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monsieur le Comte, qu'une pareille insinuation n'est pas faite pour donner une grande idée du succès de cette médiation: aussi paroît-il que le ministère russe lui-même n'y compte guères; et d'ailleurs comment se figurer que la Hollande abandonne le système de la liberté des mers, pour le soutien duquel elle a jugé convenable d'entrer solennellement dans la confédération des neutres, et que cet abandon se fasse sous la médiation de la Souveraine même qui s'est rendue le chef de cette association, et qui a entrepris d'ériger ce système en loi universelle? La Hollande pourroitelle le proposer à la cour de Pétersbourg sans craindre de manquer à l'Impératrice, et Sa Majesté pourroit-elle le proposer à la Hollande sans craindre de mettre sa conduite en contradiction ouverte avec ses principes? Cependant, malgré le peu d'apparence de succès, malgré l'espèce de dépit que doit causer aux cours de Vienne, de Stockholm et de Copenhague l'exclusion que leur donne l'Angleterre dans une circonstance aussi intéressante, l'Impératrice paroît avoir saisi avec chaleur ces ouvertures de la cour de Londres, et Sa Majesté Impériale a fait remettre, en conséquence, à M. l'ambassadeur de Hollande des insinuations verbales, dont j'ai l'honneur de joindre ici une copie. Cette conduite peut paroître difficile à concilier avec les lumières de l'Impératrice, qui, sans doute, ne s'en impose pas sur le peu de fond qu'elle doit faire sur la bonne foi de l'Angleterre en cette occasion; mais nous croyons ici que cette princesse, embarrassée des engagements qu'elle a pris avec les États-Généraux par leur accession à la neutralité armée, saisira toujours avec empres sement tout ce qui pourra lui donner, à leur égard, le caractère de médiatrice, et prolongera, autant qu'il sera possible, un rôle qui la dispense de prendre en

leur faveur des mesures vigoureuses stipulées dans la convention, et pour lesquelles il paroît dans le fond qu'elle ne se sent aucune disposition.

Quoi qu'il en soit, vous verrez, monsieur le Comte, par la manière dont cette princesse s'exprime sur le lieu du congrès, que, sans nommer Pétersbourg, elle indique cette ville comme celle qui lui seroit le plus agréable. Cette circonstance peut paroître indifférente dans une négociation dont on n'espère aucun succès; mais la médiation de l'Impératrice, inutile aujourd'hui, peut, par la suite, se reprendre dans des circonstances plus favorables, et il seroit fâcheux que le lieu du congrès fût fixé d'avance, si ce lieu se trouvoit entièrement désavantageux à la Hollande. Or, c'est une chose sur laquelle nous n'avons ici aucun doute. M. l'ambassadeur de Hollande, parfaitement honnête d'ailleurs et très bon patriote, mais haut, vif, peut-être même un peu emporté, et ne s'accordant pas toujours avec M. le comte d'Osterman, ne se battroit point à armes égales contre M. Harris, plein de feu et d'activité, mais souple, adroit, insinuant, fertile en intrigues et en expédiens, parfaitement au fait de la carte du pays, qui s'est acquis des droits sur la plupart de ceux qui doivent avoir quelque influence dans une affaire de cette nature, et qui a beaucoup regagné de faveur depuis la disgrâce de M. le comte Panin. C'est une vérité si bien reconnue ici, que c'est dans ce sens que M. Swart doit en écrire aujourd'hui à Leurs Majestés, malgré l'intérêt particulier qu'il auroit à ce que le lieu du congrès restât fixé à Pétersbourg. Je crois, par la même raison, devoir faire part à M. le duc de La Vauguyon de ma façon de penser sur cet objet. C'est à vous, monsieur le Comte,

à lui donner sur cela les ordres que vous jugerez convenables.

L'Impératrice vient de nommer M. Marcoff son ministre plénipotentiaire à La Haye, où il sera adjoint au prince Gallitzin. Tout ce que je puis avoir l'honneur de vous dire, monsieur le Comte, c'est que si on eût demandé l'avis de M. Harris, il n'auroit pas fait un autre choix. M. Marcoff, d'abord secrétaire de légation en Espagne, eut à Madrid une conduite qui obligea M. de Stackelberg à le renvoyer en Russie. A la suite de cette disgrâce, il fut employé dans une affaire subalterne, qui demandoit beaucoup de dissimulation, d'intrigue et de fausseté. Il y réussit à merveille : ce qui le remit un peu en crédit. Il fut depuis placé au college des affaires étrangères, où il est resté jusqu'à pré sent, connu publiquement comme l'espion de M. Harris et de M. le comte de Cobenzl. Il est parent de ce M. ....., dont j'ai eu l'honneur de vous parler dans ma dépêche du 24 avril, n° 15; et c'est sans doute à cette circonstance qu'il doit sa nomination, sur laquelle je n'oublie pas de prévenir M. le duc de La Vauguyon, en lui mandant combien il doit se méfier de ce personnage.

...

L'accession de l'Empereur à la neutralité armée a été signée mardi, 30 du mois dernier. M. le comte de Cobenzl, en m'en donnant avis, a cru inutile de me donner une copie de cet acte, persuadé que vous le recevriez plus tôt par la cour de Vienne, attendu qu'il a expédié son courrier le jour même de la signature. Je ne doute donc pas, monsieur le Comte, que vous n'en ayez déjà une parfaite connoissance au moment même où cette lettre vous parviendra.

J'ai l'honneur d'ètre, etc.

15.

DU MÊME AU MÊME.

Saint-Pétersbourg, le 16 novembre 1781.

MONSIEUR LE COMTE, j'ai reçu la lettre n° 27, que vous m'aviez fait l'honneur de m'écrire le 18 du mois dernier; elle contient quelques points sur lesquels je crois nécessaire de revenir pour vous mettre autant qu'il m'est possible, monsieur le Comte, au courant de l'état actuel des choses en cette cour.

Je dois d'abord vous désabuser de l'espérance que vous paroissez conserver de voir M. le comte Panin reprendre quelque influence dans les affaires, s'il persiste dans la résolution de rester auprès de sa souveraine. Il pourroit y avoir quelque espoir de réconciliation si la disgrâce de ce ministre avoit été seulement l'ouvrage de l'intrigue, ou l'effet d'un moment d'humeur; mais toutes les circonstances nous portent à croire que M. le comte Panin a trouvé son plus grand ennemi dans l'amour-propre de l'Impératrice ellemême. Aussitôt que cette princesse s'est crue capable de régler elle-même, et sans les avis de personne, les grandes affaires de la politique extérieure, ce ministre n'a plus été pour elle qu'un objet de jalousie; elle n'a plus aperçu en lui qu'un homme qui pouvoit lui dérober, en tout ou en partie, la gloire que pouvoient procurer à la cour de Russie et le système de la neutralité armée et l'espérance de rendre la paix à l'Europe; et elle s'est déterminée sans peine à sacrifier à ce mouvement de vanité offensée un homme que, d'ailleurs, elle n'avoit jamais aimé bien sincèrement. Il est donc très probable que M. le comte Panin est le dernier que

l'Impératrice consultera, à moins d'une révolution dont il n'y a pas jusqu'à présent le moindre indice. Ce ministre en paroît lui-même parfaitement convaincu: il a renvoyé toute sa chancellerie, et s'il s'obstine à rester à Pétersbourg, c'est bien moins par un reste d'espérance de reprendre le timon des affaires, que par une espèce de dépit, et pour que l'Impératrice ait, dit-il, perpétuellement sous les yeux un monument de son ingratitude. Au surplus, il a changé entièrement son genre de vie, et la crainte de causer le moindre ombrage et de donner la moindre prise contre lui l'a déterminé à se borner à la société des Russes, et à ne recevoir les ministres étrangers qu'avec beaucoup de réserve.

Depuis la retraite de ce ministre, il faut convenir que la cour de Pétersbourg semble ne plus avoir de plan fixe, mais se laisser entraîner par les événements, et aller, pour ainsi dire, au jour le jour. C'est ce qui a paru surtout lorsque l'Impératrice a accepté la médiation particulière entre l'Angleterre et la Hollande, démarche qui a mécontenté les cours du Nord, et surtout celle de Vienne : car vous n'ignorez sûrement pas, monsieur le Comte, que dans ce moment-là même, l'Empereur alloit se compromettre d'une manière assez désagréable, en proposant à la cour de Londres et aux États-Généraux de soumettre leur querelle à la médiation générale, lorsque le courrier de M. le comte Cobenzl est arrivé assez à temps pour empêcher qu'on expédiât celui qu'on destinoit à cet effet pour Londres et La Haye. Vous voyez d'un autre côté comment vont les affaires de la neutralité armée : l'Impératrice ne paroît plus y jouer que le second rôle, et les Anglois en sont au point de respecter infiniment plus le pavillon prussien que celui de l'Impératrice. Ce sera

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