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les guerres entreprises pour leurs alliés étaient un mal que ces mêmes alliés cherchaient d'abord à réparer.

Mais les rois de Macédoine étaient ordinairement des princes habiles. Leur monarchie n'était pas du nombre de celles qui vont par une espèce d'allure donnée dans le commencement. Continuellement instruits par les périls et par les affaires, embarrassés dans tous les démêlés des Grecs, il leur fallait gagner les principaux des villes, éblouir les peuples, et diviser ou réunir les intérêts; enfin ils étaient obligés de payer de leur personne à chaque

instant.

Philippe, qui, dans le commencement de son règne, s'était attiré l'amour et la confiance des Grecs par sa modération, changea tout-à-coup; il devint un cruel tyran dans un temps où il aurait dû être juste par politique et par ambition (1). Il voyait, quoique de loin, les Carthaginois et les Romains dont les forces étaient immenses; il avait fini la guerre à l'avantage de ses alliés, et s'était réconcilié avec les Étoliens. Il était naturel qu'il pensât à unir toute la Grèce avec lui pour empêcher les étrangers de s'y établir : mais il l'irrita au contraire par de petites usurpations; et, s'amusant à discuter de vains intérêts quand il s'agissait de son existence, par trois ou quatre mauvaises actions il se rendit odieux et détestable à tous les Grecs.

Les Étoliens furent les plus irrités et les Romains, saisissant l'occasion de leur ressentiment, ou plutôt de leur folie, firent alliance avec eux, entrèrent dans la Grèce, et l'armèrent contre Philippe.

Ce prince fut vaincu à la journée des Cynocéphales; et cette victoire fut due en partie à la valeur des Étoliens. Il fut si fort consterné, qu'il se réduisit à un traité qui était moins une paix qu'un abandon de ses propres forces; il fit sortir ses garnisons de toute la Grèce, livra ses vaisseaux, et s'obligea de payer mille talens en dix années.

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Polybe, avec son bon sens ordinaire, compare l'ordonnance des Romains avec celle des Macédoniens, qui fut prise par tous les rois successeurs d'Alexandre. Il fait voir les avantages et les inconvéniens de la phalange et de la légion; il donne la préférence à l'ordonnance romaine; et il y a apparence qu'il a raisi l'on en juge par tous les événemens de ces temps-là.

son,

Ce qui avait beaucoup contribué à mettre les Romains en peril dans la seconde guerre punique, c'est qu'Annibal arma d'abord ses soldats à la romaine: mais les Grecs ne changèrent ni leurs armes ni leur manière de combattre; il ne leur vint point dans (1) Voyez dans Polybe les injustices et les cruautés par lesquelles Philippe se décrédita,

l'esprit de renoncer à des usages avec lesquels ils avaient fait de si grandes choses.

Le succès que les Romains eurent contre Philippe fut le plus grand de tous les pas qu'ils firent pour la conquête générale. Pour s'assurer de la Grèce, ils abaissèrent par toutes sortes de voies les Étoliens, qui les avaient aidés à vaincre; de plus, ils ordonnèrent que chaque ville grecque qui avait été à Philippe, ou à quelque autre prince, se gouvernerait dorénavant par ses propres lois.

On voit bien que ces petites républiques ne pouvaient être que dépendantes. Les Grecs se livrèrent à une joie stupide, et crurent être libres en effet, parce que les Romains les déclaraient tels.

Les Étoliens, qui s'étaient imaginé qu'ils domineraient dans la Grèce, voyant qu'ils n'avaient fait que se donner des maîtres, furent au désespoir; et, comme ils prenaient toujours des résolutions extrêmes, voulant corriger leurs folies par leurs folies, ils appelèrent dans la Grèce Antiochus, roi de Syrie, comme ils y avaient appelé les Romains.

Les rois de Syrie étaient les plus puissans des successeurs d'Alexandre; car ils possédaient presque tous les états de Darius, à l'Égypte près; mais il était arrivé des choses qui avaient fait que leur puissance s'était beaucoup affaiblie.

Séleucus, qui avait fondé l'empire de Syrie, avait, à la fin de sa vie, détruit le royaume de Lysimaque. Dans la confusion des choses, plusieurs provinces se soulevèrent : les royaumes de Pergame, de Cappadoce et de Bithynie, se formèrent. Mais ces petits états timides regardèrent toujours l'humiliation de leurs anciens maîtres comme une fortune pour eux.

Comme les rois de Syrie virent toujours avec une envie extrême la félicité du royaume d'Égypte, ils ne songèrent qu'à le conquérir; ce qui fit que, négligeant l'Orient, ils y perdirent plusieurs provinces, et furent fort mal obéis dans les autres.

Enfin les rois de Syrie tenaient la haute et basse Asie : mais l'expérience a fait voir que, dans ce cas, lorsque la capitale et les principales forces sont dans les provinces basses de l'Asie, on ne peut pas conserver les hautes; et, que, quand le siége de l'empire est dans les hautes, on s'affaiblit en voulant garder les basses. L'empire des Perses et celui de Syrie ne furent jamais si forts que celui des Parthes, qui n'avait qu'une partie des provinces des deux premiers. Si Cyrus n'avait pas conquis le royaume de Lydie, si Seleucus était resté à Babylone, et avait laissé les provinces maritimes aux successeurs d'Antigone, l'empire des Perses aurait été invincible pour les Grecs, et celui de Séleucus pour les Romains. Il y a de certaines bornes que la nature a données aux

états pour mortifier l'ambition des hommes. Lorsque les Romains les passèrent, les Parthes les firent presque tous périr (1) : quand les Parthes osèrent les passer, ils furent d'abord obligés de revenir; et, de nos jours, les Turcs, qui ont avancé au-delà de ces limites, ont été contraints d'y rentrer.

Les rois de Syrie et d'Égypte avaient dans leur pays deux sortes de sujets les peuples conquérans, et les peuples conquis. Ces premiers, encore pleins de l'idée de leur origine, étaient très-difficilement gouvernés; ils n'avaient point cet esprit d'indépendance qui nous porte à secouer le joug, mais cette impatience qui nous fait désirer de changer de maître.

Mais la faiblesse principale du royaume de Syrie venait de celle de la cour, où régnaient des successeurs de Darius, et non pas d'Alexandre. Le luxe, la vanité, la mollesse, qui en aucun siècle n'ont quitté les cours d'Asie, régnaient surtout dans celleci. Le mal passa au peuple et aux soldats, et devint contagieux pour les Romains mêmes, puisque la guerre qu'ils firent contre Antiochus est la vraie époque de leur corruption.

Telle était la situation du royaume de Syrie, lorsque Antiochus, qui avait fait de grandes choses, entreprit la guerre contre les Romains: mais il ne se conduisit pas même avec la sagesse que l'on emploie dans les affaires ordinaires. Annibal voulait qu'on renouvelât la guerre en Italie, et qu'on gagnât Philippe, ou qu'on le rendît neutre. Antiochus ne fit rien de tout cela : il se montra dans la Grèce avec une petite partie de ses forces; et, comme s'il avait voulu y voir la guerre, et non pas la faire, il ne fut occupé que de ses plaisirs. Il fut battu, et s'enfuit en Asie plus effrayé que vaincu.

Philippe, dans cette guerre, entraîné par les Romains comme par un torrent, les servit de tout son pouvoir, et devint l'instrument de leurs victoires. Le plaisir de se venger et de ravager l'Etolie, la promesse qu'on lui diminuerait le tribut, et qu'on lui laisserait quelques villes, des jalousies qu'il eut d'Antiochus, enfin de petits motifs le déterminèrent; et, n'osant concevoir la pensée de secouer le joug, il ne songea qu'à l'adoucir.

Antiochus jugea si mal des affaires, qu'il s'imagina que les Romains le laisseraient tranquille en Asie. Mais ils l'y suivirent: il fut vaincu encore; et, dans sa consternation, il consentit au traité le plus infâme qu'un grand prince ait jamais fait.

Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours (2), de s'ensevelir plutôt sous les débris du trône que d'accepter des propositions qu'un roi ne

(1) J'en dirai les raisons au chap. xv. Elles sont tirées en partie de la disposition géographique des deux empires. — (2) Louis XIV.

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doit pas entendre ; il avait l'âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avaient mis; et il savait bien que le courage peut raffermir une couronne et que l'infamie ne le fait jamais. C'est une chose commune de voir des princes qui savent donner une bataille. Il y en a bien peu qui sachent faire une guerre, qui soient également capables de se servir de la fortune et de l'attendre, et qui, avec cette disposition d'esprit qui donne de la méfiance avant que d'entreprendre, aient celle de ne craindre plus rien après avoir entrepris.

Après l'abaissement d'Antiochus, il ne lui restait plus que de petites puissances, si l'on en excepte l'Égypte, qui, par sa situation, sa fécondité, son commerce, le nombre de ses habitans, ses forces de mer et de terre, aurait pu être formidable: mais la cruauté de ses rois, leur lâcheté, leur avarice, leur imbécillité, leurs affreuses voluptés les rendirent si odieux à leurs sujets, qu'ils ne se soutinrent la plupart du temps que par la pro

tection des Romains.

C'était, en quelque façon, une loi fondamentale de la couronne d'Égypte, que les sœurs succédaient avec les frères; et afin de maintenir l'unité dans le gouvernement, on mariait le frère avec la sœur. Or, il est difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu'un pareil ordre de succession: car tous les petits démêlés domestiques devenant des désordres dans l'état, celui des deux qui avait le moindre chagrin soulevait d'abord contre l'autre le peuple d'Alexandrie; populace immense, toujours prête à se joindre au premier de ses rois qui voulait l'agiter. De plus, les royaumes de Cyrène et de Chypre étant ordinairement entre les mains d'autres princes de cette maison avec des droits réciproques sur le tout, il arrivait qu'il y avait presque toujours des princes régnans, et des prétendans à la couronne ; que ces rois étaient sur un trône chancelant, et que, mal établis au dedans, ils étaient sans pouvoir au dehors.

Les forces des rois d'Égypte, comme celles des autres rois d'Asie, consistaient dans leurs auxiliaires grecs. Outre l'esprit de liberté, d'honneur et de gloire, qui animait les Grecs, ils s'occupaient sans cesse à toutes sortes d'exercices du corps : ils avaient dans leurs principales villes des jeux établis où les vainqueurs obtenaient des couronnes aux yeux de toute la Grèce; ce qui donnait une émulation générale. Or, dans un temps où l'on combattait avec des armes dont le succès dépendait de la force et de l'adresse de celui qui s'en servait, on ne peut douter que des gens ainsi exercés n'eussent de grands avantages sur cette foule de barbares pris indifféremment, et menés sans choix à la guerre, comme les armées de Darius le firent bien voir.

Les Romains, pour priver les rois d'une telle milice, et leur ôter sans bruit leurs principales forces, firent deux choses: premièrement, ils établirent peu à peu, comme une maxime chez ies Grecs, qu'ils ne pourraient avoir aucune alliance, accorder du secours, ou faire la guerre à qui que ce fût sans leur consentement: de plus, dans leurs traités avec les rois, ils leur défendirent de faire aucunes levées chez les alliés des Romains; ce qui les réduisit à leurs troupes nationales (1).

CHAPITRE VI.

De la conduite que les Romains tinrent pour soumettre les peuples.

DANS le cours de tant de prospérités, où l'on se néglige pour l'ordinaire, le sénat agissait toujours avec la même profondeur; et, pendant que les armées consternaient tout, il tenait à terre ceux qu'il trouvait abattus.

Il s'érigea en tribunal qui jugea tous les peuples : à la fin de chaque guerre, il décidait des peines et des récompenses que chacun avait méritées. Il ôtait une partie du domaine du peuple vaincu pour la donner aux alliés : en quoi il faisait deux choses; il attachait à Rome des rois dont elle avait peu à craindre, et beaucoup à espérer ; et il en affaiblissait d'autres dont elle n'avait rien à espérer, et tout à craindre.

On se servait des alliés pour faire la guerre à un ennemi ; mais d'abord on détruisit les destructeurs. Philippe fut vaincu par le moyen des Etoliens, qui furent anéantis d'abord après pour s'être joints à Antiochus. Antiochus fut vaincu par le secours des Rhodiens: mais, après qu'on leur eut donné des récompenses éclatantes, on les humilia pour jamais, sous prétexte qu'ils avaient demandé qu'on fit la paix avec Persée.

Quand ils avaient plusieurs ennemis sur les bras, ils accordaient une trève au plus faible, qui se croyait heureux de l'obtenir, comptant pour beaucoup d'avoir différé sa ruine.

Lorsque l'on était occupé à une grande guerre, le sénat dissimulait toutes sortes d'injures, et attendait dans le silence que le temps de la punition fût venu : que si quelque peuple lui envoyait les coupables, il refusait de les punir, aimant mieux tenir toute la nation pour criminelle, et se réserver une vengeance utile.

Comme ils faisaient à leurs ennemis des maux inconcevables,

(1) Ils avaient déjà eu cette politique avec les Carthaginois, qu'ils obligèrent, par le traité, à ne plus se servir de troupes auxiliaires, comme on le voit dans un fragment de Dion.

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