ページの画像
PDF
ePub
[merged small][ocr errors]

Les chrétiens marchaient d'ensemble, descendant de ces monts sauvages en cinq colonnes comme autant de formidables torrents, mais gardant un ordre admirable; les premiers corps s'arrêtant de cent pas en cent pas pour attendre ceux dont la course était suspendue par les difficultés du sol, et dresser des batteries qui avec l'avantage du terrain foudroyaient au loin les escadrons ennemies. Un premier parapet de terre, élevé à la hâte pour fermer les cinq ou six chemins tracés dans la montagne, fut forcé après un combat rude et court. A chaque ravine une nouvelle action exerçait le courage des chrétiens et couronnait leur ardeur. Les Spahis mettaient pied à terre pour combattre, et, remontant à cheval, ils cherchaient à quelques pas plus loin des positions propres à rendre de nouveaux combats. Sans retranchements dans ces lieux, où la nature en avait disposé de toutes parts, ils s'embarrassaient dans les défilés étroits, les difficiles passages, les bois, les vignobles, et n'ayant point de gens de pied à opposer aux masses de l'infanterie allemande, ils pliaient de toutes parts. Exaltée par le spectacle de cette marche tutélaire, la garnison de Vienne faisait des miracles sur la brêche; et Kara-Mustapha, toujours tranquille entre ces deux batailles, pensa enfin à marcher avec toutes ses forces au-devant du foudre vengeur.

A dix heures du matin, les Impériaux étaient sortis des défilés. A mesure que le terrain s'agrandissait devant eux, les colonnes se formaient en bataille et l'armée s'avançait sur trois lignes profondes. Leslé d'abord, puis le duc de Croy, revenu au combat malgré sa blessure, Caprara, Saxe-Lawembourg, avaient planté leurs enseignes dans la

plaine. Leur gauche maîtrisait le Danube, leur droite se liait au prince de Waldeck, qui déboucha bientôt. Jean ordonna à Charles de Lorraine de faire halte pour attendre les Polonais qui avaient un trajet plus long de quelques milles à parcourir dans les gorges du Wenersberg. A onze heures ils parurent à leur rang de bataille. Les aigles impériales saluèrent l'apparition de leurs escadrons aux cuirasses dorées, et un cri de „vive le roi Jean Sobieski!" courut d'un bout à l'autre des lignes chrétiennes.

Jean et les chefs mirent pied à terre pour dîner sous un arbre; les soldats mangèrent ce que chacun portait, sans quitter le mousquet ou la lance. A midi on s'ébranla malgré le poids d'une chaleur accablante; et, formant un demicercle sur ce vaste amphithéâtre, qui les montrait maintenant à découvert dans tout leur ordre et tout leur éclat à l'œil surpris des barbares, les alliés continuèrent cette marche savante et terrible. Jean allait de colonne en colonne, encourageant toutes les troupes, parlant à chacun la langue de sa patrie, allemand aux Allemands, italien aux Italiens, français surtout aux Français nombreux qui garnissaient les rangs.

Les Turcs avaient profité de cette halte pour prendre des positions, se rallier, so grossir de puissants renforts. C'était une nouvelle bataille, et plus vive à livrer. A la faveur des ravins, des côteaux pierreux, des épais vignobles, le village de Neudorf, puis un autre poste furent disputés avec vigueur. La croix l'emporta. Helgstadt à son tour résista: les hussards polonais entrés en ligne se jetèrent, la lance baissée, sur les escadrons turcs, et les dispersèrent. Mais, emportés par la victoire jusque dans le gros de l'armée musulmane, ils furent un moment compromis. Le jeune Potocki, fils du castellan de Cracovie, le trésorier de la cour Modrjewski, le colonel Assuérus, trouvèrent la mort dans la mêlée. Jean porta le prince de Waldeck et les Bavarois au secours des siens. Bientôt lui-même parut à la tête de sa seconde ligne et des dragons de l'Empereur: le choc fut terrible.

Les musulmans fléchirent; ils essayèrent de se défendre sur les hauteurs, furent écrasés, et l'armée chrétienne arriva sur les glacis du camp. C'était le lieu où devait se décider la querelle.

Ce camp, dont la magnificence enflammait l'ardeur guerrière des soldats, avait ses approches défendues par un ravin profond; et, en avant du ravin, se présentait en bon ordre l'armée musulmane, tout entière assemblée, autour de l'étendard du grand-vizir. Il commandait en personne le corps de bataille. Celle de ses ailes qui faisait face aux Impériaux et s'appuyait au Danube avait à sa tête le vaillant et habile Kara-Méhémet-Pacha, signalé dans les guerres de l'Ukraine; l'autre était conduite par le vieil Ibrahim: elle couvrait l'armée du côté des montagnes de Styrie. Les Transylvains, les Walaques, les Arabes, les Tartares, une portion des janissaires, étaient en ligne sur des mamelons que l'art avait rapidement fortifiés. Une artillerie formidable hérissait leur front, et comme les Polonais menaçaient, vers le centre, les abords les plus ouverts de cette vaste citadelle, de leur côté laissaient voir les masses les plus épaisses: c'était là que devait combattre Kara-Mustapha. Là se porta le roi en personne, tandis que Jablonowski, avec quelques milliers de chevaux, couvrant la droite, un moment menacée par Sélim-Giéray, balayait dans la plaine, jusque vers les montagnes de Styrie, ses nuées de Tartares, et qu'à la tête des quarante mille Allemands, le prince Charles de Lorraine, appuyé au Danube, se disposait à profiter du succès, ou à réparer le

revers.

Il était alors près de cinq heures du soir. Jean comptait coucher sur le champ de bataille, et remettre au lendemain le dénouement de ce drame terrible. Ce qui restait à faire ne paraissait pas pouvoir être l'œuvre de quelques heures, l'œuvre de troupes fatiguées. Cependant les alliés, malgré le poids du jour, étaient plus animés qu'abattus par leur marche victorieuse. On voyait au contraire la consternation régner dans les troupes ottomanes. De loin

se découvraient les longues files de chameaux pressées sur les chemins de Hongrie. Leur route était indiquée par un sillon de poussière prolongé dans les airs jusqu'à l'horizon. Le grandvizir, opposant à l'effroi commun son indomptable assurance, augmentait le désordre de ses troupes par cette confiance même qui exaspérait les esprits. Il était venu ordonner le combat comme on court assister à un triomphe. Il s'attendait à voir l'armée chrétienne se briser en quelque sorte, sans coup férir, aux pieds de ses retranchements. Son cheval de bataille, tout bordé d'or, et pliant sous le fardeau, n'était bon ni pour vaincre ni pour fuir. On le voyait lui-même, abrité par une tente cramoisie contre les feux du soleil couchant, y prendre paisiblement le café avec ses deux fils, tandis que l'oeil du roi de Pologne mesurait ses lignes.

A l'aspect de cette tente superbe, la colère prit au roi. Son infanterie n'était pas arrivée encore: il pointa sur le vizir deux ou trois pièces, que Konski avait roulées jusque-là sur des leviers; c'étaient les seules qu'il eût sous sa main. Il donnait cinquante écus par volée. Mais il n'y avait point de caissons; et quelques munitions portées à bras furent promptement épuisées. Un officier français, faute de mieux, bourra une fois, avec ses gants, sa perruque et un paquet de gazettes de France qu'il avait sur lui. Enfin les gens de pied parurent. Le roi leur commanda de se saisir d'une hauteur qui dominait les quartiers de Kara-Mustapha. Le comte de Maligny, leur chef, exécuta l'ordre avec sa valeur française, et, culbutant les avant-postes, arriva le premier sur la redoute. A cette attaque inopinée, de l'incertitude se manifeste dans les rangs ennemis. Kara-Mustapha appelle à soi tout ce qu'il avait d'infanterie à son aile droite, et laisse ses flancs découverts: ce mouvement trouble la ligne entière. Le roi s'écrie que ce sont des gens perdus. Il envoie au duc de Lorraine l'ordre d'attaquer brusquement par le centre, maintenant affaibli et ouvert, tandis que lui-même va renverser ces masses encore désor données. A peine il a dit,

et déjà il a poussé droit à cette tente comme la foi des soldats, tournèrent les rouge qui l'enflamme comme le taureau infidèles, et menacèrent de près leur dans l'arène. Entouré de ses escadrons, camp. Le grand-interprète, Mauroreconnaisable à son aigrette brillante, à Cordato, prit la fuite dans la tente son arc et son carquois d'or, à sa lance même de Kara-Mustapha. Tombé tout royale, au bouclier homérique que le à coup du haut de sa confiance altière, fidèle Matzinski porte devant lui; plus le vizir ne sut que fondre en larmes. que tout à l'enthousiasme qu'excite chez,,Et toi! dit-il au kan de Crimée qui cette vaillante milice la présence de son arrivait entraîné par les fuyards, ne glorieux chef, il brandit au premier peux-tu me secourir?" ,,Je connais rang sa framée, en répétant à grands cris ce verset du roi prophète:,,Non nobis, non nobis, domine exercituum, sed nomini tuo des gloriam." Les Tartares et les Spahis le reconnurent et reculèrent: on entendait le nom du roi de Pologne courir d'un bout à l'autre des lignes ottomanes. Pour la première fois on crut tout à fait à sa présence. „Par Allah! répétait sans cesse SélimGiéray, le roi est avec eux!" Survint alors une éclipse de lune; les deux armées virent le croissant pâlir dans le ciel. Le ciel semblait prendre fait et cause dans ce grand débat.

En ce moment, les hussards du prince Alexandre, qui tenaient la tête des colonnes, s'élancèrent au cri national de: „Dieu bénisse la Pologne!" Le reste des escadrons, conduit par tout ce qu'il avait de palatins et de sénateurs, brillants de noblesse, de luxe, de courage, suivirent. Ils franchirent, bride abattue, un ravin où l'infanterie aurait hésité, le remontèrent au galop, entrèrent tête baissée dans les rangs ennemis, coupant en deux le corps de bataille, et justifiant le mot fameux de cette fière noblesse à un de ses rois, qu'avec elle il n'y avait point de revers possible, que si le ciel venait à choir, les hussards le soutiendraient sur la pointe de leurs lances!

Le choc fut si rude, que presque toutes ces terribles lances s'y brisèrent. Le pacha d'Alep, celui de Silistre périrent dans la mêlée. A l'extrême droite quatre autres pachas tombèrent sous les coups de Jablonowski. En même temps, Charles de Lorraine et le prince de Waldeck, passant sur le corps de toutes ces troupes chrétiennes des principautés, où la politique des hospodars était troublée et flottante

le roi de Pologne, répondit SélimGiéray; je vous disais bien qu'avec lui il n'y aurait rien à faire que de nous en aller. Regardez le firmament, ajouta-t-il, voyez si Dieu n'est pas contre nous." Kara-Mustapha, cependant, essaya de rallier ses troupes dans le camp, et de les ranimer. Mais point. Tout fuyait. Il s'enfuit à son tour, après avoir embrassé ses fils en pleurant. Vaincue, pleine d'épouvante, n'osant lever les yeux en haut, l'armée musulmane n'était plus. La cause de l'Europe, de la chrétienté, de la civilisation avait vaincu. Le flot de la puissance ottomane reculait épouvanté, et reculait sans retour.

L'abandon du prince des Tartares parut aux ennemis de Jean une trahison achetée d'avance à prix d'or. Cette terreur panique des Turcs parut à l'Europe entière un miracle. A six heures du soir, Jean franchit le ravin sous le feu de quelques janissaires facilement dispersés, et prit possession du camp turc. Il arriva le premier aux quartiers du vizir. A l'entrée de cette vaste enceinte, un esclave accourut, lui présentant le cheval et l'étrier d'or de Kara-Mustapha. Il prit l'étrier, et donna à l'un des siens l'ordre de partir sur-le-champ, d'aller vers la reine, de lui dire que celui à qui appartenait cet étrier était vaincu; puis, plantant ses enseignes dans ce caravansérail armé de toutes les nations de l'Orient, il défendit, sous peine de mort, le désordre et le pillage, de peur de quelque surprise, et, pour ainsi dire, d'un remords des Turcs, qui auraient pu revenir à la charge durant une nuit orageuse et sombre. Il ordonna seulement à Charles de Lorraine de se porter sur les contrescarpes de Vienne, et au

prince Louis de Bade de chasser les assiégeants des tranchées. A la faveur des ombres, tous les janissaires avaient

disparu. Après soixante jours de tranchée ouverte, la cité impériale était délivrée des barbares.

RODOLPHE TOPFFER.

Rodolphe Topffer naquit à Genève, en 1799. Son père était artiste peintre et lui-même montra beaucoup de goût pour la peinture; mais une maladie des yeux le força de renoncer à la profession d'artiste. Il recommença en 1819 ses études littéraires, devint sousmaître dans un pensionnat et fut appelé, en 1832, à occuper la chaire des belles lettres dans l'Académie de sa ville natale. Il y avait fondé un pensionnat pour l'éducation de jeunes gens, qu'il dirigea jusqu'à sa mort (1846) avec beaucoup de succès. Dans tous

LE LAC DE GERS.

J'ai eu moins souvent affaire aux contrebandiers qu'aux douaniers; cependant j'eus quelques rapports avec eux, le jour où je m'avisai de vouloir pas ser seul de Sixt à Sallenche par les montagnes. Je m'étais fait indiquer la route; une heure avant d'arriver au sommet, on côtoie un petit lac, nommé le lac de Gers; au delà on suit une arête de rocs que traverse une plaine de neiges glacées; après quoi- l'on redescend vers les forêts qui couronnent, du côté de Sallenche, la cascade de l'Arpenas. Au bout de trois heures d'une montée rapide, je découvris le petit lac. C'est un étang encaissé entre des pentes verdoyantes qui s'y reflètent en teintes sombres, tandis que la transparence de l'onde laisse plonger le regard jusqu'aux mousses éclatantes qui, au fond, tapissent le sol.

Je m'assis au bord de cette flaque, et, à l'instar de Narcisse, je m'y regardai..! je m'y regardai manger une aile de poulet, sans que le plaisir de contempler mon image me fit perdre un seul coup de dent.

Outre ma personne, je voyais aussi dans la flaque l'image renversée des cimes voisines des forêts, de toute la belle nature enfin, y compris deux corbeaux qui, volant au plus haut des airs, me paraissaient dans ce miroir voler au plus profond des antipodes. Pendant que je m'amusais à considérer ce spectacle, une tête d'homme, ou de

ses charmants volumes, qui se distinguent par un style plein de sensibilité, on retrouve le paysagiste, enthousiaste de son pays; on y admire, comme Sainte-Beuve dit, la vérité simple, la grâce rustique et naturelle, la belle humeur et la moquerie sans ironie. Les Voyages en Zigzag sont les rélations détaillées des excursions qu'il a faites avec ses élèves. Il faut encore citer les contes simples et touchants: Nouvelles Génévoises, La Bibliothèque de mon oncle, Rose et Gertrude, Le Presbytère, la Traversée, la Peur etc.

femme, ou de bête, tout au moins quelque chose ayant vie, me parut avoir bougé sur le penchant d'un mont. C'était celui que j'allais gravir; je levai subitement les yeux pour y reconnaître l'objet lui-même, mais je ne vis plus rien, en sorte qu'attribuant ce phénomène à quelque ondulation de la surface de l'eau je me remis en route, bien persuadé que je me trouvais seul dans la contrée. Toutefois, persuadé également que j'avais vu quelque chose, je m'arrêtais de temps en temps pour regarder de côté et d'autre, et, quand je fus voisin de l'endroit où j'avais cru apercevoir la tête, je fis avec précaution le tour de quelques rocs, et je redoublai de circonspection.

On m'avait fait, en bas, une histoire au sujet du couloir de rochers que je gravissais en cet instant. C'est, je crois, l'heure de la dire.

Dix-huit contrebandiers chargés chacun d'un sac de poudre de Berne passaient par là. Le dernier en rang s'aperçut que son sac s'allégeait sensiblement, et il était déjà tout disposé à s'en féliciter, lorsqu'il vint à se douter ingénieusement que l'allègement avait peut-être lieu aux dépens de la charge. Ce n'était que trop vrai; une longue traînée de poudre se voyait sur la trace qu'il avait suivie. C'était une perte, mais c'était surtout un indice qui pouvait trahir la marche de la troupe et compromettre ses destinées. Il cria halte, et à ce cri les dix-sept autres

sacs, pour boire un coup d'eau-de-vie et s'essuyer le front.

s'assirent en même temps sur leurs l'on a sous les yeux captive l'âme et fait oublier les petites incommodités qui, dans une plaine ingrate, paraissent quelquefois si intolérables. En me retournant, je voyais de fort près le dôme de glace du mont Buet... je crus voir aussi, pas bien loin, quelque chose qui bougeait derrière les derniers sapins que j'avais dépassés; j'allai m'imaginer que ce pouvait être les pieds dont j'avais vu la tête, en sorte que je continuai de marcher avec une croissante circonspection.

Pendant ce temps, l'autre, l'ingénieux, rebroussait jusqu'à l'origine de la traînée de poudre. Il y atteignit au bout de deux heures de marche, et, il y mit le feu avec sa pipe: c'était pour détruire l'indice. Deux minutes après, il entendit une détonation superbe, qui, se répercutant contre les parois de ces montagnes, roulant par les vallées et remontant par les gorges, lui causa une surprise merveilleuse; c'étaient les dixsept sacs qui, rejoints par la traînée, sautaient en l'air, y compris les dixsept pères de famille assis dessus. Sur quoi, je remarque deux choses:

La première, c'est que cette histoire est une vraie histoire, agréable et récréative, suffisamment vraisemblable, prouvée par la tradition, et par le couloir qui subsiste toujours, comme chacun peut aller s'en assurer. Je la tiens pour aussi certaine que le passage d'Annibal par le mont du petit SaintBernard. Comment prouve-t-on le passage d'Annibal par le petit Saint-Bernard? On commence par vous montrer une roche blanche au pied du mont, après quoi l'on vous démontre que c'est celle que ce Carthaginois, arrivé au sommet, fit fondre dans du vinaigre.

La seconde chose que je remarque, c'est que, dans cette histoire, dix-sept hommes périssent; mais, remarquez bien, il en reste un pour porter la nouvelle. C'est là, si je ne m'abuse, le signe, le critérium d'une histoire modéle; car, dans une bataille, un désastre, une catastrophe, que peu périssent, c'est mesquin; que tous périssent, c'est nuit close; mais que, du beau milieu d'une immense déconfiture, un, un seul en réchappe, et tout justement pour porter la nouvelle, c'est l'exquis du genre et la joie de l'amateur. Et c'est pourquoi l'histoire, tant la grecque que la romaine et la moderne, est riche en traits tout pareils.

Il faisait chaud dans mon couloir; toutefois, à cette élévation, la chaleur est tempérée par la vivacité de l'air; d'ailleurs la beauté du spectacle que

Herrig, La France litt.

Malheureusement, je suis né très peureux; je déteste le danger où les héros se plaisent, dit-on; je n'aime rien tant qu'une sécurité parfaite en tête, en queue et sur les ailes. L'idée seule que, dans un duel, on est exposé à voir une pointe d'épée en face de son œil droit a toujours suffi pour me rendre d'une prudence grande, malgré mon naturel qui est vif; d'une susceptibilité obtuse, malgré ma fierté qui est chatouilleuse. Et ce pouvait être ici pis qu'un duel, ce pouvait être un attentat sur ma bourse ou sur ma personne, ou sur toutes les deux à la fois; ce pouvait être une catastrophe épouvantable, et personne pour en porter la nouvelle? Quand cette idée me fut venue, je n'en eus plus d'autre, et elle me domina si bien, que je finis par me cacher parmi les rochers pour observer de là ce qui se passait sur mes derrières.

J'observais depuis une demi-heure environ (c'est très fatigant d'observer), quand un homme de mauvaise mine se hasarda à sortir doucement de derrière les sapins. Il regarda longtemps dans la direction des rochers, parmi lesquels j'étais caché, puis il frappa deux fois des mains. A ce signal, deux autres hommes parurent, et tous les trois, chargeant un gros sac sur leurs épaules, se mirent à monter tranquillement, en fumant leurs pipes qu'ils rallumèrent. Ils arrivèrent bientôt ainsi à l'endroit même où j'observais, tapi contre terre, et ils s'assirent sur leurs sacs, précisément comme les dix-sept. Par malheur, ils me tournaient le dos.

J'eus tout le loisir de faire mes re

marques. Ces messieurs me parurent

43

« 前へ次へ »