REMARQUES SUR LE CHANT HUITIÈME. (Page 1. Minerve parcourt la ville entière sous la figure de l'un des hérauts du sage Alcinoüs.) LA convocation de ce conseil est l'effet de la sagesse de ce prince. L'introduction de cette déesse se fait pour une action importante: voici le moment où doit changer la fortune d'Ulysse. Les hérauts, dans les fonctions publiques, étaient des personnages distingués. (Page 2. Il nous implore.) Il dit nous, parce que le gouvernement des Phéaciens n'était pas despotique, non plus que tous les gouvernemens de ces âges-là. Le peuple était représenté par ces personnages qui sont appelés PRINCES et CHEFS.. « La «« royauté, dans les temps héroïques, dit Aristote, com<< mandait à des hommes soumis volontairement, mais « à de certaines conditions. Le roi était le général et le << juge, et il était le maître de tout ce qui regardait la « religion ». POLITIQ. (Page 4. Elles le privèrent de la vue.) On a cru qu'Homère s'était dépeint lui-même sous le nom de Démodoque. Il est vrai que toutes les grandes choses qui sont dites ici du chantre des Phéaciens conviennent au poëte grec. Selon Caton, l'usage de chanter des sujets héroïques dans les festins s'est long-temps conservé. « Est in origi« nibus, solitos esse in epulis canere convivas ad tibi«< cinem de clarorum hominum virtutibus1». Cet usage fait l'éloge des mœurs de ces anciens temps; il indique à quel point on estimait la valeur et toutes les vertus. Il est assez remarquable que Démodoque chante les sujets les plus nobles et les plus sérieux durant le festin; c'est pendant les jeux qu'il chante les amours de Mars et de Vénus. Il semble que dans la haute antiquité l'on ait banni des repas les chants trop libres, de peur d'exciter les hommes à la licence. Homère fait traiter avec un soin particulier Démodoque, son confrère en poésie. Il lui donne, dans ce chant, l'épithète noble de héros; il le place sur un siége distingué; des hérauts le servent. Tout cela confirme que les poëtes étaient alors dans une très-grande estime; par conséquent, il n'est guère probable qu'Homère ait été réduit à mendier. Si, après sa mort, ses ouvrages sont tombés peu à peu dans l'oubli pour quelque temps, il faut l'attribuer à des circonstances particulières. La poésie était alors bien moins lue que chantée ; les orages d'un état devaient imposer silence à l'harmonie. a On a raillé Homère sur la circonstance de la coupe placée devant Démodoque, « afin qu'il bût autant qu'il «<le voudrait ». Homère, quand il met la coupe à la main de ses héros, manque rarement de dire, « qu'ils Cicer. Tuscul. 3 « boivent au gré de leurs désirs ». Il n'y a donc rien ici de particulier à Démodoque. Αυτοθελῆς ηδιτος άει πολύς, a boire à sa volonté donne un grand prix à un banquet », est-il dit dans l'Anthologie. (Page 5. C'était la fameuse contestation qui.... s'éleva entre Ulysse et Achille.) Didyme, et après lui Eustathe, nous ont conservé cette ancienne tradition. Après la mort d'Hector, les princes Grecs étant assemblés chez Agamemnon à un festin après le sacrifice, on agitait quel moyen on prendrait pour se rendre maître de Troie, qui venait de perdre son plus fort rempart; Ulysse et Achille eurent une grande dispute. Achille voulait qu'on attaquât la ville à force ouverte; Ulysse, au contraire, et son avis l'emporta, qu'on eût recours à la ruse. Agamemnon, avant d'entreprendre la guerre contre les Troyens, alla à Delphes consulter l'oracle d'Apollon, et ce dieu lui répondit << que la ville serait prise lorsque deux princes qui surpasseraient tous les autres en valeur et en pru<< dence, seraient en dispute à un festin ». (Page 7. Acronée, Ocyale, Nautès, etc.) Tous ces noms, excepté celui de Laodamas, sont tirés de la marine. Homère passe rapidement sur ces jeux, ils ne sont pas du sujet ; l'occasion seule les amène, et le poëte a des choses plus pressantes qui l'appellent. Dans l'Iliade, ils entrent dans le sujet; il fallait honorer les funérailles de Patrocle. Il est dit qu'Amphiale, issue de Polynée, était petitfils de Tectonide. J'ai omis cette dernière filiation, pour ne pas ralentir la marche. Madame Dacier s'est trompée en rendant rexrovidas, par « fils d'un chara pentier ». C'est un nom patronymique. (Page 10. L'un n'a pas en partage une forme attrayante.) Cette tirade sur l'art de parler pourrait sembler un peu longue; mais je crois que l'on conviendra qu'il y a beaucoup de finesse dans le tour que prend Ulysse. Il fait ici, sans se nommer, un parallèle entre Euryale et lui-même. Euryale, plus jeune, avait sur lui l'avantage de la beauté; Ulysse celui de la sagesse et de l'éloquence. Il le fait sentir par une comparaison adroite de ces divers avantages. Ayant été avili par Euryale, Ulysse se relève en traçant une belle peinture du pouvoir de l'éloquence', et la manière même dont il s'exprime, annonce qu'il possédait cet art. Homère, en parlant d'un homme qui a le don de faire. aimer tout ce qu'il dit, trace le portrait de l'orateur ; il associe l'art de parler à la sagesse, conformément aux principes reçus des anciens. (Page 11. Ce peuple de hardis nautonniers, ces fameux rameurs qui brisent les flots.) Ces épithètes, dit-on, sont autant de railleries pour faire entendre que ce peuple, si appliqué à la marine, ne devait rien disputer aux autres hommes dans les jeux et les combats auxquels on s'exerce sur terre. Mais ce peuple excellait dans la course, et il ne paraît pas avoir été entièrement inepte aux autres jeux. Je croirais donc que ces épithètes ne doivent que représenter sous des traits plus forts l'étonnement des Phéaciens. Observons encore que, si l'on rabaisse trop leur vigueur et leur adresse, il y aurait eu peu de gloire pour Ulysse à les surpasser. (Page 11. Minerve, sous la forme d'un mortel, désigne la place.) Cette machine a semblé peu nécessaire. L'Iliade en présente une semblable, lorsque Minerve, dans la célébration des jeux, vient relever le fouet d'un des rivaux. Ce que fait ici la même déesse est encore bien moins important. Cette machine sert à marquer combien les jeux étaient anciennement en honneur. Minerve vient ranimer le courage d'Ulysse qui a été insulté; elle proclame sa victoire. Ceux qui étaient établis juges des jeux, étaient sans doute des personnages distingués. (Page 12. Jeunes gens, atteignez ce but.) Plutarque a fait une dissertation pour montrer comment on peut se louer soi-même sans exciter l'envie. Ulysse ne veut ici que se justifier. Un homme malheureux et grand peut parler de lui-même avec dignité; la fortune n'a pu l'abaisser. Ulysse montre moins de vanité que de grandeur : étranger parmi les Phéaciens, il leur fait connaître ce qu'il est; il leur apprend qu'il tient un rang distingué entre les héros. |