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il ne se formait guère de ligue contre eux; car celui qui était le plus éloigné du péril ne voulait pas en approcher.

Par-là ils recevaient rarement la guerre, mais la faisaient toujours dans le temps, de la manière et avec ceux qu'il leur convenait; et, de tant de peuples qu'ils attaquèrent, il y en a bien peu qui n'eussent souffert toutes sortes d'injures, si l'on avait voulu les laisser en paix.

Leur coutume étant de parler toujours en maîtres, les ambassadeurs qu'ils envoyaient chez les peuples qui n'avaient point encore senti leur puissance, étaient sûrement maltraités; ce qui était un prétexte sûr pour faire une nouvelle guerre (1).

Comme ils ne faisaient jamais la paix de bonne foi, et que, dans le dessein d'envahir tout, leurs traités n'étaient proprement que des suspensions de guerre, ils y mettaient des conditions qui commençaient toujours la ruine de l'état qui les acceptait. Ils faisaient sortir les garnisons des places fortes, ou bornaient le nombre des troupes de terre, ou se faisaient livrer les chevaux ou les éléphans; et si ce peuple était puissant sur la mer, ils l'obligeaient de brûler ses vaisseaux, et quelquefois d'aller habiter plus avant dans les terres.

Après avoir détruit les armées d'un prince, ils ruinaient ses finances par des taxes excessives ou un tribut, sous prétexte de lui faire payer les frais de la guerre : nouveau genre de tyrannie qui le forçait d'opprimer ses sujets et de perdre leur amour. Lorsqu'ils accordaient la paix à quelque prince, ils prenaient quelqu'un de ses frères ou de ses enfans en ôtage; ce qui leur donnait le moyen de troubler son royaume à leur fantaisie. Quand ils avaient le plus proche héritier, ils intimidaient le possesseur; s'ils n'avaient qu'un prince d'un degré éloigné, ils s'en servaient pour animer les révoltes des peuples.

Quand quelque prince ou quelque peuple s'était soustrait de l'obéissance de son souverain, ils lui accordaient d'abord le titre d'allié du peuple romain (2); et par-là ils le rendaient sacré et inviolable: de manière qu'il n'y avait point de roi, quelque grand qu'il fût, qui pût un moment être sûr de ses sujets, ni même de sa famille.

Quoique le titre de leur allié fût une espèce de servitude, il 'était néanmoins très-recherché (3); car on était sûr que l'on ne recevait d'injures que d'eux, et l'on avait sujet d'espérer qu'elles seraient moindres: ainsi il n'y avait point de services que les

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(1) Un des exemples de cela, c'est leur guerre contre les Dalmates. ( Voyez Polybe.) (2) Voyez surtout leur traité avec les Juifs, au premier livre des Macchabées, chap. VIII, v. 23. - (3) Ariarathe fit un sacrifice aux dieux, dit Polybe, pour les remercier de ce qu'il avait obtenu cette alliance.

peuples et les rois ne fussent prêts à rendre, ni de bassesses qu'ils ne fissent pour l'obtenir.

Ils avaient plusieurs sortes d'alliés. Les uns leur étaient unis des priviléges et une participation de leur grandeur, comme les Latins et les Herniques; d'autres, par l'établissement même, comme leurs colonies; quelques-uns par les bienfaits, comme furent Massinissa, Euménès et Attalus, qui tenaient d'eux leur royaume ou leur agrandissement; d'autres, par des traités libres, et ceux-là devenaient sujets par un long usage de l'alliance, comme les rois d'Égypte, de Bithynie, de Cappadoce, et la plupart des villes grecques; plusieurs enfin par des traités forcés, et par la loi de leur sujétion, comme Philippe et Antiochus : car ils n'accordaient point de paix à un ennemi qui ne ́contînt une alliance; c'est-à-dire, qu'ils ne soumettaient point de peuple qui ne leur servît à en abaisser d'autres.

Lorsqu'ils laissaient la liberté à quelques villes, ils y faisaient d'abord naître deux factions (1); l'une défendait les lois et la liberté du pays, l'autre soutenait qu'il n'y avait de loi que la volonté des Romains; et, comme cette dernière faction était toujours la plus puissante, on voit bien qu'une pareille liberté n'était qu'un nom.

Quelquefois ils se rendaient maîtres d'un pays sous prétexte de succession: ils entrèrent en Asie, en Bithynie, en Libye, par les testamens d'Attalus, de Nicomède (2) et d'Appion; et l'Egypte fut enchaînée par celui du roi de Cyrene.

Pour tenir les grands princes toujours faibles, ils ne voulaient pas qu'ils reçussent dans leur alliance ceux à qui ils avaient accordé la leur (3); et, comme ils ne la refusaient à aucun des voisins d'un prince puissant, cette condition, mise dans un traité de paix, ne lui laissait plus d'alliés.

De plus, lorsqu'ils avaient vaincu quelque prince considérable, ils mettaient dans le traité qu'il ne pourrait faire la guerre pour ses différends avec les alliés des Romains (c'est-à-dire, ordinairement avec tous ses voisins), mais qu'il les mettrait en arbitrage : ce qui lui ôtait pour l'avenir la puissance militaire.

Et, pour se la réserver toute, ils en privaient leurs alliés mêmes dès que ceux-ci avaient le moindre démêlé, ils envoyaient des ambassadeurs qui les obligeaient de faire la paix. Il n'y a qu'à voir comme ils terminèrent les guerres d'Attalus et de Prusias.

Quand quelque prince avait fait une conquête, qui souvent l'avait épuisé, un ambassadeur romain survenait d'abord qui la (1) Voyez Polybe sur les villes de Grèce. fut le cas d'Antiochus.

(2) Fils de Philopator. - (3) Ce

lui arrachait des mains. Entre mille exemples, on peut se rappeler comment, avec une parole, ils chassèrent d'Egypte Antiochus.

Sachant combien les peuples d'Europe étaient propres à la guerre, ils établirent, comme une loi, qu'il ne serait permis à aucun roi d'Asie d'entrer en Europe et d'y assujettir quelque peuple que ce fût (1). Le principal motif de la guerre qu'ils firent à Mithridate, fut que, contre cette défense, il avait soumis quelques barbares (2).

Lorsqu'ils voyaient que deux peuples étaient en guerre, quoiqu'ils n'eussent aucune alliance ni rien à démêler avec l'un ni avec l'autre, ils ne laissaient pas de paraître sur la scène; et, comme nos chevaliers errans, ils prenaient le parti du plus faible. C'était, dit Denys d'Halicarnasse (3), une ancienne coutume des Romains d'accorder toujours leur secours à quiconque venait l'implorer.

Ces coutumes des Romains n'étaient point quelques faits particuliers arrivés par hasard; c'étaient des principes toujours constans ; et cela se peut voir aisément; car les maximes dont ils firent usage contre les plus grandes puissances furent précisément celles qu'ils avaient employées dans les commencemens contre les petites villes qui étaient autour d'eux.

Ils se servirent d'Euménès et de Massinissa pour subjuguer Philippe et Antiochus, comme ils s'étaient servis des Latins et des Herniques pour subjuguer les Volsques et les Toscans; ils se firent livrer les flottes de Carthage et des rois d'Asie, comme ils s'étaient fait donner les barques d'Antium; ils ôtèrent les liaisons politiques et civiles entre les quatre parties de la Macédoine comme ils avaient autrefois rompu l'union des petites villes latines (4).

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Mais surtout leur maxime constante fut de diviser. La république d'Achaïe était formée par une association de villes libres; le sénat déclara que chaque ville se gouvernerait dorénavant par ses propres lois, sans dépendre d'une autorité commune.

La république des Béotiens était pareillement une ligue de plusieurs villes : mais comme, dans la guerre contre Persée, les unes suivirent le parti de ce prince, les autres celui des Romains, ceux-ci les reçurent en grâce, moyennant la dissolution de l'alliance commune.

Si un grand prince qui a régné de nos jours avait suivi ces

(1) La défense faite à Antiochus, même avant la guerre, de passer en Europe, devint générale contre les autres rois. - (2) Appien, de Bello Mithrid. (3) Fragment de Denys, tiré de l'Extrait des ambassades. Live, liv. VII.

(4) Tite

maximes, lorsqu'il vit un de ses voisins détrôné, il aurait employé de plus grandes forces pour le soutenir et le borner dans l'île qui lui resta fidèle: en divisant la seule puissance qui pût s'opposer à ses desseins, il aurait tiré d'immenses avantages du malheur même de son allié.

Lorsqu'il y avait quelques disputes dans un état, ils jugeaient d'abord l'affaire; et par-là ils étaient sûrs de n'avoir contre eux que la partie qu'ils avaient condamnée. Si c'étaient des princes du même sang qui se disputaient la couronne, ils les déclaraient quelquefois tous deux rois (1): si l'un d'eux était en bas âge (2), ils décidaient en sa faveur, et ils en prenaient la tutelle, comme protecteurs de l'univers. Car ils avaient porté les choses au point que les peuples et les rois étaient leurs sujets, sans savoir précisément par quel titre ; étant établi que c'était assez d'avoir ouï parler d'eux pour devoir leur être soumis.

Ils ne faisaient jamais de guerres éloignées sans s'être procuré quelque allié auprès de l'ennemi qu'ils attaquaient, qui pût joindre ses troupes à l'armée qu'ils envoyaient : et, comme elle n'était jamais considérable par le nombre, ils observaient toujours d'en tenir (3) une autre dans la province la plus voisine de l'ennemi, et une troisième dans Rome, toujours prête à marcher. Ainsi ils n'exposaient qu'une très-petite partie de leurs forces, pendant que leur ennemi mettait au hasard toutes les siennes (4).

Quelquefois ils abusaient de la subtilité des termes de leur langue. Ils détruisirent Carthage, disant qu'ils avaient promis de conserver la cité, et non pas la ville. On sait comment les Etoliens, qui s'étaient abandonnés à leur foi, furent trompés: les Romains prétendirent que la signification de ces mots, s'abandonner à la foi d'un ennemi, emportait la perte de toutes sortes de choses, des personnes, des terres, des villes, des temples, et des sépultures même.

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Ils pouvaient même donner à un traité une interprétation arbitraire ainsi, lorsqu'ils voulurent abaisser les Rhodiens, ils dirent qu'ils ne leur avaient pas donné autrefois la Lycie comme présent, mais comme amie et alliée.

Lorsqu'un de leurs généraux faisait la paix pour sauver son armée près de périr, le sénat, qui ne la ratifiait point, profitait de cette paix, et continuait la guerre. Ainsi, quand Jugurtha

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(1) Comme il arriva à Ariarathe et Holopherne en Cappadoce. (Appian. in Syriac. cap. XLVII.) — (2) Pour pouvoir ruiner la Syrie en qualité de tuteurs, ils se déclarèrent pour le fils d'Antiochus, encore enfant, contre Démétrius, qui était chez eux en ôtage, et qui les conjurait de lui rendre justice, disant que Rome était sa mère, et les sénateurs ses pères. — (3) C'était une pratique constante, comme on peut voir par l'histoire. (4) Voyez comme ils se conduisirent dans la guerre de Macédoine.

eut enfermé une armée romaine, et qu'il l'eut laissé aller sous la foi d'un traité, on se servit contre lui des troupes mêmes qu'il avait sauvées et, lorsque les Numantins eurent réduit vingt mille Romains près de mourir de faim à demander la paix, cette paix, qui avait sauvé tant de citoyens, fut rompue à Rome, et l'on éluda la foi publique en envoyant le consul qui l'avait signée (1).

Quelquefois ils traitaient de la paix avec un prince sous des conditions raisonnables; et lorsqu'il les avait exécutées, ils en ajoutaient de telles, qu'il était forcé de recommencer la guerre. Ainsi, quand ils se furent fait livrer (2) par Jugurtha ses éléphans, ses chevaux, ses trésors, ses transfuges, ils lui demandèrent de livrer sa personne; chose qui, étant pour un prince le dernier des malheurs, ne peut jamais faire une condition de paix. Enfin, ils jugèrent les rois pour leurs fautes et leurs crimes particuliers. Ils écoutèrent les plaintes de tous ceux qui avaient quelques démêlés avec Philippe ; ils envoyèrent des députés pour pourvoir à leur sûreté : et ils firent accuser Persée devant eux pour quelques meurtres et quelques querelles avec des citoyens des villes alliées.

Comme on jugeait de la gloire d'un général par la quantité de l'or et de l'argent qu'on portait à son triomphe, il ne laissait rien à l'ennemi vaincu. Rome s'enrichissait toujours, et chaque guerre la mettait en état d'en entreprendre une autre.

Les peuples qui étaient amis ou alliés se ruinaient (3) par les présens immenses qu'ils faisaient pour conserver la faveur, ou l'obtenir plus grande; et la moitié de l'argent qui fut envoyé pour cet effet aux Romains aurait suffi pour les vaincre.

Maîtres de l'univers, ils s'en attribuèrent tous les trésors : ravisseurs moins injustes en qualité de conquérans qu'en qualité de législateurs. Ayant su que Ptolomée, roi de Chypre, avait des richesses immenses, ils firent une loi (4), sur la proposition d'un tribun, par laquelle ils se donnèrent l'hérédité d'un homme vivant et la confiscation d'un prince allié.

Bientôt la cupidité des particuliers acheva d'enlever ce qui avait échappé à l'avarice publique. Les magistrats et les gouverneurs vendaient aux rois leurs injustices. Deux compétiteurs se ruinaient à l'envi pour acheter une protection toujours douteuse

(1) Ils en agirent de même avec les Samnites, les Lusitaniens, et les peuples de Corse. Voyez, sur ces derniers, un fragment du livre premier de Dion. — (2) Ils en agirent de même avec Viriate: après lui avoir fait rendre les transfuges, on lui demanda qu'il rendît les armes ; à quoi ni lui ni les siens ne purent consentir. (Fragm. de Dion. ) (3) Les présens que le sénat envoyait aux rois n'étaient que des bagatelles, comme une chaise et un bâton d'ivoire, ou quelque robe de magistrature, (4) Florus, liv. III, chap. ix.

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