DU SIXIÈME LIVRE DE L'ÉNÉIDE. ENEE aborde à Cumes, ville d'Italie sur la côte de Campanie. Il y consulte la Sibylle, qui le conduit dans les Enfers. Il voit les différens états et les divers séjours des ames après la mort. Il trouve Anchise son père dans les Champs Elysées, et contemple avec lui toute la suite de ses descendans, dont les ombres viennent successivement s'offrir à ses yeux sur les bords du fleuve Léthé. Celle de ces ombres qui le frappe davantage, est le jeune Marcellus dont l'horoscope touchant termine le récit d'Anchise; après quoi il fait sortir son fils des Enfers par la porte d'ivoire. Ce livre peut étre regardé comme le plus intéressant de l'Enéide, par l'érudition immense qu'il contient, par la morale excellente dont il est rempli, par la variété infinie des tableaux, par la richesse de la poésie et la beauté de la versification. La doctrine des anciens philosophes sur la nature de l'ame y est exposée avec autant de netteté que de magnificence. On y voit le dogme de l'immortalité, des peines et des récompenses d'une autre vie, quoique défiguré par les fables et les réveries du pa ganisme. LIBER SEXTUS. Sic fatur lacrymans, classique immittit habenas, Obvertunt pelago proras: tum dente tenaci 5 Prætexunt puppes: juvenum manus emicat ardens Abstrusa in venis silicis ; pars densa ferarum, At pius Æneas arces quibus altus Apollo Jam subeunt Trivia lucos, atque aurea tecta. 15 Præpetibus pennis ausus se credere cœlo, Redditus his primùm terris, tibi, Phoebe, sacravit LIVRE SIXIÈME. EN N parlant ainsi les larmes aux yeux (1), il fait voler sa flotte sur les ondes, et aborde enfin dans la rade de Cumes, ville fondée autrefois par des Eubéens. On tourne les proues vers la mer; l'ancre pesante fixe les vaisseaux, et les poupes bordent le rivage. L'ardente jeunesse s'élance avec transport sur cette terre, cette Italie si désirée! Leg uns cherchent les semences de feu cachées dans les veines d'un caillou ; ceux-ci vont abattre les forêts, sombres repaires des bêtes féroces; ceuxlà montrent à leurs compagnons les ruisseaux qu'ils ont trouvés. Enée de son côté dirige ses pas vers le mont où Apollon réside, et vers l'antre écarté, demeure sombre et profonde de la Sibylle, prêtresse vénérable, à qui le Dieu de Délos inspire un enthousiasme divin, et révèle les secrets de l'avenir. Déjà ils entrent dans le bois sacré d'Hécate (2) ; déjà ils approchent d'un édifice tout éclatant d'or. Dédale, si l'on en croit la Renommée, fuyant les lieux où régnoit Minos, osa s'élever dans les airs sur des ailes rapides; et dirigeant sa course par ces routes hardies, vers les froides contrées de l'Ourse, il suspendit enfin son vol au-dessus de la citadelle Chalcidienne (5). Ce fut là que, rendu pour la première fois à la terre, il te consacra, ó Phébus, ses ailes merveilleuses (4), et bâtit en ton honneur un temple magnifique. Sur la porte, il avoit représenté la mort d'Androgée, et les descendans de Cécrops, en punition de ce crime, forcés d'envoyer chaque année, funeste tribut! sept de leurs enfans. On voit l'urme fatale d'où l'on a tiré leurs noms. Vis-à-vis s'élève au-dessus. des eaux l'île de Crète : là sont les horribles amours de Pasiphaé, sa passion pour un taureau; et le Minotaure, fruit monstrueux de cette ardeur exécrable. Là est aussi cet édifice merveilleux, où l'on s'égare sans espoir de retour. Mais enfin, touché de compassion pour une princesse trop sensible (5), Dédale avoit découvert lui-même tous les détours de ce dangereux palais, en guidant avec un fil les pas incertains de son amant. Et toi, malheureux Icare, quelle place ne tiendrois-tu pas aussi dans ces chefs-d'œuvre, si la douleur de ton père l'eût permis ! Deux fois il essaya de représenter sur l'or ta chute déplorable; deux fois le burin tomba de ses mains paternelles (6). Les Troyens auroient parcouru des yeux le reste de ces merveilles, si Achate qu'Enée avoit envoyé devant lui, ne fût revenu alors, et avec lui la prêtresse d'Apollon et de Diane, Déiphobé, fille de Glaucus. «Il n'est point temps, dit-elle au prince (7) » Troyen, de promener vos regards sur ces ob>> jets, hâtez-vous plutôt d'immoler sept jeunes (8) » taureaux et sept brebis choisies. »> Elle dit. On s'empresse d'égorger les victimes ordonnées (9). Alors la prêtresse appelle les Troyens au temple. C'étoit un antre immense, creusé dans le flanc de la montagne Eubéenne. |