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ciel fut entendue qui termina toutes les disputes : Il ne sera point ôté d'entre les mains des mortels, parce qu'heureuses les mamelles qui l'allaiteront, et les mains qui le toucheront, et la maison qu'il habitera, et le lit où il reposera!

Après tant de témoignages si éclatans, mon cher Josué, il faut avoir un cœur de fer pour ne pas croire sa sainte loi. Que pouvait faire davantage le ciel pour autoriser sa mission divine, à moins de renverser la nature, et de faire périr les hommes mêmes qu'il voulait convaincre ?

De Paris, le 20 de la lune de Rhégeb 1713.

LETTRE XL.

USBEK A IBBEN,

A SMYRNE.

Dès qu'un grand est mort, on s'assemble dans une mosquée, et

l'on fait son oraison funèbre, qui est un discours à sa louange, avec lequel on serait bien embarrassé de décider au juste du mérite du défunt.

Je voudrais bannir les pompes funèbres. Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort. A quoi servent les cérémonies et tout l'attirail lugubre qu'on fait paraître à un mourant dans ses derniers momens, les larmes même de sa famille et la douleur de ses amis, qu'à lui exagérer la perte qu'il va faire ?

Nous sommes si aveuglés, que nous ne savons quand nous devons nous affliger ou nous réjouir : nous n'avons presque jamais que de fausses tristesses ou de fausses joies.

Quand je vois le Mogol qui, toutes les années, va sottement se mettre dans une balance, et se faire peser comme un bœuf; quand je vois les peuples se réjouir de ce que ce prince est devenu plus matériel, c'est-à-dire moins capable de les gouverner, j'ai pitié, Ibben, de l'extravagance humaine.

De Paris, le 20 de la lune de Rhégeb 1713.

LETTRE XLI.

LE PREMIER EUNUQUE NOIR A USBEK.

ISMAEL, un de tes eunuques noirs, vient de mourir, magnifique

seigneur ; et je ne puis m'empêcher de le remplacer. Comme les eunuques sont extrêmement rares à présent, j'avais pensé de me servir d'un esclave noir que tu as à la campagne; mais je n'ai

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de

pu jusqu'ici le porter à souffrir qu'on le consacrât à cet emploi. Comme je vois qu'au bout du compte c'est son avantage, je voulus l'autre jour user à son égard d'un peu de rigueur; et, concert avec l'intendant de tes jardins, j'ordonnai que, malgré lui, on le mît en état de te rendre les services qui flattent le plus ton cœur, et de vivre comme moi dans ces redoutables lieux qu'il n'ose pas même regarder mais il se mit à hurler comme si on avait voulu l'écorcher, et fit tant, qu'il échappa de nos mains et évita le fatal couteau. Je viens d'apprendre qu'il veut t'écrire pour te demander grâce, soutenant que je n'ai conçu ce dessein que par un désir insatiable de vengeance sur certaines railleries piquantes qu'il dit avoir faites de moi. Cependant je te jure, par les cent mille prophètes, que je n'ai agi que pour le bien de ton service, la seule chose qui me soit chère, et hors laquelle je ne regarde rien. Je me prosterne à tes pieds.

S1

Du sérail de Farmé, le 7 de la lune de Maharram 1713.

LETTRE XLII.

PHARAN A USBEK, son souverain Seigneur.

tu étais ici, magnifique seigneur, je paraîtrais à ta vue tout écrire couvert de papier blanc ; et il n'y en aurait pas assez pour toutes les insultes que ton premier eunuque noir, le plus méchant de tous les hommes, m'a faites depuis ton départ.

Sous prétexte de quelques railleries qu'il prétend que j'ai faites sur le malheur de sa condition, il exerce sur ma tête une vengeance inépuisable; il a animé contre moi le cruel intendant de tes jardins, qui, depuis ton départ, m'oblige à des travaux insurmontables, dans lesquels j'ai pensé mille fois laisser la vie, sans perdre un moment l'ardeur de te servir. Combien de fois ai-je dit en moi-même : J'ai un maître rempli de douceur, et je suis le plus malheureux esclave qui soit sur la terre!

Je te l'avoue, magnifique seigneur, je ne me croyais pas destiné à de plus grandes misères : mais ce traître d'eunuque a voulu mettre le comble à sa méchanceté. Il y a quelques jours il me destina à la garde de tes que, de son autorité privée, pour moi femmes sacrées, c'est-à-dire à une exécution qui serait mille fois plus cruelle que la mort. Ceux qui, en naissant, ont eu le malheur de recevoir de leurs cruels parens un traitement pareil, se consolent peut-être sur ce qu'ils n'ont jamais connu d'autre état que le leur mais qu'on me fasse descendre de l'humanité, et qu'on m'en prive, je mourrais de douleur si je ne mourais pas de cette barbarie.

J'embrasse tes pieds, sublime seigneur, dans une humilité profonde. Fais en sorte que je sente les effets de cette vertu si respectée, et qu'il ne soit pas dit que, par ton ordre, il y ait sur la terre un malheureux de plus.

Des jardins de Fatmé, le q de la lune de Maharram 1713.

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RECEVEZ la joie dans votre cœur, et reconnaissez ces sacrés caractères ; faites-les baiser au grand eunuque et à l'intendant de mes jardins. Je leur défends de rien entreprendre contre vous: dites-leur d'acheter l'eunuque qui me manque. Acquittez-vous de votre devoir comme si vous m'aviez toujours devant les car sachez que plus mes bontés sont grandes, plus vous serez puni si vous en abusez.

yeux:

De Paris, le 25 de la lune de Rhégeb 1713.

LETTRE XLIV.

USBEK A RHEDI,

A VENISE.

Il y a en France trois sortes d'états: l'église, l'épée, et la robe.

L

Chacun a un mépris souverain pour les deux autres: tel, par exemple, que l'on devrait mépriser parce qu'il est un sot, ne l'est souvent que parce qu'il est homme de robe.

Il n'y a pas jusqu'aux plus vils artisans qui ne disputent sur l'excellence de l'art qu'ils ont choisi; chacun s'élève au-dessus de celui qui est d'une profession différente, à proportion de l'idée qu'il s'est faite de la supériorité de la sienne,

Les hommes ressemblent tous, plus ou moins, à cette femme de la province d'Érivan qui, ayant reçu quelque grâce d'un de nos monarques, lui souhaita mille fois, dans les bénédictions qu'elle lui donna, que le ciel le fit gouverneur d'Érivan.,

J'ai lu dans une relation qu'un vaisseau français ayant relâché à la côte de Guinée, quelques hommes de l'équipage voulurent aller à terre acheter quelques moutons. On les mena au roi, qui rendait la justice à ses sujets sous un arbre. Il était sur son trône, c'est-à-dire sur un morceau de bois, aussi fier que s'il eût été assis sur celui du grand Mogol: il avait trois ou quatre gardes

avec des piques de bois; un parasol, en forme de dais, le cou vrait de l'ardeur du soleil ; tous ses ornemens et ceux de la reine sa femme consistaient en leur peau noire et quelques bagues. Ce prince, plus vain encore que misérable, demanda à ces étrangers si on parlait beaucoup de lui en France. Il croyait que son nom devait être porté d'un pôle à l'autre : et, à la différence de ce conquérant de qui on a dit qu'il avait fait taire toute la terre, il croyait, lui, qu'il devait faire parler tout l'univers.

Quand le kan de Tartarie a dîné, un héraut crie que tous les princes de la terre peuvent aller dîner, si bon leur semble : et ce barbare, qui ne mange que du lait, qui n'a pas de maison, qui ne vit que de brigandage, regarde tous les rois du monde comme ses esclaves, et les insulte régulièrement deux fois par jour.

De Paris, le 28 de la lune de Rhégeb 1713.

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IER matin, comme j'étais au lit, j'entendis frapper rudement à ma porte, qui fut soudain ouverte ou enfoncée par un homme avec qui j'avais lié quelque société, et qui me parut tout hors de lui-même.

Son habillement était beaucoup plus que modeste; sa perruque de travers n'avait pas même été peignée; il n'avait pas eu le temps de faire recoudre son pourpoint noir; et il avait renoncé pour ce jour-là aux sages précautions avec lesquelles il avait coutume de déguiser le délabrement de son équipage.

Levez-vous, me dit-il ; j'ai besoin de vous tout aujourd'hui : j'ai mille emplettes à faire, et je serai bien aise que ce soit avec vous. Il faut premièrement que nous allions, rue Saint-Honoré, parler à un notaire qui est chargé de vendre une terre de cinq cent mille livres ; je veux qu'il m'en donne la préférence. En venant ici, je me suis arrêté un moment au faubourg Saint-Germain, où j'ai loué un hôtel deux mille écus ; et j'espère passer le contrat aujourd'hui.

Dès que je fus habillé, ou peu s'en fallait, mon homme me fit précipitamment descendre. Commençons, dit-il, par acheter un carrosse, et établissons l'équipage. En effet, nous achetâmes non-seulement un carrosse, mais encore pour cent mille francs de marchandises, en moins d'une heure: tout cela se fit promptement, parce que mon homme ne marchanda rien, et ne compta

jamais; aussi ne déplaça-t-il pas. Je rêvais sur tout ceci; et quand j'examinais cet homme, je trouvais en lui une complication singulière de richesses et de pauvreté; de manière que je ne savais que croire. Mais enfin je rompis le silence; et le tirant à part, je lui dis : Monsieur, qui est-ce qui paiera tout cela? Moi, dit-il: venez dans ma chambre; je vous montrerai des trésors immenses et des richesses enviées des plus grands monarques: mais elles ne le seront pas de vous, qui les partagerez toujours avec moi. Je le suis. Nous grimpons à son cinquième étage; et, par une échelle, nous nous guindons à un sixième, qui était un cabinet ouvert aux quatre vents, dans lequel il n'y avait que deux ou trois douzaines de bassins de terre remplis de diverses liqueurs. Je me suis levé de grand matin, me dit-il, et j'ai fait d'abord ce que je fais depuis vingt-cinq ans, qui est d'aller visiter mon œuvre : j'ai vu que le grand jour était venu qui devait me rendre plus riche qu'homme qui soit sur la terre. Voyezvous cette liqueur vermeille? Elle a à présent toutes les qualités que les philosophes demandent pour faire la transmutation des métaux. J'en ai tiré ces grains que vous voyez, qui sont de vrai or par leur couleur, quoiqu'un peu imparfaits par leur pesanteur. Ce secret, que Nicolas Flamel trouya, mais que Raimond Lulle et un million d'autres cherchèrent toujours, est venu jusqu'à moi; et je me trouve aujourd'hui un heureux adepte. Fasse le ciel que je ne me serve de tant de trésors qu'il m'a communiqués que pour sa gloire !

Je sortis, et je descendis, ou plutôt je me précipitai par cet escalier; transporté de colère, et laissai cet homme si riche dans son hôpital. Adieu, mon cher Usbek. J'irai te voir demain, et, si tu veux, nous reviendrons ensemble à Paris.

De Paris, le dernier de la lune de Rhégeb 1713.

LETTRE XLVI.

USBEK A RHEDI,

A VENISE.

Je vois ici des gens qui disputent sans fin sur la religion : mais

il semble qu'ils combattent en même temps à qui l'observera le moins.

:

Non-seulement ils ne sont pas meilleurs Chrétiens, mais même meilleurs citoyens et c'est ce qui me touche; car, dans quelque religion qu'on vive, l'observation des lois, l'amour pour les hommes, la piété envers les parens, sont toujours les premiers actes de religion.

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