S'il ne nous dit chez vous combien vous Faites-vous voir sa sœur, et qu'en un même doit l'état. flanc Le vieil Horace. De tels remerciments ont Le ciel vous a tous deux formés d'un même pour moi trop d'éclat, Et je me tiens déjà trop payé par les vôtres Du service d'un fils, et du sang des deux sang. Et me flattais-je trop quand je croyais pou- | Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma gloire, voir L'aimer encor sans crime et nourrir quel- Et rends ce que tu dois à l'heur de ma que espoir? Sa mort m'en punit bien, et la façon cruelle Dont mon âme éperdue en reçoit la nouvelle; Son rival me l'apprend, et, faisant à mes yeux D'un si triste succès le récit odieux, Et, bâtissant en l'air sur le malheur d'autrui, victoire. Recevez donc mes pleurs, c'est Camille. ce que je lui dois. n'en veut point voir après de tels exploits, Et nos deux frères morts dans le malheur Sont trop payés Quand la perte Camille. des armes de sang pour exiger des larmes: est vengée, on n'a plus rien perdu. Puisqu'ils sont satisfaits par le sang répandu, Je cesserai pour eux de paraître affligée, Et j'oublierai leur mort, que vous avez vengée; Mais qui me vengera de celle d'un amant, Pour me faire oublier sa perte en un moment? Horace. Que dis-tu, malheureuse? D'un ennemi public dont je reviens vain- Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire! Ta bouche la demande, et ton cœur la respire! Suis moins ta passion, règle micux tes désirs, Ne me fais plus Tes flammes désormais doivent être étouffées, rougir d'entendre tes sou pirs: Bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées : Qu'ils soient dorénavant ton unique entretien. Camille. Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien: Et, si tu veux enfin que je t'ouvre mon âme, Rends-moi mon Curiace, ou laisse agir ma flamme: Ma joie et mes douleurs dépendaient de son sort; Je l'adorais vivant, et je le pleure mort. Ne cherche plus ta sœur où tu l'avais laissée; Tu ne revois en moi qu'une amante offensée, Qui, comme une furie attachéc à tes pas, Te veut incessamment reprocher son trépas. Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes, Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes, Et que, jusques au ciel élevant tes exploits, Moi-même je le tue une seconde fois! Puissent tant de malheurs accompagner ta vie, Que tu tombes au point de me porter envie! Et toi bientôt souiller par quelque lâcheté Cette gloire si chère à ta brutalité! Horace. O ciel! qui vit jamais une pareille rage! Crois-tu donc que je sois insensible à l'ou trage,' Le cinquième acte que nous avons supprimé, donne le procès du meurtrier. Il est tout en plaidoyers; et ce n'est pas là la place des harangues ni des longs discours. L'attention de l'auditeur se rebute de ces conclusions qui traînent et tirent la fin en longueur. C'est pourquoi on ne joue plus le cinquième acte et l'on termine la tragédie par le meurtre de Camille. Que je souffre en mon sang ce mortel dés- RÉCIT DE LA BATAILLE LIVRÉE PAR honneur? Aime, aime cette mort qui fait notre bon heur, Et préfère du moins au souvenir d'un homme Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome. Camille. Rome, l'unique objet de mon ressentiment! Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant! Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore! Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore! Puissent tous ses voisins ensemble conjurés vers Passent pour la détruire et les monts et les mers! Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles, Et de ses propres mains déchire ses entrailles; Que le courroux du ciel allumé par mes vœux Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux! Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre, Voir ses maisons en cendre et tes lauriers en poudre, Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir ! Horace (mettant l'épée à la main, et poursuivant sa sœur, qui s'enfuit). C'est trop, ma patience à la raison fait place; Va dedans les enfers plaindre ton Curiace! Camille (blessée, derrière le théâtre). Ah, traître ! Horace (revenant sur le théâtre). Ainsi reçoive un châtiment soudain Quiconque ose pleurer un ennemi romain! 1 D'après Tite-Live:,,Sic eat quaecunque Romana lugebit hostem." DON RODRIGUE CONTRE LES MAURES. (Fragment du Cid IV, 3.) D. Rodrigue. Sire, vous avez su qu'en ce danger pressant, Qui jeta dans la ville un effroi si puissant, Me montrant à la cour, je hasardais ma Et, s'il fallait la De sortir de la Et porte sur le Nous partimes vie en combattant pour Vous Sous moi donc cette troupe s'avance Nous nous vimes front une mâle assurance. cinq cents; mais par un prompt renfort trois mille en arrivant au port, Tant, à nous voir marcher avec un tel visage, Les plus épouvantés reprenaient de cou rage! J'en cache les deux tiers, aussitôt qu'arrivés, Dans le fond des vaisseaux qui lors furent trouvés ; Le reste, dont le nombre augmentait à toute heure, Brûlant d'impatience, autour de moi de L'onde s'enfle dessous, et d'un commun | Et, voyant un renfort qui nous vient se effort courir, Les Maures et la mer montent jusques au L'ardeur de vaincre cède à la peur de port. On les laisse passer; tout leur paraît tranquille; Point de soldats au port, point aux murs de la ville. Notre profond silence abusant leurs esprits, Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent, Et courent se livrer aux mains qui les attendent. Nous nous levons alors, et tous en même temps Poussons jusques au ciel mille cris éclatants; Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent; Ils paraissent armés, les Maures se confondent. L'épouvante les prend à demi descendus; Avant que de combattre ils s'estiment perdus. Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre; Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre, Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang, Avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang. Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient, Leur courage renaît, et leurs terreurs s'oublient: La honte de mourir sans avoir combattu Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu. Contre nous de pied ferme ils tirent leurs alfanges,1 De notre sang au leur font d'horribles mélanges; Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port, Sont des champs de carnage où triomphe la mort. O combien d'actions, combien d'exploits célèbres Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres, Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait, Ne pouvait discerner où le sort inclinait! J'allais de tous côtés encourager les nôtres, Faire avancer les uns, et soutenir les autres, Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour; Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour. Mais enfin sa clarté montre notre avantage; Le Maure voit sa perte, et perd soudain courage: 1 Mot espagnol qui signifie sabre, cimeterre, coutelas. mourir. Combien pour le répandre a-t-il formé de Tantôt ami d'Antoine, et tantôt ennemi, Renouvelant leur haine avec leur souvenir, Je redouble en leurs cœurs l'ardeur de le punir. Je leur fais des tableaux de ces tristes batailles Où Rome par ses mains déchirait ses entrailles, Où l'aigle abattait l'aigle, et de chaque côté Nos légions s'armaient contre leur liberté; Où les meilleurs soldats et les chefs les plus braves Mettaient toute leur gloire à devenir esclaves; Où, pour mieux assurer la honte de leurs fers, Tous voulaient à leur chaîne attacher l'uni vers; Et l'exécrable honneur de lui donner un maître, Faisant aimer à tour l'infâme nom de traître, Romains contre Romains, parents contre parents, Combattaient seulement pour le choix des tyrans. J'ajoute à ces tableaux la peinture effroyable De leur concorde impie, affreuse, inexorable, Funeste aux gens de bien, aux riches, au sénat, Et, pour tout dire enfin, de leur triumvirat; Mais je ne trouve point de couleurs assez noires Pour en représenter les tragiques histoires, Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphants, Rome entière noyée au sang de ses enfants: Les uns assassinés dans les places publiques, Les autres dans le sein de leurs dieux domestiques; Le méchant par le prix au crime encouragé, Le mari par sa femme en son lit égorgé; Le fils tout dégouttant du meurtre de son père, Et, sa tête à la main, demandant son salaire, Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits Qu'un crayon imparfait de leur sanglante paix. Vous dirai-je les noms de ces grands per sonnages Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir les courages, De ces fameux proscrits, ces demi-dieux mortels, Qu'on a sacrifiés jusque sur les autels? Mais pourrais-je vous dire à quelle impatience, A quels frémissements, à quelle violence, Ces indignes trépas, quoique mal figurés, Ont porté les esprits de tous nos conjurés? Je n'ai point perdu temps, et voyant leur colère Au point de ne rien craindre, en état de tout faire, J'ajoute en peu de mots:,,Toutes ces cruautés, La perte de nos biens et de nos libertés, Le ravage des champs, le pillage des villes, Et les proscriptions, et les guerres civiles, Sont les degrés sanglants dont Auguste à fait choix Pour monter sur le trône et nous donner des lois. Mais nous pouvons changer un destin si funeste, Puisque de trois tyrans c'est le seul qui nous reste, Et que, juste une fois, il s'est privé d'appui, Perdant, pour régner seul, deux méchants comme lui: 1 si Lui mort, nous n'avons point de vengeur de maître;1 Avec la liberté Rome s'en va renaître; Et nous mériterons le nom de vrais Romains Si le joug qui l'accable est brisé par nos mains. |