les rameaux, les tisons brûlans sont lancés sur les vaisseaux. Abandonné à sa fureur, l'incendie s'étend; il dévore et les bancs, et les rames, et les poupes ornées de peintures. EUMÈLE accourt au tombeau d'Anchise, au cirque des jeux funèbres : il annonce l'embrasement de la flotte; et déjà les Troyens voient s'élever de noirs tourbillons de fumée et de flamme. Ascagne, qui, rayonnant de joie, conduisait encore son escadron, le premier presse son coursier rapide; ses gouverneurs alarmés ne peuvent le retenir : il court vers le camp où tout est en désordre. Quelle fureur étrange! et quel est, dit-il, votre dessein, ô malheureuses citoyennes ! Ce n'est point l'ennemi, ce n'est point la flotte des Grecs, que vous brûlez : ce sont vos espérances! Ouvrez les yeux, regardez : je suis votre Ascagne!» Et il jette à ses pieds le casque désormais inutile, qui couvrait dans les jeux guerriers son jeune front. En même temps, arrive Énée suivi de tous les Troyens. A sa vue, les femmes effrayées fuient et se dispersent le long du rivage, et vont furtivement cacher dans les bois, dans les creux des rochers, la honte qui les presse confuses de leur délire, redoutant la clarté du jour, elles reconnaissent leurs concitoyens, et Junon cesse de régner dans leurs âmes. CEPENDANT l'incendie conserve encore sa fureur indomptée : l'étoupe qui s'embrase exhale une lente fumée; le feu vit dans le bois humide : une vapeur brûlante mine sourdement les carènes, et bientôt tout le corps des Nec vires heroum infusaque flumina prosunt. Jupiter omnipotens, si nondum exosus ad unum Respicit humanos, da flammam evadere classi Ar pater Æneas, casu concussus acerbo, «Nate dea, quo fata trahunt retrahuntque, sequamur. navires est en proie au fléau dévorant. Ni l'activité des guerriers, ni l'eau versée par torrens, ne peuvent arrêter sa furie. Alors, le pieux Énée dépouille ses vêtemens, invoque le secours des dieux, et, les mains tendues vers le ciel : « Jupiter tout-puissant, s'écrie-t-il, si tu n'as pas juré de perdre jusqu'au dernier Troyen, et s'il reste quelque chose de ton antique pitié pour les malheurs des mortels, permets, en ce moment, que mes vaisseaux échappent à la fureur des flammes ! Sauve de leur ruine ces faibles débris d'Ilion: ou, si je l'ai mérité, achève ta vengeance, arme ta main, et qu'à l'instant même je sois écrasé sous tes foudres! » Il achevait à peine, quand de sombres et pluvieuses nuées s'amoncellent : la tempête mugit; les monts et les plaines sont ébranlés des éclats du tonnerre. Poussée par les noirs autans, en noirs torrens la pluie tourbillonne et tombe : elle inonde les navires, pénètre leur charpente à demi brûlée; enfin tous les feux s'éteignent, et, à l'exception de quatre navires qui ont été consumés, tous les autres sont préservés de l'incendie. Énée sent CEPENDANT, abattu par cet affreux revers, mille pensers graves s'agiter en tumulte dans son cœur : oubliant les destins, se fera-t-il dans la Sicile une patrie? ou devra-t-il chercher encore l'Italie à travers les mers? Tandis qu'il est incertain, le vieux Nautès, que Pallas instruisit elle-même et rendit célèbre par un savoir profond de l'avenir, fait connaître au héros ce qu'il devra craindre de la colère des dieux, et ce que, dans leurs décrets immuables, exigent les destins. Il console le chef des Troyens en ces mots : «< Fils de Vénus, suivons, malgré tous les obstacles, les destins où ils nous entraînent. Quoi qu'il arrive, la patience triomphe toujours Quidquid erit, superanda omnis fortuna ferendo est. Est tibi Dardanius divinæ stirpis Acestes : Hunc cape consiliis socium, et conjunge volentem. Huic trade, amissis superant qui navibus, et quos Pertæsum magni incepti rerumque tuarum est; Longævosque senes, ac fessas æquore matres, Et quidquid tecum invalidum metuensque pericli est, Delige, et his habeant terris sine mœnia fessi. Urbem appellabunt permisso nomine Acestam. >> Talibus incensus dictis senioris amici. Tum vero in curas animus diducitur omnes. Er nox atra polum bigis subvecta tenebat. << Nate, mihi vita quondam, dum vita manebat, Imperio Jovis huc venio, qui classibus ignem Infernas accede domos, et Averna per alta de la fortune. Aceste est Troyen comme vous; comme vous il est du sang des dieux. Associez-le à vos nobles projets il désire avec vous une alliance. Confiez à sa bonté ceux de vos compagnons qui ne peuvent trouver place sur votre flotte affaiblie par la perte de quatre vaisseaux. Choisissez ceux que ne tentent point assez votre fortune et vos grands desseins : les vieillards courbés sous le poids de l'âge, les femmes rebutées des fatigues de la mer; enfin tout ce qui languit sans force et sans courage contre les dangers. Qu'ils trouvent sur cette terre amie un asile et du repos. Aceste permettra qu'ils donnent à leur ville son nom. » Le héros se sent ranimé par ce discours d'un vieillard qu'il aime, et se livre à tous les soins dont sa grande âme est occupée. La nuit sur son char épaississait ses ombres dans les airs. Tout à coup, Énée crut voir l'ombre de son père Anchise descendre de la voûte éthérée, et lui adresser ce discours : «Mon fils, toi qui, durant ma vie, me fus plus cher que ma vie, mon fils, que semble encore poursuivre le destin d'Ilion, je viens vers toi par l'ordre de Jupiter, qui, dans le haut Olympe, touché enfin de tes malheurs, a éteint l'incendie de tes vaisseaux. Suis les sages conseils que t'a donnés le vieux Nautès. Borne-toi à transporter en Italie l'élite de tes compagnons, tes plus vaillans guerriers. Tu auras à combattre, dans le Latium, un peuple belliqueux, endurci dans les travaux. Mais, avant, tu pénètreras dans les demeures infernales de Pluton, et tu traverseras, mon fils, les profondeurs de l'Averne, pour jouir de mon entretien : ce n'est point dans l'affreux Tartare, parmi les tristes ombres, qu'est mon séjour tu me trouveras dans l'Élysée, où sont réunis les hommes que rendit recommandables leur piété |