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Elle dit, et précipite leur course. En un moment les siéges nombreux sont occupés par les chefs, et la place immense est remplie par la foule du peuple qui s'y presse. Tous regardaient avec admiration le fils magnanime de Laërte, tel est le charme divin que Minerve a répandu sur le héros; jamais ses traits et son port n'eurent une empreinte si majestueuse. La déesse veut qu'il gagne la vénération et l'amour de la nation entière des Phéaciens, et qu'il sorte vainqueur de la lice où ils éprouveront son adresse et son courage.

Dès que l'assemblée est réunie, Alcinoüs élevant la voix : Princes et chefs des Phéaciens, dit-il, prêtez-moi l'oreille, je parlerai selon les sentimens de mon cœur. Cet étranger, qui m'est inconnu, a été conduit par sa destinée errante dans ma demeure. Vient-il des bords où le soleil se lève? vient-il de ceux où cet astre finit sa carrière? il garde le silence à ce sujet. Mais il nous implore, il nous conjure instamment de lui accorder un prompt retour dans sa patrie. Nous, loin de nous démentir en cette occasion, soyons -prêts à lui accorder cet heureux retour. Je n'ai pas à me reprocher qu'aucun étranger, dans la dure attente de cette grâce, ait gémi

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et versé des larmes dans mon palais. Lançons à la mer le meilleur de nos vaisseaux; pour le guider, choisissons cinquante jeunes hommes dont la force et l'adresse aient été reconnues. Vous qui composerez cette troupe, courez l'équiper; dès que seront attachés les avirons prêts à sillonner l'onde, venez dans ma maison participer à un festin splendide; je veux qu'elle soit ouverte à de nombreux conviés : ce sont là les ordres que je donne à cette jeunesse. Et vous, hommes décorés du sceptre, princes du peuple, je vous invite à porter vos pas dans mon palais, pour que nous recevions cet hôte avec les honneurs et l'amitié qu'il mérite; qu'aucun de vous ne refuse de s'y rendre, et qu'on se hâte d'appeler Démodoque, ce chantre divin; car un dieu versa dans son ame ces accens dont il nous ravit quand il élève sa voix mélodieuse.

En achevant ces mots il marche à la tête des chefs, qui, décorés du sceptre, le suivent vers son palais; un héraut court appeler le chantre divin; dociles à l'ordre du roi, cinquante jeunes hommes choisis vont au rivage. Dès qu'ils y sont arrivés, ils lancent un vaisseau à la mer profonde, élèvent le mât, suspendent aux cordages les avirons rangés avec

symétrie, déroulent les voiles éclatantes, et, ayant attaché dans le port le vaisseau, ils courent se rendre à la demeure du sage Alcinois.

La foule, composée de jeunes gens et de vieillards, inondait les salles, les portiques et la cour. Alcinous livre au couteau sacré douze

agneaux, huit porcs à la dent éclatante, et deux boeufs vigoureux: on dépouille les victimes, on les partage, et l'on fait les apprêts du festin. Cependant arrive le héraut, conduisant ce mortel chéri, le favori des muses, qui reçut en partage et des biens et des maux : elles le privèrent de la vue, mais elles lui accordèrent un chant divin. Pontonous le place au milieu des conviés, sur un siége argenté, qu'il adosse à une haute colonne; il suspend, au-dessus de la tête du chantre vénérable, la lyre harmonieuse, et l'en avertit en y dirigeant sa main. Le héraut lui apporte une table d'un grand prix; il y pose une corbeille et une coupe remplie de vin pour s'en abreuver au gré de ses désirs. Le festin étant prêt, tous prennent les alimens qu'on leur a servis.

Après qu'ils ont banni la faim et la soif, les muses excitent leur favori à célébrer les héros

par un chant dont alors la gloire parvenait jusqu'à la voûte des cieux. C'était la fameuse contestation qui, éclatant avec le transport du courroux, s'éleva entre Ulysse et Achille au milieu d'un festin consacré à l'honneur des dieux. Le roi des hommes, Agamemnon, l'écoutait, ravi de cette discorde que l'émulation allumait entre les plus illustres et les plus vaillans des Grecs: car c'était là le signal de la chute d'Ilion; ainsi l'annonça l'oracle, lorsqu'à Pytho, pour le consulter, il franchit le seuil du temple d'Apollon, moment fatal où commencèrent les maux qui, selon les arrêts éternels de Jupiter, devaient fondre en foule sur les Troyens, sans épargner les fils de la Grèce.

A ces accens, Ulysse, prenant de ses mains son vaste manteau de pourpre, le tirait sur sa tête et s'en couvrait tout le visage pour cacher aux Phéaciens les pleurs qui coulaient de sa paupière. Chaque fois que l'ami des muses terminait son chant, le héros, se hâtant d'essuyer ses larmes, découvrait ses nobles traits, et, saisissant la coupe arrondie, faisait des libations aux dieux. Dès que le chantre fameux recommençait à former les mêmes accords, sollicité par les plus illustres chefs

de l'île (car ce chant les transportait de plaisir), Ulysse, la tête couverte, renouvelait ses sanglots. Aucun des assistans ne remarqua la douleur où il était plongé : le seul Alcinoüs,' assis à côté de lui, s'en aperçoit; et l'observant, il voit les pleurs du héros, et l'entend pousser, du fond de son cœur, de lamentables soupirs,

Princes et chefs des Phéaciens, dit-il, nous avons assez prolongé les charmes du festin et de la lyre sa compagne inséparable. Levonsnous, et allons ouvrir la lice à tous les jeux où se distinguent la force et l'adresse, afin que cet étranger, de retour dans sa patrie, raconte à ses amis combien nous nous distinguons au pugilat, à la lutte, à la danse et à la

course,

Il dit, et, suivi d'eux, il sort du palais. Le héraut Pontonous suspend à la colonne la lyre sonore; prenant la main du chantre célèbre, il l'emmène et s'ouvre une route à travers les flots des Phéaciens impatiens de contempler le spectacle des jeux. Il arrive avec Démodoque dans une grande place; sur leurs pas se précipite en tumulte un peuple innombrable.

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Déjà se levait une foule de nobles athlètes

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