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séjour agréable et frais des Naïades, cette grotte où tu leur offris tant de fois des victimes choisies; enfin le mont Nérite, les forêts qui s'y balancent.

A peine a-t-elle achevé ces paroles, que Minerve dissipe la nuée qui entourait le héros; soudain l'île frappe vivement ses regards. A l'aspect de sa terre natale, il éprouve un ravissement de joie; il baise cette terre chérie; levant ses bras vers les nymphes, il les invoque à haute voix: O Naïades, filles de Jupiter, l'espérance de vous revoir était morte en mon cœur ; je vous salue; recevez mes vœux les plus ardens. Bientôt, comme autrefois, vos autels seront couverts de nos dons, si Minerve, toujours remplie pour moi de bienveillance, daigne prolonger ma vie et bénir un fils que j'aime.

Rassure-toi, dit Minerve, ne doute point de mon secours. Déposons sans retard tes richesses au fond de cette grotte sacrée; elles y seront en sûreté. Puis, délibérons sur les moyens de garantir le succès de tes entreprises.

La déesse dit; entrée dans la sombre grotte, elle en parcourt les recoins secrets. Ulysse lui apporte l'or, l'airain et les vêtemens qu'il

reçut des Phéaciens. Elle les cache dans la grotte, et en ferme l'entrée par une grande roche.

Assis sous l'olivier consacré à Pallas, ils concertent la perte des orgueilleux amans de Pénélope. La déesse prend la parole :

Fils généreux de Laërte, prudent Ulysse, maintenant songe comment ton bras vengeur accablera la troupe qui, depuis trois années, règne sans pudeur dans ton palais, veut te ravir ton épouse, la plus vertueuse des femmes, et, pour obtenir sa main, met en œuvre tour à tour l'offre des plus riches dons, et la hauteur et la menace. Mais, l'œil chargé de pleurs, Pénélope attend toujours ton arrivée; elle leur donne à tous de l'espoir, et les flatte pour les adoucir, tandis que son cœur est bien résolu de te rester fidèle.

Eh quoi ! s'écrie Ulysse, si tes avis, ô déesse, ne m'avaient prémuni contre ces dangers, aussi malheureux qu'Agamemnon, je rencontrais dans mon palais la mort la plus terrible! Dis, par quel moyen puis-je me venger des téméraires? Sois toujours à mon côté, et m'inspire toute l'audace dont tu remplis mon cœur, lorsque, cédant à nos efforts réunis, les tours de Troie tombèrent dans la poudre. 18

II. Od.

'Alors, fussent-ils trois cents, je les attaque seul et suis invincible.

Sans doute je serai près de toi, dit Minerve, et mon secours ne te manquera point, lorsqu'enfin s'ouvrira pour nous le champ de ces combats; j'espère que bientôt le sang de ceux qui dévorent ton héritage, ruisselant avec leur cervelle à flots confondus, souillera la salle immense de leurs festins. Mais, pour te rendre méconnaissable à tous les mortels, je veux que la peau unie et colorée qui couvre tes membres flexibles se dessèche et se ride; ta tête, ombragée d'une chevelure brunie, sera chauve; tes beaux vêtemens se changeront en de vils lambeaux qu'on ne pourra regarder sans horreur; et tes yeux, brillans d'une majesté imposante et d'une rare valeur, paraîtront ternes et timides. Tu te montreras sous cette forme hideuse à tous les amans de la reine, à ta femme elle-même, et au fils que tu laissas dans ton palais.

Va d'abord chez le sage Eumée, l'un des intendans de tes troupeaux: il est ton serviteur le plus fidèle, et personne n'a plus 'd'attachement et de respect pour ton fils et pour la chaste Pénélope. Tu le trouveras plein de vigilance pour les troupeaux confiés à sa

garde, menés chaque jour sous le rocher de Corax, près de la fontaine d'Aréthuse, où le fruit nourrissant du chêne et les noires eaux de cette source profonde entretiennent leur graisse florissante. Reste auprès de cet homme vénérable; et, te reposant dans sa demeure, reçois de sa bouche véridique toutes les ins-. tructions nécessaires à tes vues. J'irai cependant au pays fameux par la beauté de ses femmes, j'irai dans Sparte hâter le départ de Télémaque, ton fils; car il s'est rendu chez Ménélas, dans l'impatience où il est d'apprendre de la renommée si tu respirais encore.

Et pourquoi, repartit Ulysse, puisque mon sort t'était connu, ne l'en as-tu pas instruit? Doit-il être, comme moi, le jouet des tempêtes et de la fortune, tandis que d'avides étrangers font leur proie de son héritage?

Que ton fils ne soit point l'objet de tes craintes, reprit Minerve. C'est moi qui l'engageai à partir, et je le conduisis moi-même, afin de répandre sa renommée dans la Grèce. Loin d'essuyer aucun péril, il est assis dans le palais du fils d'Atrée, où il est reçu avec magnificence. Il est vrai que les jeunes chefs, ennemis de ta maison, montés sur un vaisseau, lui dressent des embûches, et brûlent

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L'ODYSSÉE, CHANT XIIL

'de l'immoler; leur rage ne peut attendre qu'il ait atteint sa rive navale : mais avant qu'ils accomplissent leurs desseins, la terre couvrira ces injustes ravisseurs.

En achevant ces paroles, Minerve le touche 'de sa baguette puissante. Soudain se flétrit la chair unie du corps agile du héros; autour de ses membres pend la peau aride, dure et sillonnée d'un vieillard plié sous le poids accablant des années; aucun cheveu n'ombrage sa tête; ses yeux, où naguère brillait un feu divin, sont éteints et mornes; ses habits somptueux sont remplacés par les lambeaux les plus hideux, souillés d'une noire fumée, sur lesquels flotte une longue peau de cerf toute rase. Minerve lui met un bâton dans sa main tremblante; et à ses épaules est suspendue, par une vieille courroie, une besace déchirée.

La déesse et le héros ont concerté leurs 'desseins. Elevée dans les airs, un vol précipité la porte vers le fils d'Ulysse aux murs de Lacédémone.

FIN DU CHANT TREIZIÈME.

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