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célèbres du temps. Ils avaient pour usage de venir, avant la grande pièce, tragi-comédie ou tragédie, soutenir en présence du public quelque paradoxe burlesque, faire l'éloge de la pauvreté, du galimatias, du silence, du crachat; railler les pédants et les censeurs, etc.; inépuisables lieux communs qu'exploitait, avec un égal succès, le fameux Tabarin sur ses tréteaux du PontNeuf.

Mais c'étaient là des jeux de populace, qui sentaient par trop la grossièreté d'un autre âge. La nouvelle génération populaire s'élançait sur les traces du vieux Hardy et ne tarda pas à le dépasser. Les poètes s'élancèrent à l'envi vers la scène, et nous retrouvons encore les noms de quatre-vingts auteurs dramatiques contemporains de Hardy et témoins des débuts du „grand" Corneille. L'histoire littéraire doit un souvenir à Mairet, à Tristan et à Du Ryer. Si l'on voulait bien apprécier le mérite de Corneille, il faudrait lire la Sophonisbe de Mairet (1604 à 1688), qui ne précéda le Cid que de sept ans. Il se trouve quelques beautés dans cette tragédie assez régulière, mais elles sont noyées dans un style lourdement emphatique et déclamatoire. Tristan (1601 à 1655) avait plus d'âme et de poésie que Mairet: ses succès furent plus sérieux et plus durables. Sa Marianne arracha des larmes au cardinal de Richelieu luimême. On a encore sept autres pièces de Tristan, toutes oubliées aujourd'hui, ainsi que ses trois recueils de vers et plusieurs écrits en prose. Du Ryer (1605 à 1658) fut très supérieur à Tristan et à Mairet. Son vers est souvent large, facile, sentencieux; mais une mollesse italienne énerve chez lui les plus belles situations et dénature les plus beaux caractères. Il a cependant trouvé quelques mâles accents dans son Scévole, la plus remarquable de ses seize tragédies et tragi-comédies.

Le cardinal de Richelieu n'a pas seulement par la grandeur et l'énergie de sa politique donné aux âmes une impulsion vigoureuse qui inspirait de nobles desseins dans l'ordre poétique, il a encore agi directement sur les poètes en les appelant auprès de lui, en les couvrant de sa protection, en les stimulant par des récompenses. Son unique faiblesse est d'avoir désiré prendre place parmi eux; mais ce léger ridicule d'un homme supérieur, qui, pouvant ne faire et ne commander que de grandes choses, s'est laissé aller, et non sans passion, à composer de méchants vers, a eu cependant cela d'utile que, voulant rehausser par un grand appareil extérieur le mérite de ses propres œuvres, il a fait construire une Herrig, La France litt.

scène sur laquelle devaient monter les héros de Corneille."

La brigade de poètes qui exécutait les plans de tragédie qu'Armand du Plessis, cardinal-duc de Richelieu, esquissait souvent entre deux plans de campagne, se composait de Corneille, désigné par ses premiers succès, de Boisrobert, Colletet, de l'Estoile et Rotrou. C'est ainsi que furent écrites les Tuileries, l'Aveugle de Smyrne, et la Grande Pastorale. Chaque poète faisait son acte, le cardinal jugeait et corrigeait. Cependant Colletet et Corneille surtout ne suivirent pas toujours ses idées. Corneille s'étant une fois avisé de changer quelque chose au plan d'un acte dont il était chargé, cette indiscipline déplut à Son Eminence, qui licencia le poète, disant qu'il n'avait pas l'esprit de suite.

Un jeune provincial, avocat médiocre au barreau de Rouen, arriva à Paris en 1629 avec une comédie intitulée Mélite, à laquelle il donna bientôt pour sœurs Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale. Ce jeune poète était Pierre Corneille, ancien élève de jésuites de Rouen, pour lesquels il conserva toute sa vie une tendre vénération. Dans ces premières pièces, Corneille imitait ce qu'il devait réformer bientôt; ce sont de véritables imbroglios. Cependant elles avaient un vrai mérite, pour lequel l'auteur dut demander grâce au public: son style comparé à celui des auteurs contemporains, semblait un peu trop naturel. C'était alors un principe reçu que la poésie, dans tous ses genres, était un langage à part, tout différent de celui de la vie réelle. Corneille, dès ses premiers essais, commença à comprendre que ce principe était faux. Il chassa de la scène les nourrices, les valets bouffons, les parasites; il s'efforça de faire parler à ses acteurs le langage des honnêtes gens; il rejeta toutes les invraisemblances qui débordaient au théâtre. En un mot, le bon sens et l'esprit, tels sont les deux caractères qui éclatent dans Corneille en attendant la révélation du génie.

Le début de Corneille dans la tragédie fut Médée, représentée en 1635. Médée, imitation de Sénèque, offre, à la place d'une action vive et soutenue, de longues déclamations familières à la tragédie latine. Quoique mal conçue et mal écrite, cette pièce a quelques morceaux d'une force de pensées et d'une élévation de style inconnues avant Corneille.

Un secrétaire de la reine Marie de Médicis, nommé Chalon, retiré à Rouen dans sa vieillesse, avait signalé à Corneille une

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des œuvres de Guillem de Castro, las Mo-conspirateurs; mais ces beautés supérieures cedades del Cid, en lui conseillant de laissent subsister en regard l'inconsistance la transporter sur la scène française. Cor- de quelques-uns des caractères et de l'inneille trouva dans ce sujet la révélation de térêt qui passe brusquement des conjurés à son génie: il y découvrit le principe tra- l'empereur. gique qui fit désormais toute sa force. Le Cid prit sous sa plume une forme nouvelle et devint une véritable création (1636). Ce n'est pas à dire qu'outre le sujet même, il ne restât rien de castillan dans le Cid. Corneille alla chercher en Espagne, comme plus tard dans l'antiquité classique cette élevation d'âme, cette vigueur de pensée qui s'était affaiblie dans la littérature française. Il jeta sur les passions de ses personnages quelques teintes ardentes de ce ciel du midi. Le langage de ses deux amants ressemble à une musique mélodieuse et noble. Il y a dans le Cid quelque chose de jeune, de frais qui va jusqu'à l'âme. Aussi son apparition fut-elle saluée d'un cri d'enthousiasme et d'admiration: la tragédie est trouvée, la voilà!

On sait les tracasseries que le succès du Cid valut à Corneille. Richelieu fut blessé d'un triomphe si éclatant, et se mit avec chaleur à la tête des ennemis du grand poète; il déféra le Cid au jugement de l'Académie. Mais, malgré la critique, si polie et si ménagée de l'Académie, malgré la puissance du cardinal, tout Paris eut pour ,,le Cid les yeux de Chimène".

Les Horaces (1639) suivirent le Cid. „Horace fut condamné par les décemvirs, mais il fut absous par le peuple." Ce mot de Corneille était une double réponse aux critiques du Cid, et aux critiques dont on le menaçait sur les Horaces. Cette tragédie est sans doute la production la plus vigoureuse, la plus originale du génie de Corneille. Là tout est substance, force et lumière. Le défaut principal des Horaces, c'est le manque d'unité dans l'action: au péril de Rome succède le péril de son libé

rateur.

Cinna (1639) et Polyeucte (1640) parurent ensuite. Les Horaces nous présentent les vertus naïves et rudes qui devaient produire la liberté des temps républicains, Cinna nous offre les sentiments nobles encore, mais exagérés, qui survivent à la liberté dans les regrets qu'elle inspire. Cette inévitable hyperbole est personnifiée dans Émilie, fille d'un proscrit, pupille de l'empereur, amante du petit-fils de Pompée. Cinna passe généralement pour le chefd'œuvre de Corneille. Il est vrai que rien ne surpasse le tableau de la conjuration, la grande scène où Auguste délibère s'il doit renoncer à l'empire ou le conserver, et enfin le pardon héroïque accordé aux

C'est dans Polyeucte que Corneille a été le plus voisin de la perfection, c'est là que son génie, avec une force égale, montre le plus de souplesse et de naturel. La beauté de cette tragédie est dans le contraste harmonieux de caractères opposés, et le pathétique y naît d'un double sacrifice héroïque. L'œil le moins indulgent aurait bien de la peine à surprendre des défauts dans la contexture du drame dont toutes les parties sont liées avec un art d'autant plus habile qu'il ne se laisse pas apercevoir. Le dialogue y a une précision et une force auxquelles Corneille n'avait point encore atteint. Polyeucte avait en outre pour les contemporains un autre puissant intérêt. La foi, qui alors donnait aux discussions théologiques, aux luttes de PortRoyal, tant de vivacité et d'éclat, prêtait un charme d'actualité à des vers pour nous fades et languissants.

Après Cinna et Polyeucte le poète ne pouvait plus grandir; il ne pouvait que varier et multiplier ses productions. En 1642, Corneille fit jouer la Mort de Pompée. Il s'inspira de Lucain, mais il ne réussit guère mieux à faire de la Pharsale une tragédie, que son modèle à en faire une épopée. La mort de Pompée est composée de parties incohérentes; les caractères y sont mal dessinés et mal soutenus. Le rôle de Cornélie rappelle seul le pinceau des Horaces. Rodogune (1644) ne vint pas immédiatement après la mort de Pompée, mais nous la nommons ici, parce qu'elle est la dernière pièce où le génie de Corneille se montre encore tout entier, sinon dans l'ensemble, du moins dans le cinquième acte si terrible et si pathétique. Rodogune était celui de ses „poèmes" que Corneille estimait le plus. Cette préférence trahit la fatigue de son génie, qui déjà, après Polyeucte même, l'avait abandonné dans Théodore.

Ici en effet finit la seconde époque de la carrière dramatique de Corneille, de celle qui n'est marquée que par des chefs-d'œuvre. Passant à la troisième époque, nous chercherions vainement dans l'auteur d'Héraclius (1647), de Don Sanche d'Aragon (1650), reproduction d'une pièce de Lope de Vega (El Palacio confuso), d'Andromède, de Nicomède (1650), et de Perth arite, l'auteur du Cid et de Cinna. Le public n'applaudissait plus, Corneille se dégoûta du théâtre et chercha dans la re

ligion de nobles et douces consolations: il traduisit en vers l'Imitation de JésusChrist. Après six années consacrées à ce travail, Corneille, cédant aux sollicitations de Fouquet, et au secret désir de son génie, raparut sur la scène avec son Edipe (1659), pièce froide et obscure. Sertorius, qui fut joué en 1662, fut plus digne de Corneille: l'entrevue de Sertorius et de Pompée rappelle le peintre de Cinna. Mais cette verve mourante de Corneille s'éteignit entièrement. Sophonisbe, Agésilas, Othon, Attila, Pulchérie, Bérénice et Suréna (1675) qui se succédèrent, signalèrent tristement les derniers efforts de ce grand génie.

On fait honneur à Corneille de la création de la comédie. Le Menteur (1642), imité de la Verdad sospechosa d'Alarcon, présente en effet une critique fine et délicate des travers à la mode, le style est plein de force et de comique. II peut avoir averti Molière de son génie, en lui apprenant à chercher, dans les mœurs et les caractères, la comédie que tous les exemples contemporains lui montraient dans l'intrigue; mais il n'a fait que le mettre sur la voie de la comédie bourgeoise. Corneille laissait à créer tout entière la haute comédie.

La force et la variété des combinaisons dramatiques de Corneille étonnèrent ses contemporains et étonneront toujours. Son but est d'élever les âmes, et pour atteindre ce but, il a essayé de peindre l'héroïsme sous toutes les faces. Il n'a sans doute pas eu l'ambition de reproduire toute l'humanité dans son ensemble, mais de montrer de préférence le côté noble de l'âme humaine. Il a mis les passions aux prises avec le devoir, et voulant élever le niveau de la morale et combattre par l'exemple des contraires nos lâchetés et nos faiblesses il a montré le devoir surmontant la passion.

La critique a reproché à Corneille d'avoir trop souvent donné pour ressort à la tragédie l'admiration, sentiment qui se fatigue et se refroidit facilement. Cette accusation, fondée en partie, le serait tout à fait, si le grand poète n'avait mêlé la pitié et la terreur à l'admiration. Ainsi combinée, mais dans de justes proportions, l'admiration exalte au plus haut degré le sentiment de notre puissance morale et intellectuelle, et c'est par la vertu de ce noble sentiment que le spectateur, transportant à l'humanité tout entière la force et la dignité morale dont il a conscience pour lui-même, jouit ainsi de sa propre grandeur et de celle de ses semblables. Le spectacle des grandes infortunes supportées avec courage

inspire à l'homme une sainte admiration qui adoucit les atteintes de la terreur et de la pitié, double ressort de la tragédie.

Voici ce que nous avons à ajouter à ce que nous avons dit plus haut des défauts de Corneille. Le sublime, qui chez lui s'isola de plus en plus du vrai moral, fait souvent naître des sentiments tout opposés à ceux qu'il voulait inspirer aux spectateurs. Ses héros ont l'esprit formaliste et pointilleux, ils se querellent sur l'étiquette; ils raisonnent longuement et ergotent à haute voix avec eux-mêmes jusque dans leur passion. Ses héroïnes se ressemblent presque toutes: leur amour est subtil, combiné, alambiqué, et sort plus de la tête que du cœur. On sent que Corneille connaissait peu les femmes. Enfin, Corneille avait une certaine prétention à la haute politique qui dégénère parfois en étalage, plus maladroit qu'habile, de maximes artificieuses.

Le style de Corneille est plus oratoire que poétique, plus énergique qu'harmonieux, plus ferme que varié, il a plus de feu que de douceur, plus de mouvements que d'images; ses paroles manquent souvent d'exactitude, il n'y a pas toujours une juste proportion entre l'appareil des mots et le fond des pensées.

Rotrou (1609-1650), bien que le devancier de Corneille dans la carrière dramatique, fut cependant aussi son élève. Rotrou avait pour Corneille une admiration vive et profonde, en toute occasion il proclamait sa gloire. Il n'avait que dix-neuf ans quand il fit paraître sa première tragi-comédie, l'Hypocondriaque ou le Mort amoureux. Il emprunta son Hercule mourant à Sénèque, les Ménechmes, les Deux Sosies, les Captifs, à Plaute. Son Venceslas, tragi-comédie imitée de Francisco de Rojas, et son Chosroès, furent comme l'écho du Cid, de Pompée et de Cinna; le martyre de Polyeucte inspira celui de Saint-Genais dans la pièce intitulée le Véritable SaintGenais, où l'on trouve une scène sublime. Rotrou, comme Hardy, comme Corneille, travaillait avec une extrême facilité; il avait la main plus ferme que les auteurs dramatiques contemporains de ses premiers débuts; mais en général son style est incorrect et son génie irrégulier.

PROSE.

Lettres, Romans.

Par sa traduction du Traité des Bienfaits de Sénèque et du XXXIIIe livre de Tite-Live, par ses remarques critiques sur les écrivains qui l'avaient précédé, Malherbe

avait tenté d'appliquer à la prose la réforme qu'il réalisa dans la poésie. Des nombreux écrivains qui marcherent sur ses traces, nous avons surtout à nous occuper ici de Jean Guez, seigneur de Balzac (1594 à 1654).

Balzac, si peu de cas qu'on en fasse aujourd'hui, fut incontestablement un homme de talent et de mérite. En effet, Balzac ne s'est pas contenté, comme on le pense, de chercher, de trouver et de faire sentir dans la prose une juste cadence, de donner du nombre au langage mesuré, de choisir les mots et de les mettre à leur place, d'épurer le vocabulaire, de se faire comprendre par la propriété et la disposition des termes qu'il emploie, enfin de faire pénétrer dans l'esprit la lumière de ses idées et de plaire à l'oreille par une harmonie soutenue; mais il a écrit quelques pages où la beauté de l'expression orne de grandes pensées. Il y a dans ses écrits des parties qui méritent de ne point périr. A la vérité, aucun de ses ouvrages ne saurait subsister comme ensemble: ce qu'il y a de bon est dispersé, et jamais il n'a composé un tout qui soit une unité vivante. Balzac est un esprit brillant et non une ferme et haute raison, une belle imagination et non une âme élevée. Il n'a ni cette force d'imagination qui ordonne et enchaîne les idées, ni cette émotion vraie qui vient de cœur et qui ajoute la chaleur à la lumière. nous force quelquefois de l'admirer, mais il n'attache point et ne se fait pas aimer. Balzac est un égoïste: son cœur est indifférent à tout, ni les hommes ni leurs chefs-d'œuvre ne le touchent; il ne cherche que l'occasion de produire et de faire briller son bel esprit et son beau langage, même dans les grandes idées qu'il a quelquefois rencontrées. De là l'indifférence, trop dédaigneuse sans doute, de la postérité pour lui: le cœur seul peut parler au cœur et le maîtriser, les mérites qui ne procèdent que de l'esprit et de l'imagination ne peuvent survivre à la surprise qu'ils causent. Balzac débuta par des lettres dans la carrière littéraire. Leur netteté, leur précision et le ton d'autorité approprié au besoin de persuasion qui existait alors, excitèrent la plus vive admiration. Ce sont des réflexions morales et politiques sur les événements de l'époque. Mais aux apologistes succédèrent bientôt les critiques. Le père Goulu, général des Feuillants, alla jusqu'à lui refuser le don de faire un livre, de produire une œuvre de longue haleine. Balzac, pour réduire cette critique à néant, se hâta de faire paraître le Prince. Cette théorie d'un prince parfait d'après un idéal rêvé

dans la solitude, loin des affaires et des princes, et dont Balzac, à la fin de chaque chapitre, rapportait périodiquement les traits à Louis XIII, fut médiocrement goûtée. L'Aristippe n'eut pas un meilleur sort. C'est une théorie de la cour, comme le Prince est une théorie de la royauté. Quoique, à en croire Balzac, l'idée lui en fût venue de conversations entre grands personnages, auxquelles il avait été mêlé, ces spéculations sur la cour, sur les bons et les mauvais ministres, sur le caractère des courtisans, n'étaient pas plus près de la réalité que celles sur le prince. Les mêmes défauts y gâtaient les mêmes qualités. De même que Louis XIII avait été l'idéal du Prince, Richelieu fut l'idéal de l'Aristippe. Tous les mauvais ministres, tous les vilains traits des gens de cour servaient d'ombre au portrait du cardinal. Balzac d'ailleurs ne s'était pas plus oublié dans Aristippe que dans le Prince. Dans le Socrate chrétien, qui suivit ces traités, la morale est trop théologique et la théologie trop peu savante.

Malgré ce qui manque à Balzac pour être véritablement éloquent, il faut néanmoins reconnaître qu'il a frayé la voie à Pascal et à Bossuet. Il a rendu à la langue française d'incontestables services. Avec lui, comme on l'a dit, la France a fait sa rhétorique. Ce mot d'un contemporain:

Tous ceux qui ont bien écrit en prose depuis, et qui écriront bien à l'avenir en notre fangue, lui en auront l'obligation," demeure

vrai.

Il fallait ajouter qu'il nous apprend aussi le danger d'écrire toujours bien de la même manière. L'informité de ses procédés est le vice de sa méthode: il est toujours auteur, et ne donne jamais à son lecteur cette ravissante surprise que cause le naturel dans le style. La marche symétrique de sa phrase est toujours prévue, comme les figures de son langage, l'antithèse, la méthaphore, l'hyperbole.

Balzac était l'oracle de l'hôtel de Rambouillet, Voiture (1598 à 1648) en fut le héros. C'est lui qui représente le mieux, soit par sa prose, soit par ses vers, les qualités et les défauts de cette société brillante et maniérée. Du reste, il serait injuste de le juger comme un auteur. Voiture n'a jamais eu l'intention de l'être: il n'a jamais rien imprimé. C'est après sa mort que son neveu Pinchesue a publié quelques-unes de ses lettres et de ses vers de société. Pour lui, il ne songea qu'à jouir agréablement de la vie; il plaça tout son talent en viager, et devint l'homme le plus aimable et le plus recherché de son temps. Simple roturier, il vécut sur le

pied de l'égalité avec les plus grands

noms.

Voiture ne se contente pas d'avoir de l'esprit, il en fait; il cherche les rapports les plus éloignés, et peu lui importe qu'ils soient disparates, pourvu qu'ils surprennent; il joue avec les idées et souvent avec les mots; il a des tours d'adresse et des tours de force pour exprimer ce qui ne peut se dire, et plus l'idée est scabreuse, plus le péril est grand, plus il montre de dextérité; il côtoie la licence de la bouffonnerie sans y tomber jamais; il badine ingénieusement; les témérités de son esprit ne servent qu'à en montrer la souplesse et l'agilité; il aime à inquiéter la pruderie, et il ne l'offense

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une immense épopée pastorale, contenant les aventures imaginaires des bergers du Lignon dans le Forez. Aujourd'hui on ne parle plus de cet ouvrage longtemps estimé que pour s'en moquer, et il est vrai que cela est plus facile que de le lire.

Le plan d'Urfé était de faire de l'Astrée une vaste tragi-comédie, dont les cinq tomes subdivisés en chapitres figureraient les cinq actes et les scènes des ouvrages de théâtre. Il mourut à la peine; mais il laissa en décédant les matériaux d'un dernier volume, que le Piémontais Baro, son secrétaire, rédigea dans l'esprit et la manière du maître.

Mlle de Scudéry (1607 à 1701) s'empara des héros de la Perse et de Rome pour représenter les mœurs, le langage, les caractères des habitués de l'hôtel de Rambouillet: on aimait à reconnaître Julie d'Angenne sous les traits de Mandane ou de Clélie, et M. de Montausier sous ceux d'Artamène ou de Brutus. C'était un caprice de tous ces beaux esprits, et le plaisir qu'ils y trouvaient était plus encore de l'égoïsme que du mauvais goût.

Philosophie, Eloquence, Théologie,
Grammaire, etc.

sée; mais, en dépit des entraves, la liberté se manifesta dans la théologie par le jansénisme, et dans la philosophie par les travaux de Descartes et de Gassendi.

Les romans de chevalerie avaient fait les délices des siècles précédents; on les avait étendus, reproduits sous toutes les formes; L'influence de Richelieu qui donna l'essor on avait eu recours même aux romans étran- au génie dramatique, tout en aspirant à le gers, on les avait traduits: tout enfin était discipliner, fut loin, partout ailleurs, de se à la chevalerie depuis que les mœurs che-montrer favorable aux hardiesses de la penvaleresques n'étaient plus; mais cette ardeur pour les tristes imitations de ces temps écoulés sans retour se refroidit tout à coup. Michel Cervantes venait de mettre les extravagances de la chevalerie errante aux prises avec la réalité; avait opposé, dans une fable ingénieuse, les réclamations du bon sens aux froides visions d'un enthousiasme suranné, Sancho-Pança à Don Quichotte. Mais, quelque éclatant qu'eût été le triomphe de Cervantes, la défaite du mauvais goût n'avait pas été complète: la chevalerie vaincue s'était retirée dans un dernier retranchement. Un écrivain spirituel a peint, dans une fable charmante, Don Quichotte devenu berger: le roman, au commencement du dix-septième siècle, avait subi cette métarmorphose. La fadeur de la pastorale avait en partie remplacé les folles peintures de la chevalerie errante; aux Amadis avaient succédé les Artamènes, race de héros langoureux et fanfarons, aussi peu conformes à l'histoire qu'à la nature. Ce fut le seigneur Honoré d'Urfé (1567 à 1625) qui mit en vogue cette phase nouvelle du roman en France. I publia, en 1612, sous le titre d'Astrée,

René Descartes naquit la Haye en Touraine le 31 mars 1596, et mourut à Stockholm, en 1650. Il fut élevé chez les Jésuites, et se distingua de bonne heure par une extrême passion pour l'étude. Il montra la plus grande aptitude pour les mathématiques, et reconnut tout le vide de ce qu'on appelait alors philosophie. Plus tard, pensant que les voyages, en lui faisant voir un plus grand nombre d'hommes, lui fourniraient plus d'occasions de se perfectionner dans la vraie philosophie, il se mit à voyager, et il le fit de la seule manière qui convint à son état et à son siècle, en prenant le parti des armes, en 1616. Ce fut trois ans après que, s'étant retiré sur les frontières de la Bavière, dans une solitude où il n'avait à craindre aucun importun, n'ayant d'ailleurs, par bonheur, dit-il, aucuns soins ni passions qui le troublassent", se tenant tout le jour enfermé seul dans une chambre, il arriva, de pensée en pensée, à vouloir mettre son esprit tout

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