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côtes de Carthage; c'est en quittant la cour de Didon qu'il revient à ce même port, et qu'il y célèbre les funérailles de son père. Un an s'est écoulé dans l'intervalle, dit Énée lui

même:

Annuus exactis completur mensibus orbis....

Ainsi la durée de l'action épique n'a point de bornes précises; elle comprend plus d'une année dans l'Énéide, et n'a pas deux mois dans l'Iliade.

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Veut-on voir avec quelle exactitude Virgile avoit rassemblé toutes les anciennes origines, toutes les traditions nationales, il faut ouvrir Denys d'Halicarnasse. Il conduit Énée par la même route; il le fait aborder aux mêmes lieux, bâtir les mêmes villes, et combattre les mêmes peuples: il nous apprend aussi qu'Aceste ou Égeste (car divers auteurs lui donnent indifféremment ces deux noms) étoit d'origine troyenne, et gouvernoit une partie de la Sicile. Voici àpeu-près les paroles de l'historien (liv. I, ch. 11):

« Quand Enée, dit-il, approcha de la Sicile, la violence « des vents, si fréquents sur cette mer, le contraignit à des«< cendre dans l'ile, en un endroit appelé Drépane, où il « rencontra une colonie de ses compatriotes, sortis de Troie << avant lui, sous la conduite d'Hélyme et d'Égeste ou Aceste. « Ceux-ci, dont le vent avoit favorisé la route, étoient arri«vés promptement en Sicile; ils s'y étoient établis près du « fleuve Crinise, dans un canton que leur avoient cédé les « Sicaniens, en considération d'Aceste, né et élevé dans leur << patrie, par l'aventure que je vais raconter:

« L'aïeul d'Aceste, homme illustre et de race troyenne, <«<eut quelque différent avec Laomédon. Le roi le fit mou<«<rir avec tous ses enfants mâles : il épargna ses filles; mais, « trouvant dangereux de leur permettre quelque alliance " avec les Troyens, il les remit à des marchands, avec ordre T. IV. ÉNÉIDE. II.

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<< de les mener dans une contrée lointaine. Un jeune homme «< d'une naissance distinguée, amoureux de l'une d'elles, la « suivit et l'épousa en Sicile. Il en eut un fils nommé Aceste, « qui fut élevé dans les mœurs et la langue du pays. Quand <«< il eut perdu son père et sa mère, Aceste obtint de Priam << la permission de retourner dans la patrie de ses ancêtres : mais, après avoir soutenu la guerre contre les Grecs, il << revint en Sicile avec Hélyme. Énée, accueilli par ces deux «Troyens, bâtit sur leur territoire deux villes qu'il appela « de leur nom : il y laissa tous ceux de son armée qui ne pouvoient plus résister aux fatigues d'un plus long voyage, « et les femmes troyennes qui, lasses de traverser les mers, avoient brûlé, dit-on, une partie de sa flotte, dans l'espé«rance de l'arrêter en Sicile. »

On voit que le récit de Virgile est presqu'en tout conforme à celui de Denys d'Halicarnasse. Il ajoute seulement quelque chose de plus merveilleux à l'origine d'Aceste, en lui donnant pour père le fleuve Crinise.

Troia Criniso conceptum flumine mater

Quem genuit.

Mais il suffisoit que l'amant de la mère d'Aceste vécût près du fleuve Crinise, pour autoriser cette fable. La naissance de tous ces héros, issus des dieux de la mer et des fleuves, s'explique aisément par le joli conte de La Fontaine, intitulé: Le fleuve Scamandre.

(4) Horridus in jaculis et pelle Libystidis ursæ, etc.

Desfontaines, ainsi que Segrais, habille Aceste d'une peau de panthère, et non d'une peau d'ours, sous prétexte qu'il n'y avoit point d'ours en Libye; mais Buffon soutient l'autorité de Virgile contre ces deux traducteurs.

« Les ours noirs, dit l'auteur de l'Histoire naturelle, n'ha« bitent guère que les pays froids; mais on trouve des ours « bruns ou roux dans les climats tempérés, et même dans

« les régions du midi. Les Romains en faisoient venir de

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Libye pour servir à leurs spectacles. Il s'en trouve à la

Chine, au Japon, en Arabie, en Égypte, et jusque dans l'ile de Java, etc., etc. »

(5) Ille e concilio multis cum millibus ibat

Ad tumulum, etc.

Ceux qui ont dit que Virgile avoit voulu réunir dans le caractère d'Énée toutes les qualités propres au fondateur d'un grand empire, me paroissent avoir bien saisi le caractère du poëte. Il donne tour-à-tour à son héros les vertus religieuses, politiques, et guerrières. Les honneurs rendus à la mémoire des morts sont peut-être ce qu'il y a de plus touchant et de plus moral dans le culte de tous les peuples: Énée a donc soin d'instituer les rites funèbres sur le tombeau d'Anchise. On ne peut se méprendre à l'intention de Virgile, puisque Ovide, dans son second livre des Fastes, en recommandant la piété envers les morts, dit positivement que le culte qu'on doit leur rendre fut enseigné par Énée aux peuples de l'ancienne Italie :

Hunc morem Æneas, pietatis idoneus auctor,
Adtulit in terras, juste Latine, tuas.

Et, pour mieux connoître toute l'importance que les anciens attachoient aux funérailles, il faut lire ce qu'ajoute le même Ovide, après l'éloge qu'il vient de donner à la piété d'Énée.

« Il fut un temps, dit-il, où les Romains négligèrent de « célébrer les jours consacrés aux Mânes. Ils en furent bien« tôt punis; car on dit que dès ce moment tous les faubourgs « de Rome furent éclairés du feu des bûchers; nos aïeux sor<< tirent de la poussière des tombeaux; leurs voix plaintives <«< retentirent dans le silence des nuits; et les peuples trem« blants rendirent aux tombeaux leur culte, trop long-temp négligé, etc."

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Heureux les siècles où de semblables prodiges obtiennent la foi des peuples, et où les sages et les poëtes montrent les dieux toujours armés pour venger les lois de la morale!

(6) Dixerat hæc, adytis quum lubricus anguis ab imis
Septem ingens gyros, septena volumina, traxit, etc.

L'apparition de ce serpent merveilleux doit être admirée sous plus d'un rapport. Premièrement, la marche des vers, qui s'enchaînent avec tant de facilité les uns aux autres, et le long développement de la période, imitent en quelque sorte les paisibles ondulations de cet énorme reptile, qui se promène sept fois autour du tombeau dont il est sorti. De plus, cet espèce de prodige réunit à toutes les beautés poétiques toutes les convenances religieuses. On sait que le serpent a joué le plus grand rôle dans la mythologie de tous les peuples. En faisant un cercle de son corps, il figuroit tour-à-tour, chez les anciens, le soleil ou l'éternité; aussi le serpent a tout l'éclat de l'astre dont il est l'emblème dans ce beau vers:

Mille trahit varios adverso sole colores.

C'est le gardien mystérieux des secrets de la tombe; c'est le génie attaché au service d'Anchise; et les couleurs brillantes de l'animal symbolique semblent réfléchir une partie de ce jour immortel que voit le héros dont on fait l'apothéose.

(7) Et tuba conmissos medio canit aggere ludos.

On peut voir, dans le vingt-troisième chant de l'Iliade, la description des jeux faite par Homère. Virgile n'en a véritablement imité que trois, ceux de la course à pied, de l'arc, et du ceste. Pope a fort bien observé que la course des chars est ce que le poëte grec a décrit avec plus de soin, et que Virgile, désespérant peut-être d'embellir un semblable tableau, l'avoit fort judicieusement remplacé par une

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course de galères. J'ajouterai deux autres observations à celle de Pope; c'est que d'abord les descriptions des courses de chars étoient fort multipliées dans les poëtes: on en trouve de très belles jusque dans l'Électre de Sophocle, sans compter toutes les odes en l'honneur des athlètes couronnés aux jeux olympiques. Il est vraisemblable que Virgile a voulu traiter un sujet moins usé pour ses contemporains, et qui pût lui fournir des couleurs plus originales. Il faut avouer ensuite qu'une joute navale est bien mieux assortie aux mœurs d'un peuple qui voyage sur les mers depuis sept années.

(8)

Terno consurgunt ordine remi...

Virgile donne ici les arts de son temps au siècle d'Énée... A l'époque du siège de Troie, on ne connoissoit point les navires à plusieurs rangs. C'est par le même privilège qu'il a placé des tableaux dans le palais de Didon, quoiqu'on n'eût pas encore découvert l'art de la peinture.

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Convolsum remis rostrisque tridentibus æquor.

Le Tasse admiroit singulièrement ce vers, où la rudesse des syllabes exprime si bien le bruit des rames et des proues qui fendent la mer. Mais si on vouloit remarquer toutes les beautés de ce genre, il faudroit presque s'arrêter à toutes les expressions de ce livre : le talent de décrire ne peut aller plus loin, comme on l'a déja dit, et sur-tout dans la course des galères et dans la lutte d'Entelle et de Darès. Le vers, dans ses mouvements variés, peint aux yeux et à l'oreille tous les efforts, toutes les attitudes des athlètes. Il est vif et pesant tour-à-tour; il se précipite avec le vaisseau de Cloanthe ou de Mnesthée; il se brise et se traîne avec celui de Sergeste; il semble retentir des coups portés alternativement par les robustes lutteurs; il s'élève avec la souplesse de leurs bras, ou retombe avec le poids du ceste. A la vérité, l'auteur de

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