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Vont cacher, vont pleurer leur délire funeste :
Junon sort de leur cœur, le remords seul y reste.
Mais le feu destructeur n'est pas encor dompté;
Ni les eaux, ni des bras la prompte activité
Ne peuvent apaiser la flamme dévorante;

Et l'étoupe enflammée, et la poix odorante,
D'une lente fumée exhalent la vapeur:

Dans le fond des vaisseaux se cache un feu trompeur;
L'invisible ennemi les mine, les dévore,

Et jusqu'au sein des mers la flamme vit encore.
Énée élève au ciel et ses cris et ses vœux,

Déchire ses habits, et conjure les dieux :

« O Jupiter! dit-il, si le courroux céleste

Des malheureux Troyens n'a pas proscrit le reste,
Si Troie est chère encore à tes yeux attendris,
Épargne sa misère, et sauve ses débris;

Ou, si je suis coupable, arme-toi, prends ta foudre;
Que leur chef à l'instant tombe réduit en poudre. >>
Il parloit: aussitôt les autans pluvieux

De leur souffle ont noirci l'immensité des cieux;
Tout-à-coup l'éclair brille, et les tonnerres grondent;
Les monts, les vallons creux, et les bois leur répondent;
L'Olympe entier se fond en rapides torrents:

Sur les bancs, sur la poupe, en proie aux feux errants,

Au haut des mâts, au fond des carènes profondes,

La flamme en mugissant se débat sous les ondes:

Mais enfin elle cède; et de tous les vaisseaux
Quatre succombent seuls au feu vainqueur des eaux.
Cependant du héros la constance abattue

'De mille soins divers est encor combattue.

Mutabat versans: Siculisne resideret arvis,
Oblitus fatorum, Italasne capesseret oras.
Tum senior Nautes, unum Tritonia Pallas
Quem docuit, multaque insignem reddidit arte,
Hæc responsa dabat, vel quæ portenderet ira
Magna deum, vel quæ fatorum posceret ordo.
Isque his Ænean solatus vocibus infit:

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Nate dea, quo fata trahunt retrahuntque, sequamur. Quidquid erit, superanda omnis fortuna ferendo est. Est tibi Dardanius divinæ stirpis Acestes:

Hunc cape consiliis socium, et conjunge volentem.
Huic trade, amissis superant qui navibus, et quos
Pertæsum magni incepti rerumque tuarum est;
Longævosque senes, ac fessas æquore matres,
Et quidquid tecum invalidum metuensque pericli est,
Delige, et his habeant terris sine mœnia fessi.
Urbem adpellabunt permisso nomine Acestam. »

Talibus incensus dictis senioris amici: Tum vero in curas animum diducitur omnis. Et nox atra polum bigis subvecta tenebat: Visa dehinc cœlo facies delapsa parentis Anchise subito talis effundere voces:

<< Nate, mihi vita quondam, dum vita manebat,

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Doit-il chercher sur l'onde un empire incertain,
Doit-il dans la Sicile oublier son destin?
Son cœur irrésolu flotte en proie à l'orage.
Enfin le vieux Nautès relève son courage;
Nautès, à qui Pallas révéla ses secrets,
Retrace à son esprit les éternels décrets,

Les promesses des dieux, et même leurs menaces :
« Prince, de vos destins endurez les disgraces:
L'infortune aux grands cœurs commande un grand effort.
Sachons souffrir le flux et le reflux du sort:

Toujours la patience asservit la fortune.

Et d'Aceste et de vous l'origine est commune :
Consultez sa prudence; et, puisqu'un coup affreux
A livré votre flotte au ravage des feux,

Confiez à ces bords, à la bonté d'Aceste,

Ceux qui de vos vaisseaux surchargeroient le reste;
Tout ce qui, peu touché d'un empire lointain,
Renonce à partager votre illustre destin;
Et cette foule enfin, languissante, inutile,
A qui le poids de l'âge, ou son sexe débile,

Ou le dégoût des mers, ou la crainte des flots,

Font négliger la gloire et chérir le repos.

Qu'ici leur main se fasse un séjour plus tranquille,

Et

que du nom d'Aceste ils appellent leur ville. »

Le héros se ranime à ces accents divins,

Et, plein d'un noble espoir, poursuit ses grands desseins.
Phébé brilloit au ciel : tout-à-coup, ô surprise!

A ses yeux apparoît l'ombre auguste d'Anchise.
« O toi, triste jouet des fureurs de Junon,
Toi, dit-il, que poursuit le destin d'Ilion,

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Care magis; nate, Iliacis exercite fatis,
Imperio Jovis huc venio, qui classibus ignem
Depulit, et cœlo tandem miseratus ab alto est.
Consiliis pare, quæ nunc pulcherrima Nautes
Dat senior: lectos juvenes, fortissima corda,
Defer in Italiam: gens dura atque aspera cultu
Debellanda tibi Latio est. Ditis tamen ante
Infernas adcede domos, et Averna per alta
Congressus pete, nate, meos. Non me impia namque
Tartara habent, tristes umbræ; sed amona piorum
Concilia Elysiumque colo: huc casta Sibylla

Nigrarum multo pecudum te sanguine ducet.

Tum genus omne tuum, et, quæ dentur moenia, disces.
Jamque vale: torquet medios nox humida cursus;
Et me sævus equis Oriens adflavit anhelis. »
Dixerat, et tenuis fugit, ceu fumus, in auras.
Eneas: « Quo deinde ruis? quo proripis? inquit;
Quem fugis? aut quis te nostris conplexibus arcet? »

Hæc memorans cinerem et sopitos suscitat ignis;
Pergameumque Larem, et canæ penetralia Vestæ,
Farre pio, et plena supplex veneratur acerra.
Extemplo socios primumque arcessit Acesten,
Et Jovis imperium, et cari præcepta parentis

Toi que j'aimai, vivant, cent fois plus que la vie,
Qui d'un cruel vainqueur évitas la furie,

Le dieu par qui ta flotte a triomphé des feux,

A, du trône des airs, jeté sur toi les

yeux:

Du prévoyant Nautès écoute la sagesse.

Que des Troyens choisis la brillante jeunesse

Te suive aux champs latins: des peuples belliqueux,
Des peuples indomptés t'attendent en ces lieux.
Mais avant, il te faut, passant la rive sombre,
Visiter les beaux lieux où repose mon ombre;
Car je n'habite pas le séjour des forfaits,
Mais le vert Élysée et sa tranquille paix.
Pour y guider tes pas, par plus d'un sacrifice,
La Sibylle à tes vœux rendra l'enfer propice.
Là tu verras ton père et ta postérité.
Adieu: Phébé déja voit pâlir sa clarté;

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Et, me privant trop tôt d'une vue aussi chère,
Les coursiers du soleil nous soufflent la lumière. »
Il dit, s'évanouit, et disparoît dans l'air.
Énée alors s'écrie : « O des biens le plus cher !
Ne puis-je qu'un moment revoir ce que j'adore?
O mon père! demeure, attends, attends encore ! »

Il dit, le cherche en vain: il n'est plus; et son fils
Court réveiller les feux sous la cendre assoupis,
De la chaste Vesta ressuscite la flamme,
Invoque tous les dieux protecteurs de Pergame,
Et les dieux de l'empire, et les dieux des foyers.
Puis il rejoint Aceste et ses braves guerriers;
Leur annonce du ciel la volonté suprême,
Ce qu'ordonne le sort, ce qu'il résout lui-même.

T. IV. ÉNÉIDE II.

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