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> parfait, qui allie la bonté avec la fermeté, » l'austérité avec la douceur, la valeur » avec la politique; c'est un prince reli» gieux, dont la valeur n'est point effré» née, qui sait triompher de ses passions, » et vaincre l'amour, pour obéir au ciel, » et pour se rendre digne de sa haute des» tinée. Il est aussi brave que Turnus son » rival, mais d'une autre espèce de bra »voure, puisqu'elle est prudente et réflé> chie, qu'elle n'est ni féroce, ni fougueuse » comme celle de son ennemi. Dire que le » héros de l'Iliade est au-dessus du héros » de l'Énéide, c'est une pensée très-fausse, » puisque le héros de l'Iliade est très-vi» cieux, et qu'au contraire celui de l'É» néide est un prince accompli, de quel» que côté qu'on le considère »

Il est dommage que celui qui a justifié Virgile comme critique, l'ait si souvent maltraité comme traducteur.

d'ail

J'observerai que dans ce passage, leurs très-raisonnable, Desfontaines ne rend pas assez de justice au caractère d'Achille; l'idée seule de l'absence de ce héros, rendant inutiles tous les efforts

de la Grèce, est, parmi les conceptions épiques, l'une des plus sublimes que l'on connoisse: on peut dire que l'action toute entière du poëme est remplie d'Achille absent; les vices même de son caractère lui donnent un nouvel éclat, et de nouveaux moyens au poëte. Il ne suffit pas qu'un caractère soit moral, il faut qu'il -soit poétique, et celui du héros de l'Iliade l'est au plus haut degré. On peut en suivre le développement dans le progrès de l'action de ce poëme : « Achille a juré de ne » sortir de sa tente et de son repos, que » lorsque les Grecs seroient réduits aux » dernières extrémités. Lorsque déjà de > grands dangers les environnent, il refuse > encore de les secourir en personne, mais > il leur envoie son ami Patrocle avec ses » armes divines. A peine les Troyens ont > apperçu l'aigrette d'Achille, qu'ils fuient » épouvantés. » Idée vraiment grande et digne d'Homère. « Patrocle périt dans le » combat; alors Achille, transporté de fu» reur, et brûlant de toute la rage de l'a» mitié désespérée, oublie l'injure d'Aga»memnon, quitte sa tente, et court le

≫venger. » Toute cette marche est admirable, parce qu'elle met en contraste de grands défauts et de grandes qualités. J'ai essayé dans un de mes ouvrages, de rendre tout ce que le caractère d'Achille a de plus frappant sous ce rapport vraiment poétique:

J'admire le sang froid du sage Idoménée,
Et le prudent Ulysse, et le pieux Énée

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Mais qu'on me montre Achille, Achille, ame de feu,
Dont la rage est d'un tigre, et les vertus d'un dieu ;
D'amitié, de fureur, héroïque assemblage,
Sentant profondément le bienfait et l'outrage;
Tonnant dans les combats; ou, la lyre à la main,
Seul, au bord de la mer, consolant son chagrin;
Pour appaiser Patrocle, en sa demeure sombre,
Tourmentant un cadavre, et punissant une ombre;
Et, quand Priam d'Hector vient chercher les debris,
Respectant un vieux père, et lui rendant son fils:
Ce grand tableau m'étonne, et mon ame tremblante
Frémit tout à la fois de joie et d'épouvante.

Par le même artifice, lorsque cet homme implacable reçoit les ambassadeurs grecs envoyés pour le fléchir, Homère suppose qu'il traite peu favorablement Ulysse et Ajax, mais qu'il accorde l'hospitalité la plus affectueuse à son gouverneur Phénix.

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Tous ces contrastes concourent merveilleusement à faire ressortir l'admirablecomposition du caractère d'Achille. Je n'en suis moins d'un avis différent de ceux pas qui admirent aveuglément tous les défauts de ce personnage. Homère n'a pas le droit de nous faire aimer la peinture d'une nature dégradée : le beau idéal est le premier modèle de tous les artistes et de tous les poëtes.

Pour revenir au caractère d'Énée, on a supposé, dans l'intention de le déprécier, qu'il ne se présente que comme un fugitif qui vient injustement usurper le trône, et traverser les amours de Turnus et de Lavinie; mais Virgile a eu soin de fonder ses droits à l'empire, sur la volonté des dieux, manifestée par les oracles, et même sur la consanguinité. Quant aux amours de Turnus et de Lavinie, il n'en est pas dit un seul mot dans toute l'Énéide : ce n'est pas de l'amour que Virgile a donné à Turnus, c'est de l'ambition. On lui reproche aussi de la cruauté, et on allègue en preuve, le meurtre de Turnus. Mais comment n'a-t-on pas vu que c'est là que

le poëte a mis un goût exquis, et une convenance admirable. Turnus prêt à recevoir le coup mortel, s'est jeté aux pieds d'Énée, pour lui demander, non pas la vie, mais la consolation d'être porté dans le tombeau de ses pères. Énée est prêt à lui faire grâce, lorsqu'il apperçoit sur le corps de son ennemi, le baudrier du jeune Pallas égorgé par Turnus. A cette vue, sa fureur se réveille, et il l'immole sans pitié, en disant : « Ce n'est pas moi qui te tue, c'est Pallas.>>

Immolat.

Pallas, te hoc vuluere, Pallas

Voilà, je crois, le personnage d'Enée suffisamment justifié. Mais on a prétendu qu'en général Virgile, sous le rapport des caractères, étoit resté fort inférieur à Homère. Une foule de héros, nous dit-on, se signalent dans l'Iliade; chacun a sa physionomie particulière, et cette richesse est un des principaux mérites de ce poëme: tandis que, dans Virgile, Énée seul est remarquable par ses grandes qualités. Des gens de goût ont, à mon avis, complètement justifié Virgile à cet égard. On se rappèle

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