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nu, et à se dépouiller en quelque sorte lui

même.

Il se crut tout à fait libre, à l'état de table rase, ne gardant que le désir ardent de découvrir la vérité en toutes choses par les propres forces de son esprit. La recherche des moyens de la conquérir le jeta dans de violentes agitations. Cette solitude et cette contention opiniâtre le fatiguèrent tellement, qu'il fut troublé par des songes et des visions.

Après quelque temps de séjour à Paris, il se fixa en Hollande, comme étant le pays qui enterprenait le moins sur la liberté, et offrant le climat qui, selon ses expressions, lui envoyait le moins de vapeurs et était le plus favorable à sa santé. Il avait alors trente-quatre ans (1629). Là il s'assujettit à un régime de vie accommodé à ses études, et qui tint son âme dans la moindre dépendance du corps possible. Il mangeait peu, et assoupissait ainsi l'imagination et les sens, pour ne vivre que par l'intelli

gence.

Rien de plus simple que le système à l'aide duquel Descartes, le père de la philosophie française, sort du scepticisme volontaire qu'il s'est imposé pour établir dogmatiquement sur le point fixe de la pensée humaine l'existence de Dieu et du monde extérieur. Je pense; la pensée n'est pas l'attribut du néant: ce quelque chose qui pense est un être, cet être, c'est moi, j'existe, un seul homme vaut pour tous, il répond de l'humanité entière. Mais, parmi les idées que renferme cette intelligence, il en est une telle qu'elle implique l'existence même de l'objet qu'elle représente. C'est l'idée de l'être nécessaire et infini, de Dieu. Si l'être nécessaire se conçoit, il existe par cela même; or, il arrive que, dans l'inventaire de la pensée, se trouve l'impossibilité de concevoir le néant, et par conséquent la notion de l'être nécessaire: nécessaire partout, car si vous limitez l'existence, vous établissez quelque part l'impossible néant, nécessaire en tout temps, car si vous admettez dans la durée une seule intermittence de l'être, c'est encore le néant. L'être nécessaire et infini existe done; l'infini comprenant la perfection, l'être nécessaire est véridique il n'a donc pas trompé l'homme par un spectacle chimérique; et puisque l'homme croit invinciblement à la réalité des phénomènes extérieurs, la nature existe, et nous avons tout ensemble Dieu, l'homme et l'univers. Ainsi la conscience donne la pensée humaine; la pensée, l'idée de Dieu; l'idée de Dieu, son existence; l'existence de Dieu, la réalité de la matière. Telle est la marche de Descartes. Mais il

ne s'arrête pas à ces hardis prolégomènes; il trace quelques règles simples pour guider l'intelligence dans la recherche de la vérité, et il ne reconnaît sa présence qu'à un seul signe irréfragable, l'évidence, c'està-dire cette lumière irrésistible qui emporte le jugement et dont l'autorité est celle de Dieu même.

Le Discours de la Méthode et les Méditations contiennent tout ce qu'il y a de général dans la doctrine de Descartes; nous y apprenons quelle a été la marche de son esprit et quelles sont les vérités fondamentales dont il a reconnu l'évidence. Le Discours de la Méthode (1637) est le premier chef-d'œuvre de la prose française moderne. Ce n'est plus, comme dans Montaigne, un idiome personnel, un composé bizarrement gracieux de français, de latin et de gascon; ce n'est plus, comme chez Balzac, la forme extérieure et vide de l'éloquence; ici c'est la langue de tout le monde frappée à l'empreinte du génie d'un seul : ici la parole reprend son véritable rôle, elle n'est que le vêtement modeste et décent de la pensée. Cette subordination lui donne toute sa valeur. En effet, comme Descartes l'a dit lui-même, ceux qui ont le raisonnement le plus fort et qui digèrent le mieux leurs pensées, afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils ne parlassent que bas-breton et qu'ils n'eussent jamais appris la rhétorique.“ Voici enfin la parole qui se propose de persuader, c'est-à-dire d'atteindre le véritable but de l'éloquence. Aussi devint-elle aussitôt grave, sévère, imposante, quelquefois impérieuse. Au lieu de s'amuser à orner son expression, le philosophe marche toujours droit devant lui; on sent que tout son désir est de vous convaincre. Ses idées s'enchaînent, ses raisonnements se pressent, son langage devient un tissu d'idées que rien ne peut rompre.

Le style de Descartes, malgré sa perfection, ou plutôt à cause de sa perfection, ne possède comme nous l'avons dit, que les qualités de son sujet. Il ne s'adresse qu'à l'intelligence, et n'a que cette chaleur contenue qui anime et vivifie la discussion. Pascal, en faisant passer son âme tout entière dans ses écrits, vint compléter l'œuvre de l'apôtre de la raison pure.

Pendant que Descartes jetait les fondements de la philosophie, une école théologique s'élevait avec le dessein de combattre l'hérésie par la science, et de s'opposer par un double effort au relâchement de la morale et aux empiétements du saintsiége sur l'autorité civile. Nous n'avons

QUATRIÈME PÉRIODE.

pas à raconter les origines de Port-Royal | qu'il niait implicitement la grâce suffisante, si chère aux molinistes. A. Arnauld se des Champs; nous dirons seulement que c'était une institution de filles, et que l'abbé défendit énergiquement; ses partisans firent de Saint-Cyran (1581 à 1642) était à tous leurs efforts en Sorbonne; mais ils l'époque qui nous occupe le chef de la avaient contre eux le nombre: on comprit communauté. Théologien subtil et écrivain alors que l'affaire était perdue devant l'audistingué il enseignait à sa manière les torité compétente, et qu'il fallait tenter une voies de la piété, tandis que les solitaires diversion au dehors. Pascal se rencontra à réunis sous ses auspices, Arnaud, de Sacy, propos pour la faire, il en appela de l'ausens commun, prétendant qu'il Le Maître, Lancelot et Nicole, se faisaient, torité au par des méthodes nouvelles les instituteurs était plus facile de trouver des moines que de la jeunesse. Cette société, instituée pour des raisons. Telle est l'origine des Prola conquête et la domination des âmes, ne vinciales. vit pas sans ombrage se grouper à côté d'elle et contre elle, sous la bannière de l'Église des docteurs catholiques aspirant à diriger les consciences et à former les esprits selon d'autres principes. Il y avait rivalité d'influence, opposition de sentiments: la lutte était inévitable.

La persécution contre Port-Royal frappa d'abord M. de Saint-Cyran: on le mit à la Bastille: mais on ne put rien obtenir de lui, et on lui rendit enfin la liberté. Sa délivrance se rencontre avec l'éclat du livre De la fréquente communion par Antoine Arnauld. Le docteur eut alors les honneurs d'une controverse qui laissa de profonds ressentiments au cœur de ses adversaires. Les hostilités, quelquefois interrompues, renaissaient naturellement des dispositions des deux partis; elles éclatèrent de nouveau en 1656, à l'occasion de deux lettres publiées par Arnauld. Ces lettres furent déférées à la Sorbonne;' on y inculpait deux assertions: Arnauld n'avait pas vu dans Jansénius 2 les cinq propositions que le docteur Cornet avait tirées du livre de l'évêque d'Ypres : il doutait même qu'elles y fussent, malgré la bulle qui l'affirmait en les condamnant; il les condamnait aussi, qu'elles y fussent ou non. Mais, ce qui était plus sérieux, il reproduisait, pour son propre compte, l'équivalent de la première proposition de Jansénius, c'est-à-dire

1 Fameuse école de théologie de l'université de Paris, fondée par Robert de Sorbon, en 1552, pour faciliter

aux

pauvres les études et les grades en théologie. Ce College devint un des plus célèbres du monde. Avant la révolution de 1789, la maison de Sorbonne

était une des quatre parties de la faculté de théologie de Paris. Elle a produit un si grand nombre d'habiles theologiens qu'elle donna son nom à toute la faculté de théologie de Paris, dont les docteurs et bacheliers prenaient le titre de docteurs et bacheliers de Sorbonne, quoiqu'ils ne fussent point membres de cette

maison.

2 Jansen, plus connu sous le nom de Jansénius, né en 1585 à Accoy (Hollande), évêque d'Ypres en 1636, mort en 1636. Son livre intitulé Augustinus, où il avait essayé de développer les vérités qu'il croyait que saint Augustin avait établies sur la grâce, occasionna parmi les théologiens catholiques de grands différends, qui ont duré jusqu'en 1764.

Blaise Pascal, né à Clermont (Auvergne), en 1628, mourut à Paris en 1662. Dès son enfance, il épouvantait son père de la grandeur et de la puissance de son génie." A douze ans, seul et sans livres, il inventait à ses heures de récréation, les éléments de la géométrie, dont il ignorait A seize ans, il composait son les termes. traité des Coniques. Bientôt son organisation fléchit sous cette activité dévorante. Depuis l'âge de dix-huit ans, Pascal ne passa pas un seul jour de sa vie sans souffrir. Sa s'ouvre jeunesse par quelques années bien différentes de la vie austère et désolée que nous rappelle son nom. Les médecins lui ayant interdit tout travail, il se jeta dans l'agitation du monde et prit le goût de ses plaisirs. C'est à cette époque que l'on doit les charmantes pages du Discours sur les passions de l'amour. Pascal n'y a point encore sa grande manière si ferme et si concise, mais son style est empreint d'une fraîcheur pleine de suavité. On trouve dans ce Discours les observations les plus délicates, rendues avec une vérité de sentiment qui touche et attendrit. La vie mondaine de Pascal fut de courte durée: l'accident du pont de Neuilly, où il avait vu les chevaux de son carrosse tomber dans l'eau, et le carrosse s'arrêter sur le bord, le rappela aux sentiments religieux de son enfance, et au commencement de l'année 1655, il entra à Port-Royal, alors sous la direction de M. de Sacy.

Dans les trois premières Provinciales, Pascal traite la difficile question de la grâce. A partir de la quatrième lettre, transporte habilement la lutte sur un autre terrain, c'est la morale des jésuites Tour à tour ironique et qu'il attaque. véhément, Pascal parcourt toute l'échelle de l'éloquence. Les meilleures comédies de Molière, dit Voltaire, n'ont pas plus de

1 Ceux qui suivent le sentiment, l'opinion de Molina sur la grâce. Louis Molina (1535 à 1600) était un célèbre jésuite espagnol, dont l'ouvrage sur la grâce fit beaucoup de bruit dans l'Église et suscita les fameuses disputes sur la grâce et la prédestination.

sel que les premières Lettres à un provincial: Bossuet n'a rien de plus sublime que les dernières.

Toutefois ce chef-d'œuvre qui fixa la langue française et qui est demeuré un modèle inimitable, n'était pas l'ouvrage de prédilection de Pascal. Il préparait en silence les matériaux d'un grand travail que la mort ne lui laissa pas le temps d'achever, et dont les débris épars, publiés sous le titre de Pensées, suffisent pour assurer à leur auteur l'admiration de la postérité. Pascal voulait aller plus loin que Descartes, et, prenant un lecteur dans l'indifférence et le doute, l'amener docile et fidèle aux pieds de la religion. Il n'y a pour lui ni raison, ni justice, ni vérité, ni loi naturelles. La nature, depuis la chute originelle, est profondément pervertie. La grâce est la seule ressource, la foi le seul asile de la raison convaincue d'impuissance. L'immense intérêt de ce travail, c'est que la vie intime de l'auteur y éclate à chaque pas par des accents d'une vérité profonde. Ses doutes, ses déchirements, ses dédains pour lui-même et pour la raison, ses terreurs religieuses s'y trahissent tour à tour par une éloquence sublime. Partout on reconnaît le libre et sincère essor d'une grande âme vers Dieu, et l'on suit l'écrivain, avec une anxiété pleine de terreur, à travers ce long drame religieux. C'est par l'âme que Pascal est grand comme homme et comme écrivain, dit M. Cousin dans son avant-propos des Pensées; le style qui réfléchit cette âme en a toutes les qualités, la finesse, l'ironie amère, l'ardente imagination, la raison austère, le trouble à la fois et la chaste discrétion. Ce style est, comme cette âme, d'une beauté incomparable.

Nous devons maintenant faire connaître quelques-uns des solitaires qui jetèrent tant d'éclat sur l'école de Port-Royal. A leur tête figure Antoine Arnauld (1612 à 1694). Disciple de Janṣénius, il représente plus énergiquement qu'aucun de ses confrères la pensée religieuse de Port-Royal. Avant tout il voulut être orthodoxe; et s'il agita l'Église, c'était dans le dessein de la réformer avec la ferme intention de ne jamais s'en séparer. Il fut l'infatigable adversaire des protestants et le champion fidèle du catholicisme. L'austérité de ses mœurs était conforme à celle de ses principes, son caractère d'une loyauté sans égale; aussi son siècle, témoin de ses ver

tus et entraîné par son impétueuse éloquence, lui décerna le surnom de Grand.

Nicole (1625 à 1695), associé aux travaux et aux épreuves du grand Arnauld, l'une des plus belles plumes de l'Europe comme dit Bayle, était un logicien exact et un habile anatomiste de nos travers. Ecrivain pur et correct, il donne à l'âme de la sérénité, une douce chaleur, une assurance tout ensemble calme et courageuse.

Antoine Lemaître (1608 à 1658), fils de l'une des sœurs du grand Arnauld, se distingua d'abord au barreau. Ses succès l'auraient sans doute porté aux plus hautes dignités de la magistrature si, „frappé d'un coup irrésistible de la grâce", il n'eût irrévocablement renoncé au monde pour se consacrer sans partage aux pratiques de la piété la plus austère.

La plus solide gloire de Port-Royal n'est pas dans les controverses qu'il a soutenues avec courage et talent; mais dans les ouvrages que ses docteurs ont composés pour l'instruction de la jeunesse. La Grammaire générale, qui appartient à Claude Lancelot (1615 à 1695) et à A. Arnauld, les Méthodes grecque et latine, écrites selon les principes de la Grammaire_générale, et l'Art de penser ou la Logique, sont des titres qui ne périront point.

Après avoir payé notre dette de reconnaissance à ces maîtres habiles qui ont formé Racine et inspiré Rollin, nous devons dire quelques mots de Vaugelas, en qui se personnifie l'esprit de l'Académie française à sa naissance. Vaugelas (1585? à 1650), né à Chambéry, montra dès son enfance un goût extraordinaire pour la langue française. Gentilhomme ordinaire et plus tard chambellan de M. le duc d'Orléans, il vécut 40 ans à la cour, non pour s'y mêler d'intrigues politiques ou pour y avancer sa fortune, mais pour y être plus au centre du bon langage. C'est là qu'il se forma, par le raisonnement et la comparaison, un style de la plus grande exactitude. Vaugelas se considérait comme un simple témoin du grand travail de la langue; il se défendait de toute prétention de la réformer, d'abolir des mots ou d'en faire, et il avait intitulé son ouvrage Remarques, afin d'éloigner, disait-il, tout soupçon de vouloir établir ce qu'il ne faisait que rapporter. Néanmoins peu d'ouvrages ont eu une action plus directe sur le langage que les Remarques de Vaugelas.

PIERRE CORNEILLE.

Pierre Corneille, fils d'un avocat anobli de Rouen, né à Rouen le 6 juin 1606, mourut à Paris en 1684. Voyez des détails sur sa vie et sur ses œuvres dans l'introduction de notre quatrième période. On a encore de lui: Euvres diverses, Lettre apo

logétique de Sieur Corneille sur le Cid, Louanges de la Sainte Vierge en vers français, l'Office de la Sainte Vierge, traduit en vers et en prose, avec les sept Psaumes de la pénitence, &c.

HORACE, TRAGÉDIE.

Le vieil HORACE, chevalier romain. HORACE, son fils.

PERSONNAGES.

CURIACE, gentilhomme d'Albe, amant de Camille. VALÈRE, chevalier romain, amoureux de Camille. SABINE, femme d'Horace et sœur de Curiace. CAMILLE, amante de Curiace et sœur d'Horace.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

Sabine, Julie.

Sabine. Approuvez ma faiblesse, et souffrez ma douleur;1 Elle n'est que trop juste en un si grand malheur:

Si près de voir sur soi fondre de tels orages, L'ébranlement sied bien aux plus fermes courages;

Et l'esprit le plus mâle et le moins abattu Ne saurait sans désordre exercer sa vertu. Quoique le mien s'étonne à ces rudes alarmes,

Le trouble de mon cœur ne peut rien sur mes larmes,

Et, parmi les soupirs qu'il pousse vers les cieux, Ma constance du moins règne encor sur mes yeux: Quand on arrête là les déplaisirs d'une âme, Si l'on fait moins qu'un homme, on fait plus qu'une femme;

Commander à ses pleurs en cette extrémité, C'est montrer pour le sexe assez de fermeté. | Julie. C'en est peut-être assez pour une âme commune

Qui du moindre péril se fait une infortune; Mais de cette faiblesse un grand cœur est honteux;

Il ose espérer tout dans un succès douteux. Les deux camps sont rangés au pied de nos murailles;

Mais Rome ignore encor comme on perd des batailles.

1 Le poète a puisé le sujet de sa tragédie dans un récit de Tite-Live au liv. I, ch. 23 et 24. Le personnage de Sabine est inventé par Corneille.

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Bien loin de m'opposer à cette noble ardeur | Et qu'après la bataille il ne demeure plus Qui suit l'arrêt des dieux et court à ta Ni d'obstacle aux vainqueurs, ni d'espoir aux vaincus,

grandeur, Je voudrais déjà voir tes troupes couronnées, D'un pas victorieux franchir les Pyrénées. Va jusqu'en l'Orient pousser tes bataillons; Va sur les bords du Rhin planter tes pavillons;

Fais trembler sous tes pas les colonnes d'Hercule,

Mais respecte une ville à qui tu dois Ro-
mule.1
Ingrate, souviens-toi que du sang de ses rois
Tu tiens ton nom, tes murs, et tes premières

lois.

Albe est ton origine; arrête, et considère Que tu portes le fer dans le sein de ta mère. Tourne ailleurs les efforts de tes bras triomphants,

Sa joie éclatera dans l'heur de ses enfants; Et, se laissant ravir à l'amour maternelle, Ses vœux seront pour toi, si tu n'es plus contre elle.

Julie. Ce discours me surprend, vu que depuis le temps Qu'on a contre son peuple armé nos combattants, Je vous ai vu pour elle autant d'indifférence Que si d'un sang romain vous aviez pris naissance.

J'admirais la vertu qui réduisait en vous Vos plus chers intérêts à ceux de votre époux;

Et je vous consolais au milieu de vos plaintes, Comme si notre Rome eût fait toutes vos craintes.

Sabine. Tant qu'on ne s'est choqué qu'en de légers combats, Trop faibles pour jeter un des partis à bas, Tant qu'un espoir de paix a pu flatter ma peine,

Oui, j'ai fait vanité d'être toute Romaine. Si j'ai vu Rome heureuse avec quelque regret,

Soudain j'ai condamné ce mouvement secret; Et si j'ai ressenti, dans ses destins contraires, Quelque maligne joie en faveur de mes

frères, Soudain, pour l'étouffer rappelant ma raison, J'ai pleuré quand la gloire entrait dans leur maison.

Mais aujourd'hui qu'il faut que l'une ou l'autre tombe,

Qu'Albe devienne esclave, ou que Rome succombe,

1 Notre poète a l'habitude de franciser les noms latins, sans exception aucune.

J'aurais pour mon pays une cruelle haine, Si je pouvais encore être toute Romaine, Et si je demandais votre triomphe aux dieux,

Au prix de tant de sang qui m'est si précieux.

Je m'attache un

Je ne suis point

peu moins aux intérêts d'un homme; pour Albe, et ne suis plus pour Rome;

Je crains pour l'une et l'autre en ce dernier effort,

Et serai du parti qu'affligera le sort.
Égale à tous les deux jusques à la victoire,
Je prendrai part aux maux sans en prendre
à la gloire;

Et je garde, au milieu de tant d'âpres rigueurs,

Mes larmes aux vaincus, et ma haine aux vainqueurs.

Julie. Qu'on voit naître souvent de pareilles traverses,

En des esprits divers, des passions diverses! Et qu'à nos yeux Camille agit bien autre

ment!

Son frère est votre époux, le vôtre est son

amant:

Mais elle voit d'un œil bien différent du vôtre Son sang dans une armée, et son amour dans l'autre.

Lorsque vous conserviez un esprit tout romain,

Le sien irrésolu, le sien tout incertain,
De la moindre mêlée appréhendait l'orage,
De tous les deux partis détestait l'avantage,
Au malheur des vaincus donnait toujours
ses pleurs,

Et nourrissait ainsi d'éternelles douleurs. Mais hier, quand elle sut qu'on avait pris journée,

Et, qu'enfin la bataille allait être donnée, Une soudaine joie éclatant sur son front. Sabine. Ah! que je crains, Julie, un changement si prompt! belle humeur elle entretint Valère;

Hier dans sa Pour ce rival,

sans doute, elle quitte mon

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