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grande de garder son honneur. „Par saint Georges! disait-il, je ne demande rien que de juste et de raisonnable; je veux l'accomplissement des traités d'Arras et de Conflans, que le roi a jurés. Je ne lui fais point la guerre; c'est lui qui vient pour me la faire, et, amenâtil toutes les forces de son royaume, je ne bougerai point d'ici et ne reculerai pas de la longueur de mon pied. Je mourrais plutôt, moi et tous les miens, avant de confesser que mes demandes sont injustes et déraisonnables. Si les autres m'ont abandonné et ont traité sans moi, que m'importe? Avais-je besoin d'eux? Ne suis-je pas assez fort et assez puissant? Ne puis-je pas seul faire tête à tous mes ennemis, et à ceux mêmes qui se joindraient à eux? Jamais un duc de Bourgogne n'a été trouvé manquant de parole, ni manquant de courage non plus. Mes prédécesseurs se sont vus en plus dure situation et ne se sont pas épouvantés." Ainsi, le cardinal, et encore moins le connétable, qui n'avait plus grand crédit sur le Duc, ne pouvaient le faire condescendre à traiter avec le roi et à s'allier avec lui envers et contre tous, sans réserve de monsieur Charles et du duc de Bretagne. Cependant le roi sentait chaque jour une impatience plus grande de réussir; il s'était flatté d'obtenir par voie de traité ce que d'autres lui conseillaient de conquérir par voie de guerre, et voulait absolument en venir à ses fins. Il n'y avait sorte de moyens dont il ne s'avisât, et il alla même jusqu'à promettre cent vingt mille écus d'or au Duc et à lui en faire compter la moitié d'avance; tellement que la crainte d'avoir dépensé son argent en vain ajoutait encore à la vivacité de son désir.

Le connétable, qui avant tout ne voulait point la guerre, et le cardinal, qui aimait à flatter le roi, contribuaient encore à l'entretenir dans ses espérances; ils lui rendaient compte avec soin des moindres paroles de courtoisie que le Duc répondait à toutes les promesses et amitiés dont le roi l'accablait, et semblaient dire qu'il tenait à bien peu de l'amener au point que le roi souhaitait.

Alors la pensée vint au roi que luimême il saurait persuader le Duc bien mieux que tous ses ambassadeurs. Il avait grande idée du pouvoir qu'il prenait sur les gens par son esprit et son langage. Il s'imaginait toujours qu'on ne disait pas ce qu'il fallait dire, qu'on ne s'y prenait pas de la bonne façon; il avait la crainte continuelle d'être servi sans fidélité ou sans zèle. Il se souvenait de ce qu'il avait gagné en devisant familièrement avec le Duc, lors de la guerre du Bien public, quand il avait su le séparer de tous les princes ses alliés. Cette fois, il avait plus beau jeu encore, car les princes avaient offensé le Duc par leur trahison.

Le roi commença par faire sonder le Duc sur un projet d'entrevue. Celui-ci n'en avait pas trop envie, et sentait toujours quelque méfiance lorsqu'il s'agissait du roi, d'autant qu'il venait d'apprendre que les Liégeois recommençaient à murmurer et à s'émouvoir; l'évêque et le sire d'Himbercourt, leur gouverneur, se trouvant sans forces suffisantes, s'étaient même, par précaution, retirés à Tongres. Le cardinal répondit à cette objection que le Duc ne devait point craindre les Liégeois, ayant, l'an dernier, démoli leurs murailles et enlevé leurs armes; que d'ailleurs rien ne pouvait mieux les détourner de la rébellion que de voir le roi et le Duc amis et alliés.

Le connétable, écrivant au roi, eut soin de lui cacher ce qui aurait pu le détourner de son dessein. Sa lettre portait que le Duc attendait avec impatience la visite dont le roi lui donnait l'espoir, qu'il demandait sans cesse que le jour en fût fixé, qu'il avait choisi un logis convenable, et qu'il irait audevant de lui avec grand respect. Il avait semblé au connétable porté à ne plus vouloir d'autre allié et ami que le roi. Il renonçait, disait-il, à toute autre alliance, réservant seulement le roi d'Angleterre, le duc de Savoie et les princes d'Allemagne. Outre les affaires qui se pouvaient traiter par ambassade, le Duc semblait en avoir d'autres toutes secrètes qu'il ne voulait pas laisser deviner. La chose qu'il désirait

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Le connétable ajoutait que, sur ce point, il avait voulu répondre au Duc comment le roi ne pouvait honorablement abandonner un prince de son rang, pair de France, et toujours son fidèle allié. ,Mais il a entendu avec impatience mes remontrances, disant toujours qu'il voulait perdre monsieur de Nevers, à quelque prix que ce fût. Ses conseillers confessent qu'une telle colère n'est pas raisonnable; mais il n'y a personne, dit-on, qui ose lui rien dire contre son plaisir."

le plus, c'est que le roi lui abandonnât | hâte, amenant un homme qui affirmait le comte de Nevers, pour lequel il avait sur sa vie que monsieur de Bourgogne tant de haine que jamais il ne pourrait ne voulait cette entrevue que pour atlui pardonner. tenter à la personne du roi. Il courait aussi, depuis quelque temps, une prophétie qui menaçait le roi de mort ou de poison dans le cours de l'année. On avait vu au ciel une comète qui annonçait le malheur de quelque grand. „Nous sommes bien ici, disaient les serviteurs du roi; plût à Dieu que le roi s'y trouvât bien aussi et n'allåt pas plus loin; car il est ici en sûreté et chez lui. Monsieur de Bourgogne fait les revues de ses troupes et attend le maréchal de Bourgogne. Philippe de Savoie, Poncet de la Rivière, du Lau, Durfé, le prince d'Orange, tous les plus grands ennemis du roi ont été vus à Dijon avec lui. Quoi qu'on dise, tant que Bourgogne vivra, il ne feindra jamais de vouloir du bien au roi que pour lui faire du mal." Tels étaient

L'entrevue fut donc décidée. Le roi envoya demander une lettre d'assurance au duc de Bourgogne; il l'écrivit de sa main; elle était ainsi conçue:

comte de Dammartin, les maréchaux Rouault et Lohéac, tous les capitaines s'opposèrent de tous leurs efforts à ce voyage, dont ils n'auguraient rien de bon. Tout fut inutile, le roi l'avait résolu.

,,Monseigneur, très humblement en votre bonne grâce je me recommande, vous remerciant, Monseigneur, du car-les propos des moindres officiers. Le dinal qu'il vous a plu m'envoyer, lequel m'a dit le désir qu'avez de me voir, dont, Monseigneur, en toute humilité je vous remercie; auquel, sur cette matière et autres, je lui déclare mon intention, comme par lui le pourrez, s'il vous plaît, savoir, et pourrez sûrement venir, aller et retourner, vous suppliant, Monseigneur, qu'il vous plaise recevoir du cardinal lesdites matières, en la manière que je lui ai baillée, laquelle il vous déclarera. Monseigneur, je prie à Dieu qu'il vous donne bonne vie et longue. Écrit de la main de votre très humble et très obéissant sujet

Charles."

Dès que cette lettre fut reçue, le roi s'apprêta à partir. Au lieu de retourner à Pontoise et du côté de Paris, où il avait déjà envoyé ses fourriers, il annonça que le lendemain il irait à Péronne. Alors ce fut une surprise et une alarme grande parmi tous les serviteurs du roi; ils ne pouvaient croire une telle chose. Déjà il avait été quelques jours auparavant question de cette entrevue; l'on avait dit qu'elle aurait lieu à Bohain, chez le connétable, et elle avait paru périlleuse et insensée. Le vidame d'Amiens était accouru en Herrig, La France litt.

Il partit le 9 octobre en assez petit cortège, emmenant avec lui le connétable, le cardinal, le duc de Bourbon, le sire de Beaujeu, l'archevêque de Lyon, et l'évêque d'Avranches, son confesseur. Il avait pour toute garde quatre-vingts Écossais et une soixantaine de cavaliers, tant il voulait montrer au Duc une parfaite confiance. Les archers de Bourgogne, commandés par Philippe de Crèvecœur, sire d'Esquerdes, vinrent au-devant de lui comme il l'avait souhaité, afin de donner cette marque d'estime au plus sage et au plus vaillant des serviteurs du Duc. Ce prince vint lui-même hors de la ville jusqu'à la petite rivière du Doing. Le roi l'embrassa et lui fit fête. Chacun se réjouissait de les voir si bons amis. Ils entrèrent ensemble dans la ville, devisant familièrement, et le roi appuyant sa main en signe d'amitié sur l'épaule du Duc. Son logis avait été préparé chez le receveur de la ville; car le château était vieux, inhabité et mal en ordre.

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les murs.

A peine le roi était-il dans la ville qu'il apprit que l'armée du maréchal de Bourgogne arrivait et campait sous Ce maréchal était dès longtemps son ennemi personnel. A son avènement, pour se le rendre favorable et le récompenser de l'avoir escorté en Flandre lors de sa fuite du Dauphiné, il lui avait donné la seigneurie d'Épinal. Les bourgeois avaient réclamé, alléguant les lettres du roi Charles VII, qui avait réuni la ville à la couronne et promis qu'elle ne serait jamais cédée en fief. Le roi favorisa leur demande auprès du Parlement, qui leur donna gain de cause. Le maréchal ne voulut pas reconnaître le jugement et eut recours aux voies de fait. Alors les habitants, avec le consentement du roi, s'étaient donné pour seigneur et pour protecteur le duc Jean de Calabre. Ainsi nul dans les conseils de Bourgogne n'était plus violent contre le roi que ce maréchal. Il avait réuni autour de lui et amenait dans son armée les mécontents et les bannis, du Lau, Poncet de La Rivière, Durfé et le comte Philippe de Bresse, que le roi avait tenu enfermé par trahison pendant deux années entières. Tous, portant la croix de Bourgogne, entraient dans la ville par une porte tandis que le roi entrait par l'autre. Le comte de Bresse alla aussitôt se présenter au Duc, témoigna ses regrets de ne pas être arrivé plus tôt afin d'aller au-devant du roi, et demanda sûreté dans la ville pour lui et ses compagnons. Le Duc lui fit bonne mine, le remercia pour lui et pour eux, et assigna leur logis au château.

Le roi, sachant tout ce qui se passait et l'accueil que recevaient ses mortels ennemis, commença à se troubler et à concevoir quelque peur. Ne trouvant pas son logis assez sûr, il fit demander le château, qui lui fut accordé sans difficulté, et alla s'y établir avec toute sa maison; elle ne consistait guère qu'en une douzaine de personnes.

Dès le lendemain les pourparlers commencèrent entre les conseillers des deux princes et en leur présence. Rien ne pouvait changer la volonté du Duc. En vain le roi lui promettait la pleine et

entière exécution des traités d'Arras et de Conflans, ne lui demandant autre chose qu'un serment de fidélité envers et contre tous; il ne voulait pas se départir de la réserve quant à ses alliés. Le roi lui répétait que le duc de Bretagne avait juré un traité d'alliance conçu dans les mêmes termes; le Duc s'obstinait à rester fidèle à des alliés qui lui avaient manqué de foi, et toutes les paroles du roi étaient de nul effet. Les choses en étaient là, et les esprits commençaient à s'aigrir de part et d'autre, lorsque dans la seconde journée, arrivèrent des nouvelles de Liège qui excitèrent un grand émoi. Les Liégeois avaient repris les armes, et, au nombre de deux mille environ, étaient allés à Tongres, où leur évêque et le sire d'Himbercourt s'étaient retirés. Profitant de la négligence de toute cette cour de prélat, où, d'habitude, on ne songeait guère qu'à se divertir, ils avaient surpris la ville et emmené prisonniers l'évêque, ses chanoines, même le sire d'Himbercourt. Des habitants de Tongres, fugitifs, effarés, arrivaient les uns après les autres; ils avaient vu ces Liégeois en fureur massacrer Robert de Moriamez, archidiacre et garde de la bannière de l'évêque, et se faire un jouet horrible de ses membres qu'ils se jetaient à la tête les uns des autres. Les fugitifs ne doutaient pas que l'évêque et le sire d'Himbercourt n'eussent éprouvé un sort pareil, et n'eussent été mis en pièces avant même d'être arrivés à Liège.

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On peut juger de la fureur du Duc en apprenant de telles cruautés; il ne douta pas un moment du récit de ces fugitifs et tint pour véritables même leurs conjectures. Il est donc vrai, s'écria-t-il, que le roi n'est venu ici que pour me tromper et m'empêcher de me tenir sur mes gardes! J'avais bien raison de me méfier et de refuser cette entrevue. C'est lui qui, par ses ambassadeurs, a excité ces mauvais et cruels gens de Liège; mais, par saint Georges! ils en seront rudement punis, et il aura sujet de s'en repentir." Aussitôt il ordonna que les portes de la ville et du château fussent fermées et gardées par

des archers. Puis, un instant après, effrayé lui-même de ce qu'il venait de commander, il imagina de donner, pour motif de ses ordres, qu'il voulait absolument qu'on retrouvât une boîte remplie d'or et de joyaux qui lui avait été dérobée. Il se promenait çà et là, prenant tous ceux qu'il rencontrait à témoin de la trahison du roi et racontant les nouvelles de Liège; ensuite il s'emportait en terribles menaces de vengeance. Si, par hasard, il se fût trouvé là quelqu'un de ceux des conseillers de Bourgogne qui haïssaient le roi, le Duc aurait pu prendre quelque résolution subite et cruelle, ou, pour le moins, faire jeter son légitime et souverain seigneur dans un des cachots de la grosse tour du château. Heureusement le sire Philippe de Comines, chambellan de quartier, loin d'aigrir son maître, s'employa de tout son pouvoir à l'adoucir. Autant en faisait un de ses valets de chambre, Charles de Viseu, homme honorable et sage, natif de Dijon.

Pendant ce temps, le roi, à qui l'on avait rapporté les nouvelles de Liège et les paroles furieuses du Duc, ne se. voyait pas sans crainte enfermé dans l'étroite enceinte de ce château, tout près de cette grosse tour où jadis Herbert, comte de Vermandois, avait tenu prisonnier et fait périr son roi, Charles le Simple; un tel souvenir n'était pas rassurant en un tel moment. D'ailleurs on pouvait tout craindre des transports insensés du duc de Bourgogne. Maintenant le roi avait le loisir de réfléchir à l'imprudence qu'il avait faite de venir se mettre entre ses mains, sans songer aux gens que secrètement il avait envoyés à Liège. Il n'avait voulu rien de plus que accroître les embarras de son adversaire, afin de traiter plus avantageusement; mais c'était une grande méprise d'avoir oublié que tout pouvait être imprévu et hors de mesure avec un peuple cruel et insensé comme les Liégeois. Puis il portait aussi la peine de cette dissimulation qui lui faisait cacher aux gens qui conduisaient une affaire les entreprises qu'il entamait d'une autre part.

Toutefois il ne se troubla point et ne songea qu'aux moyens de se tirer d'un si mauvais pas. La porte du château était sévèrement gardée; on n'entrait pour son service que par le guichet seulement; mais aucun des gens de sa maison n'avait été ôté d'auprès de lui. Ce qui le fachait le plus, c'est que pas un des principaux conseillers et serviteurs du Duc ne venait le trouver. Ainsi il n'avait nulle occasion de parlementer, de s'expliquer, de deviner, ni d'aviser à ce qu'il avait à dire ou à faire. Pourtant il faisait parler à tous ceux dont il imaginait qu'il pourrait tirer quelque secours; rien n'était omis pour les bien disposer en sa faveur. Les promesses n'étaient pas épargnées, et quinze mille écus d'or qu'il avait apportés avec lui auraient été distribués parmi les serviteurs du duc de Bourgogne, sinon que celui qui fut chargé de cette secrète libéralité garda une bonne part pour lui.

en

Pendant ce temps-là tout était en rumeur dans la ville; chacun s'enquérait et s'inquiétait de ce qui allait se résoudre et se faire. Le lendemain, quand le Duc fut un peu refroidi, il assembla son conseil; jusqu'alors il avait agi sans prendre l'avis de personne, au grand chagrin des hommes sages, qui ensuite avaient à remédier aux choses que leur maître avait faites contre leur pensée. Le conseil fut long et troublé; il dura tout le jour et une partie de la nuit. Les opinions étaient fort diverses, et le Duc agité et incertain.

D'abord les ennemis du roi y prévalurent. Le maréchal de Bourgogne, et ceux qu'il avait amenés avec lui, commencèrent à être mieux écoutés du Duc: c'était ce que le roi redoutait le plus. Il avait fait offrir de jurer la paix telle que deux jours auparavant elle lui avait été proposée, sans faire nulle réserve ni difficulté. Il s'engageait à toutes réparations suffisantes des Liégeois et à revenir se joindre au Duc pour leur fair la guerre. Il présentait en otages de son retour le duc de Bourbon, le cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon, le connétable et d'autres

grands seigneurs. Mais de telles conditions n'étaient pas même écoutées; il était question de retenir tout franchement le roi en prison, d'envoyer aussitôt chercher monsieur Charles son frère, et de régler alors tout le gouvernement du royaume. Cet avis passa; le messager eut ordre de s'apprêter pour partir sur-le-champ. Ses houseaux étaient déjà mis, son cheval dans la cour; il n'attendait plus que les lettres que le duc écrivait en Bretagne, quand tout à coup ce prince recula devant une si grande résolution. Ceux qui la conseillaient en avaient bien vu la conséquence: après un tel affront et une telle contrainte, le roi ne pouvait rester libre; c'en était donc fait de sa vie ou de sa couronne.

C'est à quoi Pierre de Goux, chancelier de Bourgogne, et les conseillers plus sages ou plus favorables au roi firent réfléchir le Duc. Le conseil fut repris. La plupart de ceux qui y siégeaient inclinèrent à un avis plus doux; ils rappelèrent que le roi était venu à Péronne sur un sauf-conduit, et que ce serait un éternel déshonneur à la maison de Bourgogne de manquer de foi à son souverain seigneur. Ils firent voir tout l'avantage des conditions qui allaient être accordées, et qui termineraient, en faveur de la Bourgogne, de grandes et difficiles affaires. Le Duc leur prêta l'oreille; il s'était un peu calmé. D'ailleurs les nouvelles de Liège étaient moins terribles que ne les avaient faites les premiers bruits populaires. L'évêque avait été conduit avec une sorte d'égards dans son palais; le sire d'Himbercourt et les Bourguignons avaient été mis en liberté; on les avait chargés d'apaiser monseigneur de Bourgogne et de lui assurer que ce n'était pas à lui qu'on entendait faire la guerre. Les chanoines et les serviteurs de l'évêque, malgré la haine aveugle que leur portaient les gens de Liège, avaient échappé au massacre. Jean de Wilde, que ce peuple avait pris pour chef, avait réussi à le modérer un peu et à lui faire écouter la raison.

Bien que la colère du Duc fût en quelque sorte adoucie, on ne pouvait

lui proposer de mettre le roi en liberté et d'accepter ses otages pour gage de son retour: chacun le savait trop capable de les laisser là et de ne pas revenir. Le connétable et les autres, tout en s'offrant de bonne grâce, du moins en public, n'étaient pas euxmêmes sans crainte de ce qui leur en pourrait arriver.

Des commissaires furent donc nommés de part et d'autre pour dresser le projet de traité; il avait pour base les traités d'Arras et de Conflans, mais tout ce qui s'était élevé de difficultés sur leur explication se trouvait résolu au bénéfice de la Bourgogne: la seigneurie pleine et entière, avec le droit de lever des aides et d'assembler les vassaux, dans le Vimeu, les villes de la Somme et d'autres territoires; toutes les questions de juridiction, de limite, d'enclave, de péages, d'impôts sur le transit des marchandises; l'appel au Parlement de Paris des jugements en Flandre; en un mot, tout ce qui était depuis plus de trente ans objet de litige, et dont jamais le feu roi n'avait voulu se départir, était abandonné en un jour. Vainement les commissaires de France présentaient quelques remontrances; on leur répondait: „Îl le faut, Monseigneur le veut.“

C'est qu'en effet, malgré les profits d'une paix ainsi imposée, les conseillers du Duc avaient grand'peine à l'y faire consentir. C'étaient sans cesse de nouveaux accès de colère, de nouvelles pensées de vengeance qui soudainement lui montaient à l'esprit. Il se retira dans sa chambre; là, sans songer à se déshabiller, il allait et venait, se promenait à grands pas, se jetait sur son lit, se relevait, parlait seul et tout haut, puis entamait quelque propos avec le sire de Comines, son chambellan, qui couchait près de lui. Sur le matin, sa fureur devint plus grande que jamais, et l'on pouvait croire que tout était perdu. „Il m'a fait promettre de venir avec moi reconquérir l'évêque de Liège, qui est mon beau-frère et son parent à lui aussi; il faudra bien qu'il y vienne. Je ne me fais point conscience de le contraindre à la parole qu'il a donnée.“

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