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l'autre, et de renoncer souvent à l'un pour l'autre! Car qui ne mourrait pour conserver son honneur, celui-là serait infâme.

La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime.

La curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler. On ne voyagerait pas sur la mer pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance de s'en entretenir jamais avec personne.

La faiblesse de la raison de l'homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas, qu'en ceux qui la connaissent.

Deux lois suffisent pour régler toute la République Chrétienne, mieux que toutes les lois politiques, l'amour de Dieu, et celui du prochain.

On se corrige quelquefois mieux par la vue du mal, que par l'exemple du bien, et il est bon de s'accoutumer à profiter du mal, puis qu'il est si ordinaire, au lieu que le bien est si

rare.

La propre volonté ne se satisferait jamais, quand elle aurait tout ce qu'elle souhaite. Mais on est satisfait dès l'instant qu'on y renonce. Avec elle on ne peut être que mal content; sans elle on ne peut être que content.

La bonne crainte vient de la foi; la fausse crainte vient du doute. La bonne crainte porte à l'espérance, parce qu'elle naît de la foi, et qu'on espère au Dieu que l'on croit; la mauvaise porte au désespoir, parce qu'on craint le Dieu auquel on n'a point de foi. Les uns craignent de le perdre; et les autres de le trouver.

D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et qu'un esprit boiteux nous irrite? C'est à cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons. Sans cela nous en aurions plus de pitié que de colère.

Diseur de bons mots, mauvais caractère.

Quand nous sommes dans l'affliction à cause de la mort de quelque personne pour qui nous avons de l'affection, ou pour quelque autre malheur qui nous arrive, nous ne devons pas chercher de la consolation dans nous-mêmes, ni dans les hommes, ni dans tout ce qui est créé; mais nous la devons chercher en Dieu seul. Et la raison en est, que toutes les créatures ne sont pas la première cause des accidens que nous appelons maux, mais que la providence de Dieu en étant l'unique et véritable cause, l'arbitre et la souveraine, il est indubitable qu'il faut recourir directement à la source, et remonter jusques à l'origine pour trouver un solide allégement. Que si nous suivons ce précepte, et que nous considérions cette mort qui nous afflige, non pas comme un effet du hazard, ni comme une nécessité fatale de la nature, ni comme le jouet des élémens et des parties qui composent l'homme, mais comme une suite indispensable, inévitable, juste, et sainte d'un arrêt de la providence de Dieu, pour être exécuté dans la plénitude de son temps; et enfin que tout ce qui est arrivé a été de tout temps présent et préordonné en Dieu; si, dis-je, par un transport de grâce nous regardons cet accident, non dans luimême et hors de Dieu, mais hors de lui-même, et dans la volonté même de Dieu, dans la justice de son arrêt, dans l'ordre de sa providence qui en est la véritable cause, sans qui il ne fût pas arrivé, par qui seul il est arrivé, et de la manière dont il est arrivé; nous adorerons dans un humble silence la hauteur impénétrable de ses secrets: nous vénérerons la sainteté de ses arrêts: nous bénirons la conduite de sa providence: et unissant notre volonté à celle de Dieu même, nous voudrons avec lui, en lui, et pour lui, la chose qu'il a voulue en nous et pour nous de toute éternité.

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Le fruit le plus naturel, le plus spontané du siècle de Louis XIV, c'est la correspondance de Madame de Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal (1627 à 1696). Vive, enjouée, tendre, rêveuse, compatissante, esprit railleur sans amertume, badin sans license comme sans pruderie, religieuse sans bigoterie, toujours simple et naturel, Madame de Sévigné n'a eu d'excès que dans l'amour maternel. Elle appartient à cette école qui, tout en conservant la naïve liberté, le capricieux abandon du XVIe siècle, y sut allier la politesse et l'élégance de la plus brillante époque de la société française. Ses Lettres nous donnent le spectacle unique d'un esprit supérieur tout entier à ses pensées et à ses sentiments, courant en pleine carrière, se jouant, dans la souplesse gracieuse et forte de sa nature, par mille détours et brusques écarts. On ne se lasse pas de relire ces charmants récits où le siècle de Louis XIV nous est débité en anecdotes, ni ces portraits esquissés d'une main si légère et si sûre. Le style de Madame de Sévigné est tour à tour gai, attendrissant, pathétique, quelquefois sublime.

Avant Madame de Sévigné, un médecin philosophe, esprit méchant et satirique, mais bonne âme, franc Picard, toujours prêt à s'échauffer, Guy-Patin (1601 à 1672) avait donné, sans s'en douter, le premier modèle de lettres simples, naturelles, écrites à des amis pour le plaisir de s'épancher; d'un style agréable, parce qu'il n'y employait, comme il le dit lui-même, ni Phébus ni Balzac, et qu'il n'avait aucun souci de style ni d'ornements.

Les Lettres de Madame de Maintenon, Françoise d'Aubigné (1635 à 1719), qui ont un sujet, sont sensées, simples et plus efficaces peut-être que celles de Madame de Sévigné. On y remarque un naturel de la raison, qui dédaigne les gentillesses sans se priver des vraies grâces.

La plupart des Lettres de Madame de Grignan (1648 à 1705) se trouvent insérées parmi celles de Madame de Sévigné, sa mère. On n'y trouve ni son inspiration ni sa grâce abandonnée; c'est, au contraire,

une composition soignée et réfléchie, dont le tour, généralement spirituel, noble et précis, est souvent trop étudié.

Art dramatique.

Aucun écrivain du siècle de Louis XIV ne s'est montré plus indépendant des préjugés nationaux, et ne s'est en même temps plus conformé à l'esprit de sa nation que Jean Baptiste Poquelin, qui prit depuis le nom de Molière. Il naquit à Paris en 1620. Son grand-père, admirateur enthousiaste de Corneille, suivait avec assiduité le spectacle de l'hôtel de Bourgogne. Le vieillard y conduisit son petit-fils; cette circonstance décida de la vocation de Molière. Il avait alors quinze ans. Il demanda et obtint avec beaucoup de peine la permission d'étudier. Ses parents ne la lui accordèrent que sur le dessein qu'il annonça de suivre la carrière du barreau. Poquelin entra au college de Clermont, aujourd'hui Louis-le-Grand, où il suivit les cours du prince de Conti qui n'oublia point cette liaison de collége, et plus tard encouragea Molière. Il eut pour camarades et pour amis, Bernier, célèbre par ses voyages, et Chapelle. Ce dernier avait pour précepteur Gassendi, qui démêla les grandes dispositions de Molière, et se fit un plaisir de l'admettre à ses leçons. C'est dans ce temps que Poquelin forma le projet de traduire en vers Lucrèce; traduction dont il reste quelque chose dans les Femmes savantes.

Cependant la famille de Molière le ramena vers cette carrière du théâtre qu'elle avait voulu lui interdire après la lui avoir révélée. Son père possédait une charge de tapissier du roi. Vieux et infirme, il ne put suivre Louis XIII dans un voyage qu'il fit en Languedoc; le jeune Poquelin qui avait la survivance de la charge dut donc suivre la cour. Il avait alors vingt-un ans, et n'avait pas entièrement terminé son cours de philosophie. Peu de temps après son retour à Paris, Richelieu et Louis XIII moururent. La régence d'Anne d'Autriche s'annonça sous les plus heureux auspices. Ce n'étaient que fêtes et plaisirs. Les comédies de société étaient surtout fort à la

mode. Poquelin se mit à la tête d'une de ces troupes, et changea alors son nom en celui de Molière. Vainement ses parents essayèrent encore de vaincre son penchant pour le théâtre. Il quitta Paris, et, pendant douze ans, il traversa la France en tous sens, semant sur son passage des esquisses pleines de verve et de mouvement, mais qui ne décèlent pas encore le poète original; ce sont des farces et des canevas à l'italienne, comme le Médecin volant et la Jalousie de Barbouillé. Bientôt il composa l'Étourdi (1653), le Dépit amoureux (1654), et ces comédies de ruses et d'intrigues ne sont encore qu'une imitation du théâtre italien.' C'est à Paris que Molière dut revenir pour se développer tout entier. Les ordres de Louis XIV l'y appelèrent en 1658.

Les Précieuses ridicules (1659) révélèrent enfin le poète comique. C'est alors qu'un spectateur put s'écrier: Courage, Molière, voilà la bonne comédie! Le poète frappait, dans la personne des Précieuses, le faux goût littéraire de l'époque. On applaudit avec enthousiasme et les habituées de l'hôtel de Rambouillet elles-mêmes, qui rougissaient de leurs ridicules" imitatrices, se rangèrent du parti de Molière.

Molière alors se sentit devenir lui-même : Je n'ai plus que faire, dit-il, d'étudier Plaute et Térence, et d'éplucher les fragments de Ménandre; je n'ai qu'à étudier le monde. Ce n'est pas qu'il eût renoncé aux conquêtes sur l'étranger. Mais dès lors il imita comme ses illustres contemporains, il s'assimila les emprunts qu'il faisait et leur imprima un caractère original. A Plaute, il prendra l'Avare et l'Amphitryon; à Térence, les fourberies de ses valets et les débats de ses Adelphes sur le mariage; il ira chercher en Italie son Docteur, académicien de Bologne ou de Padoue, dont il achèvera l'éducation à l'école des Vadius et des Pancrace français; Pantalon, vieillard amou

reux

et crédule, se métamorphosera en Géronte, et Scapin, valet astucieux et fripon, suivra naturellement son maître; le Dédain contre dédain de l'espagnol Moreto

lui inspirera la Princesse d'Élide et le Convive de Pierre de Tirso de Molina le Festin de Pierre. Molière a pris son bien où il l'a trouvé et si l'on découvrait encore plus de larcins de ce genre, ces découvertes n'ôteraient absolument rien à sa gloire; il ne copie pas, il transforme.

Deux ans après les Précieuses, Molière donna l'Ecole des Maris, qui fut suivie de l'École des femmes. Ces deux pièces sont une piquante satire des maximes du temps sur l'infériorité et la soumission des femmes: Molière reprend, avec mesure, au nom de l'équité et du bonheur domestique la réaction contre les préjugés, entreprise et exagérée par l'esprit chevaleresque du moyen-âge, et rend la tyrannie des hommes impossible, en la rendant ridicule. En revendiquant leur liberté, Molière enseigna en même temps aux femmes qu'elles doivent surtout éviter d'unir leur sort à celui d'un égoïste jaloux. Le rôle d'Agnès, dans l'École des femmes, est un des plus charmants portraits de la galerie féminine du théâtre. Le Sganarelle de l'École des maris est la création du premier homme dans la comédie, et c'est un fort vilain homme. Un mot le résume; c'est l'égoïste. Dans l'École des femmes, nous avons Arnolphe, un Sganarelle de bonne compagnie. Il a les mêmes travers que l'autre; il est égoïste, systématique, entêté, vain; mais quelques qualités s'y mêlent: il est civil et capable d'un bon office. C'est d'ailleurs un homme d'esprit; il a plus de ressources pour donner une couleur honnête à ses travers; mais, en revanche, son esprit lui tend des piéges.

Dans le Bourgeois gentilhomme, Molière attaque l'amour propre, défaut impérissable, et porte en même temps un terrible coup à l'engouement nobiliaire. Qui ne connaît M. Jourdain? Il suffit de nommer l'Avare (1668) pour rappeler à chacun l'idée d'un chef-d'œuvre d'observation. Harpagon restera le type éternel de l'avarice et un exemple effrayant des vices qu'elle traîne à sa suite. L'intention de Molière, dans le Misanthrope (1666), est de faire voir ce qu'il convient d'accorder aux défauts des hommes si l'on veut vivre avec eux. Alceste a le tort de se croire parfait et infaillible, d'exagérer sa propre valeur morale, de ramener tout à soi et de ne voir que faiblesse et perversité dans tout ce qui s'oppose au despotisme de sa volonté ou s'écarte du modèle intérieur dont il prétend faire une règle Cela arriva, comme je l'avais prédit, générale. C'est cet orgueil tyrannique qui ajoute Ménage; et, dès cette première représentation, n'exclut pas la probité, mais qui la rend on revint du galimatias et du style forcé." (Mena-insociable, que Molière attaque par le ridi

1 L'Étourdi est imité de l'Inavvertito de Nicolo Barbieri; le Dépit amoureux doit quelques scènes à l'Interesse de Nicolas Secchi, et à une farce intitulée Gli Sdegni amorosi.

2 Ménage, l'un des alcôvistes les plus illustres,

se déclara converti. ,,Monsieur, dit-il à Chapelain, en sortant du théâtre, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'étre critiquées si finement et avec tant de bon sens ... Il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé.

giana.)

cule. Il lui oppose, dans la personne de | Regnard amuse, il n'instruit pas, bien loin Philinte, un type de sociabilité et de savoir vivre dans le monde.

L'hypocrisie, dit M. Étienne, est, dans une société vieillie, le père de tous les fléaux; c'est le voile de toutes les passions, le masque de tous les vices, le manteau de tous les crimes; la justice elle-même hésite à frapper le criminel paré des couleurs du Ciel; on dirait que la fausse dévotion est pour les scélérats ce qu'était jadis l'enceinte de certains temples du paganisme, un asile sûr, un refuge inviolable; Molière en a forcé les portes; il a saisi l'hypocrite jusque sur les marches sacrées, il l'a mis à nu au pied de ces mêmes autels qu'il profanait par ses vices, et en présence de la foule qu'il trompait par ses grimaces. En ornant la scène d'un immortel ouvrage, il a légué à tous les siècles le signalement de la plus cruelle et de la plus redoutable de toutes les impostures. Le chef-d'œuvre de la scène comique, Tartufe (1667), est un service rendu à l'humanité par le génie.

Six ans après le Tartufe, Molière faisait jouer les Femmes savantes. C'était un retour vers la comédie modérée. Le tissu en est aussi léger que celui du Misanthrope, et les figures aussi solides. Montrer les ravages de la manie du bel esprit dans une honnête maison, voilà la pensée de la pièce.

Le Malade imaginaire (1673) fut, on le sait, le dernier triomphe et le tombeau de Molière.

Quoi qu'en aient dit certains critiques, la France est en droit de considérer Molière comme le plus parfait de tous les écrivains comiques. Non seulement Molière a aperçu et châtié le premier les ridicules dans des choses que ses contemporains estimaient ou prenaient au sérieux; mais il a encore incarné les vices inhérents à l'espèce humaine dans des créations d'une vérité impérissable. Ses personnages ont une physionomie si distincte, si personnelle, qu'on les reconnaît partout; on croit avoir vécu avec eux, et néanmoins chaque siècle retrouve en eux ses penchants et ses vices: ils sont à la fois réels comme des individus et éternellement vrais comme des types.

Parmi les élèves de l'école de Molière le premier fut Jean François Regnard (1656 à 1710). Après une jeunesse fort agitée, il vint se fixer à Paris où il avait reçu le jour, et se mit à écrire pour le Théâtre Français et le Théâtre Italien. La scène française n'a pas de comédies plus divertissantes que le Joueur, dans lequel le poète s'est peint lui-même, le Légataire et les Ménechmes; mais si Herrig, La France litt.

de corriger. Il a une verve admirable et peu de nerf, beaucoup de naturel et point de vérité: il arrive au plaisant dans les caractères par la charge, et dans le dialogue par des saillies où la gaieté va trop souvent jusqu'au bouffon. Mais quelle aisance et quel mouvement! Regnard fait rire, c'est beaucoup; toutefois ce n'est pas assez pour le spectateur qui veut trouver parmi le rire une leçon morale et des caractères fortement tracés.

Un jeune homme se présente un jour à Corneille; c'était vers 1665. Il lui lit en tremblant une tragédie; Corneille l'écoute avec attention, et, la lecture finie, il lui dit: „Vous avez du talent pour la poésie, mais non pas pour le théâtre." Ce jeune homme, que Corneille repoussait ainsi du sanctuaire de Melpomène, c'était Racine, mais la pièce était Alexandre.

Jean Racine naquit à la Ferté-Milon, le 21 décembre 1639. Il apprit le latin au collège de Beauvais, et le grec sous Claude Lancelot. Racine montra dès ses premières années un goût très vif pour la poésie, et surtout pour les poètes tragiques. Souvent il se perdait dans les bois de l'abbaye, un Euripide à la main. Son avidité de savoir allait partout cherchant des livres pour les dévorer en secret. Le roman grec des Amours de Théagène et de Chariclée lui tomba sous la main. Il le lisait avidement, lorsque Claude Lancelot le surprit, lui arracha le livre et le jeta au feu. Un second exemplaire eut le même sort; Racine en acheta un troisième, et, pour le mettre à l'abri des flammes, il l'apprit par cœur, et le portant à Lancelot: Vous pouvez, lui dit-il, brûler encore celui-ci comme les autres.

A peine Racine eut-il achevé sa philosophie au collège d'Harcourt, aujourd'hui collège Saint-Louis, qu'il débuta dans le monde littéraire par une ode sur le mariage du roi. Cette pièce, intitulée la Nymphe de la Seine, lui valut, sur la recommandation de Chapelain, une gratification de cent louis et une pension de six cents livres ; double faveur, dont la première était due au roi, la seconde à Colbert. Racine étudia alors la jurisprudence et la théologie: deux sciences qui allaient peu avec le tour de son imagination et les rêveries poétiques. Ce succès le détermina à la poésie. En vain un de ses oncles, chanoine régulier et vicaire-général d'Usez, l'appela dans cette ville pour lui résigner son bénéfice; en vain Racine cherchait-il à faire violence à ses désirs secrets pour entrer dans les vues de cet oncle; sa vocation l'emporta: il revint

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à Paris vers 1664, époque de sa première | Cette tragédie nous montre un prince au pièce de théâtre. Il y chercha et obtint d'illustres et utiles amitiés. Il fit connaissance avec Molière et avec Boileau. Avec Molière les rapports furent courts; mais en cessant de s'aimer, ces deux grands hommes conservèrent l'un pour l'autre l'estime et la justice qu'ils se devaient. L'amitié de Boileau et de Racine fut inaltérable.

Racine ne fut d'abord qu'un imitateur de Corneille, mais avec quelques-unes des beautés du maître. Les beaux endroits de la Thébaide et de l'Alexandre sont moins des beautés solides que de fortes impressions produites par de grands exemples sur un jeune homme destiné à devenir à son tour un maître de l'art. C'est en écrivant Andromaque (1667) que Racine trouva la voie nouvelle et brillante où son génie devait répandre tant d'éclat.

Andromaque est un chef-d'œuvre, c'est en outre, aussi bien que le Cid, une date dans l'histoire du théâtre français: c'est l'avènement de la tragédie fondée sur l'amour. Le ressort dramatique n'est plus l'admiration, mais l'attendrissement.

Les tragédies de Racine peuvent se diviser en trois classes. La première renferme des pièces empruntées au théâtre d'Euripide. En naturalisant ces pièces sur un sol nouveau, Racine a lutté avec bonheur contre les grandes difficultés de l'entreprise. Il transforme tout ce qu'il prend, il le frappe de l'empreinte moderne et chrétienne. Il accepte le sujet, mais il déplace le centre de l'action. En général, l'idée germe lui appartient tout entière. Elle se développe dans un milieu mythologique dont elle tire à son choix les éléments qu 'elle peut s'assimiler. Le même principe dirige Racine dans ses tragédies historiques, qui forment la seconde classe: l'histoire n'est pour lui qu'une draperie flottante dont il entoure majestueusement son idée poétique. Il s'est inspiré de la Bible dans les tragédies de la troisième classe.

Andromaque (1667) n'est plus, pour Racine, une esclave vulgaire condamnée successivement à l'amour de tous ses maîtres; c'est la noble et fidèle épouse du grand Hector, la mère de son Astyanax. Sublime sans être au-dessus de l'humain, héroïne sans cesser d'être femme, Andromaque est un type charmant. Elle est douée de tout ce qu'il y a de dévouement dans l'épouse, de tendresse dans la mère. Le rôle entier de Pyrrhus, qui ne paraît point dans la pièce grecque, la jalousie d'Hermione, la passion d'Oreste et ses fureurs, sont également des créations de Racine.

Britannicus (1609) suivit Andromaque.

moment où d'homme il devient monstre; c'est le spectacle éternellement vrai du premier pas dans le crime. Cependant l'émotion tragique n'est pas tout à fait au niveau de la gravité des évènements, et cela tient à l'infériorité inévitable du héros à côté de personnages tels que Néron, Agrippine et Burrhus. Néanmoins, si le but de l'art est d'élever et d'épurer les âmes par l'image idéalisée des vertus et des vices, et tel estil en effet, Racine l'a atteint en peignant si délicatement l'ambition d'Agrippine, la lâcheté cruelle de Néron et sa luxure, la bassesse de Narcisse, la mâle vertu de Burrhus, la généreuse candeur de Britannicus et l'innocence de Junie. Britannicus partage avec Horace et Cinna l'honneur d'être au premier rang des chefs-d'œuvre de la tragédie historique. Les contemporains de Racine, pleins encore des longues dissertations politiques de Corneille, n'en jugèrent pas ainsi; Britannicus fut assez froidement accueilli. Racine vivement piqué de cette injustice ou de cette méprise, protesta contre les préventions ou l'ignorance de ses juges dans deux préfaces, modèles d'ironie, de tact et de mesure. Il n'eut pour lui que le suffrage de Boileau.

Bérénice (1670), qui vint ensuite, mit aux prises, à l'insu l'un de l'autre, Racine et Corneille. Tous deux également dociles à la prière d'Henriette d'Angleterre, également empressés, ils se trouvèrent prêts en même temps. Mais Racine était sur son terrain, dans la force de l'âge, Corneille avait vieilli, et sa vocation n'avait jamais été la tendresse langoureuse: le résultat de la lutte ne pouvait être douteux, Corneille fut vaincu. Bérénice est une pièce sans évènements, sans épisodes, aussi lui a-t-on refusé souvent le nom de tragédie. Soit, mais on ne saurait nier que c'est, sous forme dramatique, le chef-d'œuvre de l'élégie.

Dans le genre historique, Racine s'était élevé par Britannicus à une hauteur que n'atteignent Bajazet (1673), ni Mithridate (1673). En mettant sur la scène un fait de l'histoire contemporaine, notre poète crut que les mœurs du sérail et l'éloignement du lieu équivaudraient, dans l'optique théâtrale, à la distance des temps et qu'un héros moderne y prendrait les proportions d'un personnage antique. Roxane et Acomat sont de belles créations, mais Bajazet, malgré sa générosité et son amour palit à côté de ces figures si énergiquement dessinées. Mithridate, dans la partie politique, égale les males beautés de Corneille. Le caractère du roi de Pont est une étude savante et complexe d'une rare puissance, et

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