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nature des choses, deux cents gardes peuvent mettre la vie d'un prince en sûreté, et non pas quatre-vingt mille; outre qu'il est plus dangereux d'opprimer un peuple armé qu'un autre qui ne l'est pas.

Commode succéda à Marc-Aurèle son père. C'était un monstre qui suivait toutes ses passions et toutes celles de ses ministres et de ses courtisans. Ceux qui en délivrèrent le monde mirent en sa place Pertinax, vénérable vieillard, que les soldats prétoriens massacrèrent d'abord,

Ils mirent l'empire à l'enchère, et Didius Julien l'emporta par ses promesses cela souleva tout le monde; car, quoique l'empire eût été souvent acheté, il n'avait pas encore été marchandé. Pescennius Niger, Sévère et Albin, furent salués empereurs ; Julien, n'ayant pu payer les sommes immenses qu'il avait promises, fut abandonné par ses soldats.

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Sévère défit Niger et Albin; il avait de grandes qualités; mais la douceur, cette première vertu des princes, lui manquait.

La puissance des empereurs pouvait plus aisément paraître tyrannique que celle des princes de nos jours. Comme leur dignité était un assemblage de toutes les magistratures romaines; que, dictateurs sous le nom d'empereurs, tribuns du peuple, proconsuls, censeurs, grands pontifes, et, quand ils voulaient, consuls, ils exerçaient souvent la justice distributive, ils pouvaient aisément faire soupçonner que ceux qu'ils avaient condamnés, ils les avaient opprimés : le peuple jugeant ordinairement de l'abus de la puissance par la grandeur de la puissance au lieu que les rois d'Europe, législateurs, et non pas exécuteurs de la loi, princes, et non pas juges, se sont déchargés de cette partie de l'autorité qui peut être odieuse, et, faisant eux-mêmes les grâces., ont commis à des magistrats particuliers la distribution des peines.

Il n'y a guère eu d'empereurs plus jaloux de leur autorité que Tibère et Sévère : cependant ils se laissèrent gouverner, l'un par Séjan, l'autre par Plautien, d'une manière misérable. La malheureuse coutume de proscrire, introduite par Sylla, continua sous les empereurs : et il fallait même qu'un prince eût quelque vertu la ne pour pas suivre; car, comme ses ministres et ses favoris jetaient d'abord les yeux sur tant de confiscations, ils ne lui parlaient que de la nécessité de punir, et des périls de la clémence.

Les proscriptions de Sévère firent que plusieurs soldats de Niger (1) se retirèrent chez les Parthes (2): ils leur apprirent ce (1) Hérodien, Vie de Sévère, (2) Le mal continua sous Alexandre, Ar

qui manquait à leur art militaire, à faire usage des armes romaines, et même à en fabriquer; ce qui fit que ces peuples, qui s'étaient ordinairement contentés de se défendre, furent dans la suite presque toujours agresseurs (1).

Il est remarquable que, dans cette suite de guerres civiles qui s'élevèrent continuellement, ceux qui avaient les légions d'Europe vainquirent presque toujours ceux qui avaient les légions d'Asie (2); et l'on trouve dans l'histoire de Sévère qu'il ne put prendre la ville d'Atra en Arabie, parce que, les légions d'Europe s'étant mutinées, il fut obligé de se servir de celles de Syrie.

On sentit cette différence depuis qu'on commença à faire des levées dans les provinces (3); et elle fut telle entre les légions qu'elles étaient entre les peuples mêmes, qui, par la nature et l'éducation, sont plus ou moins propres pour par la guerre. Ces levées, faites dans les provinces, produisirent un autre effet les empereurs, pris ordinairement dans la milice, furent presque tous étrangers, et quelquefois barbares; Rome ne fut plus la maîtresse du monde, mais elle reçut des lois de tout l'univers.

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Chaque empereur y porta quelque chose de son pays, ou pour

les manières, ou pour les mœurs, ou pour la police, ou pour le

culte: et Héliogabale alla jusqu'à vouloir détruire tous les objets de la vénération de Rome, et ôter tous les dieux de leurs temples pour y placer le sien.

Ceci, indépendamment des voies secrètes que Dieu choisit et que lui seul connaît, servit beaucoup à l'établissement de la religion chrétienne; car il n'y avait plus rien d'étranger dans l'empire, et l'on y était préparé à recevoir toutes les coutumes qu'un empereur voudrait introduire.

On sait que les Romains reçurent dans leur ville les dieux des autres pays. Ils les recurent en conquérans; ils les faisaient porter dans les triomphes: mais lorsque les étrangers vinrent

taxerxès, qui rétablit l'empire des Perses, se rendit formidable aux Romains parce que leurs soldats, par caprice ou par libertinage, désertèrent en foule vers lui. (Abrégé de Xyphilin, du liv. LXXX de Dion.) · (1) C'est-à-dire les Perses qui les suivirent. (2) Sévère défit les légions asiatiques de Niger; Constantin, celles de Licinius. Vespasien, quoique proclamé par les armées de Syrie, ne fit la guerre à Vitellius qu'avec des légions de Moesie, de Pannonie et de Dalmatie. Cicéron, étant dans son gouvernement, écrivait au sénat qu'on ne pouvait compter sur les levées faites en Asie. Constantin ne vainquit Maxence, dit Zozimę, que par sa cavalerie. Sur cela, voyez ci-après le sep+ tième alinéa du chap. XXII. (3) Auguste rendit les légions des corps fixes, et les placa dans les provinces. Dans les premiers temps, on ne faisait de Jevées qu'à Rome, ensuite chez les Latins, après dans l'Italie, enfin dans les provinces,

eux-mêmes les établir, on les réprima d'abord. On sait, de plus, que les Romains avaient coutume de donner aux divinités étrangères les noms de celles des leurs qui y avaient le plus de rapport: mais lorsque les prêtres des autres pays youlurent faire adopter à Rome leurs divinités sous leurs propres noms, ils ne furent pas soufferts; et ce fut un des grands obstacles que trouva la religion chrétienne.

On pourrait appeler Caracalla, non pas un tyran, mais le destructeur des hommes. Caligula, Néron et Domitien, bornaient leurs cruautés dans Rome; celui-ci allait promener sa fureur dans tout l'univers.

Sévère avait employé les exactions d'un long règne, et les proscriptions de ceux qui avaient suivi le parti de ses concurrens, à amasser des trésors immenses.

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Caracalla, ayant commencé son règne par tuer de sa propre main Géta son frère, employa ses richesses à faire souffrir son crime aux soldats, qui aimaient Géta, et disaient qu'ils avaient fait serment aux deux enfans de Sévère, et non pas à un seul.

Ces trésors amassés par des princes n'ont presque jamais que des effets funestes : ils corrompent le successeur, qui en est ébloui; et, s'ils ne gâtent pas son cœur, ils gâtent son esprit. Il forme d'abord de grandes entreprises avec une puissance qui est d'accident, qui ne peut pas durer, qui n'est pas naturelle, et qui est plutôt enflée qu'agrandie.

Caracalla augmenta la paie des soldats; Macrin écrivit au sénat que cette augmentation allait à soixante et dix millions (1) de drachmes (2). Il y a apparence que ce prince enflait les choses; et, si l'on compare la dépense de la paie de nos soldats d'aujourd'hui avec le reste des dépenses publiques, et qu'on suive la même proportion pour les Romains, on verra que cette somme eût été énorme.

Il faut chercher quelle était la paie du soldat romain. Nous apprenons d'Orose que Domitien augmenta d'un quart la paie établie (3). Il paraît, par le discours d'un soldat dans Tacite (4), qu'à la mort d'Auguste, elle était de dix onces de cuivre. On trouve dans Suétone (5) que César avait doublé la paie de son temps. Pline (6) dit qu'à la seconde guerre punique on l'avait diminuée d'un cinquième. Elle fut donc d'environ six onces de cuivre dans la première guerre punique (7), de cinq onces dans (1) Sept mille myriades. (Dion, in Macrin.) (2) La drachme attique était le denier romain, la huitième partie de l'once, et la soixante-quatrième partie de notre marc. (3) Il l'augmenta en raison de soixante et quinze à cent. (4) Annales, liv. I, chap. xvII. — · (5) Vie de César — (6) Histoire naturelle, liv. XXXIII, art. 13. Au lieu de donner dix onces de cuivre pour vingt, on en donna seize. - (7) Un soldat, dans Plaute, in Mostellariú, dit qu'elle était

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la seconde (1), de dix sous César, et de treize et un tiers sous Domitien (2). Je ferai ici quelques réflexions.

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La paie que la république donnait aisément lorsqu'elle n'avait qu'un petit état, que chaque année elle faisait une guerre, que chaque année elle recevait des dépouilles, elle ne put la donner sans s'endetter dans la première guerre punique, qu'elle étendit ses bras hors de l'Italie, qu'elle eut à soutenir une guerre longue et à entretenir de grandes armées.

Dans la seconde guerre punique, la paie fut réduite à cinq onces de cuivre; et cette diminution put se faire sans danger dans un temps où la plupart des citoyens rougirent d'accepter la solde même, et voulurent servir à leurs dépens.

Les trésors de Persée, et ceux de tant d'autres rois, que l'on porta continuellement à Rome, y firent cesser les tributs (3). Dans l'opulence publique et particulière, on eut la sagesse de ne point augmenter la paie de cinq onces de cuivre.

Quoique sur cette paie on fit une déduction pour le blé, les habits et les armes, elle fut suffisante, parce qu'on n'enrôlait que les citoyens qui avaient un patrimoine.

Marius ayant enrôlé des gens qui n'avaient rien, et son exemple ayant été suivi, César fut obligé d'augmenter la paie.

Cette augmentation ayant été continuée après la mort de César, on fut contraint, sous le consulat de Hirtius et de Pansa, de rétablir les tributs.

La faiblesse de Domitien lui ayant fait augmenter cette paie d'un quart, il fit une grande plaie à l'état, dont le malheur n'est pas que le luxe y règne, mais qu'il règne dans des conditions qui, par la nature des choses, ne doivent avoir que le nécessaire physique. Enfin, Caracalla ayant fait une nouvelle augmentation, l'empire fut mis dans cet état, que, ne pouvant subsister sans les soldats, il ne pouvait subsister avec eux.

Caracalla, pour diminuer l'horreur du meurtre de son frère, le mit au rang des dieux ; et, ce qu'il y a de singulier, c'est que cela lui fut exactement rendu par Macrin, qui, après l'avoir fait poignarder, voulant apaiser les soldats prétoriens, désespérés de la mort de ce prince qui leur avait tant donné, lui fit bâtir un temple et y établit des prêtres flamines en son honneur. Cela fit que sa mémoire ne fut pas flétrie, et que, le sénat de trois as; ce qui ne peut être entendu que des as de dix onces. Mais, si la paie était exactement de six as dans la première guerre punique, elle ne diminua pas, dans la seconde, d'un cinquième, mais d'un sixième ; et on négligea la fraction. (1) Polybe, qui l'évalue en monnaie grecque, ne diffère que d'une fraction. - (2) Voyez Orose et Suétone, in Domit. Ils disent la même chose sous différentes expressions. J'ai fait ces réductions en onces de cuivre, afin que, pour m'entendre, on n'eût pas besoin de la connaissance des monnaies romaines. - (3) Cicéron, des Offices, liv. II.

mis au rang

n'osant pas le juger, il ne fut pas des tyrans, comme Commode, qui ne le méritait pas plus que lui (1).

De deux grands empereurs, Adrien et Sévère (2), l'un établit la discipline militaire, et l'autre la relâcha. Les effets répondirent très-bien aux causes : les règnes qui suivirent celui d'Adrien furent heureux et tranquilles; après Sévère, on vit régner. toutes les horreurs.

Les profusions de Caracalla envers les soldats avaient été immenses; et il avait très-bien suivi le conseil que son père lui avait donné en mourant, d'enrichir les gens de guerre, et de ne s'em

barrasser pas des autres.

Mais cette politique n'était guère bonne que pour un règne; car le successeur, ne pouvant plus faire les mêmes dépenses, était d'abord massacré par l'armée de façon qu'on voyait toujours les empereurs sages mis à mort par les soldats, et les méchans par des conspirations ou des arrêts du sénat.

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Quand un tyran qui se livrait aux gens de guerre avait laissé les citoyens exposés à leurs violences et à leurs rapines, cela ne pouvait non plus durer qu'un règne; car les soldats, à force de détruire, allaient jusqu'à s'ôter à eux-mêmes leur solde. II fallait donc songer à rétablir la discipline militaire; entreprise qui coûtait toujours la vie à celui qui osait la tenter.

Quand Caracalla eut été tué par les embûches de Macrin, les soldats, désespérés d'avoir perdu un prince qui donnait sans mesure, élurent Héliogabale (3); et quand ce dernier, qui, n'étant occupé que de ses sales voluptés, les laissait vivre à leur fantaisie, ne put plus être souffert, ils le massacrèrent. Ils tuèrent de même Alexandre, qui voulait rétablir la discipline, et parlait de les punir (4).

Ainsi un tyran qui ne s'assurait point la vie, mais le pouvoir de faire des crimes, périssait avec ce funeste avantage, que celui qui voudrait faire mieux périrait après lui.

Après Alexandre, on élut Maximin, qui fut le premier empereur d'une origine barbare. Sa taille gigantesque et la force de son corps l'avaient fait connaître.

Il fut tué avec son fils par ses soldats. Les deux premiers Gordiens périrent en Afrique. Maxime, Balbin, et le troisième Gordien, furent massacrés. Philippe, qui avait fait tuer le jeune Gordien, fut tué lui-même avec son fils; et Dèce, qui fut élu en sa place, périt à son tour par la trahison de Gallus (5).

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(1) AElius Lampridius, in Vitá Alex. Severi. (2) Voyez. l'Abrégé de Xyphilin, Vie d'Adrien ; et Hérodien, Vie de Sévère. (3) Dans ce temps-là, tout le monde se croyait bon pour parvenir à l'empire. (Voyez Dion, liv. LXXIX. (4) Voyez Lampridius. (5) Casaubon remarque, sur l'histoire

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