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SUR

L'USAGE DES GLANDES RÉNALES,

ON a

Prononcé le 25 août 1718.

N a dit ingénieusement que les recherches anatomiques sont une hymne merveilleuse à la louange du Créateur. C'est en vain que le libertin voudrait révoquer en doute une divinité qu'il craint, il est lui-même la plus forte preuve de son existence; il ne peut faire la moindre attention sur son individu qui ne soit un argument qui l'afflige. Hæret lateri lethalis arundo.

La plupart des choses ne paraissent extraordinaires que parce qu'elles ne sont point connues; le merveilleux tombe presque toujours à mesure qu'on s'en approche; on a pitié de soi-même ; on a honte d'avoir admiré. Il n'en est pas de même du corps humain le philosophe s'étonne, et trouve l'immense grandeur de Dieu dans l'action d'un muscle, comme dans le débrouillement du chaos.

:

Lorsqu'on étudie le corps humain, et qu'on se rend familières les lois immuables qui s'observent dans ce petit empire; quand on considère ce nombre infini de parties qui travaillent toutes pour le bien commun, ces esprits animaux si impérieux et si obéissans, ces mouvemens si soumis et quelquefois si libres, cette volonté qui commande en reine et obéit en esclave, ces périodes si réglées, cette machine si simple dans son action et si composée dans ses ressorts, cette réparation continuelle de force et de vie, ce merveilleux de la reproduction et de la génération, toujours de nouveaux secours à de nouveaux besoins: quelles grandes idées de sagesse et d'économie !

Dans ce nombre prodigieux de parties, de veines, d'artères, de vaisseaux lymphatiques, de cartilages, de tendons, de muscles, de glandes, on ne saurait croire qu'il y ait rien d'inutile ; tout concourt pour le bien du sujet animé; et s'il y a quelque partie dont nous ignorions l'usage, nous devons avec une noble inquiétude chercher à le découvrir.

C'est ce qui avait porté l'académie à choisir pour sujet l'usage des glandes rénales ou capsules atrabilaires, et à encourager les savans à travailler sur une matière qui, malgré les recherches de tant d'auteurs, était encore toute neuve, et semblait avoir été jusqu'ici plutôt l'objet de leur désespoir que de leurs connais

sances.

Je ne ferai point ici une description exacte de ces glandes, à moins de dire ce que tant d'auteurs ont déjà dit : tout le monde sait qu'elles sont placées un peu au-dessus,des reins, entre les émulgentes et les troncs de la veine cave et de la grande artère. Si l'on veut voir des gens bien peu d'accord, on n'a qu'à lire les auteurs qui ont traité de leur usage; elles ont produit une diversité d'opinions qui est un argument presque certain de leur fausseté dans cette confusion, chacun avait sa langue, et l'ouvrage resta imparfait.

Les premiers qui en ont parlé les ont faites d'une condition bien subalterne; et sans leur vouloir permettre aucun rôle dans l'économie animale, ils ont cru qu'elles ne servaient qu'à appuyer différentes parties circonvoisines: les uns ont pensé qu'elles avaient été mises là pour soutenir le ventricule, qui aurait trop porté sur les émulgentes; d'autres pour affermir le plexus nerveux qui *les touche: préjugés échappés des anciens, qui ignoraient l'usage des glandes.

Car, si elles ne servaient qu'à cet usage, à quoi bon cette structure admirable dont elles sont formées? ne suffirait-il pas qu'elles fussent comme une espèce de masse informe, rudis indigestaque moles? Serait-ce comme dans l'architecture, où l'art enrichit les pilastres même et les colonnes?

Gaspar Bartholin est le premier qui, leur ôtant une fonction si basse, les a rendues plus dignes de l'attention des savans. Il croit qu'une humeur, qu'il appelle atrabile, est conservée dans leurs cavités : pensée affligeante, qui met dans nous-mêmes un principe de mélancolie, et semble faire des chagrins et de la tristesse une maladie habituelle de l'homme. Il croit qu'il y a une communication de ces capsules aux reins, auxquels cette humeur atrabilaire sert pour le délaiement des urines. Mais, comme il ne montra pas cette communication, on ne l'en crut point sur sa parole: on jugea qu'il ne suffisait pas d'en démontrer l'utilité, il fallait en prouver l'existence; et que ce n'était pas assez de l'annoncer, il fallait encore la faire voir. Il eut un fils illustre qui, travaillant pour la gloire de sa famille, voulut soutenir un système que son père avait plutôt jeté qu'établi; et le regardant comme son héritage, il s'attacha à le réparer. Il le sang, sortant des capsules, était conduit par la veine émulgente dans les reins. Mais comme il sort des reins par la même veine, il y a là deux mouvemens contraires qui s'entr'empêchent. Bartholin, pressé par la difficulté, soutenait que le mouvement du sang, venant des reins, pouvait être facilement surmonté par cette humeur noire et grossière qui coule des capsules. Ces hypothèses, et bien d'autres semblables, ne peuvent

crut que

être tirées que des tristes débris de l'antiquité, et la saine physique ne les avoue plus.

Un certain Petruccio semblait avoir aplani toute la difficulté: il dit avoir trouvé des valvules dans la veine des capsules, qui bouchent le passage de la glande dans la veine cave, et souvent du côté de la glande; de manière que la veine doit faire la fonction de l'artère, et l'artère, faisant celle de la veine, porte le sang par l'artère émulgente dans les reins. Ils ne manquait à cette belle découverte qu'un peu de vérité : l'Italien vit tout seul ces valvules singulières; mille corps aussitôt disséqués furent autant de témoins de son imposture: aussi ne jouit-il pas longtemps des applaudissemens, et il ne lui resta pas une seule plume. Après cette chute, la cause des Bartholin parut plus désespérée que jamais : ainsi, les laissant à l'écart, je vais chercher quelques autres hypothèses.

Les uns (1) prétendirent que ces capsules ne pouvaient avoir d'autre usage que de recevoir les humidités qui suintent des grands vaisseaux qui sont autour d'elles; d'autres, que l'humeur qu'on y trouve était la même que le suc lacté qui se distribue par les glandes du mésentère; d'autres, qu'il se formait dans ces capsules un suc bilieux qui,' étant porté dans le cœur, et se mêlant avec l'acide qui s'y trouve, excite la fermentation, principe du mouvement du cœur.

Voilà ce qu'on avait pensé sur les glandes rénales, lorsque l'académie publia son programme : le mot fut donné partout, la curiosité fut irritée. Les savans, sortis d'une espèce de léthargie, voulurent tenter encore; et, prenant tantôt des routes nouvelles, tantôt suivant les anciennes, ils cherchèrent la vérité, peut-être avec plus d'ardeur que d'espérance. Plusieurs d'entre eux n'ont eu d'autre mérite que celui d'avoir senti une noble émulation: d'autres, plus féconds, n'ont pas été plus heureux : mais ces efforts impuissans sont plutôt une preuve de l'obscurité de la matière que de la stérilité de ceux qui l'ont traitée.

Je ne parlerai point de ceux dont les dissertations arrivées trop tard n'ont pu entrer en concours : l'académie, qui leur avait imposé des lois, qui se les était imposées à elle-même, n'a pas cru devoir les violer. Quand ces ouvrages seraient meilleurs, ce ne serait pas la première fois que la forme, toujours inflexible et sévère, aurait prévalu sur le mérite du fond.

Nous avons trouvé un auteur qui admet deux espèces de bile, l'une grossière, qui se sépare dans le foie; l'autre plus subtile, qui se sépare dans les reins, avec l'aide du ferment qui coule des capsules par des conduits que nous ignorons, et que nous sommes

(1) Spigelius.

même menacés d'ignorer toujours: mais comme l'académie veut être éclaircie, et non pas découragée, elle ne s'arrête point à ce système.

Un autre a cru que ces glandes servaient à filtrer cette lymphe épaissie ou cette graisse qui est autour des reins, pour être ensuite versée dans le sang.

Un autre nous décrit deux petits canaux qui portent les liqueurs de la cavité de la capsule dans la veine qui lui est propre : cette humeur, que bien des expériences font juger alkaline, sert, selon lui, à donner de la fluidité au sang qui revient des reins, après s'être séparé de la sérosité qui compose l'urine. Cet auteur n'a a que de trop bons garans de ce qu'il avance: Sylvius, Manget, et d'autres, avaient eu cette opinion avant lui. L'académie, qui ne saurait souffrir les doubles emplois, qui veut toujours du nouveau, qui, comme un avare, par l'avidité d'acquérir toujours de nouvelles richesses, semble compter pour rien celles qui sont déjà acquises, n'a point couronné ce système.

Un autre, qui a assez heureusement donné la différence qu'il y a entre les glandes conglobées et les conglomérées, a mis celles-ci au rang des conglobées : il croit qu'elles ne sont qu'une continuité de vaisseaux, dans lesquels, comme dans des filières, le sang se subtilise; c'est un peloton formé par les rameaux de deux vaisseaux lymphatiques, l'un déférent, et l'autre référent : il juge que c'est le déférent qui porte la liqueur, et non pas l'artère, parce qu'il l'a vu beaucoup plus gros; cette liqueur est reprise par le référent, qui la porte au canal thorachique, et la rend à la circulation générale. Dans ces glandes, et dans toutes les conglobées, il n'y a point de canal excrétoire; car il ne s'agit pas ici de séparer des liqueurs, mais seulement de les subtiliser.

Ce système, par une apparence de vrai qui séduit d'abord, attiré l'attention de la compagnie; mais il n'a pu la soutenir. Quelques membres ont proposé des objections si fortes, qu'ils ont détruit l'ouvrage, et n'y ont pas laissé pierre sur pierre: j'en rapporterai ici quelques-unes ; et quant aux autres, je laisserai à ceux qui me font l'honneur de m'entendre le plaisir de les trouver eux-mêmes.

Il y a dans les capsules une cavité; mais, bien loin de servir à subtiliser la liqueur, elle est au contraire très-propre à l'épaissir et à en retarder le mouvement. Il y a dans ces cavités un sang noirâtre et épais; ce n'est donc point de la lymphe ni une liqueur subtilisée. Il y a d'ailleurs de très-grands embarras à faire passer la liqueur du déférent dans la cavité, et de la cavité dans le référent. De dire que cette cavité est une espèce de cœur qui sert à faire fermenter la liqueur, et la fouetter dans le vaisseau réfé

rent, cela est avancé sans preuve, et on n'a jamais remarqué de battement dans ces parties plus que dans les reins.

On voit par tout ceci que l'académie n'aura pas la satisfaction de donner son prix cette année, et que ce jour n'est point pour elle aussi solennel qu'elle l'avait espéré par les expériences et les dissections qu'elle a fait faire sous ses yeux, elle a connu la difficulté dans toute son étendue, et elle a appris à ne point s'étonner de voir que son objet n'ait pas été rempli. Le hasard fera peut-être quelque jour ce que tous ses soins n'ont pu faire (1), Ceux qui font profession de chercher la vérité ne sont pas moins sujets que les autres aux caprices de la fortune : peut-être ce qui a coûté aujourd'hui tant de sueurs inutiles ne tiendra pas contre les premières réflexions d'un auteur plus heureux. Archimède trouva, dans les délices d'un bain, le fameux problême que ses longues méditations avaient mille fois manqué. La vérité semble quelquefois courir au-devant de celui qui la cherche; souvent il n'y a point d'intervalle entre le désir, l'espoir et la jouissance. Les poëtes nous disent que Pallas sortit sans douleur de la tête de Jupiter, pour nous faire sentir sans doute que les productions de l'esprit ne sont pas toutes laborieuses.

(1) Les anatomistes ne connaissent pas mieux aujourd'hui que du temps de Montesquieu les usages des glandes rénales ; il faut probablement des recherches plus fréquentes sur les foetus de divers âges pour en développer la structure. On ne peut remarquer sans admiration que, si Montesquieu s'était adonné à l'étude de l'anatomie, il aurait fait faire à cette science des progrès aussi sensibles peut-être que ceux qui ont signalé ses pas dans les sciences morales. (Note communiquée par Portal, médecin.)

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