mœurs, de critique, etc.

Oui, l'Éternel s'explique par l'immense;
Dans ton miroir j'ai vu les cieux ouverts...
Sombre Océan, par qui ma foi commence,
Les jours sont doux près de tes flots amers!

PENSÉE.

Oh! qui me rendra ma jeunesse,
Ma jeunesse de dix-huit ans!
Qu'avec vous encor je renaisse,
Première saison, heureux temps,
Où l'azur du ciel se reflète
Au fleuve indolent de nos jours;
Age, où la famille est complète,
Age, où l'on aime pour toujours!

Auprès d'une mère et d'un père,
Quel malheur peut nous effrayer?
On s'endort, on rêve, on espère . .
Une mort vient nous réveiller.

Hélas! à des lois infinies
L'univers marche résigné;
Il est d'étranges harmonies,
Tout a son poste désigné:

Au printemps des chants et des fêtes;
Des zéphirs à la jeune fleur;
Au sombre Océan les tempêtes;
Au cœur de l'homme la douleur.

LE FLEUVE.

Soit que l'onde bouillonne et se creuse,
en grondant,
Parmi les durs rochers un lit indépendant;
Soit qu'elle suive en paix une pente insen-
sible,

Un pouvoir inconnu vers un but invisible
L'appelle; elle obéit, et, torrent ou ruisseau,
Ne reverra jamais les fleurs de son berceau.
Le fleuve réfléchit dans sa course limpide
Et l'immobile azur et l'orage rapide;

[blocks in formation]

chaînes.

L'air s'embrase, pareil aux gueules des fournaises;

La lourde poutre craque et se dissout en braises;

Les portes, les balcons s'écroulent... Plus d'abris;

Les enfants sont en pleurs sur les seuils en débris.

Les mères, le

Courent; les

Tout meurt,

Le seau vole

[blocks in formation]

animaux hurlent sous les dé-
combres;

tombe ou s'enfuit par de brû-
lants chemins.
emporté par la chaîne des
mains;

Ce fils, qui va tenter l'effrayante escalade,
Sauvera-t-il du moins son vieux père ma-
lade? ...
L'orage impétueux accourt de l'occident,
La flamme s'en irrite, et l'accueille en gron-
dant.

Sur la moisson séchée elle tombe et serpente,

Se redresse, et des toits soulève la charpente, Comme un affreux géant qui veut toucher les cieux,

L'homme sous le destin fléchit silencieux. Ses œuvres ont péri. Partout la flamme est reine,

Les murs brûlés debout restent seuls, sombre arène,

Où des froids ouragans s'engouffre la fu

reur;

La nue, en voyageant, y regarde, et l'horreur Malheur, lorsque la flamme au gré des Dans leurs concavités profondément séjourne. Une dernière fois, l'homme en priant, se

aquilons,

A travers les cités roule ses tourbillons! Car tous les éléments ont une antique haine Pour les créations de la puissance humaine. Entendez-vous des tours bourdonner le beffroi?

[ocr errors][merged small]

tourne

Vers sa fortune éteinte; et, bientôt plus serein,

Prend avec le bâton les vœux du pèlerin. Tout ce qui fut son bien n'est plus qu'un peu de cendre;

Mais un rayon de joie en son deuil vient descendre, Voyez: il a compté les têtes qu'il chérit, Pas une ne lui manque, et triste il leur sourit.

JEAN FRANÇOIS CASIMIR DELAVIGNE.

Jean François Casimir Delavigne naquit au Havre, en avril 1793. Son père était un négociant honorable qui avait acquis une assez grande fortune dans le commerce de la porcelaine. Les premières années de notre poète se passèrent dans sa ville natale; elles n'offrent rien de bien saillant. Placé ensuite dans l'institution Ruinet, il suivit comme externe les cours du Lycée Napoléon et fit de brillantes études, surtout dans les

dernières années. Il faisait sa rhétorique en 1811, quand naquit le Roi de Rome; le spectacle de l'ivresse publique enflamma sa verve, et il écrivit d'inspiration un dithyrambe de collégien. Ce fut sa première production à laquelle succédèrent bientôt un fragment épique, Charles XII à Narva, et un dithyrambe sur la mort de Delille, publié en 1813. Dans l'intervalle, C. Delavigne était sorti du collège, à dix-huit

ans. A son entrée dans la vie, il se trouva naturellement en face de cette grande question: le choix d'une carrière. Des revers commerciaux avaient forcé son père de se défaire de sa manufacture de porcelaine; il était venu habiter Paris, où il occupait un emploi supérieur dans les contributions indirectes. M. Français, de Nantes, directeur de cette administration, offrit au jeune poète une place dans son cabinet, et fut son premier Mécène. C. Delavigne occupa ensuite à la Chancellerie une modeste place de bibliothécaire, qu'il devait à la bienveillance de M. Pasquier. Cette place ayant été brusquement supprimée, le duc d'Orléans, qui fut plus tard Louis-Philippe, lui en proposa une autre au Palais-Royal. A vingt-trois ans, C. Delavigne publia, sous le nom de Messéniennes, trois chants funèbres où il déplorait les revers de sa patrie. Ces chants furent accueillis avec enthousiasme, pars qu'ils étaient l'expression énergique, harmonieuse et vraie de la pensée nationale. Ils furent suivis de quatorze autres: le poète chanta successivement la Vie et la Mort de Jeanne d'Arc, l'Insurrection de la Grèce et celle de l'Italie, la Mort de Napoléon, etc. Malgré les mérites éminents de la versification, l'élégance du style, et parfois aussi la vigueur de la pensée qui distinguent les Messéniennes, surtout les premières, C. Delavigne n'était pas né poète lyrique. En octobre 1819, C. Delavigne donna à l'Odéon les Vêpres siciliennes, sa première tragédie, qui eut un succès prodigieux. Cette pièce, dans le genre de Racine, fut suivie du Paria (1821), tragédie philosophique à la manière de Voltaire, où le poète prêchait la tolérance et l'affranchissement des opprimés; il y mit des choeurs qui peuvent soutenir la comparaison avec ceux d'Esther et d'Athalie. Le fonds du Paria est défectueux en plusieurs points.

|

Puis vinrent successivement Marino Faliero (1829), conspiration contre Venise, premier pas dans la voie des innovations, où C. Delavigne cherchait à concilier les règles étroites de la tragédie classique avec les hardiesses de l'école romantique; Louis XI (1832). peinture énergique des angoisses d'un tyran, chefd'œuvre de l'auteur: les Enfants d'Édouard (1833), nouvelle peinture de la tyrannie d'un monstre: Une Famille au temps de Luther (1836), tragédie en un acte bien pensée, bien écrite, mais qui a un petit défaut: elle est du genre ennuyeux; enfin la Fille du Cid, ou les derniers combats et la mort du héros de l'Espagne. Le style de ces tragédies est pur, élégant, souple, comme celui des Messéniennes; la versification en est harmonieuse, et l'intrigue, disposée avec art, excite un intérêt qui va rarement jusqu'à l'enthousiasme. Les succès de C. Delavigne n'ont pas été moins grands dans la comédie que dans la tragédie. En 1820, il écrivit les Comédiens, pour se venger des acteurs du Théâtre-Français qui avaient refusé de jouer les Vêpres siciliennes. C. Delavigne donna ensuite l'École des Vieillards (1823), la Princesse Aurélie (1828). Puis vint Don Juan (1835), comédie en prose, qui eut un immense succès. L'histoire et la chronologie n'y sont pas trop respectées, mais on pardonne à l'auteur d'avoir fait de l'histoire d'une manière si plaisante. La Popularité (1838) termine la série des comédies de C. Delavigne; l'intrigue en est confuse et l'action languissante. Toutes ces pièces sont écrites avec la même élégance et la même pureté de style que les tragédies. On doit encore à C. Delavigne des poésies diverses et des ballades, dont quelquesunes sont des modèles de grâce et de mélodie. Il mourut à Paris, en 1843.

[blocks in formation]

Du Christ avec

ardeur Jeanne baisait l'image;

Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents;

Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,

Elle s'avançait à pas lents. Tranquille, elle y monta: quand, debout sur le faîte, Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer, Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête, Sentant son cœur faillir, elle baissa la tête, Et se prit à pleurer.

Ah! pleure, fille infortunée!
Ta jeunesse va se flétrir,

Dans sa fleur trop tôt moissonnée!
Adieu, beau ciel, il faut mourir!
Tu ne reverras plus les riantes montagnes,
Le temple, le hameau, les champs de Vau-
couleurs,

Et ta chaumière et tes compagnes, Et ton père expirant sous le poids des douleurs.

[blocks in formation]
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Avant que ton heure ait sonné,
Pour l'âme de ton frère aîné,
Une prière !"
Pietro pourtant
Croit se méprendre
Et sans l'entendre
Il va chantant:
Nanna m'appelle,
Elle est si belle,
Je l'aime tant!"

Enfin il a touché les bords;
Mais l'airain sonnait pour les morts
Sur la tourelle

Pour qui donc priez-vous, pêcheurs?"
L'un d'eux en étouffant ses pleurs
Dit: c'est pour elle!"
Pietro l'entend,
Pâlit, soupire
Et puis expire
En répétant:
„Nanna m'appelle,
Elle est si belle,
Je l'aime tant!"

LA BRIGANTINE.
La brigantine
Qui va tourner,
Roule et s'incline
Pour m'entraîner.
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu, patrie!
Provence, adieu!

Mon pauvre père,
Verra souvent
Pâlir ma mère
Au bruit du vent.
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu, patrie!
Mon père, adieu!

Ma sœur se lève,
Et dit déjà:
,,J'ai fait un rêve:
Il reviendra!"
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu, patrie!
Ma sœur, adieu!

ADIEU.

Adieu, Madeleine chérie,
Qui te réfléchis dans les eaux,
Comme une fleur de la prairie
Se mire au cristal des ruisseaux.

« 前へ次へ »