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NOTICE

SUR ÉTIENNE JODELLE.

tienne Jodelle, né à Paris en 1532, mort en 1573, passe généralement pour le premier qui osa substituer aux mystères, moralités et sotties, des ouvrages dramatiques françois faits selon le système des anciens. Il est cependant vrai de dire que déjà Baïf, en 1537, et Ronsard, en 1549, avoient fait représenter et imprimer l'Electre de Sophocle et le Plutus d'Aristophane, traduits en vers françois; mais Jodelle ne se contenta pas d'une traduction : il composa, en effet, le premier, une véritable comédie et deux tragédies de son invention, s'assujettissant seulement à la forme adoptée par les Grecs et les Latins. L'Eugène, comédie, et Cléopâtre captive, furent représentées le même jour, en 1552, Didon en 1558.

Cette sorte de spectacle parut tellement insolite, nouvelle, que, dans l'impossibilité de trouver des acteurs capables de jouer ces pièces, et peut-être même de les comprendre, Jodelle et ses amis Remy

T. IV.

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Belleau et Jean de la Péruse, qui, plus tard, furent auteurs dramatiques aussi, furent obligés de prendre dans ces pièces les rôles principaux. On prétend que ce fut Jodelle, alors âgé de vingt ans, et d'une figure agréable, qui joua Cléopâtre. Un théâtre fut élevé, pour cette représentation, dans la cour de l'hôtel de Reims, à Paris, où assistèrent Henri II et ses courtisans. Pasquier, dans ses Recherches de la France, nous donne lui-même ces détails, assez curieux pour être reproduits ici : « Cléopâtre fut jouée >> devant le roi Henry II, avec de grands applaudis>> semens de toute sa compagnie, et, depuis encore, >> au collège de Boncourt, où toutes les fenêtres » étoient tapissées d'une infinité de personnages d'hon» neur, et la cour si pleine d'écoliers, que les portes » du collége regorgeoient. Je le dis comme celui >> qui y étoit présent avec le grand Tournebus (Tur» nèbe), en une même chambre... Le roi lui donna » (à Jodelle) cinq cents écus de son épargne, et lui >> fit tout plein d'autres grâces, d'autant que c'étoit >> chose nouvelle et très belle et très rare. » Pasquier, en portant plus loin un jugement sur Jodelle, ajoute pourtant: << Je me doute qu'il ne demeurera que la » mémoire de son nom en l'air. » Et cependant nous voyons que Regnier, plus de vingt ans après la mort de Jodelle, le cite encore avec éloge (satire IV, vers 108).

Non seulement les poètes antérieurs à Jodelle, et ses contemporains, négligeoient l'entrelacement des rimes dans leurs poésies, mais, que le sujet qu'ils traitoient fût grave ou léger, la mesure leur sembloit indifférente. Jodelle, le premier, consacra le grand

vers alexandrin à la tragédie, sauf les choeurs. Seulement, le premier acte de Cléopâtre est en grands vers, tous à rimes féminines; le second acte en vers de même mesure, mais masculins et féminins, au hasard, sans les alterner régulièrement; dans les trois derniers actes, Jodelle mêle indistinctement les vers de dix et de douze syllabes. C'est évidemment un essai. Didon est écrite toute en grands vers, et cette mesure a été adoptée par tous les successeurs de Jodelle.

Eugène, Cléopâtre et Didon sont les seules pièces de Jodelle qui nous aient été conservées par l'éditeur de ses œuvres posthumes, Charles de la Mothe, son ami, quoiqu'il en eût d'autres, dit-il, achevées ou pendues au croc; attendant pour les publier des temps meilleurs. Elles sont perdues.

Ce même éditeur nous apprend que tout ce qui a été composé par Jodelle « n'a jamais été fait » que promptement; la plus longue et difficile >> tragédie ou comédie ne l'a jamais occupé à com» poser et escrire plus de dix matinées; même >> sa comédie d'Eugène fut faite en quatre traites. » Nous savons que le temps ne fait rien à l'affaire; toutefois, ne pourroit-on pas attribuer cette précipitation blâmable d'abord à l'état de gêne et de désordre dans lequel vivoit Jodelle, ensuite à l'incertitude du succès de ses poèmes dramatiques et aux difficultés sans nombre qu'il pressentoit pour leur représentation? Un fait consigné par Jodelle lui-même peut en donner une idée. Dans un ballet des Argonautes, qu'il fut chargé par le prévôt des marchands de faire exécuter à l'Hôtel-de-Ville de Paris, obligé

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NOTICE SUR JODELLE.

de diriger, d'organiser tout, arcs de triomphe, trophées emblématiques, décors de toute sorte, compositions de devises, d'emblèmes, d'inscriptions, en place de deux rochers (les Cyannées probablement) qu'il avoit commandés au peintre, Jodelle exprime son dépit de voir arriver, durant la représentation, deux clochers, entre lesquels Jason dut passer! On conviendra que cela étoit décourageant.

Il faut faire la part du temps. Jodelle vivoit dans un siècle d'examen, où tout étoit tenté ou mis en doute. Il fut novateur. Jamais, dit-il de lui-même dans un chapitre à sa muse:

Jamais l'opinion ne sera mon collier.

Son style, souvent barbare, est rempli de locutions neuves, hasardées pour la plupart, mais dont quelques unes ont pris droit de cité.

Sa comédie, dont le prologue indique des idées dramatiques, offre des caractères bien tracés, entre autres celui de Guillaume, la perle des maris. Cléopâtre captive, la plus foible de ces trois pièces, ne doit être considérée que comme une tentative heureuse qu'il importe de consigner. Didon, prise tout entière du IVe livre de l'Enéide de Virgile, contient des morceaux remplis d'âme et de chaleur pour qui saura soulever la rude écorce qui les recouvre. Enfin c'est l'art dans l'enfance; mais c'est un enfant vivace, et qui promet un avenir.

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