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Et aussitôt il envoya les sires de Créqui, de Charny et de La Roche annoncer au roi qu'il allait venir jurer la paix avec lui.

Le sire de Comines, qui secrètement était devenu ami tout dévoué du roi, n'eut que le temps de lui faire dire en quelle situation d'esprit était le Duc, et dans quel danger il se pourrait mettre s'il hésitait soit à jurer la paix, soit à marcher contre les Liégeois.

Le Duc entra dans le lieu où le roi était prisonnier. Il s'efforçait de montrer une contenance humble et courtoise; mais sa voix tremblait de colère, ses paroles étaient brèves et âpres, son geste était menaçant. „Mon frère, dit le roi un peu ému, ne suis-je pas en sûreté dans votre maison et votre pays? - Oui, Monsieur, répondit le Duc, et si sûr que, si je voyais un trait d'arbalète venir sur vous, je me mettrais devant pour vous garantir. Mais ne voulezvous point jurer le traité tel qu'il a été écrit? Oui, dit le roi, et je vous remercie de votre bon vouloir. Et ne voulez-vous point venir avec moi à Liège pour m'aider à punir la trahison que m'ont faite ces Liégeois, à cause de vous et de votre voyage ici? L'évêque est votre parent proche, de la maison de Bourbon. Oui, Pâques-Dieu, répliqua le roi, et je me suis fort émerveillé de leur méchanceté. Mais commençons par jurer le traité; puis je partirai avec autant ou aussi peu de mes gens que vous le voudrez.“

Pour lors on tira des coffres du roi le bois de la vraie croix, que l'on nommait la croix de Saint-Laud. Suivant ce qu'on racontait, elle avait jadis appartenu à Charlemagne et se nommait alors la croix de victoire. Depuis elle avait été conservée dans l'église de Saint-Laud, à Angers. Nulle relique n'était autant adorée par le roi, et il croyait qu'on ne pouvait manquer au serment juré sur ce bois vénérable sans mourir dans l'année. Il n'y eut sorte d'assurances et de promesses qu'il ne s'empressât de faire à son beau-frère de Bourgogne, qui fit aussi son serment. Ce traité fut signé, et le roi expédia le même jour toutes les lettres patentes,

au nombre de vingt, qui réglaient l'exécution de divers articles. Par un traité séparé, le Duc s'engagea à employer ses bons offices auprès de monsieur Charles, frère du roi, pour qu'il se contentât de la Brie et de la Champagne pour apanage. Du reste, rien ne fut changé aux conditions de la paix de Conflans, quant aux autres alliés du Duc.

La joie fut grande dans la ville en apprenant que tout se terminait ainsi à l'amiable. Les cloches furent sonnées, chacun alla dans les églises remercier Dieu. Français et Bourguignons se témoignaient amitié et concorde.

MORT DU DUC CHARLES DE BOUR-
GOGNE.

Nanci est situé sur la rive gauche de la Meurthe, à un quart de lieue environ de la rivière. Les Lorrains arrivaient par la route de Strasbourg et par SaintNicolas. Ils occupaient le village de la Neuveville, et s'avançaient vers le camp des assiégeants.

Le duc de Bourgogne s'arma de grand matin et monta sur un beau cheval noir, qu'on nommait Moreau. Lorsqu'il voulut mettre son casque, le lion doré qui en formait le cimier se détacha et tomba. ,,Hoc est signum Dei," dit-il tristement. Il n'en continua pas moins à aller ranger son armée. Pour arrêter la marche des Lorrains, son artillerie fut établie sur la route, à un endroit où elle était un peu élevée. A sa gauche était la rivière; à droite une pente couverte de bois; le ruisseau d'Heuillecour, assez profond et coulant presque partout entre deux haies, couvrait son front et lui servait de retranchement. Josse de Lalain, grand-bailli de Flandre, commandait l'aile gauche, qui s'appuyait à la rivière. Le Duc et le grand bâtard étaient au centre, sur le chemin, avec l'artillerie et presque tous les gens de pied. Les Lombards formaient la droite; c'était Jacques Galeotto qui les commandait. Le comte de Campo-Basso avait enfin accompli sa trahison et tenu parole au roi, en

partant deux jours auparavant avec son frère Angelo et son cousin le sire Jean de Montfort. Les chefs qui commandaient les Français du duché de Bar avaient ordre de ne le point recevoir à cause de la trève que le roi voulait toujours faire le semblant d'observer fidèlement. Alors il s'en alla occuper les ponts de Bouxières-les-Dames sur la Meurthe, et de Condé sur la Moselle, afin de couper aux Bourguignons le chemin de la retraite, et de tomber sur les fuyards. Il avait en outre eu soin de laisser dans l'armée treize ou quatorze personnes pour crier „Sauve qui peut!" et commencer la déroute. D'autres étaient chargés de suivre de l'œil le duc de Bourgogne et de le tuer dans le désordre de la fuite.

Dès que Campo-Basso sut que le duc de Lorraine était à Saint-Nicolas, il se présenta à lui avec sa troupe, il avait arraché son écharpe rouge et sa croix de Saint-André. Le duc René écouta ses plaintes sur l'affront qu'il avait reçu du duc de Bourgogne, et son dessein de se venger. Le capitaine italien rappela ensuite la fidélité qu'il avait autrefois montrée à la maison d'Anjou, les services qu'il avait rendus au duc Jean de Calabre, les récompenses qu'il en avait reçues et dont il demandait seulement la confirmation. Il était prêt, disait-il, à donner encore sur l'heure même, et les armes à la main, des preuves de son zèle.

Le duc René en parla à ses capitaines suisses. Nous ne voulons point que ce traître d'Italien combatte à nos côtés, dirent-ils tous; nos pères n'ont jamais usé de tels gens ni de telles pratiques pour gagner l'honneur de la victoire." Le comte de Campo-Basso se retira, espérant du moins qu'au poste qu'il avait pris il pourrait encore faire du mal à son ancien maître, mais regrettant de ne lui en point faire davantage.

Le commandement des gens de pied de l'avant-garde fut donné à Guillaume Herter, de Strasbourg, celui qui avait si bien combattu à Morat; le comte Oswald de Thierstein commandait la cavalerie. Ils avaient avec eux le bâ

tard de Vaudement, les sires Jacques de Wisse, Malortie, d'Oriole, de, Bassompierre, de Domp-Julien, de l'Étang, tous Lorrains ou Français. Cette avantgarde était de neuf mille hommes; c'était plus que toute l'armée bourguignonne. Elle marchait sous le guidon du duc René, qui portait l'ancienne devise des ducs de Lorraine: un bras armé sortant d'un nuage, et tenant une épée avec les mots: „Toutes pour une."

Le corps de bataille était sous les ordres du duc René, sans autre chef ni lieutenant que lui. Il faisait porter par le sire de Vaudrei sa bannière de Lorraine représentant l'Annonciation. Pour empêcher toute jalousie, et suivant la coutume des Suisses, toutes les autres bannières étaient au même lieu sous bonne garde, et devaient marcher toujours ensemble jusqu'à la victoire. Ainsi l'on voyait là rassemblées les bannières du duc d'Autriche, de l'évêque et de la ville de Strasbourg, de l'évêque et de la ville de Bâle, de Berne, de Zurich, de Fribourg, de Lucerne, de Soleure, et de toutes les villes et communes de l'alliance.

Le duc René était sur un cheval gris, nommé la Dame, qu'il avait monté à Morat; par-dessus son armure il portait un habillement à ses couleurs, rouge et gris-blanc, et une robe de drap d'or, dont la manche droite était ouverte. La housse de son cheval était aussi de drap d'or, avec une double croix blanche. Autour de lui étaient huit cents chevaux; c'était la noblesse de Lorraine: les comtes de Bitche, de Salm, de Linange, de Pfaffen-Hoffen, et les sires de Gerbevillers, de Ligniville, de Nettancourt, de Ribeaupierre, d'Haussonville, de Lenoncourt. Les serviteurs de sa maison, et jusqu'à ses secrétaires, chevauchaient armés dans cette noble troupe, qui tenait la droite du corps de bataille. L'arrière-garde n'était composée que de huit cents coulevriniers.

D'après le rapport des cavaliers qu'on avait envoyés devant et d'après les informations qu'avait données le comte de Campo-Basso, l'ordonnance de l'armée ennemie était assez bien connue. Deux Suisses, que la misère avait forcés à

s'enrôler chez les Bourguignons, et qui s'en vinrent rejoindre les gens de leurs pays, expliquèrent encore mieux la position de l'ennemi; ils s'offrirent à servir de guides.

Toute cette armée marchait joyeuse et empressée. La neige tombait à gros flocons; le jour en était obscurci; on ne voyait pas loin devant soi. Une décharge de l'artillerie des Bourguignons, tirée hors de portée, indiqua qu'on approchait. Les Suisses s'arrêtèrent; un vieux prêtre de leur pays leur fit la prière. „Dieu combattra pour vous, dit-il, le Dieu de David, le Dieu de batailles !" Tous s'étaient mis à genoux; ils baisèrent la terre neigeuse. Le duc René était descendu pour prier avec eux; il remonta à cheval, et leur adressa la parole en Allemand. „Mes enfants, dit-il, puisque l'ennemi est assez téméraire pour nous attendre et accepter la bataille, il nous en faut tirer une mémorable vengeance."

En attaquant de front l'artillerie des Bourguignons sur la grande route, on eût perdu beaucoup de monde. Guillaume Herter, avec son avant-garde, se porta à la gauche, et, suivant un ancien chemin, le long du ruisseau, s'en alla passer dans le bois, derrière le coteau où s'appuyait la droite de l'ennemi. Pendant ce temps-là, le ciel commença à s'éclaircir. Le duc René, voyant que cette aile avait laissé un espace entre elle et la lisière du bois, voulut aussi la tourner par là et au plus près; il envoya quatre cents chevaux. Cette attaque fut malheureuse. Le sire de la Rivière, à la tête de la cavalerie bourguignonne, pressait déjà vivement les Lorrains, lorsque tout à coup parut sur la hauteur l'avant-garde de Guillaume Herter. Il avait avec lui les gens d'Uri et d'Unterwalden; on entendit retentir au loin, et par trois fois, le son de leur trompe. Le duc de Bourgogne, reconnaissant ce son terrible qui lui rappelait Granson et Morat, se sentit glacé au fond du cœur. Cependant le courage ne pouvait lui manquer; comme on le disait communément, jamais peur ne se laissa voir sur son visage, et il ne craignait rien en ce monde que la

chute du ciel. Il fit changer de front à ses archers et les tourna contre les Suisses, qui descendaient du coteau sur sa droite.

Parmi le découragement de tous, environné par une armée trois ou quatre fois plus nombreuse que la sienne, on le voyait s'en aller d'un lieu à l'autre, ranger ses hommes, les ranimer par menaces ou par exhortations, et donner ses ordres tout comme s'il y avait eu quelque espérance à concevoir. Autour de lui, quelques fidèles serviteurs, dont il avait méconnu les conseils, Rubempré, Contai, Galeotto, le grand bâtard, le comte de Chimai, faisaient aussi tous leurs efforts. Mais rien ne pouvait arrêter l'élan des Suisses. La cavalerie se porta au-devant d'eux sans retarder leur marche; une décharge de coulevrines à main, qui renversa mort Galeotto et beaucoup d'autres cavaliers, acheva la complète déroute de l'aile droite.

L'aile gauche, que commandait Josse de Lalain, ne pouvait faire une meilleure défense; elle fut bientôt enfoncée et poursuivie vivement sur la route et le long de la rivière par le duc de Lorraine et sa cavalerie. Les fuyards croyaient passer sur le pont de Bouxieres; Campo-Basso le gardait. En même temps la garnison fit une sortie. Bientot les Bourguignons virent s'élever derrière eux les flammes qui achevaient de consumer leur camp. Toute l'armée fut en peu d'instants dispersée, les uns se jetant dans la Meurthe pour essayer de la traverser, les autres s'enfonçant dans les bois ou gagnant les campagnes.

La bataille avait peu duré et n'avait pas été meurtrière. La poursuite fut terrible; deux heures après la chute du jour, les Lorrains, les Allemands, les Suisses, les habitants du pays euxmêmes couraient encore de tous côtés, tuant sans défense ceux qu'ils rencontraient.

Après avoir poussé avec ses cavaliers jusqu'à Bouxières, le duc René reprit le chemin de sa capitale, qu'il venait de délivrer. Il demandait à chacun si l'on ne savait pas quelque nouvelle du

duc de Bourgogne, si l'on ne savait point quelle route il avait prise, s'il n'était point blessé, ou si quelqu'un ne l'avait point fait prisonnier. Personne ne pouvait lui en rien dire. Il fit son entrée à Nanci par la porte NotreDame. Cette vaillante garnison, qui contre toute apparence avait soutenu un si long et si terrible siège, et les habitants, qui avaient tant souffert pour se conserver à lui, se jetaient en foule au-devant de ses pas. Malgré leur dénument, ils avaient illuminé la ville. Le duc commença par aller remercier Dieu dans l'église Saint-Georges; puis on le conduisit jusqu'à son hôtel, aux cris de Vive le duc René! vive notre bon et vaillant seigneur!" Pour lui montrer quelles souffrances on avait endurées, le peuple avait imaginé de ranger en tas devant sa porte toutes les têtes de chevaux, de chiens, de mulets, de chats et autres bêtes immondes qui depuis quelques semaines étaient la seule nourriture des assiégés.

Le lendemain, jour des Rois, le duc René continua à s'enquérir avec anxiété de ce qu'était devenu le duc de Bourgogne. On chercha parmi les morts. Sur ce triste champ de bataille furent successivement trouvés le sire de Rubempré, qui avait si doucement gouverné la Lorraine; le sire de Contai, ce fidèle conseiller du Duc; le seigneur Galeotto, dont la loyauté faisait tant de honte à la trahison de Campo-Basso; Frédéric de Florsheim, qui commandait les Badois au service de Bourgogne; le sire de Vaux-Marcus, qui s'était fait serviteur du Duc la veille de Granson et n'avait connu de lui que ses revers. Bien d'autres vaillants gentilshommes furent reconnus parmi les morts, mais on ne découvrit point le corps du duc de Bourgogne. Les prisonniers furent interrogés: il y en avait un grand nombre et des plus illustres. A chaque moment on en amenait de nouveaux qu'on avait crus morts ou en fuite: le grand bâtard, son fils aîné; le comte de Nassau; Philippe, comte de Rothelin, fils du margrave Rodolphe; le comte de Chimai; Hugues de Château-Guyon; Olivier de la Marche; le fils du sire de Contai;

Josse de Lalain, qui avait été fort blessé; enfin les plus grands seigneurs et les plus sages hommes de la Flandre et de la Bourgogne. Aucun ne pouvait dire ce qu'était devenu leur maître. Les uns rapportaient que, lorsqu'il avait vu son armée en déroute, on l'avait entendu crier: „A Luxembourg!" D'autres racontaient qu'au fort de la mêlée, il avait reçu un si rude coup de hallebarde qu'il en avait été étourdi et ébranlé, mais le sire de Cité l'avait soutenu et remis sur ses arçons; qu'alors il s'était de nouveau élancé comme un lion parmi les combattants. Le sire de Cité, abattu au même moment, n'avait pu le suivre, ni savoir de quel côté il était allé.

Le duc René, pour savoir quelle route il avait pu prendre, envoya des messagers de toutes parts, et fit demander jusqu'à Metz si l'on n'avait rien appris de lui.

Pendant ce temps-là, les fuyards répandaient partout des récits de toutes sortes sur le duc de Bourgogne; quelques-uns s'étaient enfuis avant même que le combat fût commencé; d'autres, au milieu du désordre, n'avaient pu rien distinguer de ce qui se passait auprès du Duc, puisqu'il faisait nuit lorsque la bataille s'était terminée. En outre, tous ces hommes étaient encore remplis d'épouvante et de trouble. Les réponses qu'ils faisaient aux questions que chacun s'empressait de leur faire étaient mal entendues, exagérées, rapportées à faux; de telle façon qu'en peu d'instants il se forma dans les pays voisins, et de proche en proche dans tout le royaume et en Flandre, des opinions diverses sur la disparition du duc de Bourgogne. Ici, on affirmait qu'il s'était enfermé dans un château du pays du Luxembourg; là, qu'un de ses serviteurs l'avait ramassé blessé sur le champ de bataille, et le soignait dans une retraite inconnue. Ailleurs, on disait qu'un seigneur d'Allemagne l'avait fait prisonnier, et l'avait secrètement emmené de l'autre côté du Rhin. La croyance générale, celle qui plaisait le plus au peuple comme plus merveilleuse, c'est qu'il n'était pas mort, et

que bientôt on le verrait reparaître. ,,Gardez-vous bien, disait-on dans quelques villes de ses états, de vous comporter autrement que s'il était vivant encore, car ses vengeances seraient terribles à son retour."

Cependant, le lundi au soir, le comte de Campo-Basso, qui peut-être en savait plus que nul autre sur le sort du Duc, amena au duc René un jeune page nommé Jean-Baptiste Colonna, d'une illustre maison romaine, qui, disait-il, avait vu de loin tomber son maître, et saurait bien retrouver la place.

Le lendemain, mardi 7 janvier, sous la conduite de ce page, on se mit à chercher de nouveau le corps. Il se dirigea vers l'étang de Saint-Jean, a environ trois portées de coulevrine de la ville. Là, à demi enfoncés dans la vase du ruisseau qui remplit cet étang, près de la chapelle de Saint-Jean de Ï'Atre, étaient une douzaine de cadavres dépouillés. Une pauvre blanchisseuse de la maison du Duc s'était, comme les autres, mise à cette triste recherche; elle aperçut briller la pierre d'un anneau au doigt d'un cadavre dont on ne voyait pas la face. Elle avança et retourna le corps: „Ah! mon prince!" s'écria-t-elle; on y courut. En dégageant cette tête de la glace où elle était prise, la peau s'enleva; les loups et les chiens avaient déjà commencé à dévorer l'autre joue: en outre, on voyait qu'une grande blessure avait profondément fendu la tête depuis l'oreille jusqu'à la bouche.

avait eus, l'un à l'épaule, l'autre au bas-ventre; un ongle retourné dans la chair à l'orteil gauche; l'anneau qu'on lui avait vu au doigt, étaient autant de signes assurés.

On lava ce corps avec de l'eau chaude et du vin; alors il fut pleinement reconnu par ses serviteurs désolés et par le grand bátard son frère. Outre la plaie de la tête, il était percé de deux coups de pique; l'un traversait les cuisses, l'autre s'enfonçait au bas des reins.

Dès que le duc de Lorraine sut qu'on avait enfin trouvé le corps du duc Charles, il ordonna qu'on le transportât dans la ville. Quatre gentilshommes chargèrent sur leurs épaules la litière où il fut placé. Le corps fut déposé chez un nommé Georges Marquis, sous une tente de satin noir; le lit de parade était en velours noir; le corps était revêtu d'une camisole de satin blanc, et recouvert d'un manteau de satin cramoisi; une couronne ducale, ornée de pierreries, entourait son front défiguré. On lui avait chaussé des houseaux d'écarlate et des éperons dorés. Le duc de Lorraine s'en vint jeter de l'eau bénite sur le corps du malheureux prince. Il lui prit la main par-dessous le poêle: „Ah! cher cousin, dit-il, les larmes aux yeux, Dieu veuille avoir votre âme! Vous nous avez fait bien des maux et des douleurs!" Puis il baisa cette main, se mit à genoux, et resta un quart d'heure en prière.

Le corps fut ensuite solennellement levé et transporté à l'église Saint-GeorEn cet état, ce corps était presque ges. Le cortège était pompeux; tous méconnaissable. Cependant, en l'exa-les seigneurs de Bourgogne et les serminant avec soin, Mathieu Lupi, son médecin portugais, Denis, son chapelain, Olivier de La Marche, son chambellan, et plusieurs valets de chambre le reconnurent sans en pouvoir douter. Des marques certaines ne pouvaient donner lieu à aucune méprise. On retrouva au cou la cicatrice de sa blessure de Montlhéri; deux dents qui lui manquèient, depuis une chute qu'il avait faite; ses ongles, qu'il avait la coutume de porter plus longs qu'aucune personne de sa cour; la trace de deux abcès qu'il

viteurs du Duc qui avaient été faits prisonniers, assistaient tristement aux funérailles de leur maître et de cette superbe puissance de Bourgogne ruinée et perdue à jamais par sa faute. Les bourgeois, les magistrats et le clergé de la ville; les seigneurs de Lorraine, les capitaines de Suisse et d'Allemagne suivaient le convoi. Enfin venait le duc René lui-même, à pied, revêtu de sa cotte d'armes, traînant un long manteau de deuil, et portant pour marque de sa victoire une longue barbe d'or

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