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» Par les mânes d'Anchise, abrégez ma misère!
» Un peu de terre, hélas ! suffit à ma prière;
»Véline, de mon corps vous rendra les débris:
» Ou, s'il se peut, au nom de la belle Cypris,

>> D'accord avec les dieux, qui vous guident sans doute, » Sur ces fatales eaux favorisez ma route;

» Que je trouve un asile au-delà de ces flots, » Et

que mon ombre au moins obtienne le repos. >> - « Quel téméraire espoir! lui répond la sibylle; » Où t'égare un désir, une attente inutile?

>> De quelle vaine ardeur ton cœur est consumé!

>> Quoi! sans l'ordre des dieux, quoi! sans être inhumé, » Tu crois franchir le Styx et ses ondes sévères? » Le destin ne sait pas entendre les prières; » Cesse de t'en flatter. Écoute toutefois

» De ce même destin la consolante voix :

» Les peuples, redoutant les vengeances célestes, » Par des tributs vengeurs consacreront tes restes; » Et ton nom à jamais illustrera les lieux

» Qui doivent recevoir et ta cendre et leurs vœux. » Ce discours le console, et sa gloire future

Calme un peu

la douleur de sa triste aventure.

Cependant à grands pas s'avance le héros.
Le nocher, qui du Styx fendoit alors les flots,
De loin le voit marcher vers la rive odieuse,
Et traverser du bois l'ombre silencieuse.
A l'aspect du guerrier, de son casque brillant,
Le terrible nocher, de colère bouillant,

Umbrarum hic locus est, somni, noctisque soporæ :
Corpora viva nefas Stygia vectare carinâ.

Nec verò Alciden me sum lætatus euntem
Accepisse lacu, nec Thesea, Pirithoumque,
Dis quamquam geniti atque invicti viribus essent.
Tartareum ille manu custodem in vincla petivit
Ipsius a solio regis, traxitque trementem :
Hi dominam Ditis thalamo deducere adorti.
Quæ contra breviter fata est Amphrysia vates:
Nullæ hic insidiæ tales, absiste moveri ;

Nec vim tela ferunt: licet ingens janitor antro
Æternùm latrans exsangues terreat umbras;
Casta licet patrui servet Proserpina limen.
Troïus Æneas, pietate insignis et armis,
Ad genitorem imas Erebi descendit ad umbras.
Si te nulla movet tantæ pietatis imago,

At ramum hunc ( aperit ramum qui veste latebat )
Agnoscas. Tumida ex irâ tum corda residunt.
Nec plura his. Ille, admirans venerabile donum
Fatalis virgæ, longo pòst tempore visum,
Cæruleam advertit puppim, ripæque propinquat.
Inde alias animas, quæ per juga longa sedebant,

Gourmande le héros, et de loin le menace :

Qui que tu sois, dit-il, que veux-tu ? Quelle audace » Te présente à mes yeux contre l'ordre du sort? » Arrête : c'est ici l'empire de la mort;

» Nul n'y paroît vivant; et de mon indulgence » Je me rappelle trop la triste expérience;

>> Je me rappelle trop ce couple suborneur

>> Qui du lit de mon roi voulut souiller l'honneur.
» D'Alcide ai-je oublié l'audace téméraire,
» Qui sous l'œil de Pluton s'empara de Cerbère,
» L'arracha tout tremblant du palais des enfers,
>> Domta sa triple tête, et le chargea de fers? >>
La prêtresse répond: «< Bannissez vos alarmes,
» Et ne redoutez pas ce guerrier et ses armes :
» Sans en être effrayé, que le gardien des morts
» D'aboîmens éternels épouvante ces bords;

» Que, sans craindre un rival, le roi de ces lieux sombres » Règne sur Proserpine ainsi que sur les ombres. » Fameux par ses vertus, fameux par ses exploits, >> Énée est devant vous; et, respectant vos droits, » A son père, habitant des fortunés bocages, » De l'amour filial il porte les hommages. >> Si tant de piété ne peut vous émouvoir, >> Voyez ce rameau d'or, et sachez son pouvoir. »› Il voit, il reconnoît ce précieux feuillage Que depuis si long-temps n'a vu le noir rivage. Il s'apaise en grondant, s'avance au bord des flots, En écarte la foule, et reçoit le héros.

Deturbat, laxatque foros, simul accipit alveo
Ingentem Ænean. Gemuit sub pondere cymba
Sutilis, et multam accepit rimosa paludem.
Tandem trans fluvium incolumes vatemque virumque
Informi limo glaucâque exponit in ulvâ.
Cerberus hæc ingens latratu regna trifauci (13
Personat, adverso recubans immanis in antro.
Cui vates, horrere videns jam colla colubris,
Melle soporatam et medicatis frugibus offam(14
Objicit ille, fame rabidâ tria guttura pandens,
Corripit objectam, atque immania terga resolvit
Fusus humi, totoque ingens extenditur antro.
Occupat Æneas aditum, custode sepulto,
Evaditque celer ripam irremeabilis undæ.

Continuò auditæ voces, vagitus et ingens,
Infantumque animæ flentes in limine primo
Quos dulcis vitæ exsortes et ab ubere raptos
Abstulit atra dies, et funere mersit acerbo.
Hos juxta falso damnati crimine mortis.

Nec verò hæ sine sorte datæ, sine judice, sedes.
Quæsitor Minos urnam movet : ille silentum
Conciliumque vocat, vitasque et crimina discit.
Proxima deinde tenent moesti loca, qui sibi letum

Trop foible pour le poids, la nacelle fatale

Gémit, éclate, et s'ouvre à la vague infernale.
Enfin sur l'autre rive, au bord fangeux des eaux,
Tous deux posent le pied parmi de noirs roseaux.
Là, ce monstre à trois voix, l'effroyable Cerbère,
Sans cesse veille au fond de son affreux repaire:
Il les voit, il se lève; et déjà courroucés
Tous ses hideux serpens sur son cou sont dressés.
La prêtresse, apaisant sa fureur rugissante,
Lui jette d'un gâteau l'amorce assoupissante.
Le monstre, tressaillant d'un avide transport,
Ouvre un triple gosier, le dévore, et s'endort;
Et dans son antre affreux sa masse répandue
Le remplit tout entier de sa vaste étendue.
Le héros part, le laisse en son hideux séjour,
Et s'éloigne des eaux qu'on passe sans retour.

Tout à coup il entend mille voix gémissantes:
C'étoient d'un peuple enfant les ombres innocentes;
Malheureux, qui, flétris dans leur première fleur,
A peine de la vie ont goûté la douceur,
Et ravis en naissant aux baisers de leurs mères
N'ont qu'entrevu le jour, et fermé leurs paupières :
Il se souvient d'Ascagne, et s'émeut à leurs cris.
Près d'eux sont les mortels injustement proscrits.
Mais l'enfer ne voit point de jugement injuste :
'Minos y tient ouvert son tribunal auguste;
Il tient l'urne terrible en ses fatales mains.
Et juge sans retour tous les pâles humains.

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