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(Page 311. Ulysse voulant éprouver Eumée.)

Pope a critiqué ce récit épisodique d'Ulysse. Le but du poëte a été de faire encore mieux connaître la bonté d'Eumée, qui ne balance pas à donner son meilleur manteau pour couvrir Ulysse couché près du feu dans sa chaumière, pendant qu'il va lui-même, par un temps froid et humide, passer la nuit sous un rocher. La bonté d'Eumée est d'autant plus remarquable, qu'il n'ajoute point de foi à ce dernier récit d'Ulysse : il l'insinue: cependant il n'en cherche pas moins à soulager un étranger malheureux.

Rien ne contraste mieux avec la grandeur d'Ulysse, et rien n'était plus convenable pour le cacher, que l'humble déguisement sous lequel il rentre dans sa maison. Observons que plusieurs scènes que ce déguisement amène, doivent nous paraître plus basses qu'elles ne l'étaient dans ces temps où les mœurs étaient beaucoup plus simples.

(Page 314. Quelqu'un de ces bergers.... me donnerait un manteau.)

Il pouvait en être sûr, puisque, dans la supposition, on eût vu en lui Ulysse. Il s'amuse en ce moment du rôle qu'il joue, et il en dit plus qu'il ne ferait s'il n'était pas assuré que ces bergers ne perceraient point à travers son déguisement. Il semble qu'il joue sur le mot d'HOMME DE BIEN, pour dire, « quiconque est riche est tout ».

(Ibid. Demain tu agiteras tes lambeaux sur ton corps.)

Cela est bien imaginé pour faire qu'Ulysse paraisse

328 REMARQUES SUR LE CHANT XIV.

avec son équipage de mendiant; car il faut nécessairement qu'il soit vu en cet état à Ithaque. Eumée dit qu'ils n'ont pas des habits de rechange. Ce n'est pas un signe de pauvreté, mais des mœurs simples de ces pasteurs. « Tu agiteras tes lambeaux »; drozaλižus dit cela en un mot. Les gueux tâchent de cacher leurs haillons.

(Page 315. Revêt la

Cette peau,

peau hérissée d'une

grande chèvre.)

dans sa route, servait à le couvrir; et quand il était arrivé, elle était son lit.

Ce chant me fournit une remarque générale. Ulysse y montre dans un beau jour sa prudence et sa fermeté, Il se trouve seul avec Eumée qu'il aimait; ce pasteur donne des marques singulières de la tendresse qu'il a pour son maître. Il n'est pas douteux qu'Ulysse ne doive éprouver une forte émotion en voyant le désespoir d'un serviteur si fidèle, dont le zèle et l'amour s'expriment avec tant d'ingénuité. Cependant il persiste à ne point se découvrir, assuré qu'Euniée fera d'un air plus naturel le rôle qu'il doit jouer en l'amenant dans son palais. Quelle que soit la sensibilité du cœur d'Ulysse (car il en donne de fréquentes marques), il est maître de ses mouvemens en des circonstances si touchantes; et même, pour mieux se déguiser, il sait prendre le ton du badinage. Ainsi le héros se montre dans ses actions les plus simples et dans ses discours les plus familiers.

FIN DES REMARQUES SUR LE CHANT XIV.

CHANT XV.

MINERVE INERVE cependant vole à Lacédémone pour avertir le fils du magnanime Ulysse de hâter son retour. Elle trouve ce jeune prince et Pisistrate couchés sous le portique du palais de Ménélas. Le rejeton de Nestor était captivé par les charmes du sommeil; mais Télémaque n'avait pas fermé la paupière. En vain la nuit paisible répandait ses ombres ; l'incertitude où il était sur le sort de son père, le troublait jusqu'au fond de l'ame, et le tenait éveillé.

Fils d'Ulysse, dit la déesse, il ne convient pas que tu prolonges ton absence, et laisses ta maison en proie aux plus insolens des hommes. Quoi! si, consommant tes richesses, ils se partageaient le reste de tes dépouilles, et si ta course ne tournait qu'à ta ruine! Lèvetoi, presse Ménélas de ne pas retarder un moment ton départ, si tu veux trouver encore ta vertueuse mère dans tes foyers. Son père et ses frères veulent l'obliger à choisir enfin pour époux Eurymaque, qui l'emporte sur tous ses rivaux par la magnificence de ses offres. Si cet hymen s'accomplit, crains de perdre encore une partie de ton héritage. Tu connais

le cœur des femmes : d'ordinaire la maison d'un second époux est l'objet de tous leurs soins ; celui qui reçut leurs premiers sermens et qui est couché dans le tombeau, les enfans qui furent le fruit de cette union, sont bientôt effacés de leur mémoire. Va: dès que ta mère s'éloignera, tu commettras le gouvernement de ta maison à la plus prudente et la plus fidèle de tes esclaves, jusqu'à ce que les dieux t'aient amené l'épouse qu'ils te destinent, la gloire de son sexe. Ecoute encore, ne mets pas en oubli ces paroles. Résolus de te perdre, avant que tu aies revu ton séjour natal, les plus vaillans de tes ennemis t'ont dressé des embûches dans le détroit d'Ithaque et des rocs de Samé. J'espère que, loin de parvenir à leur but, ces chefs avides et sanguinaires descendront bientôt dans la demeure des morts. Garde-toi cependant d'approcher du lieu de leurs embûches; choisis la nuit pour traverser les ondes: la divinité qui te protège et veille sur tes jours, fera souffler à ta poupe un vent favorable. Quand tu auras atteint la rive d'Ithaque, renvoie d'abord à la ville ton vaisseau et tes compagnons; toi, va trouver le bon Eumée, qui se consacre au salut de tes troupeaux, et dont le cœur t'est si dévoué. Passe la nuit

dans sa maison; le lendemain, tu l'enverras annoncer en diligence à la sage Pénélope, que tu es en sûreté.

En achevant ces mots, elle revole vers l'Olympe. Aussitôt le jeune prince tire son ami du sommeil où il était plongé; et, le touchant légèrement du pied : Fils de Nestor, cher Pisistrate, lève-toi, attelle au char nos coursiers; partons.

O Télémaque! répond le fils de Nestor, quelque ardeur qui t'engage à partir, pouvons-nous guider nos coursiers au milieu d'une nuit si profonde? l'Aurore va paraître. 'Attends qu'un héros, le fils d'Atrée, Ménélas, ait déposé dans notre char les beaux présens qu'il t'a destinés, et que, te serrant entre ses bras caressans, il t'ait adressé ses adieux. Qu'il est doux de recevoir d'un hôte qu'on aime et qu'on révère, les témoignages d'une amitié précieuse! quel charme on goûte à se les retracer chaque jour de sa vie !

Il dit; bientôt l'Aurore paraît sur son char d'un or éclatant. Ménélas quitte sa couche; et, s'éloignant de la blonde Hélène, il se rend vers les deux princes. A peine le fils d'Ulysse l'a-t-il aperçu, que le jeune héros se hâte de revêtir sa tunique brillante, de jeter sur ses

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