ページの画像
PDF
ePub

naissance et d'amour pour Didon, se prépare à obéir. Durant son sommeil, qu'on a peine à concevoir dans une pareille circonstance, et qu'on a justement reproché à Virgile, Mercure lui apparaît une seconde fois, et lui répète les ordres qu'il lui a déjà donnés. On voit clairement que Virgile n'a imaginé cette seconde apparition du messager des dieux, que pour mieux motiver le départ d'Enée. Et, en effet, c'en devrait être assez, aux yeux des lecteurs judicieux, pour justifier le héros de l'Énéide, si injustement accusé d'ingratitude envers Didon, par ceux qui oublient que le premier trait de son caractère est le respect pour la divinité, que d'ailleurs l'invariable destin, plus fort que tous les dieux ensemble, l'appelle en Italie, et que cette arrivée est le but principal du poëme. Enfin Énée part. Didon se dévoue à la mort; et cette mort elle-même a son merveilleux : la même déesse qui a conduit Énée et Didon dans la grotte où s'est consommé leur hymen, envoie sa messagère couper le cheveu fatal. Ainsi, ce livre renferme les sentiments les plus pathétiques du cœur, l'amour, les regrets, les remords, la vengeance; d'un autre côté, ce que la fiction peut produire de plus ingénieux. Qu'on ajoute à cela cette foule innombrable d'images vives, de descriptions brillantes, faites pour animer et enrichir l'épopée, et on concevra comment, par son étonnante perfection, ce livre a dû en quelque sorte calomnier tous ceux qui le suivent. Quelques critiques ont avancé que le fonds en étant épisodique, ainsi que celui du suivant, où Virgile décrit les jeux célèbres sur le tombeau d'Anchise, il retardait l'action: mais s'il est vrai, comme on n'en peut douter, que l'épopée, comme la tragédie, vive d'obstacles à vaincre et de difficultés à surmonter, et que l'intérêt de l'action profite également de ce qui l'avance et de ce qui la retarde, quoi de plus ingénieusement imaginé, que de faire retenir" Énée à Carthage, par une reine aimable, par les

douceurs du repos et d'un asyle dont la tranquillité 'succède à tant d'orages?

Passons maintenant aux détails du style, et à Pad mirable talent de l'exécution.

1) PAGE 6, VERS 1.

At regina, gravi jam dudum saucia curâ,
Vulnus alit venis, etc.

L'idée d'une blessure est celle que les poètes ont le plus souvent employée pour peindre les impressions de l'amour; mais il serait impossible de dire dans notre langue, comme Virgile l'a fait dans la sienne, qu'une personne amoureuse nourrit sa blessure. Racine seul a été aussi hardi et beaucoup plus exact, lorsqu'il a fait dire à Phèdre (act. Ier., sc. 3): Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.

2) PAGE 6, VERS 2.

Et cæco carpitur igni.

Des feux aveugles veulent dire ici des feux cachés. Cette expression remarquable est répétée dans le même sens dans un autre endroit de ce livre, pour peindre le feu de la foudre caché dans les nuages: Cacique in nubibus ignes. Au reste, notre langue a aussi dans ce genre quelques hardiesses; et, si Virgile dit des feux aveugles, nous disons un bruit sourd, de sourdes menées.

3) PAGE 6, VERS 3.

Multa viri virtus animo, multusque recursat
Gentis honos: hærent infixi pectore vultus,
Verbaque, etc.

On voit d'abord réuni tout ce qui donne du relict à un héros, ses qualités personnelles, et l'éclat que réfléchit sur lui le mérite de ses aïeux. Le peu de mots qui suit présente toutes les autres qualités qui ont dû contribuer à séduire Didon: la beauté d'Enée, et le charme de ses discours. La mémoire d'une

amante retient non seulement les traits et les exploits de celui qu'elle aime, mais jusqu'aux moindres sons qui ont frappé son oreille.

4) FAGE 6, VERS 5.

Nee placidam membris dat cura quietem.

Racine a ainsi imité ce vers d'une manière supérieure à son modèle:

Son chagrin inquiet l'arrache de son lit.

(Phèdre, act. I, sc. 2.)

5) PAGE 6, VERS 7.

Humentemque Aurora polo dimoverat umbram, etc. '

Ce vers,

d'une harmonie si douce, contraste heueusement avec la peinture des mouvements violents dont Didon est agitée :

Anna soror, quæ me suspensam insomnia terrent!

Quis novus hic nostris successit sedibus hospes!

Quein sese ore ferens! quain forti pectore, et armis! etc.

Depuis que M. Le Franc a substitué avec raison e nom d'Élise à celui d'Anne, un peu vulgaire dans notre langue, tous les traducteurs de ce quatrième livre ont suivi cet exemple. On voit déjà dans ces vers l'impression profonde qu'Enée a produite sur le coeur de Didon; l'aveu qu'elle en fait rend cette passion intéressante. Elle sent combien cet amour peut la degrader, et elle n'ose d'abord le faire connaître qu'à sa sœur, confidente de ses sentiments les plus secrets. Elle est frappée de la beauté des traits du héros; mais elle l'est surtout de ses vertus, de son courage, de ses malheurs Elle-même veut ennoblir sa passion à ses propres yeux; elle ne doute point qu'Enée ne soit sorti d'une race divine. Il paraît que, chez les anciens, comme parmi nous, comme dans les temps les plus héroïques de notre chevalerie, la valeur était auprès des femmes un des premiers moyens de séduction.

PAGB 6, VERS 13.

Degeneres animos timor arguit.

Pour être plus littéral, il eût fallu traduire ainsi, Un cœur lâche décèle une basse origine;

mais cette idée est renfermée dans celle que j'ai préférée, et semble se lier plus naturellement à la suite du discours.

7) PAGE 6, VERS 16.

Si mihi non animo fixum immotumque sederet, etc.

Virgile jette ici les premiers germes de l'intérêt dramatique, en présentant Didon comme invinciblement attachée à la mémoire de Sichée, son premier époux, et fermement résolue de ne point lui donner de successeur. Nous observerons que c'est le même sentiment qui donne tant d'intérêt au rôle d'Andromaque.

8 PAGE 6, VERS 22.

Solus hic inflexit sensus, animumque labantem
Impulit.

Cette marche de la passion de Didon, exprimé par elle-même, est pleine de pudeur 'et de convenance. Enée seul, depuis la mort de Sichée, ébranlé sa fidélité. Ce peu de mots fait prévoir sa faiblessse.

9) PAGE 6, VERS 23.

Agnosco veteris vestigia flammæ.

a

Ce trait est d'une extrême finesse. Dans sa passion pour Énée, Didon retrouve les traces de son amour pour Sichées et l'on voit qu'elle ne s'éloigne que par degré de ce premier sentiment. Racine a profité de ce vers, lorsqu'il a fait dire à Oreste (Andromaque, act. Ier., sc. I):

De mes feux mal éteints je reconnus la trace,

10) PAGE 8, VERS I.

Sed mihi vel tellus optem priùs ima dehiscat,

Vel I pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras, etc. L'expression de ce serment est d'une grande harmonie. L'apostrophe à la pudeur, en la personnifiant, pour ainsi dire, donne une plus grande idée de la fidélité que Didon lui a vouée.

11) PAGE 8, VERS 5.

Mlle meos, primus qu me sibi junxit, amores
Abstulit: ille habeat secum, servetque sepulcro.

Racine a heureusement imité ces deux vers, en faisant dire à Andromaque (act. III, sc. 4):

Ma flamme par Hector fut jadis allumée :
Avec lui dans la tombe elle reste enfermée.

Peut-être qu'une flamme jadis allumée a moins de naturel, de douceur et d'élégance, que primus qui me sibi junxit, amores abstulit.

12) PAGE 8, VERS 7.

Sic effata, sinum lacrymis implevit obortis, etc.

La beauté de ce vers est fondée sur une grande connaissance du cœur humain. Didon a fait un grand effort pour avouer à sa sœur une passion qu'elle voudrait se dissimuler à elle-même, et son cœur une fois ouvert se soulage par des larmes: c'est la marche de la nature.

En général, tout ce début est plein d'adresse; Vir gile arrive par des gradations insensibles, mais extrêmement naturelles, aux grands éclats de la passion qu'il veut peindre. C'est à travers les souvenirs de son premier amour, la crainte de sa nouvelle passion, le cri des remords, et les reproches qu'elle se fait d'avance de ses serments violés, que Didon en vient à l'abandon total de sa gloire et au sacrifice d'une longue fidélité. Elle est ici d'autant plus intéressante, qu'elle n'imagine pas même qu'elle puisse succomber.

« 前へ次へ »