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nées. Deux années plus tard, le 5 juin 1734, les affaires se traitaient pour la première fois dans cette enceinte. Aujourd'hui le magnifique établissement de la Banque couvre un espace de plusieurs arpents. On y compte neuf cents employés, dont les appointements dépassent la somme de 210,000 livres sterling.

Ce fut en 1759 qu'on grava pour la première fois des billets de 15 livres et de 10 livres. Jusqu'alors on s'était servi uniquement de billets de 20 livres. En 1775, la Banque émettait des billets de 5 livres, et, deux années plus tard, il en existait de 2 et de 1 livre. Richard Vaughan est le premier coupable que signalent les annales de la Banque comme ayant commis un faux. C'était en 1758. Ce malheureux avait été poussé au crime par le désir de faire parade de ses richesses devant une femme qu'il aimait. Vaughan périt sur l'échafaud; mais ce terrible exemple n'empêcha pas qu'il eût des imitateurs. A mesure que l'émission de billets devenait plus considérable, le nombre des exécutions capitales augmentait sensiblement. C'est un fait curieux à constater, que, dans les années qui suivirent la mise en circulation des billets d'une livre, les condamnations pour crime de contrefaçon augmentèrent de plus de quatre-vingts pour un. On employait les moyens les plus ingénieux pour faire passer les faux billets, et quelques personnes réalisèrent ainsi de fortes sommes. Les agents de la Banque, de leur côté, ne négligeaient aucun soin pour atteindre les coupables.

M. Francis raconte à ce sujet une anecdote dont le héros est George Morland.

Ce célèbre paysagiste, plus riche de génie que d'argent, s'était retiré dans un des faubourgs obscurs de Londres, pour éviter l'emprisonnement pour dettes. Son regard inquiet, sa vie solitaire, firent penser à quelques voisins que Morland se livrait à la contrefaçon des billets. Ils le dénoncèrent à la Banque, qui envoya aussitôt deux de ses émissaires les plus rusés pour appréhender au corps Morland. Celui-ci, croyant voir des gens de la police dans les employés de la Banque, prit la fuite. Madame Morland répondit à ces hommes, leur montra les tableaux commencés par son mari, et les convainquit si bien de la vérité de ses paroles, que, sur leur rapport, les directeurs de la Banque envoyèrent chacun à Morland deux billets de 20 livres pour le dédommager des angoisses qu'ils lui avaient fait éprouver.

Après cet historique, M. Francis passe en revue les projets insensés de spéculation qui ont tourmenté et agité l'Angleterre. Il en constate les effets sur la Banque et le crédit public. A côté de ces brillantes chimères qui éblouissent par leur grandeur, on en remarque d'autres qui sont vraiment comiques. Un de ces projets avait pour but de découvrir le mouvement perpétuel. Un autre tendait à obtenir une souscription de deux millions et demi sterling pour la réussite d'une entreprise qu'on se proposait de faire connaître plus tard. Une troisième contenait le plan d'organisation d'une société pour exploiter une entreprise très-avantageuse: aucun des actionnaires ne devait rien savoir

de ce dont il s'agissait; mais chacun d'eux, en souscrivant pour une somme de 2 livres, recevait l'assurance de toucher 100 livres par an. Dans un espace de cinq heures, le hardi spéculateur avait réalisé 2,000 livres, et depuis lors on n'entendit plus parler de lui. Comme du temps de Law en France, la manie de la spéculation avait gagné toutes les classes de la société ; les hommes d'Etat, les ministres de la religion, les grands seigneurs, se heurtaient dans Exchange Alley avec les roturiers et les femmes de toute espèce. Les hommes qui occupaient les positions les plus élevées donnaient rendez-vous dans des tavernes aux agioteurs de la Banque, et les femmes de qualité chez leurs marchandes de modes.

Tous les jours de nouvelles sociétés se formaient sous les auspices des plus hauts membres de l'aristocratie.

Le prince de Galles fut nommé directeur de la société pour l'exploitation des mines de cuivre du pays de Galles; et lorsqu'il eut réalisé un bénéfice de 60,000 livres, il se retira.

On vit les ducs de Bridgewater et de Chandos à la tête de deux autres spéculations. Les agents de la société de la mer du Sud réalisèrent d'énormes profits. Leurs commis disaient que, s'ils ne portaient pas des habits tout chamarrés d'or, ils ne pourraient jamais dépenser la moitié de leurs bénéfices. »

On voit à la Banque de Londres une belle collection de médailles antiques, qui ne le cède qu'à celle de la Bibliothèque royale de Paris et à celle du Musée britannique. On y montre aussi le fameux billet de 1000 livres avec lequel lord Cochrane acquitta l'amende qui lui fut infligée, et sur lequel il eut soin d'écrire une protestation contre la sentence qui le frappait. On se rappelle que lord Cochrane, maintenant lord Dundonald, a été réintégré dernièrement dans ses droits comme pair du Royaume-Uni.

Nous le répétons, le livre de M. Francis contient, à notre sens, moins de vues utiles que de faits curieux et intéressants.

OEUVRES COMPLÈTES DE CONDORCET, publiées par le lieutenant général O' CONNOR; précédées de l'ÉLOGE DE CONDORCET, par M. ARAGO, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences. Paris, chez Firmin Didot. Tome Ier (complétant la publication).

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Ce volume peut s'appeler la dernière pierre du monument élevé par la piété filiale à l'une des gloires philosophiques de la France.

Il s'ouvre par une Notice biographique, morceau d'une grande portée sous un titre modeste; digne, à la fois, de celui qui en est l'objet, et de celui qui l'a signé. Condorcet ne pouvait être mieux apprécié ; le noble caractère de l'homme et le mérite du savant ne pouvaient être mis en relief par un meilleur historien que par le successeur de Condorcet lui-même au titre de secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences.

Le volume se compose, en grande partie, de lettres inédites de Voltaire, de Condorcet et de Turgot. Ces trois noms suffisent à faire concevoir le haut intérêt et le charme de cette correspondance. Tous les goûts y trouveront de quoi se satisfaire : la discussion d'un point d'histoire ou de morale s'y mêle à la piquante anecdote de société, et plus d'un rapprochement politique s'offrant de lui-même entre l'époque de Louis XV et la nôtre, fournira matière aux réflexions du penseur. Par exemple, n'est-il pas curieux de contempler, en deçà de 89, les efforts que les jésuites renouvellent désespérément, depuis 1830, pour écraser l'Université et mettre l'instruction publique aux mains de quinze ou vingt congrégations, lesquelles, sous des noms divers, ne sont au fond que l'opiniâtre compagnie de Jésus? Car personne n'a jamais compris, aussi bien que les jésuites, la profonde vérité du mot de Leibnitz: Celui qui est maître de l'éducation peut changer la face du monde!

Lorsqu'ils sont parvenus à établir ouvertement, dans toutes les églises de France, le culte ultramontain de leur saint Grégoire VII, n'est-il pas curieux de voir leurs timides tentatives, à cet égard, repoussées par Louis XV? Turgot raconte à Condorcet qu'ils avaient essayé de faire. célébrer la fête de ce saint anti-gallican dans la chapelle même du roi! «Mais le roi, ayant vu ce nom dans le bref de sa chapelle, de l'avis « de son conseil, l'a fait rayer; et l'on vient de nommer une com<< mission pour visiter les couvents, et s'assurer que les moines n'y cé«lèbrent point la fête d'Hildebrand ou de quelque autre maraud! >> Nous avons, à cet égard, bien rétrogradé depuis Louis XV! Aussi

avons-nous fait deux révolutions hostiles aux moines et particulièrement aux jésuites !

Parmi les citations intéressantes nous n'aurions que l'embarras du choix; mais elles nous entraîneraient trop loin; de plus, nous voulons laisser aux lecteurs le plaisir de la découverte. Nous nous bornerons à un seul extrait, et le motif de cette préférence sera compris de tout le monde.

La mémoire de Condorcet a été cruellement attaquée, tranchons le mot, calomniée au sujet de Bernardin de Saint-Pierre. Il nous en coûte de le dire en ce moment que la tombe du coupable est à peine fermée; mais la bienséance n'a pas seule des droits : la justice a aussi les siens, qui sont imprescriptibles. Depuis vingt ans circulent dans le monde les accusations fausses portées contre Condorcet, d'Alembert et mademoiselle de l'Espinasse, par un littérateur trop enthousiaste de la personne et des écrits de M. de Saint-Pierre. Il est temps que la vérité se fasse jour. Nous regrettons doublement que M. Aimé-Martin ne soit plus de ce monde : il eût été curieux de voir ce qu'il aurait pu opposer à des preuves aussi positives, à la lettre de Bernardin lui-même. Ces rectifications n'intéressent pas seulement l'histoire littéraire ; elles in-téressent avant tout la morale. C'est pourquoi l'injure ayant été répandue au loin, nous nous faisons un devoir de servir la cause du bon droit, en mettant sous les yeux de nos lecteurs la pièce capable de l'éclairer.

CONDORCET A TURGOT.

Ce dimanche, juillet 1774.

Celle-ci est, Monsieur, pour le ministre de la marine (1).

Je crois qu'il résulterait un grand avantage du voyage de M. de SaintPierre.

1° Il vous rapporterait des plantes très-utiles.

2 Il pourrait deviner le secret de plusieurs préparations et l'origine de plusieurs substances qui sont des objets de commerce ou qui ser

vent aux arts.

3° Il nous éclairerait sur l'histoire naturelle et politique de l'inté

(1) Bernardin de Saint-Pierre, revenu depuis trois ans d'un voyage à l'île de France, sollicitait d'être envoyé par terre aux Indes, pour reconnaître le golfe Persique, la mer Rouge et les bords du Gange. (Voyez, à la suite de sa correspondance, sa lettre à mademoiselle de l'Espinasse.) Mademoiselle de l'Espinasse et Condorcet firent tout leur possible pour faire obtenir à Bernardin ce qu'il demandait, mais ils n'y purent réussir. M. Aimé-Martin, qui a rempli un volume de la vie de M. de Saint-Pierre, n'a pas fait la plus légère mention de cette affaire; en revanche, il représente partout Condorcet et mademoiselle de l'Espinasse comme les plus cruels ennemis de son héros (*).

(*) L'auteur des notes répandues dans ce volume est M. F. Génin.

rieur de l'Asie, et il pourrait en résulter de nouvelles vues pour le com.

merce.

4o Il examinerait si, actuellement que le commerce de la mer Noire est libre, il nous sera aussi utile qu'on le croit. M. de Bori prétend qu'il y aurait de l'avantage à faire venir par là nos bois de construction. Cela seul mériterait un voyage jusque-là. Le chevalier de SaintPierre se contenterait d'une récompense modique. Je lui disais l'autre jour que je voudrais que vous établissiez à Hyères un jardin botanique dans lequel on cultiverait les plantes des pays chauds, afin de tâcher de naturaliser celles qui seraient le plus utiles. Il ne voudrait, m'at-il dit, d'autre récompense de son voyage que l'intendance de ce jardin.

(Août 1774.)

Mademoiselle de l'Espinasse est toujours souffrante; elle n'en est que plus ardente pour tirer les malheureux de peine; elle m'a reparlé du chevalier de Saint-Pierre. Tâchez donc de faire quelque chose pour lui (1), quand ce ne serait que de lui assurer les cent pistoles qu'on

(1) C'est la cinquième lettre de Condorcet pour solliciter en faveur de Bernardin de Saint-Pierre. La réponse de Turgot se trouve dans une lettre d'ailleurs sans intérêt, et que l'on n'imprime point par ce motif : « Je ne crois pas trop « possible ce que me propose M. de Saint-Pierre ; mais je chercherai sûrement à l'employer.» (De Compiègne, le 17 août 1774.)

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Il est donc hors de doute que Bernardin de Saint-Pierre eut à Condorcet des obligations et lui devait de la reconnaissance.

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Il est curieux de voir comment M. Aimé-Martin, dans la biographie formant le 1er volume des œuvres de M. de Saint-Pierre, présente les relations de Condorcet avec son héros, ou, pour mienx dire, son dieu : « Le plus dangereux de « tous (les ennemis de M. de Saint-Pierre), ce fut le marquis de Condorcet. Ce philosophe était en même temps géomètre, académicien, journaliste, repré. « sentant du peuple et président du comité d'instruction publique; le tout par « amour pour l'égalité. Il fit à M. de Saint-Pierre le plus grand mal qu'un homme « puisse faire à un autre, en l'empêchant de faire le bien. A cette époque, on parlait de détruire la ménagerie de Versailles; M. de Saint-Pierre demanda qu'elle fût transportée à Paris.... Condorcet répondit à ces projets d'utilité pu blique par la destruction de la ménagerie de Versailles : tous les animaux rares << furent tués! Cet établissement eut aussi ses septembriseurs ! Mais le savant << géomètre ne s'en tint pas là: l'Europe l'entendit avec surprise demander à la << tribune nationale de faire reconnaître comme incontestables les opinions scientifiques adoptées par l'Académie. Un des motifs de cette singulière pro « position était d'obliger M. de Saint-Pierre d'approuver, au nom de la loi, les « systèmes combattus dans les Études. Le philosophe voulait appuyer l'autorité << de Newton par celle de la république; mais il n'eut pas le bonheur de réussir, etc. » Pages 260, 261.

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Il n'est pas impossible que M. Aimé-Martin ait rédigé cette page sur des notes de Bernardin de Saint-Pierre lui-même. Ceux qui connaissent le véritable caractère de cet homme sensible n'en seraient point surpris. Dans tous les cas, on porte à M. Aimé-Martin le défi public de prouver ses assertions relativement à la ménagerie de Versailles et à la proposition sur les opinions académiques. Ce

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