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Quem secum patrios aiunt portare Penatis,

Quem subiisse humeris confectum ætate parentem!

Ce quatrième livre semble un trésor de mouvements tragiques, où sont venus puiser presque tous nos grands poëtes; et on a lieu de s'étonner que Le Franc de Pompignan, qui avoit à moissonner dans un champ aussi vaste, ait trop peu profité d'un si grand avantage, et que nous ayons eu si rarement occasion de le comparer à son modèle. Voltaire fait dire à Orosmane (Zaïre, act. IV, sc. v):

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Implessemque foros flammis, natumque patremque
Cum genere exstinxem, memet super ipsa dedissem.

Il étoit difficile de transporter dans notre langue la beauté des terminaisons du plusque-parfait, qui, par leur répétition, marquent d'une manière si expressive l'acharnement de la vengeance. L'abréviation de ces plusque-parfaits marque aussi fort bien la précipitation de la colère qui ne se donne pas le temps de prononcer les mots entiers. C'est une licence de la langue latine qui ne peut être transportée dans la nôtre. Je me suis néanmoins efforcé d'imiter ces consonnances, par la répétition j'aurois ravagé, brûlé, submergé, égorgé.

A ces mouvements violents succédent, avec un goût admirable, pour exprimer la fatigue d'un ame qui retombe dans l'abattement et dans une sorte de consomption mélancolique, des sons lents et lugubres, douloureusement prolongés.

Sol, qui terrarum flammis opera omnia lustras,

(61)

Tuque harum interpres curarum et conscia Juno,
Nocturnisque Hecate triviis ululata per urbis, etc.

Illa gradum studio celerabat anili.

L'épithète anili est d'une extrême propriété. On remarque dans les vieux domestiques un empressement de zèle presque toujours proportionné à l'ancienneté de leurs services. Nous avons suffisamment parlé, en commençant, des beaux mouvements qui précédent la mort de Didon.

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Atria; concussam bacchatur fama per urbem;

Lamentis, gemituque, et femineo ululatu

Tecta fremunt; resonat magnis plangoribus æther.'

Ces vers peignent fort bien la douleur universelle que répand dans un grand empire la nouvelle de la mort d'un souverain long-temps chéri de ses sujets.

(63) Illa, gravis oculos conata adtollere, rursus
Deficit: infixum stridit sub pectore volnus.
Ter sese adtollens cubitoque adnixa levavit;
Ter revoluta toro est, etc.

Nous avons fait remarquer dans ce livre peu de traits d'harmonie imitative, quoiqu'il y en ait un grand nombre; mais il est impossible de n'être pas frappé de celle qui distingue ces deux derniers vers, dont une partie exprime, par. des spondées, la peine et l'effort avec lesquels Didon essaie de se soulever; et l'autre, par des dactyles multipliés, la précipitation avec laquelle elle retombe. Le premier, qui exprime l'effort que fait cette malheureuse reine pour ouvrir les yeux, offre aussi un exemple non moins remarquable de cette harmonie, et c'est avec le même goût que le mot deficit est rejeté au vers suivant.

(64) Ergo Iris, croceis per cœlum roscida pennis,
Mille trahens varios adverso sole colores, etc.

Cette peinture d'Iris avec ses ailes brillantes et humides

de rosée, dont l'image et l'harmonie sont également gracieuses, semble avoir pour objet de produire un contraste avec la tristesse des objets que Virgile vient de présenter, les horreurs du suicide et les angoisses de la mort.

Je ne puis finir ces observations sans rechercher ce qui a précédé et suivi Virgile dans cette belle peinture de l'amour. Les amours d'Ulysse et de Calypso semblent en avoir fourni la première idée, si admirablement perfectionnée; car il est à propos de dire qu'on ne trouve nulle part dans Homère la peinture de toute la violence de cette passion. Calypso, maîtresse de sa destinée, et qui n'est liée par aucun serment, ne peut intéresser autant que Didon, qui a voué à son premier époux une éternelle fidélité. Ulysse n'est pas, comme Énée, choisi les dieux par fonder un grand pour empire. Les discours de Calypso sont froids et insignifiants; on n'y suit point les progrès de sa passion, qui d'ailleurs n'est pas aussi bien préparée que l'est celle de Didon, par le récit des grands exploits et des aventures malheureuses du héros de l'Enéide. Ulysse semble peu touché des bienfaits de la déesse; l'offre même de l'immortalité ne le séduit nullement; ainsi sa situation ne peut avoir l'intérêt vraiment dramatique que donnent au pieux Énée les efforts qu'il est obligé de faire pour obéir aux dieux. La peinture d'Ulysse travaillant seul, et sans la moindre distraction, à la construction de la nacelle qui doit le transporter loin de Calypso, présente plus d'une inconvenance, et seroit indigne de l'épopée, si d'ailleurs elle n'étoit pas dans toute la simplicité des mœurs antiques. Mais c'est dans Homère que Virgile a pris sa principale idée: le quatrième livre de l'Énéide est dans le cinquième de l'Odyssée, comme le chêne est dans le gland. Virgile s'est aussi beaucoup aidé des amours d'Ariane et de Thésée; il en a emprunté des vers entiers, comme celui-ci :

Per connubia nostra, per inceptos hymenæos....

Néanmoins le poëte qui lui a fourni le plus grand nombre d'idées, c'est, sans contredit, Apollonius de Rhodes; on trouve dans cet auteur l'esquisse de plusieurs des plus beaux morceaux de l'Énéide.

Passons maintenant aux imitateurs. A leur tête est le Tasse. Didon ne peut avoir de rivale qu'Armide; mais il faut avouer qu'Armide n'eût pas existé sans Didon; ses discours les plus passionnés sont quelquefois littéralement traduits de Virgile. On ne peut nier que l'heureux emploi que le poëte italien a fait des enchantements de la féerie n'ait ajouté beaucoup aux grandes beautés de son poëme : ce palais enchanté, ouvrage de l'Amour, si chéri d'Armide tant qu'il est habité par Renaud, et livré aux flammes après son départ, est une des idées les plus heureuses qu'aucun poëte épique ait conçues.

La Gabrielle d'Estrées de Voltaire est assurément bien loin de Didon et d'Armide; et le chant de la Henriade consacré à ses amours avec Henri IV est généralement regardé comme froid et sans caractère; ce n'est guère qu'une idylle amoureuse, dont la partie épique et la partie dramatique sont également foibles. On trouve dans quelques passages toute la galanterie française et des vers très agréables, mais nulle part l'intérêt, la force, l'énergie, qui caractérisent le peintre de Didon; et ce qui y manque le plus, c'est l'incroyable variété que Virgile a su mettre dans un livre dont le sujet est tel qu'il sembloit devoir s'emparer de toutes les parties de son poëme. Les fêtes données aux héros, les pompes naissantes de Carthage, les cérémonies nuptiales, avec lesquelles doivent bientôt contraster les cérémonies funéraires; la description d'Atlas, de la Renommée, une foule d'objets de la nature adroitement mêlés au sujet principal, soit par des descriptions, soit par des comparaisons, donnent à ce livre une richesse et une magnificence de poésie qu'on chercheroit en vain dans le chant correspondant de la Henriade. C'est dans ses belles tragédies que Voltaire

a plus heureusement imité les anciens, et qu'il a, en quelque façon, racheté cette foiblesse.

Fénélon, disciple et imitateur des anciens, s'est beaucoup plus rapproché de leur manière large et pittoresque. Il a, comme Virgile, fait la description d'une chasse; mais il se l'est appropriée par une foule de circonstances différentes, et toutes heureusement imaginées. Il a ajouté à l'intérêt de l'amour, par la peinture de la jalousie, moyen que le caractère du héros de Virgile lui interdisoit; et il est le seul qui ait mis dans sa prose poétique assez d'images et d'harmonie, pour faire oublier le charme des vers, que tous les autres poëtes ont jugé nécessaire à l'action épique. Enfin, ce qui a valu à son ouvrage un succès si général, c'est le grand fonds de moralité qui le distingue. Le malheur et la prospérité, la richesse et l'indigence, les peuples et les rois, y trouvent également d'utiles leçons. Il est hardi, sans être audacieux; aucun accent de sédition ne s'y fait entendre; et il semble que Louis XIV auroit bien pu s'y reconnoître, sans en être blessé.

Tous les poëtes épiques ont cru devoir consacrer un de leurs chants à l'amour. Le Camoëns fait aussi débarquer les Portugais dans une île, où les Néréides, enflammées par Vénus et Cupidon, de concert avec le Père éternel, s'efforcent de les retenir. Indépendamment du mélange monstrueux des divinités du paganisme avec la religion chrétienne, cet épisode est écrit avec si peu de ménagement, que l'ile enchantée de la Lusiade ressemble beaucoup plus à un lieu de débauche qu'au séjour des dieux. Ce seroit outrager Virgile que de lui comparer de pareilles productions.

Enfin, le récit des amours de Didon a de tous les temps charmé les ames sensibles. Ovide ne se lassoit pas de le lire; saint Augustin a donné aux malheurs de cette reine des larmes dont il s'est accusé. Mais, quelque admirable que soit le quatrième livre de l'Énéide, les lecteurs doivent se

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