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de nature qu'on ne puisse éviter quelque endroit qui paraisse absurde, il faut le recevoir. M. Dacier, dans ses réflexions sur la Poétique d'Aristote, va jusqu'à dire qu'Homère laisse si peu au lecteur le temps d'apercevoir l'absurdité dont il s'agit ici, qu'il l'enchante et l'endort comme Ulysse. Si ce prince eût été éveillé, dit-il encore, les Phéaciens auraient été obligés de le suivre ; ce qu'Ulysse n'aurait pu refuser honnêtement, ni accepter avec sûreté.

Ulysse aurait-il été impoli en déclarant aux Phéaciens que les circonstances critiques où il était placé ne lui permettaient pas de les recevoir ?

Ecoutons Eustathe. Les Phéaciens ne veulent pas éveiller Ulysse, de peur qu'il ne crût que c'était par avarice, et pour recevoir de lui quelques présens. Ils craignaient de faire connaître à qui que ce fût le chemin de leur île : ils voyagent de nuit, et s'en retournent dès la pointe du jour. Ils veulent se dérober à la vengeance des poursuivans; ils n'étaient pas un peuple guerrier.

On peut ajouter à ces réflexions qui approchent du but, qu'ils se hâtent de se retirer avant l'arrivée du grand jour, pour que personne n'ait le temps de s'apercevoir de la venue d'Ulysse. IL/convenait aux vues de ce prince, qui voulait rentrer inconnu dans sa patrie, que ce vaisseau phéacien ne s'arrêtât qu'un instant dans le port d'Ithaque. Ils partent sans prolonger leur séjour par des adieux.

Enfin, si l'on me permet de hasarder encore une autre solution, Ulysse avait assez instruit les Phéaciens de la haine que Neptune lui portait. C'était donc pour

eux une nouvelle raison de précipiter leur départ, afin de se dérober aux regards de cette divinité, et l'empêcher au moins de s'apercevoir qu'ils venaient des bords d'Ithaque. Ce qui donnerait beaucoup de vraisemblance à cette explication, c'est qu'Homère, après avoir parlé de leur départ, dit aussitôt que Neptune n'étouffa pas son courroux, se plaignit d'eux à Jupiter, et qu'il les punit.

Ulysse voyageait durant la nuit, c'était le temps du repos; et la sérénité de l'ame succédant à l'agitation où tant de traverses l'avaient plongé, il pouvait tomber dans ce sommeil profond qu'Homère compare à la mort, comparaison qu'il a insérée pour nous préparer à la manière dont Ulysse arrive au rivage d'Ithaque. On conviendra qu'Homère a su en tirer de grandes beautés. Il n'y a rien de plus intéressant que l'incertitude de ce prince et les combats qu'elle fait naître dans

son cœur.

(Page 261. Que dans son vol..... il soit tout à coup changé en roc.)

Laissons l'allégorie qu'on a encore trouvée ici, et qui devait désigner l'opinion des anciens sur la transmutation d'une espèce dans l'autre. Il y a eu, dit-on, près de Corcyre un semblable rocher qui avait à peu près la figure d'un vaisseau. Aristote dit que, dans la poésie épique, on a la liberté, pourvu qu'on en profite rarement, 'de pousser le merveilleux au-delà des bornes de la raison.

Quelques-uns ont cru que la tradition des métamor

phoses miraculeuses que nous lisons dans l'Ecriture, a pu donner à Homère l'audace d'imiter dans ses fictions une vérité qui avait pour fondement le pouvoir infini de Dieu même. Le pays d'Homère pouvait lui fournir assez de récits merveilleux. Les ames pieuses n'aimeront pas que, pour justifier le prodige qui est rapporté ici, on cite la femme de Loth, et les autres n'en trouveront pas le prodige plus vraisemblable.

Par rapport à l'épithète d'ivvoriyalos, « qui ébranle « la terre », épithète donnée souvent à Neptune, il est remarquable que les peuples d'Otaïti et de la nouvelle Zélande appellent Dieu EA-TOUX, mot qui réveille la même idée.

(Page 263. Debout, autour de l'autel, les princes et les chefs des Phéaciens.)

Homère fait entendre, par son silence, que Neptune fut appaisé, et que la seconde menace ne fut pas effectuée.

(Page 265. Il dit, et parcourt d'un œil rapide

les cuves, les beaux trépieds.)

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Selon Plutarque, ce n'est point par avarice qu'Ulysse examine les présens des Phéaciens, mais pour s'assurer s'il est dans l'île d'Ithaque car, s'ils ne lui ont rien dérobé, il est probable qu'ils ont accompli fidèlement leur promesse. On voit cependant qu'après cet examen il retombe dans le doute et le désespoir. Au reste, ces présens devaient lui être chers par plus d'une raison; c'étaient des titres d'honneur.

(Ibid. Un ample manteau d'une fine pourpre.)

Δίπτυχον ne signifie pas DOUBLE, mais assez ample pour être mis en double lorsqu'on le porte. Chez les anciens, les fonctions des bergers n'étaient pas étrangères aux hommes les plus illustres ; ce que témoignent les epithetes, πολύαρνας, πολυμήλες, πολυβέτας. Varron,

LIV. II.

(Page 266. Le nom d'Ithaque est sur-tout connu dans les champs de Troie.)

C'est une louange fine pour Ulysse. Elle ajoute « champs si éloignés de la Grèce ».

Un poëte épique ne doit pas négliger de donner de la grandeur et de l'importance à son action. Homère montre ici sous le jour le plus avantageux la patrie d'Ulysse. Il faut se souvenir qu'Ulysse n'était pas seulement roi d'Ithaque, mais de Zacynthe, de Céphalénie et des îles voisines. Pope relève le peu de jugement de Stace, qui dit en parlant de Thèbes :

Bellum est de paupere regno.

Ithaque, aujourd'hui Val de Compare, est une trèspetite île; mais Céphalénie est plus considérable. Zacynthe, aujourd'hui Zante, est de même assez étendue, et elle est prodigieusement fertile. Le sujet de l'Odyssée ne manque donc pas d'importance. Les soins domestiques où entrait Télémaque, étaient une suite des mœurs de cet âge. Le rang d'Eumée n'est point bas ; c'est un homme de confiance, un serviteur dont la charge est

importante. Les intendans des troupeaux étaient des hommes considérables, comme on le voit dans l'Ecri ture. Les troupeaux faisaient en ce temps la richesse.

(Page 274. Fussent-ils trois cents, je les attaque seul.)

On ne s'étonnera pas après cela qu'Ulysse, avec le secours de Minerve, et soutenu de son fils et de deux de ses domestiques, vienne à bout des poursuivans, qui sont bien moins de trois cents. Voilà comment Homère fonde la vraisemblance de la défaite des poursuivans. Les anciens ont remarqué que ce n'est point une hyperbole. C'est ce même Ulysse qui, dans l'Iliade, resté seul après la déroute des Grecs, soutient tout l'effort des bandes troyennes dont il est enveloppé, les attaque, en fait un grand carnage, et, tout blessé qu'il est, se bat en retraite, fait mordre la poussière aux plus. hardis, et donne le temps à Ajax de venir le dégager. Homère enseigne ici qu'un homme assisté par un dieu, est sûr de triompher de toutes les forces humaines.

FIN DES REMARQUES SUR LE CHANT XIII.

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