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Notre époque, d'ailleurs si positive, voit sans cesse naître et mourir de nouveaux plans de réformes sociales; un grand nombre d'esprits se complaisent à espérer, à annoncer même un état de choses dans lequel disparaîtront la misère, le vice, et presque le malheur. Azaïs, inflexible sur les conséquences de son principe d'équilibre et de compensations, repoussait toutes ces espérances. Suivant lui, la justice divine a nécessairement distribué en proportion égale le bonheur et le malheur à tous les âges du genre humain; et aucun de ces âges ne pourra élever une plainte contre le Créateur. Suivant lui encore, le genre humain est un être qui doit passer par toutes les phases de la vie commune. Le passé, dans ses joies comme dans ses erreurs et ses souffrances, a eu toute la puissance de la jeunesse; à l'avenir sont réservés les charges et les avantages de la vieillesse; mais dans l'une et l'autre période, il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais un bonheur complet.

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Azaïs différait essentiellement des hommes de son temps en un point il s'attacha avec persévérance à la recherche d'une même idée; il se proposa un but, et il marcha, pour l'atteindre, d'un pas ferme, sans se laisser distraire sur la route, comme certains penseurs du jour et le vulgaire, par cette foule d'objets divers qui arrêtent à chaque instant nos yeux ou notre esprit. Cependant, cet homme attentif, si exclusivement livré à une seule et même étude, ne se plaçait pas dans le champ des illusions, par delà le monde de la réalité. Il avait tellement observé ceux qui vivaient de son temps et avec lui, ses sentiments correspondaient si bien aux leurs, qu'il put quelquefois les convaincre et les dominer. Il ne s'adressait pas spécialement aux hommes qui s'occupent des grandes questions de la métaphysique, mais à tous ceux qui se plaignent et qui souffrent, dans tous les temps et dans tous les lieux. « En écriavant mon premier ouvrage, dit-il lui-même, je m'adressais taci« tement à tous les hommes qui étaient ou croyaient être dans l'in« fortune; j'écoutais leurs plaintes, et celles qui étaient légitimes et celles qui étaient injustes; je remontais à la source de toutes les « peines ; je montrais qu'elles étaient toutes la dépendance inévi<table d'un bien acquis ou d'un avantage naturel qu'on aimait à « oublier. >>

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Tel est, en effet, le livre des Compensations. Azaïs y laisse à peine entrevoir ses idées générales sur la constitution de l'univers. Il ne discute même pas scientifiquement l'idée nouvelle à l'aide de

laquelle il va porter le calme dans le vaste champ des douleurs humaines. Il ne fait pas un ouvrage savant; il ne cherche pas à prouver, mais il persuade et console. La douceur de son langage, l'énergie de sa propre conviction, le font pénétrer dans l'âme qui souffre. D'ailleurs, il comprend toutes les peines, il devine toutes les faiblesses; mais aux unes comme aux autres il présente l'idée d'un balancement certain, nécessaire; il relève l'homme en même temps qu'il le console; il veut qu'il soit juste envers lui-même comme envers le sort; il ôte enfin au malheur ce qu'il a de plus amer, c'est-à-dire l'idée de l'injustice. M. Thiers écrivait à Azaïs: L'optimisme qui nie le mal est ridicule sans doute; mais l'opti« misme qui, admettant tout ce qui est, porte néanmoins les << hommes à reconnaître un bel ordre et en glorifier l'auteur, est le plus noble et le plus moral de tous les systèmes. >>

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Enfin, Azaïs nous a donné sur la valeur son de système une preuve que nous devrions demander à toute doctrine morale et philosophique. Il a constamment appliqué lui-même la loi des compensations à toutes les épreuves de sa longue carrière, et il a toujours puisé en elle le courage dans les peines, la modération dans les désirs; il lui a dû, enfin, la sérénité de ses vieux jours : « Ma « vieillesse est calme, quoique non satisfaite, disait-il dans les der« nières années de sa vie ; à quelque emploi que ma vie se fût consacrée, si j'avais eu pendant mes belles années les satisfactions << dont j'étais susceptible, je n'aurais pas eu la force que je porte « maintenant dans le travail de pensée, et je n'aurais point goûté « le bonheur qui me revient de ce genre d'occupations. Or, comme « le passé est passé, et que c'est surtout de la vieillesse, qui sera présent quand le passé ne sera plus, qu'il faut assurer autant « qu'on peut les avantages, j'ai donc été profondément servi par « les contrariétés de ma destinée. Mon devoir est de les bénir. »

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AMERIKANISCHE NEGERSKLAVEREI UND EMANCIPATION. etc. (Esclavage et émancipation des noirs en Amérique; de la colonisation au Brésil), par Hermann ABEKEN. —— Un vol. in-8° de vin et 232 pages. Berlin, 1847, chez Nicolaï. -- Paris, chez Klinksieck, rue de Lille.

L'auteur n'est ni abolitioniste ni anti-abolitioniste; il n'est pas entraîné par une philanthropie exaltée, mais il n'est pas non plus aveuglé par un préjugé injuste et un égoïsme inflexible: c'est un observateur impartial. Il reconnaît d'abord que les races noires ne peuvent tout à coup passer à un état de liberté entière pour lequel elles n'ont pas été préparées; mais, d'un autre côté, il pense que rien ne nous autorise à les considérer comme à jamais indignes des bienfaits de notre civilisation.

Au reste, il donne peu de place, dans son livre, aux discussions générales et purement théoriques; il s'occupe presque exclusivement de la question prise au point de vue spécial de l'économie politique. Pour la France, pour l'Angleterre, les faits qu'il réunit et rapproche, les débats qu'il résume, les idées qu'il suscite, n'ont, à proprement parler, rien de nouveau; mais il est toujours utile de voir, en pareille matière, un tiers impartial mettre en regard les assertions contradictoires.

Il s'agit ici de l'Amérique scule, et surtout des possessions anglaises; mais tout ce que l'auteur dit s'applique toujours plus ou moins directement aux colonies des autres peuples, et, à ce point de vue, nous pouvons puiser dans son livre, en ce qui nous concerne, de précieux renseignements.

Ajoutons encore que M. Hermann Abeken, qui a vécu longtemps dans les deux Indes, a voulu faire tourner au profit des Allemands, ses compatriotes, son expérience et ses longues études. Ce n'est pas sans un profond sentiment de tristesse qu'il voit, chaque année, partir de tous les points de l'Allemagne ces innombrables colons, qui vont par troupes, comme les oiseaux d'hiver, chercher par delà les mers des terres nouvelles où ils espèrent trouver la paix et le bonheur. S'il n'est point au pouvoir de M. H. Abeken d'arrêter ces masses qui subissent une influence mystérieuse et irrésistible, il veut au moins les aider par d'utiles conseils.

L'ouvrage dont nous parlons se divise en trois parties: la première, sur l'esclavage et l'émancipation, et la seconde, sur les essais plus ou moins malheureux de colonisation à l'aide des nègres libres, ou des Coolies (races vagabondes qu'on recrute à Calcutta), ou enfin des Eu

ropéens, ne contiennent rien qui, chez nous, n'ait été dit déjà dans nos assemblées législatives ou par la presse. Toutefois, ces deux parties ont toujours le mérite d'être un résumé rapide, clair et substantiel.

La troisième partie est celle que nous recommandons particulièrement à l'attention de nos lecteurs. Elle traite de la colonisation au Brésil et des chances de succès que ce pays offre aux émigrants allemands. Le Brésil est un pays vaste, fertile et peu peuplé : voilà un fait connu des émigrants; ou y doit faire fortune rapidement : voilà la conclusion immédiate de tous les rêves. Toutefois, jusqu'à présent, les essais de colonisation ont été malheureux; le Brésil, dont les terres restent en friche, ne gagne absolument rien à l'arrivée des colons, et les émigrants perdent tout. Le Brésil, d'un facile accès et ouvert à tous, est en quelque sorte plus perdu pour le reste du monde que la Chine, où l'on ne pénètre qu'avec tant de peine. Rien n'y fructifie : loin de là, cet immense pays, capable à lui seul d'offrir un asile à tous les émigrants d'Europe, devient, on peut le dire, leur abîme.

Le seul moyen, suivant M. Abeken (qui se trouve d'accord en cela avec le vicomte d'Abrantès et les meilleurs économistes du pays), le seul moyen juste et certain de favoriser la colonisation du Brésil, serait de ne plus reconnaître les contrats conclus par les embaucheurs d'Europe, mais de créer dans le pays, pour ceux qui s'établiraient, des conditions solides et régulières, d'assurer aux émigrants un avenir légal, de ne les attirer que par les garanties offertes à l'industrie et à l'agriculture, et d'accueillir simplement ceux qui viendraient de leur plein gré chercher une patrie, sans essayer, par de fausses promesses, d'enrôler des hommes qui hésitent et n'ont point de projets bien arrêtés. L'enrôlement, tel qu'il se pratique, n'est au fond qu'un commerce d'esclaves; ce ne sont pas simplement les bras qui sont nécessaires au Brésil; il lui faut des citoyens. En d'autres termes, le Brésil aurait besoin d'être, comme certains pays d'Europe, la France, par exemple, une terre d'asile, où celui qui arrive s'engage par un pacte librement contracté. M. Abeken pense que les distributions gratuites de terres à défricher sont un mauvais moyen d'attirer et surtout d'attacher les émigrants: il vaut mieux, dit-il, vendre les terres, à bas prix il est vrai, mais néanmoins les vendre ; l'homme aime ce qu'il acquiert. Le sacrifice qu'il fait est un premier lien, et il offre à l'État, par ce sacrifice, une première garantie. Là est la seule base solide de la colonisation.

Mais l'état politique et religieux du Brésil, les difficultés qu'y rencontre tout pouvoir législatif pour devenir réellement pouvoir exécutif, ne permettent pas de prévoir encore sur quoi les colons nouveaux venus et le gouvernement peuvent réellement compter. Le Brésil a des institutions libres, il est vrai, mais il est en proie, d'un autre côté, à un immense désordre. Ajoutez à cela, qu'il n'accorde pas une liberté réelle aux colonies, et qu'il n'assure à ceux qui viennent fertiliser le sol aucune protection. Rien n'attriste le philanthrope

comme la condition de ces Allemands qui, par le fait de l'émigration, deviennent étrangers au pays où ils sont nés: ils sont rejetés de l'Allemagne, et, d'autre part, loin d'être adoptés, ils sont méprisés par ceux auxquels ils demandent du travail et un asile.

La conclusion naturelle de tout cela est que les Allemands ne devraient émigrer que vers les contrées où la constitution leur assure des garanties solides, en échange des moyens de culture qu'ils apportent. Les paroles de M. Hermann Abeken seront-elles entendues? Pour notre part, nous croyons que bien des années s'écouleront encore avant le jour où ses compatriotes profiteront de ses sages observations.

LA CHINE ET LES CHINOIS, par M. le comte Alexandre BONACOSSI; dédié à l'empereur de la Chine. - Un vol. in-8° de xvi et 376 pages.

comptoir des Imprimeurs-unis, quai

Paris, 1847. Au Malaquais, 15.

M. le comte Alexandre Bonacossi a-t-il vu le Céleste Empire, dont il s'est chargé de nous raconter les merveilles ? A-t-il pu se soustraire à la loi de proscription qui repousse les Européens des provinces intérieures de la Chine, et porté ses pas jusqu'à Pékin? A-t-il au moins visité Canton, et suivi les traces de M. Lagrenée dans une excursion diplomatique et officielle? Non: M. le comte Alexandre Bonacossi n'est point un aventurier sans mission; il ne s'est mis à la suite d'aucune ambassade; c'est à Londres qu'il a étudié la Chine; c'est à Londres, dans le musée de M. Dunn, qu'il a fait son voyage d'exploration, et recueilli ses observations sur les mœurs, les coutumes et les usages des Chinois. C'est là un nouveau procédé que nous recommandons aux voyageurs qui perdent leur temps dans des investigations inutiles, et qui pourraient se dispenser de tant de peines et de recherches, s'ils employaient dans leurs expéditions scientifiques ce moyen commode et économique. Voyez en effet tout le prix d'une collection comme celle de M. Dunn : « Elle offre des temples avec « leurs prêtres, des salles d'audience avec leurs juges, des salons avec « leur société, des prisons avec leurs détenus, des magasins avec les marchands et les marchandises. Palais, maisons du peuple et « des paysans, armes, instruments d'agriculture, outils d'artisans, « peintures, cartes géographiques, bibliothèques, statues, vases, « meubles, porcelaines, tout s'y trouve. » Le musée est composé de plus de dix mille objets. Une collection aussi complète ne représente.

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