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démone reprit sa première puissance, et redevint formidable à tous les Grecs.

Ce fut le partage égal des terres qui rendit Rome capable de sortir d'abord de son abaissement; et cela se sentit bien quand elle fut corrompue.

Elle était une petite république, lorsque, les Latins ayant refusé le secours de troupes qu'ils étaient obligés de donner, on leva sur-le-champ dix légions dans la ville (1). « A peine à pré» sent, dit Tite-Live, Rome, que le monde entier ne peut contenir, en pourrait-elle faire autant, si un ennemi paraissait tout-à-coup devant ses murailles; marque certaine que nous >> ne nous sommes point agrandis, et que nous n'avons fait qu'aug» menter le luxe et les richesses qui nous travaillent. »

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Dites-moi, disait Tibérius Gracchus aux nobles (2), qui >> vaut mieux, un citoyen, ou un esclave perpétuel : un soldat, ou un homme inutile à la guerre ? Voulez-vous, pour avoir quelques arpens de terre plus que les autres citoyens, renoncer » à l'espérance de la conquête du reste du monde, ou vous » mettre en danger de vous voir enlever par les ennemis ces » terres que vous nous refusez? »

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CHAPITRE IV.

Des Gaulois. De Pyrrhus. - Parallèle de Carthage et de Rome. Guerre d'Annibal.

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LES Romains eurent bien des guerres avec les Gaulois. L'amour de la gloire, le mépris de la mort, l'obstination pour vaincre étaient les mêmes dans les deux peuples; mais les armes étaient différentes. Le bouclier des Gaulois était petit, et leur épée mauvaise : aussi furent-ils traités à peu près comme, dans les derniers siècles, les Mexicains l'ont été par les Espagnols. Et ce qu'il y a de surprenant, c'est que ces peuples, que les Romains rencontrèrent dans presque tous les lieux et dans presque tous les temps, se laissèrent détruire les uns après les autres, sans jamais connaître, chercher ni prévenir la cause de leurs malheurs.

Pyrrhus vint faire la guerre aux Romains dans les temps qu'ils étaient en état de lui résister et de s'instruire par ses victoires : il leur apprit à se retrancher, à choisir et à disposer un camp: il les accoutuma aux éléphans, et les prépara pour de plus grandes guerres.

La grandeur de Pyrrhus ne consistait que dans ses qualités

(1) Tite-Live, première Décade, liv. VII. Ce fut quelque temps après la prise de Rome, sous le consulat de L. Furius Camillus et d'Appius Clau→ dius Crassus. (2) Appien, de la Guerre civile, liv. I.

personnelles (1). Plutarque nous dit qu'il fut obligé de faire la guerre de Macédoine, parce qu'il ne pouvait entretenir huit mille hommes de pied et cinq cents chevaux qu'il avait (2). Ce prince, maître d'un petit état dont on n'a plus entendu parler après lui, était un aventurier qui faisait des entreprises continuelles, parce qu'il ne pouvait subsister qu'en entreprenant.

Tarente, son alliée, avait bien dégénéré de l'institution des Lacédémoniens ses ancêtres (3). Il aurait pu faire de grandes choses avec les Samnites; mais les Romains les avaient presque détruits.

l'hon

Carthage, devenue riche plus tôt que Rome, avait aussi été plus tôt corrompue: ainsi, pendant qu'à Rome les emplois publics ne s'obtenaient que par la vertu, et ne donnaient d'utilité que neur et une préférence aux fatigues, tout ce que le public peut donner aux particuliers se vendait à Carthage, et tout service rendu par les particuliers y était payé par le public.

La tyrannie d'un prince ne met pas un état plus près de sa ruine que l'indifférence pour le bien commun n'y met une république. L'avantage d'un état libre est que les revenus y sont mieux administrés; mais, lorsqu'ils le sont plus mal, l'avantage d'un état libre est qu'il n'y a point de favoris: mais, quand cela n'est pas, et qu'au lieu des amis et des parens du prince il faut faire la fortune des amis et des parens de tous ceux qui ont part au gouvernement, tout est perdu; les lois sont éludées plus dangereusement qu'elles ne sont violées par un prince, qui, étant toujours le plus grand citoyen de l'état, a le plus d'intérêt à sa conservation.

Des anciennes mœurs, un certain usage de la pauvreté, rendaient à Rome les fortunes à peu près égales : mais à Carthage, des particuliers avaient les richesses des rois.

De deux factions qui régnaient à Carthage, l'une voulait toujours la paix, et l'autre toujours la guerre; de façon qu'il était impossible d'y jouir de l'une, ni d'y bien faire l'autre.

Pendant qu'à Rome la guerre réunissait d'abord tous les intérêts, elle les séparait encore plus à Carthage (4).

Dans les états gouvernés par un prince, les divisions s'apaisent aisément, parce qu'il a dans ses mains une puissance coercitive qui ramène les deux partis; mais dans une république elles sont

(1) Voyez un fragment du liv. I de Dion, dans l'Extrait des vertus et des vices. (2) Vie de Pyrrhus. (3) Justin, liv. XX, chap. 1. -(4) La présence d'Annibal fit cesser parmi les Romains toutes les divisions: mais la présence de Scipion aigrit celles qui étaient déjà parmi les Carthaginois; elle ôta au gouvernement tout ce qui lui restait de force; les généraux, le sénat, les grands, devinrent suspects au peuple, et le peuple devint plus furieux, ( Voyez dans Appien toute cette guerre du premier Scipion, )

plus durables, parce que le mal attaque ordinairement la puissance même qui pourrait le guérir.

A Rome, gouvernée par les lois, le peuple souffrait que le sénat eût la direction des affaires à Carthage, gouvernée par des abus, le peuple voulait tout faire par lui-même.

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Carthage, qui faisait la guerre avec son opulence contre la pauvreté romaine, avait, par cela même, du désavantage : l'or et l'argent s'épuisent; mais la vertu, la constance, la force et la pauvreté ne s'épuisent jamais.

Les Romains étaient ambitieux par orgueil, et les Carthaginois par avarice; les uns voulaient commander, les autres voulaient acquérir; et ces derniers, calculant sans cesse la recette et la dépense, firent toujours la guerre sans l'aimer.

Des batailles perdues, la diminution du peuple, l'affaiblissement du commerce, l'épuisement du trésor public, le soulèvement des nations voisines, pouvaient faire accepter à Carthage les conditions de paix les plus dures: mais Rome ne se conduisait point par lé sentiment des biens et des maux; elle ne se déterminait que par sa gloire ; et comme elle n'imaginait point qu'elle pût être, si elle ne commandait pas, il n'y avait point d'espérance ni de crainte qui pût l'obliger à faire une paix qu'elle n'aurait point imposée.

Il n'y a rien de si puissant qu'une république où l'on observe les lois, non pas par crainte, non pas par raison, mais par passion, comme furent Rome et Lacédémone: car pour lors il se joint à la sagesse d'un bon gouvernement toute la force que pourrait avoir une faction.

Les Carthaginois se servaient de troupes étrangères, et les Romains employaient les leurs. Comme ces derniers n'avaient jamais regardé les vaincus qué comme des instrumens pour des triomphes futurs, ils rendirent soldats tous les peuples qu'ils avaient soumis; et plus ils eurent de peine à les vaincre, plus ils les jugèrent propres à être incorporés dans leur république. Ainsi nous voyons les Samnites, qui ne furent subjugués qu'après vingtquatre triomphes (1), devenir les auxiliaires des Romains; et, quelque temps avant la seconde guerre punique, ils tirèrent d'eux et de leurs alliés, c'est-à-dire, d'un pays qui n'était guère plus grand que les états du pape et de Naples, sept cent mille hommes de pied et soixante et dix mille de cheval pour opposer aux Gaulois (2).

Dans le fort de la seconde guerre punique, Rome eut toujours sur pied de vingt-deux à vingt-quatre légions; cependant il

(1) Florus, liv. I, chap. xvI. —(2) Voyez Polybe. Le sommaire de Florus dit qu'ils levèrent trois cent mille hommes dans la ville et chez les Latins.

paraît, par Tite-Live, que le cens n'était pour lors que d'environ cent trente-sept mille citoyens.

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Carthage employait plus de forces pour attaquer, Rome pour se défendre celle-ci, comme on vient de le dire, arma un nombre d'hommes prodigieux contre les Gaulois et Annibal, qui l'attaquaient, et elle n'envoya que deux légions contre les plus grands rois; ce qui rendit ses forces éternelles.

L'établissement de Carthage dans son pays était moins solide que celui de Rome dans le sien: cette dernière avait trente colonies autour d'elle, qui en étaient comme les remparts (1). Avant la bataille de Cannes, aucun allié ne l'avait abandonnée; c'est que les Samnites et les autres peuples d'Italie étaient accoutumés à sa domination.

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La plupart des villes d'Afrique, étant peu fortifiées, rendaient d'abord à quiconque se présentait pour les prendre : aussi tous ceux qui y débarquèrent, Agathocle, Régulus, Scipion, mirent-ils d'abord Carthage au désespoir.

On ne peut guère attribuer qu'à un mauvais gouvernement ce qui leur arriva dans toute la guerre que leur fit le premier Scipion leur ville et leurs armées même étaient affamées, tandis que les Romains étaient dans l'abondance de toutes choses (2).

Chez les Carthaginois, les armées qui avaient été battues devenaient plus insolentes; quelquefois elles mettaient en croix leurs généraux, et les punissaient de leur propre lâcheté. Chez les Romains, le consul décimait les troupes qui avaient fui, et les ramenait contre les ennemis.

Le gouvernement des Carthaginois était très-dur (3) : ils avaient si fort tourmenté les peuples d'Espagne, que, lorsque les Romains y arrivèrent, ils furent regardés comme des libérateurs ; et si l'on fait attention aux sommes immenses qu'il leur en coûta pour soutenir une guerre où ils succombèrent, on verra bien que l'injustice est mauvaise ménagère, et qu'elle ne remplit pas même

ses vues.

La fondation d'Alexandrie avait beaucoup diminué le commerce de Carthage. Dans les premiers temps, la superstition bannissait en quelque façon les étrangers de l'Égypte ; et lorsque les Perses l'eurent conquise, ils n'avaient songé qu'à affaiblir leurs nouveaux sujets: mais, sous les rois grecs, l'Égypte fit presque tout le commerce du monde, et celui de Carthage commença à déchoir.

Les puissances établies par le commerce peuvent subsister long(1) Tite-Live, liv. XXVII. (2) Voyez Appien, liber libycus. ce que dit Polybe de leurs exactions, surtout dans le fragment du liv. IX, Extrait des vertus et des vices.

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(3) Voyez

temps dans leur médiocrité; mais leur grandeur est de peu de durée. Elles s'élèvent peu à peu et sans que personne s'en aperçoive; car elles ne font aucun acte particulier qui fasse du bruit et signale leur puissance : mais lorsque la chose est venue au point qu'on ne peut plus s'empêcher de la voir, chacun cherche à priver cette nation d'un avantage qu'elle n'a pris, pour ainsi dire, que par surprise.

La cavalerie carthaginoise valait mieux que la romaine, par deux raisons : l'une que les chevaux numides et espagnols étaient meilleurs que ceux d'Italie ; et l'autre, que la cavalerie romaine était mal armée; car ce ne fut que dans les guerres que les Romains firent en Grèce, qu'ils changèrent de manière, comme nous l'apprenons de Polybe (1).

que

Dans la première guerre punique, Régulus fut battu dès les Carthaginois choisirent les plaines pour faire combattre leur cavalerie; et, dans la seconde, Annibal {dut à ses Numides ses principales victoires (2).

Scipion, ayant conquis l'Espagne et fait alliance avec Massinissa, ôta aux Carthaginois cette supériorité. Ce fut la cavalerie numide qui gagna la bataille de Zama, et finit la

guerre.

Les Carthaginois avaient plus d'expérience sur la mer, et connaissaient mieux la manœuvre que les Romains: mais il me semble que cet avantage n'était pas pour lors si grand qu'il le serait aujourd'hui.

pour

Les anciens, n'ayant pas la boussole, ne pouvaient guère naviguer que sur les côtes; aussi ne se servaient-ils que de bâtimens à rames, petits et plats; presque toutes les rades étaient eux des ports; la science des pilotes était très-bornée, et leur manœuvre très-peu de chose aussi Aristote disait-il (3) qu'il était inutile d'avoir un corps de mariniers, et que les laboureurs suffisaient pour cela.

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L'art était si imparfait, qu'on ne faisait guère avec mille rames que ce qui se fait aujourd'hui avec cent (4).

Les grands vaisseaux étaient désavantageux, en ce qu'étant difficilement mus par la chiourme, ils ne pouvaient pas faire les évolutions nécessaires. Antoine en fit à Actium une funeste expérience (5); ses navires ne pouvaient se remuer, pendant que ceux d'Auguste, plus légers, les attaquaient de toutes parts.

(1) Liv. VI, chap. xxv. - (2) Des corps entiers de Numides passèrent du côté des Romains, qui dès-lors commencèrent à respirer. — (3) Polit., liv. VII, chap. VI. Essai (4) Voyez ce que dit Perrault sur les rames des anciens, de physique, tit. III, mécanique des animaux. (5) La même chose arriva à la bataille de Salamine. (Plut. Vie de Thémistocle. ) L'histoire est pleine de faits pareils.

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