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DE

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J DELILLE,

AVEC LES NOTES

DE MM. PARSEVAL-GRANDMAISON, DE FÉLETZ,

DE CHOISEUL-GOUFFIER,

IME-MARTIN, DESCURET, ETC.


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CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, LIBRAIRES,

IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE,

RUE JACOB, 36.

M DCCC LXV.

NOTICE

BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE

SUR J. DELILLE,

PAR MADAME WOILLEZ.

JACQUES DELILLE, dont le talent enchanteur a répandu tant d'éclat sur la poésie française, fut privé, dès son berceau, de toutes les douceurs que l'heureuse enfance trouve d'ordinaire dans les affections de famille. Il naquit dans la Limagne, le 22 juin 1738, à AiguePerse, près de Clermont, de Marie-Hiéronyme Bérard, qui appartenoit à la famille de l'illustre chancelier de l'Hospital, et fut reconnu sur les fonts baptismaux par M. Montanier, avocat au parlement, qui mourut peu de temps après, lui laissant pour tout héritage une pension viagère de cent écus.

Ce fut avec ce modique secours qu'il vint à Paris, commencer ses études au collège de Lisieux, où, bientôt, son excellent caractère, son application, et surtout ses progrès, lui gagnèrent l'amitié des professeurs, qui se plurent à seconder ses heureuses dispositions. Encouragé par des succès, qui déja présa- | geoient ceux qu'il devoit obtenir un jour dans la littérature, le jeune élève sentit peut-être moins l'isolement auquel le réduisoit le malheur de sa naissance, et puisa dans cet isolement même le courage nécessaire pour se créer une existence indépendante des caprices de la fortune et des secours de la parenté.

Forcé de se livrer d'abord à l'instruction publique, il eut à vaincre, à son entrée dans la carrière, tous les dégoûts attachés à l'emploi de maître élémentaire au collége de Beauvais; et celui qui devoit un jour enrichir notre langue poétique, dit un de ses panégyristes, se vit réduit à donner à des enfants des leçons de syntaxe latine.

Cependant, la destruction de l'ordre des jésuites ayant laissé le collège d'Amiens à la disposition de l'autorité séculière, Delille y fut appelé en qualité de professeur d'humanités et paassa ensuite à la chaire de troisième au collège de la Marche, à Paris. Ce fut pendant qu'il remplissoit ces diverses fonctions, qu'il travailla à son immortelle traduction des Géorgiques et à celle de l'Essai sur l'Homme de Pope, qui ne parut que plusieurs années après sa mort.

Jusqu'alors Delille n'étoit connu, comme poëte, que par quelques pièces fugitives, qui s'oublient aussi vite que la circonstance qui les fait naître. On distingua cependant, dans son Épître adressée à M. Laurent, à l'occasion d'un bras artificiel que cet habile mécanicien avoit fait pour un soldat invalide, une merveilleuse aptitude à rendre, avec autant de fidélité que d'élégance, les procédés des arts mécaniques dans une langue accusée longtemps d'être à-la-fois pauvre et dédaigneuse. Plusieurs fragments des Géorgiques, qui se répandirent vers cette époque dans le monde littéraire, donnèrent enfin la mesure du talent du jeune poëte.

Louis Racine, qu'il avoit consulté dès le commencement de son travail, avoit d'abord blamé l'audace d'un tel projet. « La traduction des Géorgiques! s'étoit-il écrié d'un ton sévère, c'est la plus téméraire des entreprises! Mon ami Le Franc l'a tentée, et je lui ai prédit qu'il échoueroit. »> Ayant consenti néanmoins à entendre la lecture que le jeune homme lui proposoit, non-seulement il avoit cessé de con

a

danner son projet, mais il l'avoit fortement engagé à le poursuivre. Encouragé par un tel suffrage, Delille poursuivit en effet, et l'événement prouva que Louis Racine avoit bien jugé du travail des deux rivaux; mais il ne vécut pas assez pour voir accomplir sa double prédiction: il étoit mort depuis six ans lorsque Delille publia sa traduction à la fin de 1769.

Cette traduction,vraiment originale, suivant l'expression de Frédéric II, fut accueillie par un concert d'applaudissements, et fonda tout d'un coup la réputation du poëte; mais au milieu de l'admiration générale que devoient naturellement exciter un si beau talent et tant de difficultés vaincues, un critique sévère, Clément de Dijon, qui bientôt devoit attaVoltaire lui-même, voulut obscurcir la quer gloire du traducteur en recherchant minutieusement ses fautes. «Il apporta dans ses Observations critiques, dit M. Amar, savant éditeur et biographe de Delille, tout l'enthousiasme d'un admirateur passionné de Virgile, et la sévérité pédantesque, la minutieuse diligence d'un professeur qui, du haut de sa chaire, et la férule en main, corrige le devoir d'un écolier. Toujours sûr d'avoir raison quand il rapproche deux langues entre lesquelles il y a l'immensité; quand il compare non pas un morceau d'une certaine étendue au morceau qui lui répond dans la traduction, mais quand il oppose le vers au vers, quelquefois même l'hémistiche à l'hémistiche, il abuse de ses forces et de ses avantages pour accabler le traducteur, vaincu d'avance par la supériorité de son modèle. Il eût été plus juste, plus digne d'une critique impartiale, de lui savoir gré de ses efforts, si souvent heureux; de cette élégance continue, de cet emploi d'une foule de termes, exclus jusqu'alors de la langue des poëtes, et surpris de s'y voir accueillis avec honneur; de ne rechercher enfin dans cette traduction qu'un beau poëme français sur le même sujet qui avoit inspiré à Virgile un si beau poëme latin. Le comble de l'art et le prodige du talent, dans le traducteur, étoit d'avoir fait lire et aimer Virgile de ceux mêmes qui connoissoient à peine de nom son chef-d'œuvre des Géorgiques, et d'avoir placé sur la toilette et entre les mains des femmes, celui peut-être de tous les ouvrages anciens qui devoit, par la nature

de son sujet, prétendre le moins à cet honneur. Voilà ce qu'il convenoit de faire, et ce que n'a point fait Clément. Sa critique cependant ne fut point inutile à Delille: il fit habilement son profit de ce qu'il y trouva de bon; et il en est résulté de nombreuses corrections de détails, et des améliorations sensibles dans l'ensemble de l'ouvrage. »

Les Observations de Clément, auxquelles se joignirent bientôt une infinité d'autres critiques, la plupart dictées par l'envie, ne purent arrêter le succès d'un ouvrage destiné à être l'un des plus beaux monuments de notre littérature. Voltaire, qui en jugeoit ainsi, rendit un hommage public au talent du traducteur, avec lequel il n'avoit eu jusqu'alors aucune relation, en écrivant à l'Académie, le 4 mars 1772: « Rempli de la lecture des Géorgiques de M. Delille, je sens tout le prix de la difficulté si heureusement surmontée, et je pense qu'on ne pouvoit faire plus d'honneur à Virgile et à la nation. Le poëme des Saisons et la traduction des Géorgiques me paroissent les deux meilleurs poëmes qui arent honoré la France, après l'Art poétique. Le petit serpent de Dijon (Clément) s'est cassé les dents à force de mordre les deux meilleures limes que nous ayons. Je pense, messieurs, qu'il est digne de vous de récompenser les talents en les faisant triompher de l'envie. M. Delille ne sait point quelle liberté je prends avec vous; je désire même qu'il l'ignore. »

Delille fut en effet élu, peu de temps après, membre de l'Académie française; mais le maréchal de Richelieu qui, grace à son rang, avoit été admis dans cette société illustre à l'âge de 24 ans, bien qu'à cette époque il n'eût encore écrit que des lettres galantes, ne craignit point de faire observer au monarque, sur lequel il avoit un entier ascendant, que le poëte étoit trop jeune (quoiqu'il eût alors 34 ans), pour prétendre à un honneur que Voltaire n'avoit obtenu qu'à l'âge de 55 ans.

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